Article de M. Charles Millon, président de La Droite, dans "Le Figaro" le 23 décembre 1998 intitulé "Santé : une logique budgétaire suicidaire", et interview dans "Le quotidien du médecin" le 31, sur le plan Aubry pour le financement de la Sécurité sociale en 1999 en regard du plan Juppé précédent.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

LE FIGARO du 23 décembre 1998

Les plans de redressement successifs de la Sécurité sociale échouent tous, pourquoi ?

La réponse classique d'un homme politique pourrait être : les médecins dépensent trop… les patients consomment trop… les caisses gèrent mal… l'hôpital public gaspille… etc.

Même si certaines de ces affirmations sont en partie vraies, j'ai acquis la conviction que le principal problème est que nous ne posons pas les bonnes questions.

Par idéologie pour certains, par conformisme pour d'autres, nous n'osons pas accepter une vérité incontournable : les dépenses de santé ne peuvent qu'augmenter.

C'est inévitable et c'est légitime.

Inévitable, car la population vieillit, des maladies nouvelles apparaissent (sida, hépatite C…), des maladies connues ont maintenant des possibilités thérapeutiques, le secteur du diagnostic a fait des progrès indispensables nécessitant des équipements lourds et coûteux (imagerie médicale, biologie…).

Légitime, car les Français aspirent à cet état de bonheur et de bien-être que procure une bonne santé, et ils en ont le droit.

Les dépenses de santé ne peuvent qu'augmenter, il faut maintenant définir ce que la collectivité doit prendre en charge et ce qui est du ressort de la liberté individuelle des citoyens.

Non aux sanctions collectives.

Depuis des mois, je consulte sur des questions de politique de santé, j'ai acquis des convictions. Je suis opposé aux sanctions collectives qui frappent les médecins, mais également aux sanctions individuelles qui frappent d'autres professionnels. Je suis opposé à toute forme de sanction financière basée sur le non-respect d'un budget, qui n'a aucune légitimité en termes de santé publique.

Ces sanctions sont injustes, arbitraires et inefficaces. Je suis opposé à toute forme d'étatisation de la médecine, je rejette les atteintes aux libres choix du patient et suis préoccupé des risques de rationnement des soins.

Je voudrais que l'on sorte de cette logique budgétaire suicidaire pour établir enfin un véritable projet de politique de santé, commençant par l'éducation sanitaire et la prévention, pour rendre les Français acteurs et responsables de leur santé.

Comment établir les besoins de santé ? Comment adapter la démographie médicale ? Comment responsabiliser les acteurs, tous les acteurs ? Quel doit être le rôle de l'État ? Le monopole de la Sécurité sociale est-il adapté ?

Les prélèvements obligatoires doivent diminuer pour libérer l'économie, il faut donc faire appel à des capitaux privés pour financer les besoins grandissant des Français. Sous quelle forme ? A quel niveau ? Comment assurer à tous un accès à des soins de qualité sans sélection des risques ?

Les questions sont multiples, nous devons y répondre en respectant les valeurs auxquelles moi-même et les gens qui me font confiance croient : respect de la personne et sa dignité, liberté et responsabilité, courage et détermination, car il en faudra pour vaincre le conformisme qui paralyse notre société.


QUOTIDIEN DU MÉDECIN - le 31 décembre 1998.

Le Quotidien :
Il y a quelques jours, vous avez qualifié le projet de Martine Aubry pour le financement de la sécurité sociale en 1999 de « dix-neuvième plan de replâtrage ». Est-ce dire que le plan Juppé, mis en œuvre par un gouvernement dont vous étiez membre, était, lui aussi un replâtrage ?

Charles Millon :
Là où il fallait une remise à plat et une profonde restructuration. Le plan Juppé proposait des mesures techniques, dont certaines sont d'ailleurs très intéressantes, je pense par exemple à la possibilité de prise en charge des patients par des réseaux de soins, ou à la volonté de coopération public/privé, des mesures techniques dont la finalité était de ne pas trop bouleverser l'existant.

