Article de M. Alain Madelin, président de Démocratie Libérale, dans "Libération" du 2 novembre 1998, sur le débat sur le PACS, notamment sur les aspects juridiques, fiscaux et sociaux, intitulé "Le Pacs, le maire, le préfet et le notaire".

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi instituant le PACS (pacte civil de solidarité), les 5 et 6 novembre 1998

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Au fond, le pacte civil de solidarité est rejeté moins pour ce qu'il est que pour ce qu'il pourrait devenir. Reste donc la seule vraie question ; qui peut consacrer l'union ?

Les questions de société posées par le Pacs méritaient sans doute mieux que ce débat plein de bruits et de fureurs. Là où il eut fallu chercher à respecter, écouter, comprendre l'opinion des uns et des autres, et tenter de rapprocher les points de vue plutôt que de cultiver l'affrontement, le Gouvernement, mal à l'aise, en refusant de s'engager sur un projet, a bien mal engagé le débat, avec une proposition socialiste mal ficelée qui ne pouvait que provoquer un déchaînement de passions.
Voici que les défenseurs du mariage sont présentés comme des attardés ringards, quand ils ne sont pas soupçonnés de faire le lit du FN ; et que les partisans du Pacs se voient – excusez du peu – accusés de participer à la « destruction de notre civilisation ».

Au risque de déranger un débat si bien ordonné, je voudrais tenter d'examiner en toute sérénité les principaux arguments échangés entre les uns et les autres.

Oui, le Pacs est apparu comme un projet passablement confus, à la nature juridique imprécise. Mais cela tient à sa nature même, au carrefour de trois idées. La première, c'est, au-delà du besoin de reconnaissance sociale qu'éprouvent les homosexuels, la volonté de régler concrètement des problèmes matériels posés aux couples homosexuels et révélés par les drames du sida. La deuxième vise à apporter un cadre juridique plus stable aux situations de concubinage. La troisième consiste à étendre ce cadre aux relations de solidarité entre personnes. Trois idées et une seule solution : un contrat de concubinage amélioré, ouvert aux homosexuels, et étendu à la solidarité entre deux personnes, et même, désormais, élargi aux fratries.

Un tel produit de synthèse ne peut que nourrir un débat confus. Certains disent : « D'accord pour améliorer le statut du concubinage, mais pas d'accord pour légitimer les couples homosexuels ». Et d'autres : « D'accord pour régler les problèmes des couples homosexuels, mais pas question de concurrencer le mariage en améliorant le statut du concubinage ». Tantôt les adversaires du Pacs lui reprochent de ressembler trop au mariage, tantôt ils le critiquent parce qu'il est trop éloigné des obligations du mariage. Difficile de s'y retrouver.

En fait, au-delà des arguties, il reste deux critiques essentielles : 1) La société ne doit pas créer un statut amélioré pour le concubinage en concurrence avec le mariage ; 2) La société n'a pas, d'une façon ou d'une autre, à légitimer les couples homosexuels.

Le Pacs menace-t-il le mariage ? Tout le monde, ou presque, s'accordera sur l'idée que la société se doit de protéger la famille et le mariage. La famille est le cadre naturel de la protection de l'enfant et de la continuité de la vie. Elle est un pôle de stabilité de notre société. Et l'on ne voit que trop les dégâts de l'éclatement et de la déstructuration des familles. Mais défendre la famille, ce n'est pas défendre un modèle unique et obligatoire : il faut bien aujourd'hui reconnaître qu'il existe, pour l'enfant, différentes formes de familles à côté du mariage, comme l'union libre, les familles monoparentales ou les familles recomposées, qui justement au nom de l'enfant méritent une égale attention.

Le mariage civil n'est pas un contrat parmi d'autres. C'est une institution. Si celle-ci a résisté au temps et aux modes, c'est parce qu'elle représente un bon équilibre des droits et de devoirs au regard de l'enfant, du conjoint, voire des grands-parents. Mais, là encore, l'allongement de la durée de la vie, la maîtrise de la procréation sont venus, en bouleversant les repères, faire évoluer le mariage. C'est pourquoi défendre l'institution du mariage ne doit ni conduire à figer le mariage, ni faire du droit l'instrument qui dicterait des conduites qui ressortissent à la liberté et à la responsabilité de chacun. C'est aussi pourquoi une société libre devrait, plus largement qu'aujourd'hui, mettre les rapports des familles sous l'égide du droit privé, c'est-à-dire rééquilibrer, face à l'Etat, les pouvoirs au projet des familles et des personnes.

