Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, sur la surveillance du trafic maritime dans la Manche et l'amélioration du dispositif POLMAR, Brest le 17 octobre 1998.

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Circonstance : Colloque "20 ans après l'Amoco Cadiz", Brest le 17 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le préfet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président du conseil général et de la communauté urbaine,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,


L'image du naufrage de l'Amoco-Cadiz et du littoral nord-breton meurtri par ce sinistre a profondément marqué notre mémoire collective.

20 ans après, cette image continue de nous interpeller.

Cette image ou plutôt des images ce sont à la fois celle de ce drame écologique. Celle plus tard de ce combat acharné pour les indemnisations, celles et je veux insister là-dessus de ces hommes et ces femmes sur le terrain, agents du secteur public, salariés des entreprises bénévoles.

Il était dès lors fortement souhaitable, – et je veux remercier les organisateurs de ce colloque de nous en donner opportunément l'occasion –, que nous fassions ensemble le point de ce qui a été fait et de ce qui est en cours pour assurer la protection des côtes et de l'environnement marin, au plan d'une part de la sécurité de la navigation, et d'autre part, de la lutte pour faire face à un accident, dont le risque ne peut jamais être complètement écarté.

Ici, l'histoire nous rappelle d'abord les obligations avantages ou contraintes que nous crée la situation géographique.

300 000 navires transitent chaque année en Manche sur l'une des routes maritimes les plus fréquentées du monde, et 50 000 navires contournent la pointe de Bretagne aux sorties ou à l'entrée de la Manche, dans une zone où la concentration de trafic est confrontée à des conditions météorologiques et nautiques sévères.

Le dispositif mis en place dès le début des années 1980 préfigurait les systèmes actuels auxquels les États maritimes ont eu, depuis, recours, pour instaurer des conditions améliorées de sécurité de la navigation le long de leurs côtes.

Ce système repose sur un triptyque constitué d'un rail de navigation, d'un puissant dispositif nautique d'assistance et d'un centre de surveillance.

La finalité des dispositifs de séparation de trafic situés aux deux extrémités ainsi qu'au milieu de la Manche est de prévenir les risques d'abordage et d'échouement.

À Ouessant, le but complémentaire recherché est aussi d'éloigner vers le large les navires transportant des marchandises polluantes ou dangereuses et de disposer ainsi, en cas d'accident, des délais nécessaires pour traiter la menace avant qu'elle n'atteigne le littoral.

L'efficacité de ce schéma d'organisation du trafic maritime s'appuie sur un dispositif d'intervention capable de porter assistance aux navires en difficulté, quelles que soient les conditions nautiques et météorologiques, avec, à la Pointe de Bretagne, la disponibilité permanente du remorqueur « Abeille Flandres » et l'engagement remarquable de ses équipages.

Le trafic justifie en outre une surveillance continue à partir des centres à terre chargés de détecter les navires en approche du dispositif et de suivre leurs mouvements au cours de leur transit.

Cette mission est une priorité essentielle pour le CROSS Corsen et son annexe de la tour radar du Stiff, à la pointe occidentale de Bretagne. En cas d'incident ou d'accident survenant dans le « rail » ou à proximité, ce CROSS est la clef de voûte du dispositif de prévention des risques.

Depuis maintenant 17 ans, il a ainsi assisté plusieurs centaines de navire et à coup sûr, évité des dizaines d'accidents majeurs.

Les très importants progrès réalisés en matière de prévisions météorologiques notamment par Météo France renforcent encore la fiabilité d'ensemble de ce dispositif.

Il est cependant évident que, malgré ces efforts tout danger n'est pas écarté et que, à certains égards même, les risques de pollution plus ou moins graves tendent à s'accroître.

Nous connaissons en effet une hausse du volume du trafic maritime, ce qui est positif, mais les conditions dans lesquelles celui-ci s'effectue posent à l'évidence problème. En particulier, le nombre de navires ne présentant pas toutes les garanties de sécurité tend à augmenter dangereusement.

C'est pourquoi, l'efficacité de la prévention des risques et de la surveillance maritime reste au centre de mes préoccupations.

Il faut, naturellement, insister sur la formation maritime pour disposer sur mer et sur terre de personnel répondant à de fortes exigences professionnelles.

Il faut aussi, pour ne pas dire d'abord, étant donné le caractère mondial du transport maritime, agir sur la scène internationale.

Le travail de nos délégations au sein de l'OMI s'avère de ce point de vue d'une grande importance. La France est ainsi à l'origine de nouvelles règles qui permettent maintenant d'imposer aux navires l'obligation de se signaler auprès des centres de surveillance à terre.

