Interviews de M. Pierre-André Périssol, ministre du logement, à RMC le 25 octobre et dans "Challenges" de novembre 1995, sur l'instauration des prêts à taux zéro pour relancer l'accession à la propriété et sur le plan d'urgence pour le logement des plus démunis.

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Média : Challenges - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

RMC : Mercredi 25 octobre 1995

RMC : On est content de vous recevoir parce que vous vous occupez d'un secteur qui touche de près les Français. Le gouvernement ne semble pas, pour le moment, d'après les sondages, recueillir l'approbation des Français. Vous trouvez cela injuste au regard de ce que le gouvernement a fait ?

P.-A. : Périssol : Il faut relativiser les sondages. J'ai soutenu un candidat qui n'était pas véritablement porté par les sondages, et je l'ai soutenu dès le début. Il vaut mieux être jugé sur ses résultat que sur des sondages. Le gouvernement agit, que ce soit par rapport à l'emploi, avec le CIE, que ce soit sur le secteur social, avec la prestation autonomie, que ce soit pour le redressement économique. Je pense que les résultats suivront.

RMC : Et les Français ne comprennent pas cela ?

P.-A. : Périssol : Attendez ! Les Français attendent de voir les résultats qui vont arriver.

RMC : Donc, il faut attendre et cela va s'arranger ?

P.-A. : Périssol : Je le pense.

RMC : Un contribuable parisien porte plainte contre le président de la République en saisissant le tribunal administratif et le parquet de Paris. Cela peut perturber encore le climat politique ?

P.-A. : Périssol : Non, je ne le crois pas. Je crois que ce qui intéresse les Français, et notamment en matière de logement, puisque que vous évoquez une affaire de logement, c'est de savoir si cet hiver, ils vont voir les gens qui sont dehors. Ce qui les intéresse, c'est de savoir si les listes d'attente en HLM qui s'allongent vont enfin diminuer, c'est de savoir s'ils vont demain pouvoir accéder à la propriété, c'est de savoir s'il va y avoir un peu moins de locaux vacants demain qu'hier. C'est ça qui les intéresse. Ce sont les réponses à ces vraies questions et ce ne sont pas des questions politiciennes. Hier, on a voulu faire une affaire avec Juppé ; aujourd'hui, on reprend cela avec l'ancien maire de Paris. Je crois qu'il s'agit de petites manipulations politiciennes sans lendemain.

RMC : Le logement est présenté en France depuis la Libération comme une priorité absolue et pourtant les professionnels de l'immobilier disent que le marché est en panne. C'est votre constat ? Cela va durer ?

P.-A. : Périssol : Deux éléments de réponse. On le dit surtout sur le marché immobilier parisien ou des grands coeurs d'agglomération. En France, la situation n'est pas aussi bloquée que cela, Dieu merci. Cela étant dit, c'est vrai que l'accession à la propriété était essoufflée, voire en panne. C'est vrai que, notamment les ménages qui gagnent entre 10 et 15 000 francs par mois, qui, hier, allaient accéder à la propriété, qui, alors qu'ils étaient locataires en HLM allaient acheter un logement et libérer ainsi une place pour les ménages plus modestes qui n'avaient pas accès aux HLM et qui, de ce fait, pouvaient y avoir accès, c'est vrai que ces ménages-là ne pouvaient plus accéder à la propriété. C'est bien pour cela que, très rapidement, j'ai réformé cette politique de l'accession à la propriété avec l'instauration du prêt à taux zéro.

RMC : Ce prêt peut faire repartir la construction des logements en France ?

P.-A. : Périssol : Oui, je le pense. Nous avons visé trois objectifs. Le premier était d'avoir un dispositif clair, simple, qui parle aux Français. Je crois que là-dessus nous avons été entendus.

RMC : Les premiers résultats sont-ils encourageants ?

