Texte intégral
Intervention du Président Leenhardt
Président de la Commission Sociale
Une dynamique a été lancée, elle doit se poursuivre
La crise la plus profonde que nous ayons connue depuis 1968 semble aujourd'hui en voie d'apaisement, mais les problèmes restent entiers.
Aussi, bien que l'année 1995 ait été particulièrement chargée pour la Commission Sociale, je me limiterai aux trois grands dossiers pour lesquels notre action peut et doit contribuer à la solution des défis que nous devons relever :
1. La réforme de la Sécurité Sociale.
2. L'adaptation des régimes de retraites complémentaires.
3. La poursuite de nos négociations avec les syndicats.
La politique du CNPF vis-à-vis de la sécurité sociale
Au mois de juin, partant de l'hypothèse qu'une réforme de l'assurance maladie était possible dans un délai rapide, le Conseil Exécutif a décidé, sur proposition du Président Gandois, de reprendre des responsabilités réelles au Conseil d'administration de la CNAM et de les assumer politiquement avec la nomination de Georges Jollès en tant que Vice-président de la CNAM.
Nous considérions que notre présence à ce poste devait faciliter les évolutions indispensables et un délai de trois ans avait été fixé pour changer profondément la donne ou se retirer.
Georges Jollès a été en mesure d'intervenir dans le débat qui s'est ouvert en septembre.
Il a mis en exergue, de façon très claire, les débordements qui résultent d'une surabondance de l'offre de soins, au niveau de la médecine libérale et, bien plus encore, de l'hospitalisation publique.
Il a également montré que l'augmentation continue de la dépense n'était pas synonyme d'amélioration de la qualité des soins, au contraire.
Par ailleurs, à la suite des travaux de la Commission de la Protection Sociale présidée par Guillaume Sarkozy, un rapport a été publié mettant l'accent sur la nécessité :
1. De clarifier les responsabilités entre les Pouvoirs publics et la CNAM et d'y rétablir un véritable paritarisme.
2. De contenir l'évolution des dépenses collectives qui sont passées, en quatre ans, de 50 à 55 % du PIB, et approchent aujourd'hui les 2/3 de la production marchande.
3. De prévoir un financement moins défavorable à l'emploi, notamment en menant à son terme la budgétisation des allocations familiales.
Enfin, le Président Gandois, au cours notamment de son audition à la Commission de l'Assemblée Nationale, a précisé les conditions dans lesquelles le CNPF pouvait être un acteur important de la réforme de la Sécurité Sociale en ce qui concerne les branches vieillesse, accidents du travail et maladie.
Dans ce dernier domaine, l'étendue des dysfonctionnements et des gaspillages montre qu'il est possible de réduire la dépense de plusieurs dizaines de milliards de francs tout en améliorant la qualité et sans imposer le moindre rationnement des soins.
Les réformes indispensables ont été trop longtemps différées et nous adhérons aux orientations générales du plan présenté par le Premier ministre.
Ceci étant, c'est dans l'application des mesures envisagées que nous pourrons apprécier l'efficacité des mesures prévues.
Nous allons être très attentifs à la définition des rapports entre la puissance publique et la caisse, à la composition et au rôle des conseils d'administration comme de l'instance de surveillance.
Nous voulons nous assurer que les modalités pratiques de la réforme nous permettront d'exercer pleinement nos responsabilités afin de pouvoir contenir les dépenses à un niveau acceptable.
L'adaptation des régimes de retraites complémentaires
Ces régimes sont entièrement de notre responsabilité puisqu'ils sont gérés paritairement.
En février 1993 pour I'ARRCO et en février 1994 pour l'AGIRC, nous avons fait les premiers efforts de maitrise de la dépense. Il faut, aujourd'hui, prendre les mesures permettant d'adapter durablement ces régimes aux évolutions démographiques.
Il y a une quinzaine d'années, une personne de 65 ans percevait en moyenne une retraite pendant 10 ans. Dans 20 ans, une personne de 65 ans touchera sa retraite pendant 20 ans.
Par ailleurs, au terme des processus engagés en 1993 et 1994, l'ensemble des cotisations retraites sera de l'ordre de 25 % des salaires. Il est clair qu'on ne peut pas aller au-delà au titre de la répartition.
Notre négociateur, Francis Bazile, a déjà présidé deux réunions paritaires consacrées à l'examen des comptes et des réformes structurelles.