Cependant je pense qu'on ne peut comparer que ce qui est comparable. Alain Juppé avait devant lui la perspective d'avoir à satisfaire à court terme aux critères de convergence imposés aux candidats à l'Euro, alors que le climat économique était anémique et les prévisions toutes plus calamiteuses les unes que les autres.

Il ne pouvait donc qu'agir dans l'urgence.

L'on peut également regretter que les professionnels de santé n'aient pas été associés à l'élaboration de cette réforme.

Mais Alain Juppé et ses conseillers avaient conscience de la nécessité d'une réforme d'une toute autre ampleur.

Et c'est cette grande réforme qu'il s'agit maintenir d'engager.

Le Quotidien :
Apparemment, vous considérez que le plan Aubry ne va, lui, pas du tout dans cette direction ?

Charles Millon :
C'est le moins que l'on puisse dire !

Martine Aubry n'a visiblement en tête que l'équilibre des comptes, elle rêve même d'un excédent !

C'est une véritable provocation, dans un pays où une part importante de soins indispensables est laissée à la charge des ménages, où 15 % de la population n'a pas d'assurance complémentaire, où un français sur cinq avoue avoir renoncé à se soigner pour raisons financières, où les soins dentaires sont pour ces mêmes raisons insuffisamment développés…

La liste est longue des besoins de santé non satisfaits dans notre pays. Les politiques responsables devraient s'interdire de s'enfermer dans une logique à court terme.

Le Quotidien :
Vous proposez donc qu'avant toute chose, on évalue les besoins de santé des Français ?

Charles Millon :
A mon sens, une véritable politique de santé devrait commencer par s'intéresser aux besoins de santé publique.

Les besoins de santé n'ont jamais été définis. Il conviendrait de le faire, ce qui relève d'une responsabilité politique et d'une approche technique difficile.

Ensuite les politiques doivent avoir le courage de définir ce qui est du domaine du soin devant être assumé par l'assurance maladie, et ce qui est du domaine du confort.

De plus dans le cadre d'une politique de santé, il faudra sortir de la simple assurance du risque maladie, ce qui était la philosophie de départ quand le système a été mis en place à la Libération, mais se référer à la définition de l'Organisation Mondiale de la Santé, qui fait de la santé « un état complet de bien-être physique, mental et social ».

C'est à cet état que les Français, aujourd'hui, aspirent. C'est ainsi que des notions comme l'éducation sanitaire et la prévention prendront toute leur place.

Le Quotidien :
Mais la contrainte financière ?

Charles Millon :
Elle existe et il serait malhonnête de le nier. Mais il ne faut pas la poser en préalable. C'est après avoir parlé de santé qu'il faudra envisager les financements nécessaires.

C'est dans cet ordre qu'il faut avancer, avec souplesse et pragmatisme, et non à la manière dogmatique de Madame Aubry. C'est de plus une manière hypocrite, un seul exemple, l'intervention d'assurances privées, Madame Aubry exclut ce mode de financement qui lui semble mal perçu dans l'opinion, or ce mode de financement existe depuis longtemps puisque des financements privés assurent la prise en charge du ticket modérateur. Il faudrait plutôt réfléchir à rendre plus efficace et à mieux coordonner les différents modes de financement possibles.

Les prélèvements obligatoires ne peuvent plus augmenter, ils devront même diminuer pour libérer l'initiative, il faudra trouver dans le privé l'argent qui permettra de satisfaire les besoins de santé grandissants des Français. C'est une question de bon sens.

Il est une constante dans tous les pays développés :au fur et à mesure que l'on satisfait aux besoins de base (nourriture, logement…), l'on se préoccupe de plus en plus de son bien-être. C'est ainsi que la santé deviendra le premier – ou l'un des premiers – poste de dépenses des ménages français au siècle prochain. Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait s'y opposer.

Le Quotidien :
Vous avez parlé, à propos du plan Aubry, de risque de rationnement de soins ?