P.-A. :  Périssol : Très encourageants. Nous n'avons pas encore de résultats nationaux. Mais pour moi qui vais voir sur le terrain soit des constructeurs de maisons individuelles, soit des gens qui vendent des logements, soit des établissements de crédit, les uns ou les autres me disent qu'il y a plus de 50 %, plus de 75 %, voire plus de 100 % de prêts signés ou de contrats signés qu'il y a un an à la même époque. Donc, c'est très encourageant. Pourquoi ? Parce que c'est un produit simple, parce que c'est un produit qui concerne trois ménages accédant à la propriété sur quatre alors que l'ancien dispositif n'aidait qu'un ménage sur quatre et que, d'autre part, c'est un produit qui est très social. Si vous avez moins de 15 000 francs vous allez commencer à rembourser vos 120 000 francs en province ou 160 000 francs en Île-de-France de prêt à 0 %, à partir de la dix-septième année, c'est-à-dire une fois que vous aurez remboursé l'ensemble de vos autres prêts. C'est très efficace sur le plan social.

RMC : La personne qui connaîtrait le chômage aurait des facilités financières l'aidant à surmonter cette mauvaise période. Tous ceux qui auront fait cet emprunt à 0 % y auront droit ?

P.-A. : Périssol : Ils auront droit, Dieu merci pour eux, au volet sécurité. Il intervient en cas de chômage. Par rapport à quelqu'un qui s'engage dans un processus d'accession à la propriété ce n'est pas pour tout de suite. Donc, le dispositif sera mis au point et effectif pour toutes ces personnes-là.

RMC : Le plan d'urgence, J. Chirac en avait parlé pendant sa campagne électorale. Vous avez annoncé 10 000 logements disponibles rapidement pour les gens qui n'ont pas de logement. À qui seront donnés ces 10 000 logements ? Seront-ils définitifs ou dépanneront-ils quelqu'un ?

P.-A. : Périssol : Ce sont des logements qui ont vocation à répondre à des situations d'urgence. C'est une femme qui se retrouve dans la nuit à la rue avec son gamin. Donc, c'est un peu Monsieur et Madame tout-le-monde dès lors qu'ils sont en situation d'urgence et qu'ils ont un risque de se retrouver à la rue. Ces logements ont effectivement pour vocation de dépanner en attendant qu'on trouve une solution plus stable et plus conforme aux besoins des ménages. Ce plan-là, il y a six mois qu'il a été lancé, plus exactement quatre mois et demi. Qu'est-ce qu'on n'entendait pas ! « Vous n'y arrivez pas ; c'est impossible ; pourquoi changer de politique ! » Parce que tout simplement, on ne peut pas accepter, tolérer, qu'il y ait des Français bien logés d'un côté et de l'autre, des gens qui ne le sont pas ou qui le sont très mal.

RMC : Cela dit, 10 000 logements pour toute la France, cela ne résout pas tout.

P.-A. : Périssol : Attendez. Alors qu'on me disait qu'on n'y arriverait pas, aujourd'hui, j'ai plus de 8 000 logements qui sont « dans les tuyaux ». Donc, cela veut dire qu'il y a une mobilisation des maires, de l'administration, des associations, des organismes HLM. Et pourquoi y-a-t-il eu cette mobilisation ? Tout simplement parce que tout le monde a bien vu la détermination du gouvernement à agir pour que tout le monde puisse avoir un toit.

RMC : Vos prochains chantiers ?

P.-A. : Périssol : Je crois que les Français sont très attachés à ce que le parc HLM réponde bien à sa mission sociale. C'est pourquoi, j'ai décidé d'instaurer un surloyer, mesure de justice. Deuxièmement, c'est pourquoi, je réfléchis aux moyens de réformer les procédures d'attribution HLM pour qu'il y ait à la fois plus de transparence et plus d'accueil de gens qui en ont réellement besoin. L'ensemble de cette politique, c'est la construction concrète du droit au logement pour les Français.


Source : Challenges - Novembre 1995

Challenges : Vous affirmez vouloir redonner aux Français le goût de l'immobilier. De quelle manière y parviendrez-vous ?

