Interview de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, dans "Libération" le 6 novembre 1998, sur la loi sur les 35 heures et son impact sur les mutations en cours au sein de la confédération ("passer d'un syndicalisme de contestation à un syndicalisme de proposition").

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Libération
– La CGT du textile vient de signer un accord 35 heures. Y en aura-t-il d’autres ?

Louis Viannet
– Cela dépendra des propositions patronales ! Pour ce qui est de la CGT, la décision de signer ou de ne pas signer des accords de branches est pleinement du ressort des fédérations. La confédération ne fera pas pression, ni dans un sens ni dans l’autre. En revanche, nous serons aux côtés des fédérations pour consulter les salariés, pousser le débat.

Libération
Est-ce à dire que la CGT ne pratiquait pas la consultation ?

Louis Viannet
– Dans les rares cas où nous avons été amenés à signer un accord important, nous nous sommes toujours appuyés sur la consultation des salariés. À l’inverse, la décision de ne pas signer était souvent prise au niveau des instances syndicales, sans consultation. Pour qu’un accord soit durable, il est essentiel qu’il s’appuie sur une expression des salariés dûment constatée. Lorsque nous demandons de mettre un terme à la pratique d’accords minoritaires, c’est toujours avec ce souci.

Libération
Un virage plutôt raide ?

Louis Viannet
– Le virage dont vous parlez n’est pas arrivé subitement. La loi sur les 35 heures a accéléré notre réflexion. En enclenchant un vaste processus de négociation, elle nous incite à mettre en œuvre une démarche syndicale qui vise à des avancées positives pour les salariés. C’est ce qui a conduit à accélérer la réflexion pour un syndicalisme dont les salariés ont le sentiment d’être vraiment partie prenante. Le mandatement (qui permet de désigner un représentant dans les entreprises sans syndicats, ndlr) en est un exemple. Nous avons délibérément décidé d’en faire, pour la CGT, un véritable tremplin pour pénétrer dans des centaines d’entreprises où le syndicalisme est absent.

Libération
Vous défendez aujourd’hui le « syndicalisme de propositions ». Qu’est-ce que c’est ?

Louis Viannet
– Nous retrouvons le rôle que doit occuper un syndicat : créer les conditions pour obtenir des avancées concrètes, favorables aux salariés. Nous devons faire disparaître les pratiques qui fonctionnaient à partir d’une grille d’appréciation strictement interne à l’organisation. Avant, on considérait que tout ce qui n’entrait pas dans cette grille n’était pas « signable ». Aujourd’hui, nous considérons qu’une signature ne met pas un terme à l’action. C’est un moment du débat, de la mobilisation, dont les négociations font partie. C’est le sens de la formule « passer d’un syndicalisme de contestation à un syndicalisme de proposition ». Des propositions qui seront d’autant plus fortes qu’elles auront été soumises au débat avec les salariés.

Libération
Le MEDEF appelle à un « dialogue social rénové ». Vous entendrez-vous mieux avec lui qu’avec le CNPF ?

Louis Viannet
– Si les dirigeants du MEDEF veulent favoriser le dialogue dans les entreprises, nous serons les premiers à nous en féliciter. Moi, je souhaite que nos relations aient un autre contenu. Je ne crois pas qu’un simple changement de nom soit suffisant pour y parvenir. La négociation sur l’Arpe (préretraite contre embauche, ndlr) sera un test. Les patrons pourront apporter la preuve qu’ils sont prêts à faire des efforts. Si nous parvenons à un bon accord, ce sera tant mieux pour les milliers de salariés qui sont entrés très tôt dans la vie active et trouveront un repos bien mérité. Tant mieux aussi pour les jeunes qui les remplaceront. Mais je n’oppose pas l’Arpe à la réduction du temps de travail. Ce sont deux mesures complémentaires. Et elles sont chacune insuffisantes pour résoudre le problème de l’emploi.

Libération
Le MEDEF affiche sa volonté de négocier au plus près des entreprises…

Louis Viannet
– Ce serait une évolution dans ce pays où on ne connaît les négociations d’entreprise que lors des conflits, parce qu’il faut trouver une issue.

Libération
Il appelle aussi à plus de contrats entre partenaires sociaux, afin de moins faire appel à l’État.

Louis Viannet
– Ce n’est pas sérieux. La mise en place de l’Arpe n’est pas possible sans que l’État mette au pot. Les patrons le savent. Même chose pour les 35 heures. Sans l’État, il n’y aurait pas eu de discussions du tout. Que l’on précise un peu les marges de la politique contractuelle, je veux bien. Mais même dans le cas d’institution paritaire, comme l’Unedic, dès qu’un problème se pose, on se retourne vers l’État.

Libération
Les 35 heures vous ont-elles rapprochés de la CFDT ?

Louis Viannet
– Effectivement, nous constatons quelques rapprochements. C’est le cas à la conférence de Matignon du 10 octobre ou dans des branches comme la métallurgie ou le textile. Nous avons d’ailleurs décidé ensemble de confronter nos réflexions, à l’occasion de nos deux congrès confédéraux. Nous voulons être cohérents. On ne peut pas prôner un syndicalisme plus rassemblé sans créer les conditions du dialogue.

Libération
Le rapprochement se fait avec la CFDT, mais pas avec FO ?

Louis Viannet
– Nous sommes pour dialoguer avec tous, sans exclusive. Si les contacts sont plus difficiles avec FO, ce n’est pas de notre fait. Nous avons fait plusieurs propositions de rencontre de travail, notamment sur les 35 heures. Elles n’ont pas eu de suite. C’est aussi simple que ça.

Libération
Le « syndicalisme rassemblé » est-il en mesure de pallier la faiblesse du syndicalisme français ?

Louis Viannet
– Depuis des années, je ferraille sur ce sujet. On n’en est plus à polémiquer pour 10 000 syndiqués de plus ou de moins. C’est à une toute autre échelle que se posent les défis au syndicalisme. J’ai noté que Nicole Notat dit en gros la même chose. Si les positions des syndicats se rapprochent, si des initiatives communes favorisent un courant de syndicalisation, je serai le premier à m’en féliciter.

Libération
En quoi les jeunes cégétistes sont-ils différents ?

Louis Viannet
– Les jeunes ne connaissent que la précarité, les CDD. Pour eux l’objectif essentiel, c’est de pouvoir accéder à l’emploi. Ils reflètent l’état d’esprit de leur génération. À la différence de leurs aînés, qui ont connu les bienfaits des avancées sociales et qui accordent plus d’importance aux statuts, aux conventions collectives.

Libération
Accepterez-vous de négocier les fonds de pension comme vous le faites sur les 35 heures ?

Louis Viannet
– Les fonds de pension à l’anglo-saxonne, nous y sommes résolument opposés. Ce serait une épée de Damoclès sur le système de protection sociale et les retraites. Le Gouvernement nous dit qu’il veut engager une réflexion sur des « fonds d’épargne à la française ». Eh bien, nous attendons que viennent les propositions qui nous permettront de porter une appréciation.

Libération
Vous partez. Êtes-vous satisfait du travail accompli ?

Louis Viannet
– Ce n’est pas à moi de le dire. Mais je pars avec le sentiment que la CGT n’est pas, loin s’en faut, en plus mauvaise santé que lorsque je suis devenu secrétaire général. Nous avions à passer des caps difficiles. Cela s’est fait sans déchirure. C’est important. Cela dit, à chaque génération sa peine.