Ces régimes ont été longtemps excédentaires mais, depuis quelques années, les cotisations ne couvrent plus les retraites versées et les simulations Faites à 10 et 25 ans sont préoccupantes, plus encore pour l'AGIRC que pour l'ARRCO.
Il nous appartiendra de proposer un plan d'équilibre pour les 10 années à venir, basé sur un freinage des pensions distribuées, une baisse du rendement des retraites par répartition et le développement d'une épargne retraite.
Notre objectif est d'obtenir un accord au 1er trimestre 1996, en espérant que les esprits se seront calmés après les événements que nous venons de connaitre, sans se dissimuler les difficultés de l'exercice en raison du phénomène quasi général de cécité que nous venons de constater pour les régimes spéciaux.
Il nous faudra beaucoup de lucidité, de pédagogie et de détermination.
La poursuite de nos négociations avec les syndicats
C'est, bien entendu, le point que je souhaite développer le plus, tant il est vrai que la mauvaise qualité du dialogue social est une des principales causes de la crise actuelle.
Nous avons entamé les négociations parce que nous étions convaincus – et nous le sommes encore plus aujourd'hui – que les indispensables réformes structurelles ne peuvent pas réussir si elles ne sont pas accompagnées d'un dialogue social de qualité.
De plus, instaurer et développer un dialogue avec les syndicats nous parait essentiel afin d'éviter que le gouvernement et, d'une façon générale, le monde politique ne décident à la place des partenaires sociaux et n'adoptent des solutions ne répondant pas aux besoins réels des entreprises.
Le 28 février 1995, nous avons signé avec les cinq organisations syndicales de salariés un texte qui constitue l'acte fondateur de cette nouvelle politique contractuelle.
Deux aspects de ce document sont à souligner :
1. Des décisions politiques de première importance comportant deux volets :
– la volonté affirmée des partenaires sociaux d'exercer pleinement leurs responsabilités dans les relations contractuelles et de conforter leur autonomie de négociation ;
– leur détermination à rechercher ensemble les conditions permettant de donner une impulsion nouvelle à l'emploi et à la lutte contre le chômage.
2. La définition d'une méthode permettant d'atteindre ces objectifs politiques, c'est-à-dire la mise en place d'un groupe de travail sur le développement de la politique contractuelle et le lancement d'une série de négociations sur l'emploi et le temps de travail.
Le dialogue social s'est alors poursuivi de façon intense avec des groupes de travail paritaires, des commissions paritaires de négociation, et des réunions au sommet.
Ceci nous a permis de passer en quelques mois des déclarations de principe à des résultats concrets :
– l'accord du 14 juin 1995 sur l'insertion professionnelle des jeunes (signé le 23 juin) ;
– le relevé de décisions du 5 juillet 1995 créant un fonds paritaire d'intervention dans le cadre de l'assurance-chômage ;
– l'accord du 6 juillet 1995 sur les conventions de coopération ;
– l'accord du 6 septembre 1995 relatif au développement de l'emploi en contrepartie de la cessation d'activité des salariés nés en 1936, 1937 et 1938 et totalisant 160 trimestres de cotisations au régime d'assurance vieillesse ;
– les deux accords du 31 octobre 1995, le premier sur l'emploi, le second relatif aux négociations collectives.
L'accord sur l'emploi
L'accord sur l'emploi pose trois grands principes sur lesquels est fondé le compromis signé entre le CNPF et quatre syndicats.
Il définit une méthode et fixe un calendrier.
Les principes
1. L'affirmation du lien étroit qui existe entre la compétitivité des entreprises, la croissance et l'emploi.
2. La reconnaissance du rôle essentiel que joue l'aménagement du temps de travail dans la compétitivité des entreprises et du fait que la diminution du temps de travail peut constituer un élément de lutte contre le chômage à condition qu'elle soit la contrepartie de l'annualisation.
3. Le constat selon lequel il n'existe pas de solution uniforme en matière d'aménagement du temps de travail mais des dispositifs qui doivent être définis de façon décentralisée dans les branches et les entreprises.
La méthode
À partir de ces trois principes, nous avons prévu pour les branches une obligation de négocier tous les trois ans sur l'ensemble des questions liées au temps de travail dont :
1. L'organisation du temps de travail sur l'année et la réduction de la durée du travail.
Les branches devront rechercher pour les entreprises des modalités d'organisation du travail sur l'année, accompagnées d'une diminution de la durée du travail.
