Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Vous venez d’avoir de riches débats au cours desquels vous avez mis en commun les réflexions les plus avancées en matière de gestion publique. Vos travaux seront précieux pour alimenter la réflexion des gestionnaires, fonctionnaires, élus, des services publics et du gouvernement. Je ne veux pas, au moment de les clôturer, revenir sur ces thèmes que je ne pourrais pas développer avec autant de précision et d’expertise que vous venez de le faire. Je préfère vous faire part, brièvement, de quelques principes généraux auxquels je suis particulièrement attaché et qui guident ma politique en matière de réforme de l’État.
Et en premier lieu je voudrais souligner mon attachement à notre conception républicaine du service public parce qu’elle mérite, je le crois fermement, d’être maintenue.
Elle le mérite, parce qu’elle est le résultat d’une histoire riche et diverse, marquée des adaptations de ces services aux mouvements d’une société, et même d’un monde, qu’ils n’ont pas cessé d’accompagner. Ils constituent aujourd’hui l’aspect le plus visible du pacte républicain. Ils sont un facteur de cohésion sociale et territoriale de notre pays.
À travers cette histoire, le service public a conservé ses caractéristiques essentielles, celles qui sont sa raison d’être : l’égalité d’accès à l’exercice des droits fondamentaux (droit à la sécurité, à l’éducation, à la culture, aux soins de santé, etc…), l’intégration de chacun au sein de la société où nous vivons ensemble. Mais je ne saurais parler du service public sans citer un autre de ses principes cardinaux, la continuité :
Continuité dans l’espace, sur le territoire, débat majeur dans notre pays en ce moment. La semaine prochaine le CIADT se réunira et le Gouvernement décrira le processus mis en place comme l’a annoncé le Premier ministre lors du 81ème congrès de l’AMF il y a 3 semaines. Les préfets seront chargés de coordonner les évolutions de l’implantation des services publics et un dispositif de pilotage central assurera la cohérence des plans des différents ministères.
Continuité dans le temps ; le débat sur le service minimum a été récemment relancé. Je ne suis pas certain qu’il l’ait été de la bonne façon. Mais la question est réelle et j’y suis sensible. Y-a-t-il nécessité de légiférer ? Je ne le pense pas et en tant que ministre de la fonction publique, je peux vous dire qu’il existe déjà de nombreux textes qui réglementent le droit de grève dans les services publics. Cela n’empêche pas, bien au contraire, le développement de dispositifs de prévention et de régulation des conflits sociaux dans les services publics, comme ceux qui ont été signés à EDF, à la RATP ou à Air France. L’expérience depuis 1996 à la RATP en a démontré le bien fondé. Leur efficacité repose sur les principes simples, qui ne sauraient s’accommoder des déclarations péremptoires de certains leaders de l’opposition. D’abord il s’agit d’accords négociés avec les partenaires sociaux et non de règles imposées. Ensuite, ils sont passés au niveau le plus pertinent, celui de l’entreprise. Enfin, ils sont respectueux du droit de grève constitutionnellement garanti. Dans ces conditions il est possible de signer des accords privilégiant les formes d’appel à la grève qui permettent de concilier la volonté des agents de manifester leur désaccord avec le souci de respecter les usagers et les valeurs fondamentales du service public. Voilà trois principes essentiels. J’espère qu’ils inspireront d’autres accords du même type. Pour ma part, je veux encourager chacun à aller dans ce sens.
La vigueur des services publics à travers les évolutions qui ont marqué leur histoire démontre à quel point il serait inexact d’en avoir une vision rigide. Leurs méthodes de gestion sont très souples, très variées. Leurs gestionnaires sont de différentes natures : État, collectivités territoriales, organismes publics ou privés. Leur existence n’est en aucun cas incompatible avec une gestion efficace, économiquement viable, voire rentable, s’agissant des services publics industriels et commerciaux, même si ce n’est pas son objectif premier.
Le débat pseudo-classique sur le repli de l’État sur ses fonctions régaliennes a perdu son sens, pour deux raisons majeures. D’une part, et démocratiquement, notre pays a choisi de laisser certaines de ses prérogatives de puissance publique être exercées dans le cadre de la construction européenne : ainsi le monopole étatique de « battre monnaie » va cesser, dès à présent, avec l’introduction de l’euro. D’autre part, si à l’aube du XXème siècle notre État n’a pas vu son champ d’intervention se réduire, ce n’est pas, comme le disent les mêmes critiques récurrentes, une preuve que ce champ excède les besoins de la société, c’est bien au contraire une réponse à la demande du corps social : régulièrement, il est fait appel à l’État pour qu’il apporte sa garantie dans les domaines dans lesquels, jusque-là, il n’intervenait pas. Ainsi, la société demande-t-elle désormais à l’État d’intervenir pour la sauvegarde de l’environnement ou la protection du consommateur, ce qu’il ne faisait pas au début du siècle. Quant aux demandes traditionnelles, elles ne perdent pas de leur importance : le citoyen veut non pas moins, mais plus de sécurité, non pas moins, mais plus de soins de santé, non pas moins, mais plus d’enseignants, comme on l’a vu récemment.