Cette obligation a été instaurée pour la première fois sur le rail d'Ouessant. C'est un outil déterminant pour le CROSS Corsen qui a désormais la possibilité d'identifier la quasi-totalité du trafic en transit. Ce dispositif sera prochainement complété par des mesures identiques appliquées au Pas-de-Calais.

Le système de signalement des navires apporte en outre l'interactivité indispensable au dialogue qui doit s'établir entre les marins et les opérateurs à terre, et aide les navigants à prendre les décisions appropriées à des circonstances critiques.

L'identification des navires contribue aussi à affiner nos informations sur le tonnage et sur la nature des marchandises transportées.

La question ici essentielle est ce qu'on appelle aujourd'hui, la « traçabilité » des marchandises dangereuses. Il s'agit en effet d'en connaître la nature et l'origine. Les chargeurs-propriétaires de la marchandise ont, à cet égard, une responsabilité évidente. Ils doivent informer clairement et complètement transporteur et pouvoirs publics.

Disposer de cette information représente en outre un atout déterminant pour traiter efficacement un sinistre mettant en cause un transport de produits polluants ou toxiques.

De ce point de vue, une meilleure identification des navires favorise les inspections que mes services opèrent, l'application du Mémorandum de Paris (contrôle des navires par « l'État du port ») constituant un outil essentiel pour la sécurité du transport maritime. C'est pourquoi, pour réaliser les contrôles et renforcer la capacité des centres de sécurité des navires, nous prenons des mesures de renforcement des effectifs.

Il faut comprendre le sens réel donné à l'action des centres de sécurité : en contrôlant les capacités techniques des navires, en exigeant que tout bateau soumis à leur contrôle se mette au niveau des normes de navigabilité obligatoire.

Nous assurons la sécurité et nous rappelons aux armateurs – surtout aux pavillons de complaisance – qu'ils sont eux aussi responsables de la sécurité.

Mais au-delà de la norme technique, je reste convaincu qu'une bonne sécurité de la navigation maritime passe par de bonnes conditions de travail offert aux marins. J'entends oeuvrer pour une plus grande protection sociale des marins dans le cadre des règles tant internationales que nationales.

Sur ce sujet, j'ai pris l'initiative d'ouvrir un groupe de travail avec les partenaires sociaux pour que soient analysées et suggérées toute mesure réglementaire ou autre, en vue d'assurer une plus grande protection sociale des marins en situation délicate, surtout quand un navire se trouve bloqué dans un port.

Des travaux de ce groupe de travail, j'attends de pouvoir les traduire en une initiative française auprès de l'OMI et des autorités européennes.

La modernisation des infrastructures dédiées à la sécurité maritime repose quant à elle sur deux axes :

Le premier concerne la signalisation maritime qui fait l'objet d'un programme global de rénovation.

Celui-ci comprend la mise en place de bouées de la nouvelle génération, la remise à niveau des établissements de signalisation maritime, le renouvellement des baliseurs ainsi que la mise en place de nouvelles aides radioélectriques pour le positionnement des navires.

La seconde action prioritaire vise à développer une nouvelle génération de CROSS pour aboutir, en particulier le long de la Manche, à un dispositif de contrôle de la navigation intégré, bâti sur les trois pôles de surveillance de Corsen, Jobourg et Gris-Nez.

Le plan pluriannuel de modernisation des CROSS est conçu afin d'intégrer les nouvelles normes de radiocommunications maritimes et ainsi, de favoriser la gestion et le transfert d'informations entre certain au cours de la progression des navires.

Il s'agit également d'accroître le seuil de détection des situations nautiques anormales et d'étendre ainsi nos capacités de prévention.

J'ai déjà souligné l'importance du volet humain : je suis certain que la professionnalisation des CROSS permettra de tirer le meilleur parti de cette modernisation des équipements, grâce à l'amélioration des équipes.

Par ailleurs, je considère comme essentielle la mise en application progressive du code ISM (International Safety Management) qui responsabilise le gestionnaire du navire en matière de sécurité.

J'ajoute que, face à un accident, il faut être en capacité de l'analyser et d'en tirer tous enseignements utiles afin d'en éviter le retour. C'est pourquoi, j'ai tenu, dans les premières semaines de mon arrivée au ministère, à créer un bureau-enquêtes-accidents (BEA/mer), qui me paraît constituer aussi un outil important pour progresser.