2. Les heures supplémentaires.
Les branches négocieront les modalités du remplacement, en tout ou partie, du paiement des heures supplémentaires par un repos équivalent, en étant attentives aux contraintes particulières des petites entreprises et de l'artisanat.
3. Le temps partiel.
Les négociateurs s'efforceront de définir les mesures permettant de développer le temps partiel qui peut être un moyen de lutte contre le chômage.
4. le compte épargne-temps.
Les branches professionnelles étudieront les conditions dans lesquelles peuvent être institués des comptes épargne-temps permettant aux salariés qui le souhaitent de prendre des congés de longue durée tout au long de leur carrière, libérant ainsi du temps de travail et permettant des créations d'emplois.
Le calendrier
Les branches professionnelles devront avoir entamé les négociations avant le 31 janvier 1996.
Un bilan des négociations sera dressé à la fin du premier semestre.
Il pourra être décidé l'ouverture de nouvelles négociations interprofessionnelles afin de signer, avant le 31 octobre 1996, un accord applicable dans les entreprises qui ne seraient pas couvertes par un accord collectif.
Un observatoire paritaire de la négociation collective sera mis en place au niveau national.
L'accord relatif aux négociations collectives
Il a pour objectif de renforcer le dialogue social et la négociation collective à tous les niveaux en les inscrivant dans une dynamique d'ensemble.
Face à la nécessité absolue de simplifier, d'alléger, d'adapter le droit du travail, le CNPF a choisi de développer la politique contractuelle.
Dans cet esprit, l'accord du 31 octobre sur les négociations collectives comporte deux innovations majeures :
1. Permettre un développement harmonieux des négociations de branche et des négociations d'entreprise.
Ainsi, à côté de son rôle normatif habituel portant notamment sur les salaires minima et les classifications, l'accord de branche doit avoir la possibilité de fixer des dispositions supplétives, ne s'appliquant qu'en l'absence d'accord d'entreprise et laissant ainsi un large espace de liberté à la négociation d'entreprise.
La négociation de branche doit aussi insuffler une dynamique d'ensemble dans son secteur d'activité et ouvrir des espaces d'expérimentation sociale.
Des observatoires de la négociation d'entreprise doivent permettre d'examiner les résultats de la négociation d'entreprise et de créer une véritable interaction entre les deux niveaux de négociation.
Enfin, il est clair que le niveau interprofessionnel se doit de fixer les choix stratégiques, de définir les grands équilibres, d'arrêter les objectifs prioritaires et, en définitive, de conférer aux autres niveaux de négociation la cohérence nécessaire.
C'est bien l'objet des négociations qui se sont déroulées depuis le début de l'année.
2. Rendre possible la négociation avec les représentants du personnel dans les PME.
La recherche avec les organisations syndicales de mécanismes qui permettent aux entreprises dépourvues de délégués syndicaux d'accéder à la négociation pour mettre en œuvre les adaptations nécessaires a été particulièrement difficile à négocier.
Ne pas traiter sur ce point aurait été en complète contradiction avec la volonté exprimée par les partenaires sociaux de développer le dialogue social et la négociation.
Sur un sujet aussi délicat, il convenait d'être extrêmement prudent et de prévoir, dans un premier temps, un dispositif expérimental et passant par un accord de branche.
Dans ces conditions et pour une durée limitée à trois ans, l'accord interprofessionnel du 31 octobre permet aux branches de négocier deux types de dispositifs destinés aux PME dépourvues de délégués syndicaux :
Le premier, le plus novateur – et qui a été salué comme tel par la plupart des commentateurs – correspond à un besoin des entreprises exprimé de longue date. Il permet de négocier avec les représentants élus du personnel des dispositions qui seront ensuite validées par une commission paritaire de branche.
Dans ce cas, il appartiendra à l'accord paritaire de branche de préciser les thèmes ouverts à ce mode de négociation et les règles de fonctionnement de la commission paritaire.
Le second dispositif consiste à rendre possibles des accords collectifs conclus avec des salariés expressément mandatés à cet effet par les organisations syndicales représentatives.
Dans les deux cas, l'accord de branche devra également définir les seuils d'effectifs en-deçà desquels ces nouvelles règles pourront être appliquées.
Le 31 octobre, deux tabous sont tombés : l'annualisation du temps de travail et la possibilité de négocier avec les instances représentatives du personnel.