La société faillit-elle, avec le Pacs – qui améliore la situation des concubins –, à son rôle de protection du mariage et de la famille ? La question ne se pose plus, puisque le concubinage est en réalité sociale qui s'inscrit dans le droit de la famille, avec la loi de 1972 ; qui étend aux situations de concubinage la filiation légitime, avec les lois de 1986 et 1993 sur l'autorité parentale conjointe ou au travers de la jurisprudence et des droits sociaux. Si l'on veut renforcer le mariage par rapport au concubinage, ce n'est pas le Pacs qu'il faut remettre en cause mais de larges pans du droit de la famille et du droit social aujourd'hui en vigueur.

Mais en revalorisant le concubinage, au travers d'un statut et de nouveaux droits, prend-on le risque de dévaloriser le mariage ? Force est de constater que les quelques nouveaux droits ouverts par le Pacs s'inscrivent dans la continuité du chemin parcouru par le concubinage et ne constituent pas en eux-mêmes une avancée décisive susceptible de bouleverser la donne familiale au détriment du mariage.

Au surplus, poser ainsi la question, c'est se prononcer a contrario pur une « discrimination positive » en faveur d'un modèle familial privilégié. J'éprouve toujours quelques difficultés à suivre les solutions discriminatoires, fussent-elles positives. Et je dois faire observer que dans une société plus libérale, où l'impôt serait plus proportionnel que progressif, où les successions seraient moins taxées et plus libres où le droit au logement et le droit du travail seraient plus contractuels, nombre de questions soulevées ici ne se poseraient pas. Enfin, je crains que l'on se trompe en engageant une défense matérialiste de la famille et du mariage. On défend la famille pour ce à quoi elle a droit et non pas pour ce qu'elle est. On fait du mariage un choix fiscalement avantageux et non pas socialement attrayant. La famille et le mariage méritent meilleure défense.

Le Pacs va-t-il institutionnaliser le couple homosexuel ? La vraie crainte qui se profile derrière les critiques du Pacs, c'est celle d'« institutionnaliser » le couple homosexuel, d'ouvrir la porte à un « mariage bis » qui constituerait une perte de repères et de valeurs. C'est aussi la crainte d'ouvrir la voie au droit à l'adoption pour les couples homosexuels et à la procréation médicalement assistée.

Bien sûr, les partisans du Pacs répondent que c'est là un procès d'intention. Sans doute. Mais, si de telles idées ne sont pas dans le texte, elles trottent dans les têtes. Parce qu'alimentées par les exemples étrangers, par certaines associations gay ou par l'insistance du rapporteur socialiste du projet à expliquer qu'il s'agit bien là d'un premier pas vers l'adoption…

Au fond, tout se passe comme si le Pacs était moins rejeté pour ce qu'il est que pour ce qu'il pourrait devenir. D'où ma conviction qu'il était possible de régler les questions posées par le Pacs au travers d'une autre méthode. Il eût suffi de donner force légale à un certificat de vie commune, emportant un certain nombre d'effets juridiques, fiscaux et sociaux, que l'on aurait réglés au fil des lois fiscales et sociales. En effet, même les plus forts adversaires du Pacs se disent prêts aujourd'hui à régler les problèmes concrets que rencontrent les couples homosexuels. Mais, pour cela, il faut bien que, sous une forme ou sous une autre, il soit donné une existence juridique aux couples homosexuels. Il est faux de dire : à affaire privées, solutions privées. Car aucun contre de droit privé ne peut entraîner d'effets juridiques publics sans reconnaissance publiques. Dès lors, comment constater, contracter et déclarer une situation durable de vie commune, sans la consacrer ni l'institutionnaliser ? J'ai longtemps pensé qu'un certificat de vie commune délivré en mairie était une réponse simple. Mais l'insistance de certaines associations gays à faire de la mairie le symbole du mariage homosexuel a exclu cette solution.

Reste alors la préfecture, le tribunal d'instance ou le notaire. Les auteurs du Pacs ont choisi la préfecture. La commission des lois à l'Assemblée nationale a proposé le tribunal d'instance ; De nombreuses voix se sont élevées dans l'opposition pour proposer que ce contrat soit enregistré chez le notaire. Si, au bout du compte, l'antagonisme essentiel ne devait se résumer qu'à la question « préfet, tribunal ou notaire ? », c'est bien qu'il existait peut-être une autre façon d'engager et de mener le débat.