Déclaration de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, sur la crise de la pêche, les mesures en faveur de la pêche artisanale et la mise en oeuvre de la politique commune, Paris le 31 mai 1995.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Philippe Vasseur - Ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation

Circonstance : Assemblée générale du Crédit maritime, le 31 mai 1995

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord, Monsieur le Président, vous remercier de votre accueil et des souhaits de longévité ministérielle – de durabilité – pour reprendre vos propos, que vous avez bien voulu formuler.

Votre Assemblée générale me fournit l'occasion d'une nouvelle rencontre avec la profession, une semaine jour pour jour, après le tout premier contact que j'ai eu avec le monde de la pêche, en réunissant mercredi dernier les membres de la commission de suivi.

Comme je l'ai indiqué à cette occasion, je renouvelle mon souhait d'avoir avec vous un dialogue sincère et constructif ; je retiens d'ailleurs de vos propos qu'il en est de même pour vous.

Je vous confirme aussi que mon intention est de poursuivre ces rendez-vous réguliers que sont !es commissions de suivi.

Ces rencontres mensuelles, auxquelles le Crédit Maritime et plus généralement la Coopération maritime sont associés donnent l'occasion d'évoquer les grandes questions qui se posent pour le secteur de la pêche. Elles permettent en même temps de suivre d'une manière précise la mise en œuvre des mesures décidées par le Gouvernement.

Je souhaite également multiplier les contacts et me déplacer le plus souvent possible sur le littoral, car il me parait également fondamental de pouvoir rencontrer les hommes et ainsi de mieux appréhender leurs difficultés.

Vous avez dans votre discours, Monsieur le Président, parlé de mon ministère en citant en premier la pêche.

Je sais que l'oubli « initial » du mot dans l'intitulé de mon ministère a suscité de fortes réactions au sein du monde maritime.

Je sais également, que les propos tenus par le Premier ministre à l'occasion de sa déclaration de politique générale, ont pu amener de nouvelles interrogations.

Pour ma part je crois qu'il faut rechercher la meilleure formule conciliant au mieux l'efficacité de l'Etat et les intérêts du secteur.

Concernant le rattachement institutionnel du secteur des pêches, deux réponses sont possibles :

– soit un département ministériel autonome, regroupant l'ensemble des secteurs maritimes,
– soit le maintien de la pêche dans une filière alimentation.

Il vous appartiendra de marquer votre préférence pour l'une ou l'autre de ces deux options, le Premier ministre ayant précisé qu'une large consultation des professionnels serait organisée.

Dans l'attente de cette consultation, je voudrais vous assurer – et ceci sans aucune ambiguïté – que la pêche a sa place pleine et entière au sein de mon ministère.

C'est un secteur productif qui s'intègre dans la chaîne de l'alimentation, avec ses propres spécificités.

La pêche doit pourvoir bénéficier à ce titre de l'expérience des secteurs agricoles mais aussi du poids politique d'un ministère « lourd », à l'instar des autres Etats-membres de l'Union Européenne.

Au delà de cette question, et comme votre Président vous l'a indiqué, il nous faut bâtir ensemble un nouvel avenir pour les pêches françaises.

Chacun d'entre vous le sait, les pêches françaises traversent aujourd'hui une situation particulièrement difficile.

Cette crise profonde et structurelle est liée :

– d'une part, à la mondialisation des marchés et à l'émergence de nouveaux producteurs,
– d'autre part, à la transformation des modes de commercialisation et notamment à la part prépondérante de la grande distribution qui tire les cours vers le bas, et fait très largement appel aux produits d'importations.

Mais cette crise européenne est cependant accentuée en France par plusieurs facteurs :

– premièrement, l'inadaptation de la filière à ce nouveau contexte,
– deuxièmement, les disparités monétaires qui affectent les monnaies de nos principaux concurrents et de nos principaux acheteurs, leur donnant ainsi un avantage supplémentaire de compétitivité,
– troisièmement, des surcoûts d'investissement pour un segment important de la flotte.

Ces armements modernes, qui sont un atout important pour les pêches françaises, souffrent cependant d'un handicap chronique car ils ont été créés dans des conditions de marché nettement plus favorables qu'actuellement.

Cet environnement fondamentalement différent de celui des dernières années implique et chacun le reconnaît, une véritable mutation pour les pêches françaises.

À cet égard, vous avez soulevé une double interrogation.

D'abord, les engagements des Pouvoirs Publics sont-ils durables et permettent-ils des perspectives d'avenir positives ?

Ensuite, la Coopération et le Crédit Maritime ont-ils le ressort nécessaire pour participer à cet avenir ?