Comment avons-nous obtenu ce résultat ?
En prenant le temps de négocier.
C'est, en effet, le fruit de dix mois de discussions avec nos partenaires (à partir des premières rencontres bilatérales début janvier jusqu'à la réunion du 31 octobre).
En restant fermes sur nos positions et déterminés sur nos objectifs.
Mais aussi en admettant que la réduction du travail, elle non plus, n'est pas un tabou et en affirmant le principe de la reconnaissance réciproque des interlocuteurs patronaux et syndicaux dans leur identité et leurs responsabilités respectives.
Enfin, il faut souligner que ces deux accords du 31 octobre sont parfaitement complémentaires. Le second en ouvrant des voies nouvelles de négociation est un élément essentiel de la bonne application du premier portant sur l'emploi et l'aménagement du temps de travail.
Mais il faut souligner que, loin de constituer un aboutissement, ils doivent au contraire être le point de départ des négociations de branche.
Au moment de conclure, je tiens à rendre hommage au Président Gandois qui a initié cette relance de la politique contractuelle ainsi qu'au travail efficace fourni par les équipes de la Direction Générale des Affaires Sociales.
La crise que traverse le secteur public montre le bien-fondé de cette politique et la nécessité qu'il y avait, en ce qui nous concerne, d'animer le dialogue social avec nos partenaires.
Il serait inacceptable que ce dialogue fécond soit remis en cause à l'occasion des événements récents.
Une dynamique a été lancée. Elle doit se poursuivre afin que, d'ici six mois, une appréciation globale positive puisse être portée sur ce renouveau du dialogue social, au regard de ce que les branches auront conclu.
Intervention de Jean Gandois, Président du CNPF
Nous sommes par nature des conquérants
Un an presque jour pour jour après mon élection, je voudrai vous dire ma satisfaction d'avoir pu avec votre concours réussir à mettre les convictions affichées en cohérence avec les actions menées. Nous n'avons pas réussi sur tout, beaucoup reste à faire. Mais les directions prises sont, je crois, conformes aux missions que nous nous sommes données et que vous avez approuvées. Et conformes surtout à la première de ces missions, faire du patronat une force de propositions plutôt qu'une force d'opposition.
Je ne veux pas entamer de polémique, je ne sais pas s'il y a un patronat ou des patronats. Je ne sais pas s'il y a des petits et des grands patronats, mais je suis persuadé qu'il n'y a pas trente-six façons d'être chef d'entreprise. Je crois qu'il faut entendre et comprendre la société dans laquelle nous vivons. Anticiper ses réactions et ses mouvements, s'adapter pour progresser, convaincre et entrainer, pas seulement les salariés mais l'opinion, l'environnement immédiat. Enfin, il faut savoir décider et le chef d'entreprise sait bien que quand il décide il est seul.
J'ai défini là ce que je crois être le rôle du chef d'entreprise. Mais aussi ce que je crois être mon propre rôle aujourd'hui à la tête du mouvement patronal. On me dit que le CNPF n'est pas une entreprise, c'est vrai. Mais cela ne dispense pas le président du CNPF de savoir écouter et comprendre. Il doit savoir anticiper et s'adapter, il doit savoir convaincre et entrainer. Mais lui aussi, après avoir écouté, face aux divergences d'intérêt, il doit choisir et décider, et tenter d'exprimer l'intérêt collectif au-delà des intérêts particuliers.
Depuis un an qu'avons-nous fait ?
Il y a d'abord eu la constitution d'une nouvelle équipe basée sur la continuité et le renouveau. Il y avait un pari, celui du nombre. Cela vous a valu beaucoup de discours, mais à travers ceux-ci vous avez pu constater une unité. Cette équipe n'est pas une armée mexicaine.
En cours de route l'équipe a bougé. François Henrot, dont nous avons beaucoup apprécié, à la tête de la Commission des Finances, l'efficacité, a pris en charge de nouvelles fonctions dans le groupe Paribas et a souhaité voir sa tâche allégée. Jean-Louis Tourret a estimé qu'il ne pouvait conserver la présidence de l'Action Territoriale tout en gérant les finances de la ville de Marseille. Nous comprenons bien leur position et nous nous réjouissons de voir qu'ils restent membres du conseil exécutif.