Pierre-André Périssol : Un ensemble de facteurs contribue à la crise actuelle du logement. D'abord, les plus démunis posent un vrai problème politique. Ils doivent pouvoir disposer d'un toit. Ensuite, la tension locative est très forte sur la PLA1, avec des files d'attente qui augmentent et une demande généralisée de locatif aidé.

Et, l'accession à la propriété s'essouffle, notamment dans le secteur social. Les ménages gagnent entre deux et trois fois le Smic, qui constituaient les gros bataillons des accédants, éprouvent aujourd'hui des difficultés croissantes à y parvenir. Enfin, j'observe un certain découragement des propriétaires bailleurs privés. Il se traduit par une hémorragie régulière du parc existant de logements, qui ne sont plus remis sur le marché. Ces divers facteurs se potentialisent l'un l'autre pour créer une véritable situation de crise, d'autant plus étonnante qu'il y a eu, ces dernières années, plus de onze plans de relance et à peu près autant de « plans d'urgence » pour régler tel ou tel problème.

Challenges : Quel acharnement pour si peu de résultat !

Pierre-André Périssol : La question à l'origine de la politique que je veux mener, c'est de savoir pourquoi autant d'énergie et d'efforts budgétaires ont finalement abouti à une situation de blocage. L'inadaptation de notre système d'aide au logement est un élément d'explication. Il y a vingt ans, nous vivions dans une société stable, induisant naturellement un climat de confiance. Nous vivons désormais dans une société d'incertitude, voire d'inquiétude, qui ne peut pas favoriser un élan vers l'accession à la propriété.

Cette situation nous impose de ne plus penser seulement en termes de solvabilisation, mais aussi de sécurisation. Et puis, nous sommes passés, en deux décennies, d'une société d'argent facile à une société d'argent cher. On hésite désormais à recourir à un emprunt. Enfin, alors qu'il s'agissait de loger, à l'époque, les salariés de la croissance, aujourd'hui, il faut également loger les accidentés de la crise.

Challenges : Ce n'est plus une réforme mais une véritable révolution qu'il faut faire !

Pierre-André Périssol : Il convient d'appliquer une réforme spécifique à chaque secteur de blocage : les démunis, le locatif social, l'accession et l'investissement privé. Les premiers relèvent d'une exigence sociale. Leur traitement repose sur les 10 000 logements d'urgence et les 10 000 logements d'insertion prévus. L'accession sociale à la propriété représente un enjeu économique (il s'agit d'emplois maintenus ou créés) et de société : je constate que 9 % des Français voudraient devenir propriétaires dans les douze mois qui viennent2. Les deux tiers d'entre eux sont locataires, dont une moitié en HLM. Donc, relancer l'accession, notamment dans ce secteur, libère du même coup des logements HLM pour ceux qui les attendent et résout donc le second problème.

Challenges : Et l'accession en général ?

Pierre-André Périssol : Nous disposons d'un ensemble d'aides qui se surajoutent les unes aux autres et dont une grande partie n'est pas toujours bien connue de l'ensemble des Français, voire même des professionnels. J'ai proposé une aide profilée à partir de trois objectifs : clarté, efficacité et équité. C'est une aide ouverte à presque tous les ménages, en tous cas à ceux dont le revenu est inférieur à un plafond mensuel de ressources d'environ 22 000 francs net. Elle est la même pour tous : 120 000 francs en province, 160 000 francs en Île-de-France, prêtés à taux zéro pour l'acquisition d'un logement neuf ou dans l'ancien, assorti de gros travaux à hauteur de 35 % du ‘montant total.

Sans aucune publicité, début octobre, 82 % des Français en ont entendu parler, même s'ils n'en connaissent pas toutes les subtilités !

Alors qu'un ménage accédant sur quatre obtenait un PAP3, trois sur quatre – 120 000 selon notre estimation pour 1996 – pourront disposer du prêt à taux zéro. Ceux dont les revenus sont les plus bas disposeraient aussi d'un différé de remboursement partiel ou total.