Cela signifie-t-il que l’État doit augmenter toujours plus son budget pour assurer le service public, donc exiger de chacun d’entre nous de contribuer toujours plus à ses dépenses ? Cela n’est pas inéluctable. Le service public, pour remplir sa vocation, doit devenir toujours plus efficace et plus efficient, prévoir l’évolution de la demande pour s’y adapter, moderniser son organisation grâce aux méthodes les plus récentes de bonne gestion, utiliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour se rapprocher de l’usager et perfectionner ses propres réseaux. Tout cela, le ministre de la réforme de l’État que je suis s’y emploie. Tous mes collègues, mais aussi les collectivités locales, mais les grands services publics du réseau, y participent, pour un service public de qualité, adapté, qui sache évaluer son action et rendre des comptes aux citoyens pour qui ils ont été créés.
Nous vivons au sein d’une économie de marché. Le service public n’y est pas toujours à l’abri de la concurrence, pas plus qu’il n’est à l’abri des critiques. Il faut savoir entendre ces critiques, elles peuvent être précieuses et nous pousser à trouver les meilleures solutions. Mais il est impossible d’adopter, dans la réflexion sur les services publics, les mêmes règles qui dominent dans les entreprises : comme l’a dit récemment le Premier ministre, nous disons oui à une économie de marché, mais non à une société de marché.
Les services publics, et cela, même lorsqu’ils dispensent un produit commercial, n’ont pas pour objectif d’augmenter indéfiniment leurs profits, ne peuvent pas modifier sensiblement la consistance de leur « clientèle », ne sont pas libres de cesser la distribution d’un « produit » non rentable. En servant le public, les citoyens, au sens républicain du terme, ils garantissent l’intérêt général. Telle est notre conception, en France, du service public. Si elle a persisté à travers toutes ses métamorphoses, c’est qu’elle convient bien à notre société. Divers exemples très récents d’effritement de la société et de l’économie dans certains pays, faute d’État, démontrent que nous n’avons pas tort de tenir à ces conceptions.
En deux mots, et vous l’avez déjà compris, je crois à un service public solide mais pas à un service public immobile. La réforme de l’État est une préoccupation permanente de ce gouvernement, comme elle l’a été avec le « renouveau du service public » initié par Michel Rocard, comme elle doit l’être pour tout gouvernement : elle ne doit jamais s’arrêter. C’est pourquoi je prends au sérieux les reproches qui sont faits à nos administrations, lorsqu’ils sont fondés. C’est pourquoi je prends au sérieux les reproches qui sont faits à nos administrations, lorsqu’ils sont fondés. C’est en y apportant les meilleures réponses que nous construiront le service public du prochain millénaire.
Le service public que nous construisons doit être adapté à ses missions. Le citoyen attends de l’administration qu’elle fasse entrer dans la pratique les grandes politiques décidées par le gouvernement qu’il s’est donné : priorité à l’emploi, développement équilibré du territoire, égalité des chances par l’accès de tous à l’éducation et à la formation, soutien aux plus démunis, perfectionnement du système de santé, etc. L’organisation des services publics, la formation et la mobilisation de ses agents ont pour boussole la volonté de toujours mieux remplir ces tâches et éviter à l’usager les contraintes inutiles. La modernisation de la gestion publique en est un moyen essentiel.
Vous avez abordé aujourd’hui la plupart des thèmes qui conditionnent une bonne gestion publique. Je me bornerai pour ma part à évoquer en deux mots ceux qui me paraissent centraux en la matière et qui constituent les éléments prioritaires de la politique de l’actuel gouvernement.
1 – La déconcentration :
La première étape de la réforme de l’État, le premier tournant essentiel, je le situe lors de la décentralisation, en 1981 ? Le transfert de compétence a conduit à une nouvelle distribution des rôles pour l’exercice de l’action publique, puisque l’État central a renoncé alors à imposer sa vision des choses. Il s’est trouvé face à des interlocuteurs nouveaux, élus locaux ; sa propre organisation doit en tirer les conséquences. Les élus doivent trouver au niveau local des représentants de l’État à même de travailler avec eux. Les services déconcentrés ont besoin de plus d’initiative et de responsabilité pour tenir ce rôle. Le travail que nous menons, qui tend d’une part à donner à ces services la part essentielle en matière de gestion et d’autre part, à les organiser de façon plus coordonnée sous la responsabilité des préfets, vise à les y aider. Ces travaux vous ont été présentés et je pense que vous en avez mesuré l’ambition et la nécessité.
Les services déconcentrés en sortiront mieux adaptés, mieux pilotés, plus cohérents. C’est actuellement mon souci essentiel.
