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Édouard Balladur sera à Strasbourg aujourd'hui. Un déplacement européen marqué par deux rendez-vous : le premier avec l'Eurocorps et le second, très attendu, au Conseil de l'Europe où le Premier ministre fera un discours avant de répondre à la traditionnelle séance des questions des élus de la Grande Europe. Édouard Balladur reviendra en Alsace, samedi, pour présider les cérémonies commémoratives du 50e anniversaire de la libération de Colmar.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Vous prendrez la parole devant l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe où siègent de nombreux élus d'Europe centrale et orientale. Quel espoir raisonnable peut-on donner à ces pays qui désirent rejoindre l'Union européenne ?
Édouard Balladur : L'Union européenne a clairement affirmé, lors du Sommet de Copenhague en juin 1993, que les neuf pays d'Europe centrale et orientale avaient vocation à la rejoindre. Elle a ensuite défini les étapes de ce rapprochement. Celles-ci sont aujourd'hui bien comprises de nos partenaires qui savent que les négociations commenceront après la Conférence institutionnelle de 1996. Elles seront d'autant plus faciles si, auparavant, leurs problèmes de frontières et de minorités sont réglés dans le cadre du Pacte de stabilité. En décembre dernier, au Sommet d'Essen, nous avons approuvé ce que l'on appelle la stratégie de pré-adhésion. Les choses sont aujourd'hui très claires et c'est dans un climat de confiance que nous allons nous rapprocher progressivement.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Entre l'Union – l'Europe la plus intégrée – et le Conseil de l'Europe – qui symbolise l'Europe intergouvernementale et l'Europe des Nations – existe un gouffre que le président de la République François Mitterrand voulait, encore en mai 1992 devant l'assemblée parlementaire, combler par la création d'une Confédération européenne. Ce projet est-il toujours d'actualité ?
Édouard Balladur : L'Union européenne s'est fixé un projet politique ambitieux qui suppose de la part de chaque État membre la volonté de progresser vers une coopération chaque jour plus étroite dans tous les domaines d'intérêt commun et en particulier dans ceux de l'économie, de la monnaie et demain de la défense. Sa vocation géographique est donc naturellement restreinte. On ne saurait ainsi, sans en changer profondément la nature, étendre l'Union européenne à la Russie.
De son côté, le Conseil de l'Europe a une ambition différente puisque sa tâche essentielle consiste à agir dans le domaine des droits de l'homme et à y exercer une activité normative et de contrôle. Il a en quelque sorte pour mission de définir les règles de vie communes à l'ensemble du continent européen. Sa vocation géographique est donc plus large et pourrait inclure la Russie lorsque celle-ci remplira les critères requis. Cette institution sera ainsi la seule à regrouper tous les pays européens.
Il n'y a à mon sens ni gouffre ni contradictions entre les deux institutions qui répondent à des besoins différents et qui coopèrent efficacement entre elles.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Le Conseil de l'Europe doit faire face à un énorme défi : l'admission de la Russie. Est-elle souhaitable ? Quelle est la position de la France ?
Édouard Balladur : La France souhaite l'admission de la Russie au sein du Conseil de l'Europe. Elle est un grand pays européen engagé dans une entreprise de transition économique et démocratique que nous devons soutenir si nous voulons que la Russie rejoigne définitivement les pays qui partagent les mêmes idéaux démocratiques que nous. Naturellement, il faut que la Russie satisfasse aux critères du Conseil de l'Europe. Il est clair que la manière dont elle agit vis-à-vis de la Tchétchénie contrevient de façon grave aux engagements qu'elle a pris en matière de droits de l'homme au sein de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Tout en réaffirmant le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté russe, l'Union européenne sous présidence française a soutenu les démarches de l'OSCE pour faire respecter les droits de la personne humaine et je suis moi-même intervenu dans ce sens avec le Premier ministre hongrois auprès du président Eltsine. Je souhaite que la Russie poursuive les réformes démocratiques qu'elle a engagées ces dernières années.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Concernant l'Union vous vous êtes clairement prononcé pour l'UEM. La France est-elle aussi déterminée pour entreprendre la nécessaire réforme institutionnelle de 1996. Dans quel sens ? Ira-t-on vers une prise de décision à la majorité au sein du Conseil ? Vers un renforcement de pouvoirs du Parlement européen ?
Édouard Balladur : La conférence intergouvernementale institutionnelle de 1996 sera une étape importante de la construction européenne. Il s'agit en effet de rendre l'Europe plus efficace et plus démocratique pour la préparer aux élargissements ultérieurs.