Charles Millon :
C'est simple : la demande de santé ne peut que croître (démographie, souhaits de bien-être, technologies nouvelles permettant de soigner des maux jusque là incurables…etc.), les prélèvements obligatoires doivent baisser, il est donc clair que les besoins seront de moins en moins satisfaits.

Même si nous savons que de salutaires économies peuvent venir de la restructuration de l'offre de soin, cela ne suffira pas. Il faut sortir du monopole de la sécurité sociale et apporter d'autres financements, ils ne peuvent venir que du privé.

Madame Aubry brandit le spectre de « la médecine à deux vitesses », c'est d'autant plus malhonnête qu'elle existe déjà comme nous l'avons vu précédemment, pour tous ceux qui ne peuvent compenser l'écart entre les besoins et la possibilité de les satisfaire par les seuls prélèvements obligatoires, et cela ne peut que du privé.

Les socialistes condamnent les Français à voir s'aggraver l'inégalité devant la maladie.

Personnellement je pense qu'il faut entamer d'urgence une réflexion approfondie sur le financement de notre système de soins, et c'est un des chantiers prioritaires des cercles de réflexion que je mets en place dans tous les départements.

Les contempteurs de l'ouverture au privé, ne manquent pourtant pas, cas américain, à l'appui, d'essayer d'effrayer malades et médecins, en parlant des contraintes supplémentaires que leur imposeraient les assureurs privés…

Je ne pose pas en préalable le remplacement de la sécurité sociale française par des assureurs privés, nous n'en sommes pas là de notre réflexion. Je pense plutôt qu'il faut mieux répartir les rôles des financeurs. La sécurité sociale pourrait prendre en charge ce qui relève du risque aléatoire, les assureurs privés ce qui relève plus de risques liés au mode de vie ou au comportement, aux politiques de mettre en place les barrières pour assurer une réelle égalité de tous face à l'accès aux soins. Le tout en incitant les Français à être responsables de leur santé, par l'éducation bien sûr, mais aussi peut-être en inventant un système de prime pour celui qui gérera bien son capital santé… Ce ne sont que des pistes, je souhaite un grand débat.

Vous me parlez des États-Unis, je noterais simplement, qu'à hauteur de près de 15 % du PIB, les dépenses de santé y sont un puissant moteur d'une économie qui est la première du monde, alors qu'à 10 % du PIB, nous serions en train de ruiner la nôtre. Cela confirme que ce ne sont pas les dépenses de santé qui posent problème, mais leur financement.

Quant aux contraintes, elles sont indispensables, mais ne doivent en aucun cas être financières, le seul critère d'appréciation en matière de santé doit être la qualité. Un assureur qu'il soit public ou privé a pour devoir de ne financer que ce qui satisfait à ce critère. De plus la recherche de la qualité est une nécessité éthique.

Le Quotidien :
Il n'empêche que Martine Aubry semble par principe opposée à toute expérimentation en matière de financement de l'assurance maladie…

Charles Millon :
Hélas Madame Aubry est bloquée sur une position de principe qu'elle juge politiquement correcte. Si elle sortait des à priori pour regarder les faits, elle constaterait comme nous l'avons vu que l'assurance privée existe mais qu'elle joue mal son rôle d'acteur du système de santé.

Son obstination peut nous conduire à un système s'apparentant au système britannique, une enveloppe financière annuelle respectée au cordeau (un rêve de ministre des Finances), mais aucune référence aux besoins de la santé publique. Résultats, les riches britanniques fréquentent les luxueux cabinets privés de Harley Street, la middle class emprunte le tunnel et vient se faire soigner en France, tandis que les plus pauvres sont inscrits sur une liste d'attente pendant des mois pour le moindre soin par ailleurs indispensable.

Ce n'est pas un fantasme, mais la réalité de tous les jours. Je ne peux pas me résoudre à cette dérive inexorable de notre système vers le rationnement des soins.

Ceci dit, je serai également très critique sur la « méthode Aubry », pseudo consultation associée à coercition, je pense que les radiologues qui ont expérimenté en premier cette méthode peuvent en parler.