Cerner nos priorités et améliorer la communication interne
Les programmes de travail ont été ambitieux. Beaucoup de groupes et de commissions se sont réunis, accueillant de nombreux chefs d'entreprise. Tout cela a demandé aux permanents du CNPF des acrobaties d'emploi du temps et je voudrais leur exprimer à tous mes remerciements et leur dire que je comprends la difficulté de leurs tâches et les arbitrages permanents qu'ils doivent prendre pour être au service de tous.
Certes le fonctionnement de l'institution n'est toujours pas merveilleusement optimal. Nous allons travailler pour mieux cerner nos priorités et pour améliorer la communication interne. Le tout dans un budget que je souhaite d'une grande rigueur.
La réforme interne sur laquelle nous travaillons a pour but d'améliorer le fonctionnement du quotidien. Il ne s'agit pas d'anticiper sur les conclusions de la vaste mission de Victor Scherrer.
Il y a neuf mois nous avons publié un opuscule qui s'intitulait "Ce qui va guider notre action". C'était juste avant l'élection présidentielle. Certains ont pu dire, "oui ce n'est pas mal mais enfin ce sont des grands principes vagues". Je voudrais vous montrer ce que, en quelques mois, nous avons bâti derrière ces grands principes vagues : nos échecs, nos résultats en demi-teinte, mais aussi nos succès.
Être ouvert à ce qui se passe autour de nous
Nous avions dit, nous voulons une action plus efficace, une France globalement plus performante pour éviter que les efforts de productivité des entreprises ne soient anéantis par un environnement insuffisamment maitrisé. Nous avons convenu que la meilleure manière de peser sur le fonctionnement de cet environnement était de participer, de proposer, et modestement d'essayer d'aider l'État et les collectivités locales à se contenir et à se moderniser. Sortons-nous de notre rôle ? Je ne le crois pas. La crise forte que nous vivons prouve à quel point nous devons être ouverts à ce qui se passe autour de nous. Nous sommes tributaires de nos problèmes sociaux, de nos problèmes culturels, nous ne pouvons plus faire mine de croire que nous pouvons y être indifférents. Faute de quoi nous faillirions à notre mission première qui est de sauvegarder les intérêts à long terme des entreprises.
Avons-nous réussi ?
Vous vous en souvenez, notre constat était qu'une des causes majeures des difficultés actuelles provenait de l'ampleur des prélèvements et des déficits publics. Il faut saluer ici la pugnacité de Denis Kessler assisté de Jacques Creyssel qui n'ont cessé de marteler la nécessité de freiner la dépense publique. Ceci m'a d'ailleurs amené à dire dans des circonstances qui ont entraîné une assez grande tension entre le gouvernement et nous, au moment de la publication de la loi de Finances 96, que le problème n'était pas de diminuer les déficits, on peut concevoir un pays un dans lequel il n'y ait plus de déficit et 80 % de dépenses publiques, un pays dans lequel toutes les entreprises crèvent sous les taxes et les impôts !
Par conséquent, nous avons insisté sans faiblir sur la réduction des dépenses publiques. Nous avons obtenu des résultats mitigés mais nous avons assisté à un certain nombre de prises de conscience y compris chez les députés de la majorité de la nécessité de couper encore dans les dépenses publiques.
Nous sommes intervenus aussi au moment du collectif budgétaire pour obtenir des réductions de charges ciblées sur les bas salaires. Nous n'étions peut-être pas tous conscients, en particulier le gouvernement, de l'étendue du désastre sur le plan des finances publiques. Aussi, n'avons-nous pas ensuite insisté sur un certain nombre de revendications parce que nous devons être logiques. Je ne peux pas être pendu aux basques d'un gouvernement pour lui demander des avantages complémentaires pour les entreprises tout en lui disant que la priorité est de déduire les dépenses. Il y a des logiques desquelles on ne peut pas sortir si l'on veut être crédible. Nous devons moins que jamais, dans un moment de désarroi idéologique, relâcher notre présence. Nous devons continuer à expliquer ce qui fait le mécanisme des économies modernes et leur chance de succès. La pédagogie ne doit jamais s'arrêter.
