Interviews de Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État aux transports, dans "Le Journal du Dimanche" du 2, à RTL les 10 et 12 et Europe 1 le 28 juillet 1995, sur le projet de permis de conduire progressif, le renforcement de la sécurité routière, et la sécurité dans les transports en commun.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Accident de car, sur l'autoroute A9 dans la nuit du 9 au 10 juillet 1995, à hauteur de Roquemaure (Gard) (22 morts et 31 blessés)

Média : Europe 1 - Le Journal du Dimanche - RTL

Texte intégral

L'hypothèse du permis de conduire progressif

Ce week-end, Anne-Marie Idrac, nouvelle secrétaire d'État aux Transports, est sur le pont. Pour le JDD, elle fait le point sur les départs en vacances et l'abaissement de l'alcoolémie.

Elle se prononce également, à titre personnel, contre le principe de l'amnistie et évoque le projet d'un permis de conduire progressif.

Les départs de samedi se sont plutôt bien passés. Il semble que beaucoup d'automobilistes soient partis dès jeudi. Il y a donc eu un certain étalement, même si on rencontrait hier matin quelques difficultés sur les grands axes comme les autoroutes A6 et A7, à l'entrée de Lyon, dans le secteur de Montpellier ou Marvejols.

Mais le trafic reste dense car il y a plus de véhicules sur les routes que l'année dernière.

Le Journal du Dimanche : Ces derniers mois la France a enregistré une augmentation du nombre d'accidents. Comment comptez-vous réagir ?

A.-M. Idrac : Nous réfléchissons, entre autres, à une certaine modernisation du permis de conduire. Une sorte de permis progressif. Aujourd'hui, on passe d'une situation où l'on ne conduit pas du toute à une autre où l'on conduit dans toutes les situations avec juste quelques restrictions sur la vitesse. On étudie cette question.

Le Journal du Dimanche : La veille des grands départs, le gouvernement a annoncé le passage du seuil d'alcoolémie de 0,7 à 0,5 gramme par litre. Mais cette mesure n'entrera en vigueur qu'après les vacances. N'est-ce pas dommage ?

A.-M. Idrac : Si cette mesure qui paraît la plus efficace pour améliorer la sécurité routière n'entrera en application qu'en septembre, c'est qu'elle nécessite un décret et surtout parce que nous souhaitons que tout le dispositif de contrôle et d'information des conducteurs soit en place. Que cette mesure ne soit pas simplement inscrite au Journal officiel sans qu'on soit capable de l'appliquer réellement.

Le Journal du Dimanche :  Mais dès le 15 juillet vous lancez une campagne sur le thème de la responsabilité, du comportement des conducteurs ?

A.-M. Idrac : Oui, c'est très important. Récemment, lors d'une réunion européenne sur la formation des conducteurs, j'ai été frappé de constater une grande convergence de tous les pays pour dire que les progrès les plus significatifs en matière de sécurité routière pouvaient être obtenus en agissant sur le comportement des conducteurs.

Le Journal du Dimanche : Vous dites qu'agir sur le comportement est fondamental. Dans le même temps, certains spécialistes expliquent que la perspective de l'amnistie présidentielle a contribué pendant plusieurs mois à augmenter le nombre d'accidents. Faut-il maintenir cette tradition de l'amnistie ?

A.-M. Idrac : À titre personnel, je trouve que cette tradition – dont on dit qu'elle est républicaine mais que je trouve aussi monarchique – devient un peu étonnante pour notre époque. Je ne serais pas choqué qu'on l'abandonne. Reste que la loi d'amnistie qui vient d'être votée est assez équilibrée. Elle n'a pas donné de prime aux mauvais conducteurs et ceux qui avaient anticipé un pardon se sont trompés. Ils en sont pour leurs frais. De plus, je suis satisfaite que l'on n'ait pas touché à la logique du permis à points. Je ne sais d'ailleurs pas si les gens savent que ce permis intègre une sort d'amnistie : si au bout de trois ans on n'a pas commis d'infractions, on récupère les points perdus. Dans une logique d'action sur les comportements, je trouve cela très intéressant.

Le Journal du Dimanche : Reste que la perspective de l'amnistie n'explique pas complètement la détérioration de la situation. Que comptez-vous faire pour renverser cette tendance ?