Challenges : 50 % de travaux dans l'ancien : la barre est élevée…

Pierre-André Périssol : En province, ce n'est pas un cas d'école : j'achète un logement de 400 000 francs et je réalise 200 000 francs de travaux. Nous attendons 20 000 prêts de ce type, soit quatre à cinq fois plus que les PAP destinés à l'ancien, lequel bénéficie de la réduction des droits de mutation votée l'été dernier.

Challenges : Une réduction au demeurant provisoire.

Pierre-André Périssol : Oui, si elle n'atteint pas son objectif.

Challenges : Vous avez aussi prévu une sécurité en cas de chômage.

Pierre-André Périssol : Sur dix ménages qui veulent accéder à la propriété et qui ont un projet concret dans les douze prochains mois, les trois quarts sont inquiets quant à leur propre avenir. C'est un facteur de blocage évident. Le dispositif prévoit que, au bout de neuf mois de chômage (c'est-à-dire quand les indemnités Assedic commencent à baisser), les mensualités sont allégées d'un tiers, pendant quinze mois, les ramenant au niveau d'un loyer. Pour le nouveau propriétaire, le risque est le même que s'il était resté locataire.

Challenges : Qui paie ?

Pierre-André Périssol : Cette sécurité est prise en charge par le 1 % logement, puisque ceux qui sont exposés au chômage sont des salariés d'entreprise.

Challenges : Le nouveau dispositif ne fonctionnera-t-il pas mieux en province qu'à Paris ?

Pierre-André Périssol : Il n'a pas pour vocation de résoudre le problème foncier. En Île-de-France, vous disposez de 40 000 francs de plus qu'en province, auxquels il faut ajouter la réduction des droits de mutation.

Dernier volet de notre politique : les investisseurs. La déduction forfaitaire sur les loyers est, aujourd'hui, de 13 %. Je voudrais que les propriétaires soient conscients qu'il y a une majorité qui, par deux fois, a fait un geste fort pour rétablir une meilleure rentabilité locative.

Challenges : Et si c'était le douzième plan de relance ?

Pierre-André Périssol : J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une véritable réforme. Il ne s'agit pas de dire que l'on va mettre plus d'argent. La preuve en est qu'elle se fait à coûts budgétaire et fiscal constants. Je crois que le logement est le premier bénéficiaire de la baisse des déficits publics, puisqu'il est pratiquement totalement adossé à de l'argent à long terme.

Comme il s'agit du paramètre le plus sensible pour le logement, une bonne politique du logement n'est pas une politique qui accroît le coût budgétaire. La quasi-totalité des aides se trouve redistribuée dans une aide unique.

Challenges : Les banquiers trouvent que l'incitation à accorder un prêt à taux zéro est bien peu généreuse…

Pierre-André Périssol : Tous les banquiers et les établissements de crédit vont pouvoir distribuer le prêt. Je suis persuadé qu'ils vont vouloir être présents sur ce marché. Les emprunteurs vont pouvoir économiser l'assurance-chômage…

Actuellement, elle n'est pas obligatoire. Elle est plutôt souscrite par des gens qui sont exposés. Elle est donc très coûteuse. Or, autant un banquier connaît les risques d'infarctus de son client, autant il est incapable de dire quel sera dans dix ans l'état de la société qui l'emploie ! Je suis persuadé que les assureurs s'intéresseront désormais à ce dispositif.

Challenges : Qu'est-ce qui risque de changer en 1996 ?

Pierre-André Périssol : J'ai d'autres chantiers, notamment sur les « surloyers » des HLM. Ce sera, là aussi, une réforme profonde qui consiste à trouver un compromis entre un objectif de diversité et un objectif de justice sociale. Réorienter une part significative de l'épargne vers l'immobilier est également un chantier ouvert. Aujourd'hui, toutes les mesures prises dans le cadre de la loi de finances 1996 concernent l'épargne mobilière. Pour l'épargne immobilière, nous jouerons notre rôle dans la réforme générale de la fiscalité.