Repenser la protection sociale
Nous avions dit que pour être plus efficace il ne faut pas seulement s'attaquer au budget de l'État et des collectivités territoriales, mais aussi repenser la protection sociale. Je crois que sur ce thème aussi, notre action a été utile. En premier lieu nous avons défini, même si ce n'est pas l'avis de tout le monde à l'intérieur du patronat, au sein du conseil exécutif notre position, notre doctrine concernant le paritarisme. Nous avons dit, même si dans certaines ailes chrétiennes du patronat ce message n'a pas été bien compris, même si nos partenaires sociaux de la CFTC ne l'ont pas beaucoup aimé, que la politique familiale était l'affaire du gouvernement et que nous ne souhaitions qu'une chose, c'était que les cotisations d'allocations familiales soient de plus en plus vite qu'une chose, c'était que les cotisations d'allocations familiales soient de plus en plus vite passées sur l'impôt. À partir du moment où les allocations familiales seraient un des éléments de la dépense publique nous n'aurons plus vocation à être représentants et mandataires dans les caisses d'allocations familiales parce que le patronat n'a aucune vocation pour gérer les fonds publics. Mais jusque-là nous y resterons.
Nous avions dit qu'en ce qui concernait l'assurance maladie, il fallait une réforme de très grande ampleur que nous étions très concernés et que, par conséquent, nous devions être acteurs.
Nous ne savons pas si les conditions du financement de l'assurance maladie, une fois que tout sera fini, dans un certain nombre d'années, nous permettront de rester durablement mandataires ou pas mais nous savons que pour faire la transformation il faut que nous soyons mandataires. C'est la raison fondamentale pour laquelle, après avoir écrit notre doctrine sur ce sujet, nous avons demandé à Georges Jollès d'entrer à la CNAM comme vice-président. Il a pu commencer à y faire des diagnostics el des préconisations qui ont été pour une large part repris dans ce qu'on appelle aujourd'hui le plan Juppé qui est un plan de réforme sérieux de la Sécurité Sociale.
Nous sommes intervenus dans d'autres domaines de la protection sociale avec l'appui de Guillaume Sarkozy. Je ne reviendrai pas sur le travail extrêmement important que nous sommes en train de préparer sur les régimes complémentaires de retraites, l'ARRCO et l'AGIRC. Il faut que ce travail se fasse hors des vociférations actuelles, mais il est fondamental.
Les messages de rigueur et de frein aux dépenses ont du mal à passer dans une opinion de plus en plus sensible aux notions de justice et d'équité. En montrant sa volonté de s'associer aux difficultés du pays, d'apporter sa contribution à la réduction de la fracture sociale et de ses conséquences, le patronat a voulu éviter d'accentuer la cassure avec le reste du pays.
Un visage plus humain du monde patronal
Je voudrais saluer l'action menée avec enthousiasme par Jacques Dermagne sur la citoyenneté de l'entreprise, offrant ainsi un visage plus humain du monde patronal et de sa capacité d'engagement.
Sur le chômage des jeunes et la formation, nous avons été moins performants, c'est un des goûts amers que j'ai dans la bouche pour cette année. Certes, nous avons réussi avec les partenaires sociaux à bâtir un dispositif capable de faciliter l'insertion dans la vie professionnelle des moins de 25 ans. Hélas le fonctionnement de ce mécanisme n'est pas aujourd'hui totalement satisfaisant, il a pris du retard. C'est la faute du gouvernement pour une part qui n'a pas voulu financer les mesures (contrats d'adaptation, primes d'apprentissage) que nous estimions indispensables pour intégrer un grand nombre de jeunes.
C'est aussi de notre faute parce que nous n'avons pas réussi à coordonner, à dégager une doctrine commune en matière de formation sur l'ensemble des réseaux du monde patronal.
J'espère que les négociations entreprises sur l'apprentissage et les efforts inlassables déployés par Bruno Lacroix avec Alain Dumont vont petit à petit porter leurs fruits et que nous nous retrouverons dans un monde efficace et apaisé.
Une économie plus souple, plus performance
Nous avions voulu une nation plus efficace, nous avions voulu une économie plus souple, c'était notre deuxième grande piste d'action, nous y demandions plus de souplesse pour les entreprises, tant dans l'allégement des charges sociales que dans l'organisation du travail. Nous n'avons pas obtenu dans ce domaine, notamment en droit social, tout ce que nous souhaitions.
Nous avons voulu faire porter notre effort sur les entreprises qui souffrent le plus actuellement de ces rigidités qui sont des petites et moyennes entreprises.
Je rends hommage à Martine Clément qui a eu le mérite, avec le renfort de la Commission PME de bâtir un plan ambitieux, cohérent et réaliste et certaines de nos recommandations ont déjà été entendues.