Toutes ces actions ne peuvent cependant permettre d'éliminer complètement les risques, y compris d'accidents aux effets dévastateurs. Il ne faut donc surtout pas « baisser la garde » en matière de préparation à la lutte, que ce soit en mer ou sur le littoral.

Là aussi, des efforts considérables ont été accomplis depuis l'Amoco-Cadiz et vous avez longuement évoqué hier le développement des technologies de lutte contre les pollutions marines, ainsi que l'évolution des instruments juridiques et économiques.

Dès 1978, a été mis en place l'instruction « POLMAR » qui jetait les bases toujours actuelles de notre organisation.

Je rappelle brièvement que ce dispositif distinguait, pour des raisons opérationnelles, la lutte en mer de la lutte à partir du littoral. La préparation pour faire face aux situations de crise s'articulait en des plans POLMAR-Mer, sous l'autorité du préfet maritime, et des plans POLMAR-Terre, sous l'autorité des préfets de départements.

Pour la mise en oeuvre de ces plans, des matériels ont été acquis, entretenus et améliorés, confiés à l'état-major de la Marine pour la lutte en mer et à mes services pour la lutte à terre.

Enfin un organisme d'étude et de conseils, un centre de ressource dirait-on aujourd'hui, était créé pour appuyer l'action des acteurs institutionnels : le CEDRE (Centre de documentation, de recherche et d'expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux), qui a largement contribué au contenu du présent colloque.

Il n'y a pas eu de second Amoco-Cadiz sur nos côtes à ce jour, mais des pollutions de plus faible importance se produisent en permanence. De plus, les noms de « Haven » en Italie, « Exxon-Valdez » en Alaska, « Braer » aux Iles Shetland, « Sea-Empress » au Pays de Galles, « Aege see » en Espagne et beaucoup d'autres sont là pour nous rappeler à une attitude vigilance.

Vigilants, il convient donc de le rester. Notre tâche est de maintenir constamment un niveau adéquat de préparation de nos moyens d'alerte et d'intervention. J'ai trouvé, en arrivant à ce poste, une situation qui m'a parue insatisfaisante et qui faisait planer, à terme, une menace sur notre dispositif lui-même. Je me suis donc efforcé sur les deux derniers exercices budgétaires, de rétablir des moyens mieux adaptés à la modernisation nécessaire de nos matériels et à la préparation de nos hommes.

Dans le même temps a été engagée une véritable « remobilisation » des services : le Premier ministre a signé fin décembre 1997 une nouvelle instruction POLMAR révisant et modernisant celle de 1978. Avec cette nouvelle instruction, trois objectifs majeurs sont recherchés :

– conserver le caractère opérationnel du dispositif mis en place ;

– se préparer au mieux aux situations de crise, par la révision des plans, la multiplication des exercices, le développement de la recherche et des formations ;

– mieux se coordonner enfin pour une meilleure efficacité sur le terrain.

Vos travaux ont insisté sur la nécessité d'une pluridisciplinarité des intervenants et sur le partenariat à développer avec les acteurs. Nous ne sommes plus en effet en 1978 où l'État et les collectivités publiques locales étaient seuls pour faire face à la situation.

La responsabilité du transporteur et du propriétaire de la marchandise a progressé en droit international. L'industrie, notamment pétrolière, a pris la mesure de l'enjeu pour elle-même d'un engagement dans la lutte contre la pollution et pour la préservation des équilibres écologiques.

Mais coordonner les divers acteurs ne va pas de soi. La nouvelle instruction pose les bases d'un progrès dans l'organisation de nos actions : cohérence entre les plans POLMAR-Mer et POLMAR-Terre, action commune « en temps de paix » entre les différents services, enfin, développement de la coopération entre l'État et ses différents partenaires, les élus locaux, les professionnels ou les médias, et aussi au niveau de l'Union européenne ou au plan international.

Progressivement des solidarités internationales s'organisent sur une base régionale : mer du Nord, Méditerranée, Atlantique, chaque façade a fait l'objet d'accords incluant une coopération en cas d'accident.

La convergence des mobilisations montre que l'on est incontestablement sur la bonne voie, et je suis persuadé que votre colloque oeuvrera utilement pour maintenir le cap.

Cette lutte et cette vigilance constantes sont inséparables des efforts qu'il faut conduire pour que le transport maritime se développe en respectant l'environnement, et qu'il fasse de ce respect l'un de ses atouts majeurs.

Merci à tous d'y avoir, par votre initiative et vos apports à l'action commune, utilement contribué aujourd'hui !