A.-M. Idrac : Les chiffres provisoires du mois de mai indiquent une légère amélioration (- 7 % du nombre de tués). En revanche, le nombre d'accidents augmente de 3,4 %, et celui des blessés de 4,1 %. C'est loin d'être satisfaisant et la vitesse reste un problème essentiel. 55 % des points retirés sur le permis de conduire l'ont été au titre de l'excès de vitesse. L'essentiel de ce que nous souhaitons faire s'organise autour de plusieurs axes : la responsabilisation des gens, la prévention, la formation. Ainsi l'adaptation du permis moto, l'entrée, en vigueur au 1er septembre du brevet de sécurité routière pour conduire à partir de 14 ans un cyclomoteur, tout cela va dans le bon sens. À l'automne, un comité interministériel sur la sécurité routière, présidé par le Premier ministre, nous permettra de faire un bilan et d'étudier ce qui pourra être fait.

 

Date : Lundi 10 juillet 1995
Source : RTL/Édition soir

L'accident de Roquemaure

J.-M. Lefebvre : Vous vous êtes rendue dans le Gard sur les lieux de la catastrophe. Elle aurait plutôt pour origine une erreur humaine.

A.-M. Idrac : L'enquête se déroule, et il ne m'appartient pas d'en tirer aujourd'hui les conclusions. J'ai constaté, là-bas, un effort de solidarité manifesté par les élus ainsi que de la part de l'ensemble des services de secours, une mobilisation tout à fait exceptionnelle. J'ai surtout voulu, par ce déplacement, que B. Pons et moi-même avons décidé dès le milieu de la nuit dernière, témoigner autant que faire se peut, auprès des victimes, des survivants et des familles des personnes qui sont malheureusement décédées, un témoignage de sympathie et de présence auprès d'eux.

J.-M. Lefebvre : Faudra-t-il à l'avenir apporter de nouvelles modifications aux règles déjà existantes ?

A.-M. Idrac : Lorsqu'on parle des autocars et des réglementations techniques, elles sont européennes. Il est exact que la Commission européenne est en train de mettre au point un certain nombre de mesures en la matière. Elles ne sont pas encore prêtes, mais ce dont je peux vous assurer c'est que la France, pour sa part, contribuera très activement au débouché de ces réflexions en cours.

J.-M. Lefebvre : Parmi les idées : la possibilité d'instaurer des ceintures de sécurité dans les bus et dans les cars ?

A.-M. Idrac : C'est l'une des propositions actuellement discutées avec la Commission européenne. Laissons les discussions techniques se poursuivre. Ce qu'il faut savoir c'est que, même si aujourd'hui nous sommes tous bouleversés par ce drame, le transport par autocar est en général parmi les plus sûrs. Il faut certes réglementer, mais aussi d'abord faire appliquer l'ensemble des réglementations qui existent.

J.-M. Lefebvre : Cet accident ne repose-t-il pas la question de la conduite la nuit ?

A.-M. Idrac : Je ne suis pas sûre qu'elle pose cette question. Ce qu'elle pose comme question c'est celle du respect de l'ensemble des réglementations, y compris celles sur la durée du travail, sur le respect des différents textes. À cet égard, il y a un sujet tout à fait important sur lequel il faut réfléchir. C'est celui de l'emploi lié à la sécurité dans les transports. C'est une des questions évoquées ce matin même par A. Juppé en réunion du comité interministériel sur l'emploi. Dans ce domaine, on peut œuvrer pour la sécurité et pour l'emploi. J'ai demandé, pour ma part, aux fédérations professionnelles et aux organisations professionnelles, de nous faire des propositions sur ce double plan : d'avoir plus de chauffeurs, des accompagnateurs, tout ce qui peut contribuer à accroître à la fois la sécurité et l'emploi. C'est ce qui m'amène à demander aux auditeurs, à tous, de réfléchir au moment des grands départs en vacances, et au fait que l'année dernière chaque jour sur les routes des vacances, il y a eu 25 morts. Un drame comme celui-là nous appelle à une sorte d'examen de conscience sur notre comportement et sur les moyens d'éviter que les morts se multiplient.

 

Date : Mercredi 12 juillet 1995
Source : RTL/Édition midi

Les suites de l'accident de car de Roquemaure

J.-J. Bourdin : Les sanctions à l'encontre des chauffeurs et des entreprises de transports qui ne respectent pas les arrêts obligatoires et réglementaires sont-elles assez sévères en France ?

A.-M. Idrac : L'ensemble des sanctions sur les différentes infractions dont vous parlez ont fait l'objet récemment de renforcements et tous ces renforcements ont été décidés en plein accord avec l'ensemble des professionnels des transports routiers.