Cette économie plus souple, plus performante, elle dépend en partie du gouvernement mais aussi de la qualité de notre dialogue avec les partenaires sociaux. C'est pourquoi nous souhaitions un dialogue social revitalisé. Je voudrais clairement expliquer sur ce point et sur ce que nous avons entrepris et obtenu avec Arnaud Leenhard et l'équipe de Bernard Boisson.
Se réapproprier le champ social
Pourquoi négocier avec les syndicats ?
Je crois d'abord que la réappropriation du champ social est la meilleure manière d'influer positivement sur la législation, et d'obtenir la souplesse nécessaire à la gestion car je n'ai pas confiance dans la capacité des pouvoirs publics à bâtir par la loi les conditions optimales pour les entrepreneurs.
Cela correspondait aussi au besoin de définir les niveaux de négociation et leur rôle respectif, et à la nécessité de coordonner el d'amplifier les innovations et les initiatives des entreprises individuelles et de donner un sens et une large publicité à leurs actions au niveau national pour convaincre l'opinion et les médias de l'efficacité des chefs d'entreprise.
Nous avons passé quatre accords exemplaires :
– sur les jeunes ;
– sur la retraite anticipée contre embauche ;
– sur l'organisation du temps de travail, annualisation contre réduction, mise en œuvre des principes de la loi quinquennale sur le terrain ;
– sur la revitalisation du dialogue social avec cet accord qui est peut-être le plus important de tous et qui permet maintenant à toute entreprise de pouvoir passer des accords avec les représentants élus de son personnel, que ceux-ci soient syndiqués ou pas.
Un monde ouvert
Nous avions dit ensuite : nous voulons un monde ouvert, "la planète est mon village", c'est le thème qu'avaient choisi Pierre Bellon et Jacques Giroire pour le congrès d'APM à Lille, que j'ai eu l'honneur d'inaugurer. Je voudrais leur dire mon admiration pour le travail accompli dans cette association. Près de mille chefs d'entreprise étaient là pour dire leur confiance et échanger leurs expériences. Cette attitude conquérante n'est pas là plus répandue mais elle est essentielle pour nous montrer le chemin.
Il y a hélas beaucoup de secteurs où les entreprises souffrent et souffrent beaucoup, même en dehors de ce qui vient de se passer ces dernières semaines. L'âpreté de la concurrence, les dérégulations monétaires les conduisent à s'interroger sur l'avenir et à se demander si elles ne devraient pas aller implanter leur activité ailleurs, ce qui est très douloureux pour les entrepreneurs français que nous sommes.
Un monde ouvert, c'était notre troisième orientation. Nous avons choisi effectivement une attitude conquérante plutôt que protectionniste. Encore faut-il, et sur ce point je suis insatisfait non seulement de ce que nous avons obtenu mais de ce qui se passe, que les institutions européennes et les règles du commerce international nous en donnent les moyens.
Une Europe plus cohérente et plus dynamique
Nous réclamons, nous l'avons dit avec Guy de Panafieu, une Europe plus cohérente et plus dynamique. Toute l'activité de CNPF International va dans le même sens et aide au développement de nos exportations sous la présidence de François-Xavier Ortoli, et nous avons comme objectif l'union monétaire mais une union monétaire qui doit être sous tendue par un sursaut politique.
Pour relever tous ces défis, le patronat, force de propositions, doit redéfinir ses missions, coordonner ses actions entre fédérations et unions patronales, voir si, comme je le souhaite, il est possible d'avoir plus d'union entre les différentes formes patronales, les respecter les unes et les autres dans leur vocation et dans leur identité, qu'il s'agisse des différentes organisations patronales ou des organisations consulaires.
Je pense que de plus en plus les entreprises ne nous pardonneront pas la cacophonie, la concurrence et certains combats trop obscurs. Nous devons adapter nos structures pour être un acteur influent. J'espère que les manifestations de notre cinquantenaire, dont le comité de pilotage est présidé par Ernest-Antoine Seillière, permettront à la réforme de l'institution sur laquelle Victor Scherrer travaille, de prendre corps. Ce cinquantenaire, nous le célébrerons au Futuroscope à Poitiers, le 17 septembre 1996.
En conclusion je voudrais dire trois choses.
