Texte intégral
Q - On n'avait pas vu le Premier ministre depuis cinq mois à la télévision : votre sentiment, après l'avoir vu hier soir ?
« Il continue, quand même, à être sur un petit nuage, le Premier ministre. J'ai trouvé vraiment son discours un peu long et sirupeux, à vrai dire. »
Q - C'est-à-dire ?
« J'ai trouvé qu'il avait survolé une situation sans donner des mesures concrètes. D'ailleurs, on voit bien, ce matin, que toute la région parisienne est en grève et que, par conséquent, cela n'est pas passé, sur le premier sujet. Sur le Pacs, on y reviendra. J'ai été très frappé, en revanche, sur les aspects économiques de son discours, d'une singulière régression dans le discours : cette fois, le Premier ministre s'est avoué ouvertement de gauche, en recourant d'ailleurs à une philosophie économique qui est plutôt celle des années 1950 que celle des années 2000. Je note, d'ailleurs, que son secrétaire du Parti socialiste, lui, apparaît moderniste quand on entend le discours du Premier ministre. Il y a une phrase qui m'a particulièrement choqué, c'est celle qui a consisté à dire : le budget n'est pas, finalement, en harmonisation, n'est pas soumis aux aléas de la conjoncture économique. Alors cela m'a fait rêver, parce que même au XIXe siècle, on ne disait plus cela. Et cela m'a fait d'autant plus rêver que je suis persuadé que la croissance ne va pas être à la hauteur des espérances et qu'il faudrait peut-être que M. Jospin réalise que son budget est calculé sur des perspectives qui ne se réaliseront pas, et que la dépense, qui était de 1 %, sera certainement très supérieure, en réalité, sur la masse budgétaire à venir. Car les rentrées ne seront pas à la hauteur. »
Q - Est-ce que le fait que la gauche et le Gouvernement aient pris en compte les besoins de sécurité des Français vous a satisfait ?
« Oui, on peut le dire. C'est toujours facile à dire. Mais il n'y a pas de solutions concrètes, là non plus. Je crois que la question de sécurité n'est pas un problème de mesures - je note quand même que le ministre de l'Intérieur a perdu des crédits, l'année dernière, lors de la loi de Finances, on l'a oublié, mais enfin il a perdu des crédits ! Aller nous dire qu'on a toujours pensé à la sécurité fait sourire. Non, c'est une question de société, le problème de la sécurité. Au fond, les transporteurs ont des problèmes graves de violence ; mais il n'y a pas que les transporteurs qui ont des problèmes de violence. C'est l'ensemble de toute une partie de notre population qui est soumise désormais à la violence quotidienne. Ce n'est pas en réglant ponctuellement le problème d'une catégorie socioprofessionnelle qu'on réglera ce vaste problème de notre fin de siècle qu'est la violence.
Q - Le Premier ministre pas candidat à la Présidence de la République, cela vous a convaincu ?
« Non, pas du tout. Je crois que cela n'a convaincu personne à vrai dire, même pas lui. Non, le Premier ministre pense de toute évidence à ne prendre aucun risque. Il ne fait pas de réformes fondamentales. Il surfe, comme on dit, sur la réalité économique. Là, les vagues vont être un peu plus fortes : on va voir s'il tiendra. »
Q - Il ne fait pas de réforme, mais il fait le Pacs, qui commence aujourd'hui à l'Assemblée nationale ?
« Il aurait pu s'en abstenir. Là, il va nous faire perdre beaucoup de temps sur une majorité socialiste qui n'entend pas nos arguments. Je crains d'ailleurs un débat un peu difficile. »
Q - Est-ce que ce n'est pas pour reprendre l'argument, qui paraît de bonne foi et assez établi : est-ce que ce n'est pas quand même aider des gens qui vivent de toute façon comme ils vivent, et leur permettre de vivre simplement mieux que ce qu'ils vivent.