J.-J. Bourdin : Avez-vous des projets ?

A.-M. Idrac : Pour l'instant, il s'agit de faire appliquer la réglementation. En ce qui concerne les interventions frauduleuses sur le « mouchard », les sanctions ont été augmentées et portées jusqu'à un an de prison et 200 000 francs d'amende. De même, les sanctions applicables en cas d'intervention sur le limiteur de vitesse sont passibles des mêmes dispositifs.

J.-J. Bourdin : Mais les contrôles sont-ils assez nombreux ?

A.-M. Idrac : Les contrôles mobilisent l'ensemble des forces de police, gendarmerie, ainsi que les corps spécialisés du ministère des Transports, inspection du travail transport et contrôle des transports terrestres. Ces ensembles de fonctionnaires sont mobilisés, coordonnés et les contrôles s'effectuent aussi bien sur les transporteurs français que sur tous les transporteurs étrangers.

J.-J. Bourdin : Vous savez bien que de faux mouchards sont fabriqués à l'étranger et on en retrouve parfois dans certains camions ou autocars. Pourquoi ne pas imposer aux autocars et aux poids lourds étrangers qui circulent en France la réglementation française ?

A.-M. Idrac : Les infractions sur des appareils frauduleux doivent être sanctionnées. Je rappelle par ailleurs que les obligations concernant le limiteur de vitesse et le mouchard s'appliquent à tous les pays membres de l'Union européenne et que les infractions constatées en France sont sanctionnées égaiement quelle que soit la nationalité de l'entreprise propriétaire du véhicule arrêté. Nous venons de prendre une disposition nouvelle qui consiste à pouvoir immobiliser, arrêter les véhicules sur lesquels ont été constatés ces infractions, pour pouvoir procéder à toutes les expertises.

J.-J. Bourdin : Quelle peut être la prochaine étape pour mieux encore contrôler tous les excès ?

A.-M. Idrac : L'ensemble des professionnels du transport et le gouvernement souhaitent que le dispositif de contrôle et de sanction s'applique totalement. J'appelle à la responsabilité des chefs d'entreprise, mais je sais qu'ils en font preuve puisque ce sont eux-mêmes qui, de manière unanime, souhaitent le renforcement des sanctions et leur application, sans faillir, pour les quelques entreprises qui malheureusement sont en dehors des réglementations.

 

Date : Vendredi 28 juillet 1995
Source : Europe 1/Édition matin

D. Souchier : Après l'attentat au métro Saint-Michel, les Français qui vont fréquenter aujourd'hui gares et aéroports seront peut-être un peu angoissés, comme ceux qui prennent le métro. Avant de devenir ministre, vous avez été longtemps directrice des Transports terrestres. En matière de sécurité, et en évitant de faire de la démagogie, quelles sont les mesures appropriées ?

A.-M. Idrac : Les transports en commun – chemin de fer, autocars, tramway, avions – sont des transports sûrs. On parlera de sécurité routière tout à l'heure, c'est tout à fait autre chose… Là, ce dont nous parlons, ce n'est pas de sécurité des transports, c'est de sécurité contre un attentat épouvantable, qui a touché des gens qui rentraient chez eux dans le métro, qui aurait pu aussi, malheureusement, comme cela a été le cas dans le passé, toucher les gens dans un autre lieu public, comme un grand magasin, ou dans la rue. Je crois que face à ce genre de choses, aveugles et qui sont le fait de gens déterminés, ce n'est pas nécessairement des moyens techniques auxquels il faut penser. On parle de caméras, je ne crois pas que ce soit la solution à la question du terrorisme. Comme nous l'a rappelé à tous J.-L. Debré, ce qui se pose aujourd'hui, c'est une question de vigilance de chacun auprès des grands renforcements de forces de police et de sécurité qui ont été mis en place.

D. Souchier : La solution, n'est-ce pas davantage de personnel ?

A.-M. Idrac : C'est effectivement la présence humaine. Dans le cadre des mesures pour l'emploi, B. Pons et moi tenons beaucoup à ce que dans le transport en commun et les aires d'autoroutes on puisse mettre en place davantage de personnel. Je vais à Lille cet après-midi sur ces questions d'accompagnement, de sécurité, de lutte contre la fraude, donc de lutte pour l'emploi et la sécurité dans le transport en commun.