Auprès des pouvoirs publics nous ferons barrage à toute décision qui pourraient aggraver d'une manière ou d'une autre les charges des entreprises ou des salariés. Nous insisterons sur les dégâts qu'ont connu les entreprises privées pendant toute cette période de grève. Enfin, tout en étant totalement ouvert à des initiatives nouvelles concernant les jeunes, je ne souhaite pas qu'on improvise n'importe quoi dans la hâte sans avoir vu comme cela peut marcher et se mettre en place.
Notre deuxième souci, aujourd'hui, est de mettre en place le plus rapidement ce qui est nécessaire pour que nous n'ayons pas un véritable « château de cartes » de faillites à la suite de ce qui vient de se passer, en parlant des commerces qui n'ont pas vendu et en remontant aux producteurs qui vont en janvier et en février se trouver en difficulté, voire en cessation de paiement. Par conséquent il faut que nous aidions, il faut que nous soutenions les entreprises. Nous allons mettre en place tout un dispositif décentralisé. La première manifestation de ce dispositif c'est le vade-mecum qui sera un outil très utile pour aider toutes les entreprises à faire face à tous les problèmes sociaux et fiscaux qu'elles pourront rencontrer dans les prochaines semaines.
1996, une année extrêmement difficile
Enfin, troisième point nous allons commencer une année 1996 extrêmement difficile. Elle est difficile pour deux raisons. Tout d'abord parce que les pays d'Europe à monnaie forte, plus la Grande-Bretagne, ont aujourd'hui une croissance économique en diminution. Pour nous, cette diminution est aggravée par l'importance des prélèvements décidés pour résorber les déficits, aggravée par la crise que nous venons de subir et ses dégâts. Au-delà de tous les discours nous devons retenir qu'il n'y aura pas de création d'emploi, pas de redressement de ce pays s'il n'y a pas d'activité économique.
Par conséquent je voudrais entendre davantage cette position de conquête qui doit être celle non seulement des entreprises, cela va de soi, nous sommes par nature des conquérants, mais qui doit être celle de la direction politique du pays.
Nous ne pouvons pas seulement parler dans ce pays de déficit et de solidarité. Nous n'arriverons pas à en sortir s'il n'y a pas un tonus supplémentaire et quelque chose qui nous entraine et qui donne aux entrepreneurs l'impression qu'ils se battent avec des chances d'obtenir un résultat.
Année difficile aussi pour l'Europe.
Ne nous faisons aucune illusion, il n'y a aucun espoir que la conférence intergouvernementale soit un succès. Par ailleurs, il est évident que si l'Europe ne se donne pas un autre projet politique que la monnaie commune, elle échouera. C'est ma conviction et ma crainte.
Par conséquent il faut revenir à l'essentiel dans ce domaine comme dans les autres.
L'Europe signifie d'abord la paix, aujourd'hui on n'y pense plus c'est pourtant un élément fondamental. Elle signifie aussi une volonté politique d'union entre des pays qui ont une même conception de ce qu'ils veulent faire ensemble et non pas qui cherchent à jouer aux gendarmes et aux voleurs en trichant. Aujourd'hui nous devons militer pour une refondation de l'Europe, car l'Europe est notre seule solution pour l'avenir.
Au milieu de toutes ces difficultés, quelle est la place de l'entreprise et de l'esprit d'entreprise dans ce pays ? Il faut que nous puissions dire davantage aux gens, n'ayez pas peur. Nous entrons dans un monde de peur et d'angoisse et les gens cherchent partout des sécurités qu'ils ne trouvent pas. Nous, chefs d'entreprise, nous savons que c'est dans l'optimisme sur l'avenir et dans le goût du risque mais aussi dans la création de richesses et dans l'augmentation de notre production que se trouvent les solutions. Nous devons prendre de nouvelles parts de marché à l'exportation. Bien sûr, nous [Illisible] les prendrons pas dans n'importe quelles conditions. Il faut une politique globale, c'est évident. Il faut qu'un certain nombre de problèmes, notamment ceux concernant les monnaies, aient pu être résolus. Il faut que nous soyons en mesure de regarnir nos carnets de commandes dans des conditions qui nous permettent de développer notre activité et, petit à petit, l'emploi. Ce n'est qu'à partir de là que l'on peut être solidaire et qu'on peut se poser des questions de répartition, des questions sur la place de la France dans le monde et dans l'Europe.
Cette vérité fondamentale il faut la répéter.
Bon courage à tous pour cette année 1996 nous en aurons besoin ensemble.