« Si c'était cela, ce serait une esquisse de réponse mauvaise à un vrai problème social. Il y a un vrai problème social, c'est clair. Quel est-il ? Il est l'insécurité, le caractère volatil des relations entre les individus, l'isolement dans les grandes villes ou même dans les campagnes. Cela est un vrai problème. Je crois qu'il fallait faire une réflexion sur le mariage, le divorce pourquoi pas. C'était des sujets qui permettaient peut-être de régler la situation pour le XXIe siècle. Mais est-ce qu'il fallait inventer le Pacs, qui est en réalité une structure juridique tout à fait polymorphe, puisqu'elle correspond à trois situations qui n'ont rien à voir ? On aurait pu faire un texte de loi pour correspondre aux engagements de M. Jospin à l'égard de la communauté homosexuelle, sur les problèmes réels de la communauté homosexuelle. Moi, je ne les mésestime pas, ces problèmes, ils sont vrais. Il y a eu le sida et il y a des tas de problèmes qui se posent. On aurait pu discuter d'avantages fiscaux. Cela aurait été plus simple. Non, on nous invente une espèce de phénomène juridique tout à fait mal rédigé, qui va provoquer un contentieux considérable, et qui ne répond pas, je crois, au souhait de stabilité, dont parlait d'ailleurs le Premier ministre hier. Vous comprenez, parce qu'on ne peut pas faire un discours en disant : je suis contre la violence, je veux régler et stabiliser dans la sociét逦 »
Q - Mais qu'est-ce qui vous gêne dans le Pacs ?
« Ce qui me gêne, c'est qu'il est très mal rédigé, et qu'il a des conséquences juridiques épouvantables. Ensuite, il est dangereux, car l'évolution du Pacs, qu'on le veuille ou non - je le montrerai tout à l'heure à la tribune, et d'autres orateurs le feront - conduit, en ce qui concerne l'homosexualité, à la question de l'adoption - et juridiquement le problème est réel et politiquement aussi - voyez ce qu'il se passe en Suède en ce moment - et il conduit, qu'on le veuille ou non, à la demande du mariage homosexuel. Il est tout à fait dans cette ligne, dans cette question qui se pose. Et moi, je ne suis pas d'accord pour que l'on pose ce débat grave de société comme cela, au détour du chemin, sur un texte dont, visiblement, nous n'avons pas mesuré les conséquences juridiques pour l'avenir. »
Q - A l'Assemblée nationale, ce n'est pas le détour d'un chemin ?
« Mais si, c'est le détour d'un chemin : c'est une proposition de loi, le Gouvernement s'engage, très tard - on ne sait pas trop. Moi, j'ai soulevé devant la Commission des lois des tas de problèmes, sur lesquels on ne m'a pas répondu : l'indivision, quelle est la nullité, quelles sont les conséquences de la nullité absolue. On peut renoncer au Pacs sur simple coup de téléphone. Vous croyez que vraiment dans une société qui se cherche - parce qu'elle est désécurisée - eh bien, on va supprimer le lien social en donnant un coup de téléphone. Pourquoi pas Internet ? On pourrait faire cela par radio ? »
Q - Cela ne vous gêne pas que le président de votre mouvement dise s'abstenir sur ce texte ?
« Non, cela ne me gêne pas, parce que l'analyse que fait A. Madelin est proche de la mienne. Je crois qu'il considère que le problème est réel. Il en tire des conclusions différentes et il dit : le problème est réel. Je ne veux pas, en votant contre, paraître fuir ce problème, qui est réel pour la société. Moi, j'en déduis qu'il faut voter contre. »
Q - Est-ce que vous acceptez de faire une liste commune avec le RPR et l'UDF pour les élections européennes et est-ce que M. Séguin est une tête de liste acceptable ?
« Moi, je l'ai dit à plusieurs reprises : le discours de M. Séguin paraît aller tout à fait dans la voie de la repentance européenne et donc je ne vois pas - à partir du moment où nous sommes d'accord sur le programme qui va être élaboré - pourquoi on aurait d'exclusive à l'égard de tel ou tel, y compris à l'égard du président du RPR ? Donc cela ne me gêne pas du tout. Il faut qu'on en discute, bien entendu, entre nous au sein de l'Alliance. »