D. Souchier : B. Pons a annoncé la création prochaine d'une station de métro-pilote pour la sécurité. Cela ne fait-il pas partie des gadgets que l'on se croit obligé d'annoncer au lendemain d'une grande catastrophe ?

A.-M. Idrac : C'est une décision que B. Pons et moi-même avions prise dès notre arrivée, dans le cadre des mesures pour l'emploi que nous mettons en place pour l'ensemble des moyens de transport.

D. Souchier : Demain, en principe, pas de camions. Je dis "en principe" parce qu'il y a toujours des camions…

A.-M. Idrac : Demain est une journée « noire » de circulation, donc tout à fait exceptionnelle. Pour la première fois cette année, les camions seront totalement interdits, sans dérogation, de 16 heures à 22 heures, sur certains axes, ceux où il y a le plus de monde, vers le sud ou le sud-ouest. Nous verrons bien si cette affaire est respectée. Je crois qu'elle le sera parce que ce calendrier des jours noirs a été négocié avec les personnels qui sont des gens responsables.

D. Souchier : Ne pourrait-on pas interdire les camions certains week-end, même les camions qui transportent des légumes frais ou surgelés ?

A.-M. Idrac : Non, je ne crois pas que l'on puisse aller vers un système d'interdiction totale des camions. Des camions ont besoin de circuler ; les produits frais, les médicaments… On ne peut pas arrêter ce type de trafic qui est nécessaire à tout le monde, pour l'alimentation de tout le monde. Par contre, je me réjouis beaucoup que l'on puisse, en accord avec les professionnels, avoir certains jours, pour faciliter la fluidité de la circulation, une interdiction totale sur les axes les plus chargés.

D. Souchier : La ceinture de sécurité dans les cars, il faudra attendre deux ans pour le faire ?

A.-M. Idrac : Nous en avons parlé entre ministres des Transports le week-end du 14 juillet à Palma. C'est une disposition européenne avec un calendrier qui est à peu près celui-là.

D. Souchier : Pourquoi avoir abandonné définitivement le projet de B. Bosson qui voulait créer des "super-amendes" et de très gros retraits de points pour ceux qui font de très grands excès de vitesse, 180 km/h voire plus ?

A.-M. Idrac : La vitesse, c'est ce qu'il y a de plus dangereux au volant, ça c'est clair et tout le monde le sait. Par contre, le projet de "délit de grand excès de vitesse", vraiment, c'était mal parti, cette affaire-là, ça ne passait pas bien sur le plan juridique, sur le plan parlementaire, et c'était en rajouter encore à l'arsenal répressif qui me semble d'abord devoir être appliqué avant d'être renforcé.

D. Souchier : Ce n'était pas forcément intelligent ?

A.-M. Idrac : Ce n'était pas forcément adapté à l'état d'esprit possible de la société française aujourd'hui.

D. Souchier : Vous avez parlé de "permis de conduire progressif" ?

A.-M. Idrac : Je suis frappée de voir qu'on passe un jour de rien du tout en conduite à une conduite sans limitation. Donc la sécurité routière, à ma demande, réfléchit sur des systèmes du genre… On pourrait avoir des limitations de vitesse plus basses pendant quelques temps, ou on pourrait avoir un permis d'abord provisoire et qui deviendrait définitif ou des choses comme ça. Mais rien n'est arrêté.

D. Souchier : Vous êtes favorable à ce qu'exceptionnellement on interdise la circulation en voiture en raison de la pollution ?

A.-M. Idrac : Je suis totalement solidaire de ce que ma collègue C. Lepage, ministre de l'Environnement, fait sur ces sujets-là. Un projet de loi sur l'air est en cours de préparation, j'en ai longuement parlé avec elle, nous y travaillons ensemble, mes collaborateurs sont dans le groupe de travail de concertation qu'elle a monté. Ce sont des sujets de société compliqués. Je suis tout à fait en phase avec ce travail qui se prépare et qui débouchera à la rentrée.

D. Souchier : C. Nay me remplacera en août et n'invitera que des femmes. Il parait que J. Chirac vous a demandé au dernier Conseil des ministres de communiquer davantage et que vous avez dit à votre voisine "comment peut-on faire, alors que le Premier ministre nous l'interdit ?"

A.-M. Idrac : Je dirai bonne chance et bravo à C. Nay pour son émission, qu'elle invite des femmes très différentes, qu'on les entende toutes, singulières, mais variées, plurielles.

D. Souchier : On constate que vous ne répondez pas toujours aux questions…