Toutes les institutions communautaires doivent accepter de se réformer dans cette perspective.
S'agissant du Conseil, il faut rappeler que d'ores et déjà, il statue sur un grand nombre de sujets selon des règles de majorité. Ces règles sont complexes. Elles favorisent les États peu peuplés. Un nouvel élargissement pourrait donc conduire, si l'on ne réforme pas les institutions avant, à une situation dans laquelle une coalition de petits États pourrait mettre en minorité les nations les plus importantes. Vous le voyez, il s'agit d'un sujet essentiel et difficile. Quant à la règle de l'unanimité, elle prévaut dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune, de la justice et de la sécurité intérieure. Ce sont des domaines touchant de près à la souveraineté nationale. Chaque État – pas seulement la France – entend garder sa pleine capacité d'action dans ces domaines et c'est légitime.
S'agissant du Parlement européen, je crois que l'enjeu essentiel sera de simplifier les procédures. Il y a sept modes d'association du Parlement européen aux décisions dans le Traité actuel ! Des règles plus claires permettraient un meilleur dialogue entre les institutions et accroitraient l'efficacité des institutions.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Que pensez-vous d'une formule qui court dans les milieux européens sur les contradictions de la France qui "veut une Europe forte mais avec des institutions faibles" ?
Édouard Balladur : Je pense qu'elle est fausse.
La France veut une Europe forte, c'est-à-dire dotée de politiques propres, comme la politique agricole commune. Elle veut une Europe indépendante, présente sur la scène internationale.
Elle ne veut pas en revanche d'une Europe envahissante, qui se mêlerait de tout. Les réactions d'agacement de bien des citoyens devant la construction européenne proviennent d'un excès de règlementation contre lequel il convient de lutter.
Une Europe forte, cela implique des institutions fortes et un bon équilibre entre les différentes institutions.
Cela suppose notamment que le Conseil des ministres, composé de personnes responsables devant leurs parlements nationaux, puisse jouer pleinement un rôle d'impulsion politique. De même, le Conseil européen, qui réunit les chefs d'État et de gouvernement, est la seule instance en mesure de tracer à l'Union européenne les grandes orientations pour l'avenir et de procéder aux arbitrages sur les questions essentielles de la vie de l'Union européenne. La France travaillera, notamment lors de la conférence de 1996 à renforcer ce rôle et l'efficacité ce ces deux institutions.
Dernières Nouvelles d'Alsace : La présence au sein de la majorité qui soutient votre candidature aux présidentielles de personnalités opposées au traité de Maastricht ne fait-elle pas craindre pour l'engagement européen de la France ?
Édouard Balladur : Le traité de Maastricht a été ratifié par le peuple français. Dès lors, il s'impose à tous et ses dispositions doivent être respectées. C'est la seule conception possible en démocratie.
C'est ce que pensent et ce qu'ont déclaré d'ailleurs publiquement les personnalités auxquelles vous faites allusion. La France s'est engagée dans la construction de l'Europe, elle doit, comme je l'ai déclaré, avoir un rôle de pionnier en la matière. C'est ma conception de l'engagement européen.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Strasbourg a été confirmé siège de Parlement européen. Mais de nombreuses sessions se tiennent à Bruxelles. Comment faire face à cette dérive bruxelloise du Parlement européen, d'ailleurs entretenue par de nombreux eurodéputés ? Ne serait-il pas souhaitable qu'une partie du secrétariat s'installe à Strasbourg ?
Édouard Balladur : La solution consistant à regrouper tous les services et toutes les réunions du Parlement européen à Strasbourg aurait évidemment ma faveur. Je constate cependant que la décision du 12 décembre 1992 qui fixe à Strasbourg le siège du Parlement européen indique que le secrétariat du Parlement est à Luxembourg.
Le souci majeur du gouvernement dans cette affaire a été, depuis deux ans, de rendre irréversible et incontestable le choix en faveur de Strasbourg comme siège du Parlement européen. C'est ainsi qu'au Conseil européen de Bruxelles, la France en a obtenu confirmation.
De même, le gouvernement n'a pas ménagé ses efforts pour que soit signé le contrat de location du nouvel hémicycle.
Par ailleurs, j'ai veillé à renforcer la dimension européenne de Strasbourg. Celle-ci sera mieux desservie par les airs, grâce à l'appel d'offre européen lancé le 16 décembre dernier et par le train. grâce au TGV dont la réalisation a été décidée en septembre 1993.