2 – L’évaluation des politiques publiques :
Une gestion moderne de l’État doit permettre de mieux rendre compte aux citoyens de la façon dont il mène ses politiques. Les travaux menés depuis 1990 par le Conseil scientifique de l’évaluation ont permis de préciser les principes d’une évaluation des actions publiques favorisant un tel compte rendu.
Le gouvernement a décidé de renforcer la capacité des administrations à mener de telles évaluations et de relancer le dispositif, malheureusement tombé en désuétude de 1993 à 1997. Un décret a été pris à cet effet et publié au journal officiel le 20 novembre dernier.
Les autorités publiques qui vont voir leur action soumise à une telle évaluation, sont ainsi appelées à faire entrer dans leur culture la volonté de rendre compte de leur action, d’être à l’écoute des besoins et des attentes de la société, de dialoguer de manière ouverte avec les citoyens et les usagers et d’améliorer les processus de décision.
Les collectivités territoriales seront associées à ce processus. Les élus locaux le souhaitent, j’ai noté avec plaisir l’accord du Sénat pour inclure les collectivités locales dans les procédures d’évaluation.
3 – Les nouvelles technologies de l’information et de la communication :
Nos efforts de modernisation rencontrent aujourd’hui la diffusion des nouvelles technologies de communication et d’information. Nous sommes déterminés à ce que les services publics s’emparent des facilités qu’elles apportent.
L’administration fait déjà un effort important pour doter ses services de ces nouvelles technologies. Internet nous servira, dans tous les aspects de la gestion publique, à améliorer le fonctionnement, à moderniser notre organisation administrative, mais aussi à mettre en place de nouveaux services, plus modernes et plus pratique pour l’usager. Par exemple bientôt, chacun pourra trouver les formulaires administratifs sur Internet et dans l’avenir, les remplir et les renvoyer par la même voie. Il pourra aussi facilement dialoguer avec les services.
4 – La conduite du changement :
Tous les efforts de modernisation, d’adaptation, d’efficacité, dont je viens de vous brosser un rapide tableau, ne seront couronnés de succès que si les agents appelés à les mettre en œuvre sont mobilisés et bien préparés à cet effet. En première approche ils peuvent être un peu déstabilisés. Le changement mis en œuvre redistribue les pouvoirs et met à jour des mécanismes cachés, il faut en tenir compte.
Si l'on veut que les impulsions données par les ministres portent leurs fruits, il faut donner une vision de long terme de l’intérêt général et de leurs missions aux services, aux agents et aux organisations syndicales, les impliquer et solliciter le sens des responsabilités, individuel et collectif, à tous les niveaux. C’est l’un des thèmes centraux que vous avez abordés aujourd’hui.
Les programmes pluriannuels de modernisation, dont chaque ministère est en train de se doter, permettront de donner aux agents, comme au public, une vision plus claire de l’évolution des missions des administrations et de la façon dont elles s’y adaptent. Ils serviront de base à la contractualisation des moyens et des effectifs des ministères. Le gouvernement pourra les arrêter en janvier/février prochain. C’est une des modalités que nous avons adoptées toutes les administrations sur des perspectives à moyen terme.
5 – La gestion des ressources humaines :
Non seulement les agents doivent être informés, formés, mobilisés, comme je viens de vous l’exposer, si l’on veut réussir la réforme de l’État, mais ils doivent aussi gérés de façon moderne et adaptée. Et cela aussi, je m’y attache. Il nous faut une gestion des ressources humaines qui donne aux fonctionnaires, au fil de leur carrière, toute l’expérience, toute la formation continue dont ils ont besoins, qui favorise leur mobilité, tant dans l’intérêt du service que dans le leur propre.
Je sais qu’on entend couramment dire que l’obstacle principal à une bonne gestion du personnel de la fonction publique est constitué par son statut. Pour ma part, je m’inscris en faux contre cette vision. Le statut des fonctionnaires ne constitue ni un carcan ni une prison. Il est adapté à leurs missions spécifiques et ne bloque pas l’initiative des gestionnaires.
Les réformes nécessaires pour réduire cet obstacle froissent non seulement des habitudes acquises, mais aussi des réactions corporatistes que je souhaite combattre. J’ai entrepris de réduire le nombre des statuts particuliers. Même si la tâche n’est pas simple, je m’y attache et m’y attacherai, avec la certitude que la mise en place d’une gestion des ressources humaines modernisée, profitable pour tous, administrations, agents et usagers, passe par cet effort.
Telles sont les grandes orientations que le gouvernement a adoptées pour que la réforme de l’État se traduise par une amélioration de la gestion publique, une gestion qui prenne en compte la logistique propre des services publics, qui renforce le souci de l’intérêt collectif, qui aille au devant des besoins des usagers, qui mettre face à face des citoyens mieux informés et des agents publics bien préparés à leur mission, qui dote l’ensemble des services publics d’une organisation adaptée aux évolutions de l’époque et aux besoins de notre pays.
Merci à tous de la part que vous avez prise à nos efforts par vos réflexions aujourd’hui.