J'ai senti de votre part, la volonté de donner une réponse forte et positive à la deuxième question.

Je vais donc répondre à la première dans le même état d'esprit.

Nous voulons que la pêche française soit un secteur économique à part entière.

Cela suppose, je le répète, une mutation importante : mais c'est l'engagement des acteurs dans cette mutation, qui donne tout son sens pour l'avenir à l'accompagnement des Pouvoirs Publics.

Aussi, puisqu'il y a volonté professionnelle, je vous confirme qu'il y a une volonté des Pouvoirs Publics.

Dans cette perspective, le plan de soutien à la pêche artisanale sera poursuivi.

Les dossiers d'aide aux armements en difficulté seront instruits par les Commissions régionales qui se réuniront dès le mois de juillet. Notre objectif est que le traitement de l'ensemble des dossiers soit achevé pour la fin de l'année.

Par ailleurs, les caisses chômage-intempéries disposeront des moyens budgétaires annoncés.

Enfin, en ce qui concerne le dossier préretraite : nous ferons tout pour surmonter les obstacles aux textes communautaires en discussion au Conseil Pêches du 15 juin.

Reste une préoccupation essentielle : celle du marché. Car c'est du marché que dépendent l'équilibre financier des entreprises et la rémunération des équipages.

Dans ce domaine plus encore qu'ailleurs il faut faire preuve de réalisme.

Sur le plan économique, nous ne pouvons que prendre acte du déficit chronique de l'Europe, en ce qui concerne les produits de la mer,

Sur le plan politique, nous devons tenir compte des rapports de force existant au sein de l'Union Européenne, entre les pays producteurs qui sont minoritaires, et les pays transformateurs qui sont les plus nombreux.

Je ne peux donc pas vous promettre, l'arrêt des importations extra-communautaires.

Nous devons agir différemment à deux niveaux :

D'abord au niveau communautaire : nous devons garantir la loyauté des conditions d'importations des produits de la mer au sein de l'Union, vis à vis de notre propre production.

Cela suppose : un strict respect des règles d'origine et des règles sanitaires.

Ainsi que des contrôles homogènes et équitables, les mêmes pour tout le monde de manière à éviter des distorsions de concurrence.

Il faut donc obtenir de la Commission qu'elle multiplie ces contrôles dans les États-membres et dans les pays tiers, en y associant les services vétérinaires et douaniers nationaux.

Toujours au niveau communautaire, nous devons lutter contre toutes nouvelles concessions : il parait indispensable que la Commission Européenne, dresse un bilan coût/avantage avant de conclure le moindre accord, et qu'elle prévoit en cas de perturbations du marché, des compensations en faveur des producteurs.

Au niveau national, ensuite, pour répondre aux besoins conjoncturels, des crédits du FIOM ont été confortés, notamment en raison des mouvements monétaires.

Au-delà, un certain nombre de mesures structurelles sont en place mais je suis preneur de toutes les suggestions pour les modifier ou les amplifier.

Il est clair que l'organisation économique doit jouer un rôle moteur dans la filière pour organiser sa propre mutation, mais permettez moi de vous soumettre quelques pistes :

Il faut développer des actions communes de commercialisation, sur certaines espèces.

Il faut aussi clarifier le rôle des organisations de producteurs d'une part, et des coopératives d'autre part.

Les organisations de producteurs doivent à mon sens jouer un rôle accru en ce qui concerne la gestion de l'offre, les politiques de qualité ainsi que le développement de la contractualisation pour une partie des productions.

Quant aux coopératives, elles doivent être considérées comme des entreprises à part entière à vocation commerciale mais dans un esprit coopératif.

Il faut également accentuer les synergies avec les acteurs actuels de la filière de commercialisation, c'est tout l'intérêt de la cellule marketing.

Pour conclure, je tiens à affirmer une conviction forte : la pêche est un secteur économique à part entière, créateur d'emplois directs ou indirects. Elle est un élément important de l'aménagement du territoire.

Nous avons des atouts à mieux valoriser avec une production très diversifiée et une flotte moderne. Le plan que nous mettons en place devrait la remettre à flot, alors que les flottes de nos concurrents vieillissent.

C'est parce qu'il est convaincu de l'importance de la pêche et de son avenir, que le Premier Ministre a prévu de présenter au Parlement une grande loi d'orientation.

Cette loi, nous allons y réfléchir ensemble, avec les structures coopératives, comme avec toute l'interprofession.

Nous allons la préparer ensemble, afin de donner à la pêche toute la place qu'elle mérite dans notre pays.