Le centre des Hautes Études Européennes devrait être inauguré dans les mois qui viennent par D. Hoeffel.
Enfin, l'État apporte un concours financier substantiel, de l'ordre de 700 MF, pour soutenir dans le cadre d'un contrat triennal les efforts des collectivités locales en faveur de "Strasbourg, ville européenne".
Dernières Nouvelles d'Alsace : Vous allez revenir en Alsace dans quelques jours pour commémorer le cinquantenaire de la libération de Colmar. Quel regard jetez-vous sur cette région frontalière à l'histoire si tourmentée ? Et quel rôle lui voyez-vous jouer dans l'avenir européen ?
Édouard Balladur : Longtemps terre d'affrontements, l'Alsace a beaucoup souffert – et encore au cours de la dernière guerre – des vicissitudes de l'histoire européenne. Elle est devenue de ce fait un symbole de l''unité nationale dans le cœur des Français.
Les Alsaciens ont su admirablement surmonter les épreuves et tirer parti de leurs atouts. Terre d'échanges, l'Alsace est en effet particulièrement bien placée dans l'espace européen et son dynamisme est une chance pour la France tout entière. Nous devons donc renforcer ses moyens et son rôle de carrefour. C'est pourquoi j'ai décidé de lancer la réalisation du TGV Est Européen, ainsi que celles du TGV et du canal Rhin-Rhône. De même, j'ai pris les mesures nécessaires pour conforter la vocation de Strasbourg, capitale européenne.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Vos deux déplacements en Alsace se déroulent à l'orée d'une campagne électorale présidentielle dont vous serez l'un des acteurs majeurs. Ce sera l'occasion d'un "grand débat" sur les nécessaires réformes qu'exige la situation de notre pays. Croyez-vous que ce débat pourra se dérouler de manière approfondie ? Les questions de personnes ne risquent-elles pas de le "polluer" ?
Édouard Balladur : Deux ou trois rappels tout d'abord : la situation de la France en avril 1993, on l'a trop oublié, était très mauvaise et une inquiétude profonde avait gagné le pays. Il fallait du courage pour accepter de gouverner et c'est ce que nous avons fait.
Nous avons mis en œuvre des réformes très importantes et dans tous les domaines économique ou social, de l'identité nationale, de la sécurité, de la justice, de la protection sociale. Rarement un gouvernement a eu une action réformatrice aussi importante.
Cette action commence à porter ses fruits et la France a repris sa marche en avant : la croissance est de retour, le chômage est stabilisé, les créations d'emploi augmentent, ainsi que l'apprentissage et la formation professionnelle, la sécurité est améliorée, la négociation du GATT a été heureusement conclue et les agriculteurs ont vu se dissiper les menaces qui pesaient sur eux.
Cependant, il reste à faire car rien n'est jamais fini. Les grandes réformes de l'avenir, on voit bien ce qu'elles doivent être : mieux assurer la liberté du citoyen, améliorer le fonctionnement de la justice, décentraliser davantage les responsabilités, consolider la croissance, faire reculer le chômage. améliorer la formation de la jeunesse, garantir le niveau de la protection sociale grâce à une meilleure organisation de sa gestion, lutter contre les inégalités et les exclusions…
Ce débat est déjà ouvert. J'ai contribué à le faire. Il faut qu'il se poursuive sans que les problèmes de personnes viennent le compliquer. De ma part, il n'y aura aucune attaque personnelle, ni polémique. C'est indigne de l'enjeu. Ce que je souhaite, c'est pouvoir exposer à tous les Français un projet dynamique, optimiste et qui leur redonne l'espoir.
Dernières Nouvelles d'Alsace : Quel sens donnerez-vous à votre candidature ? Quelle sera votre devise ?
Édouard Balladur : Le sens est clair : la France doit se réformer encore davantage pour entrer avec toutes ses chances dans le prochain siècle. La nation doit être plus forte, la société plus juste, les faibles mieux protégés. Comment peut-elle se réformer ? Par le dialogue, par un effort d'information et de conviction, en associant toutes les forces du pays : on ne réforme pas contre le peuple, mais avec le peuple, voilà le sens de ma candidature.
Ce qui veut dire que c'est une candidature d'optimisme et de rassemblement ; d'optimisme parce que je crois que le mieux est possible, que l'espoir doit revenir, que les Français doivent avoir confiance dans l'avenir ; de rassemblement, parce que nous avons de grandes choses à faire et que nous ne pouvons les faire que si nous sommes unis par-delà nos divergences d'opinions, unis au service de l'essentiel qui est l'intérêt de la France.