Personnellement je n'ai pas la prétention d'imposer mes vues aux Français, je souhaite simplement les persuader de la nécessaire remise à plat de notre système de santé et que nous puissions sur cette base engager un grand débat de société, celui qui permettra de construire le système de santé du 21e siècle.

Nous avons déjà commencé une réflexion au sein de La Droite et je souhaite que de nombreux acteurs de la santé (professionnels, mais aussi représentants des patients, associations…etc.) puissent nous rejoindre pour alimenter le débat.

Ensuite nous proposerons un projet aux Français.

Le Quotidien :
Dans votre critique du plan Aubry, vous vous êtes montrés particulièrement virulent contre les sanctions collectives destinées à faire respecter l'enveloppe ?

Charles Millon :
En effet, le libéral que je suis ne peut pas admettre le concept de sanctions collectives. Mais ma réflexion allait plus loin, les sanctions financières qu'elles soient collectives ou individuelles me choquent quand leur déclenchement est le non-respect d'une enveloppe qui n'a aucune légitimité en termes de santé publique.

Que l'on sanctionne un médecin parce qu'il fait une faute médicale, ou parce que pour des raisons qui lui sont propres il refuse de prendre en compte des conseils de bonne pratique médicale qui ont fait par ailleurs l'objet d'un consensus, mais pas parce qu'il a dépensé de l'argent pour bien soigner.

J'ai dit dans le communiqué de La Droite, que je considérais les pratiques de Madame Aubry comme « méprisantes pour les professionnels, infantilisantes et déresponsabilisantes, et de plus inefficaces ».

Je ne retire rien, les médecins auront l'impression de payer pour leur voisin, quel que soit leur comportement, ils seront peut-être même incités à provisionner ce qu'ils devront reverser en fin d'année, d'autant plus que l'objectif est irréaliste… encore un exemple de la politique des bonnes intentions des socialistes, relayée par la pratique du « coup médiatique ».

Quant à l'industrie pharmaceutique, déjà enfermée précédemment dans la responsabilité collective par l'intermédiaire des « contributions exceptionnelles », mais qui voit sa situation empirer par une enveloppe à progression proche de zéro, comment les gouvernements successifs peuvent-ils lui reprocher d'être moins innovante que par le passé.

Soyons responsables, il faut faciliter l'émergence de nouveaux modes de financement pour la Recherche, et là aussi il faudra aller les chercher dans le privé, encourageons les fondations par exemple pour apporter un peu d'oxygène à notre Recherche.

Je souhaiterais que dans ce domaine comme dans bien d'autres, l'on sorte du cercle de la pensée unique, moins de dogmatisme, plus de bon sens…nos concitoyens qui eux ont du bon sens se reconnaîtrons à nouveau dans leurs hommes politiques.

Le Quotidien :
Dans votre réflexion, et dans la réflexion de votre mouvement, La Droite, vous semblez accorder une grande importance aux questions de santé. Pour quelles raisons ?

Charles Millon :
Ma préoccupation pour ce sujet ne date pas de la création du mouvement La Droite, déjà pendant la campagne des régionales nous avions entamé une réflexion. Vous vous étiez d'ailleurs fait l'écho dans les colonnes du Quotidien du Médecin d'une rencontre que nous avions organisée avec les professionnels de santé à Lyon le 25 février, à cette occasion je m'étais engagé à poursuivre la réflexion, elle ne s'est jamais interrompue, La Droite lui donne simplement une nouvelle dimension.

Le Quotidien :
Comment en tant qu'homme politique ne pas considérer comme prioritaire un sujet qui est la première préoccupation des Français ?

Charles Millon :
Jusqu'à présent, les hommes politiques ont été trop arrogants, je tiens à encourager par mon action et celle des femmes et des hommes qui se reconnaissent dans nos valeurs, un nouveau comportement politique, courageux et modeste, par modeste je veux dire à l'écoute.

Aujourd'hui je m'adresse aux médecins, qui ont fortement déçus.

Je leur demande simplement de me répondre, sans complaisance. J'entends assumer l'héritage et préparer l'avenir avec eux.