Interviews de M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des PME de l'artisanat et du commerce, dans "La Tribune Desfossés" du 14 février 1996 et à France 2 le 28 février 1996, sur l'aide à l'innovation des entreprises, le rôle du nouveau marché et du CEPME en matière d'innovation, le projet de loi sur l'implantation des grandes surfaces, et les débats au sein de l'UDF pour l'élection de son président.

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Média : La Tribune Desfossés - France 2

Texte intégral

La Tribune Desfossés : 14 février 1996

La Tribune : Pensez-vous que le nouveau marché va apprendre aux patrons de PME à être des capitalistes ?

Jean-Pierre Raffarin : C'est désormais une exigence des patrons de PME d'être des capitalistes, en particulier pour les dirigeants des entreprises à forte croissance. Le nouveau marché va drainer des capitaux supplémentaires indispensables à la croissance des entreprises innovantes. Il va susciter un intérêt des investisseurs pour toute PME candidate à une entrée sur ce marché. Il devient ainsi la locomotive de l'épargne de proximité. Ce concept fédérateur créera la vitrine d'un phénomène économique méconnu en Europe : l'entreprise à forte croissance. Nous allons donc construire un observatoire de ces entreprises qui, aux Etats-Unis, génèrent 16 % de la création d'emplois nouveaux.

Nous mettrons en réseau les différents acteurs au rôle purement financier ou d'expertise, comme l'Anvar, ou les centres de recherche et de transfert de technologie. Le nouveau marché doit être l'élément moteur d'une stratégie globale de développement des PME. Dans le plan PME, nous avons déjà pris des mesures sur le financement de l'innovation et la CDC a créé un fonds spécial d'innovation de 400 millions de francs. L'aide publique à l'innovation est née, il y a une dizaine d'années, dans le secteur industriel, il faut aujourd'hui l'élargir aux entreprises de services et à l'innovation immatérielle. Je n'en donnerai qu'un exemple : la monétique dans le commerce. Aujourd'hui, nous n'avons pas ou peu de stratégie de développement de l'entreprise autour du produit nouveau. C'est pourquoi nous voulons bâtir pour les PME un ensemble d'outils de développement autour de ce concept. Ensuite, nous souhaitons rationaliser les interventions financières entre les banques, la Sofaris, l'Anvar et les aides à l'exportation.

Le CEPME pourrait jouer le rôle d'un guichet unique, partenaire des banques, spécialité dans l'ingénierie financière destinée aux PME. Nous attendons le rapport de Jacques-Henri David, mais nous avons une très grande ambition sur le CEPME. Il faut l'inciter à sortir de sa concurrence avec le réseau bancaire pour le transformer en tête de réseau au service des PME.

La Tribune : Ne pensez-vous pas que, par rapport au Nasdaq, un des freins majeurs au nouveau marché est le manque d'experts ?

Jean-Pierre Raffarin : Les expertises existent mais les compétences restent isolées. Les entreprises à forte croissance sont méconnues et font peur. Nous ne sommes pas culturellement adaptés aux ruptures de croissance, on se conforte dans des courbes linéaires au lieu d'accepter des croissances en escalier. A ce titre, le nouveau marché a un rôle structurant dans l'économie française, même s'il concerne peu d'entreprises… Son grand mérite est de révéler les pôles de compétences qui apparaîtront en fonction des projets, dans les centres de recherche ou de transfert de technologies.

La Tribune : Que pensez-vous de la concurrence de l'Easdaq ? Comment voyez-vous l'articulation entre l'innovation française et européenne ?

Jean-Pierre Raffarin : Je suis très reconnaissant à la SBF d'avoir pris les devants et d'avoir créé une dynamique positive. Cela étant, c'est à elle de définir les termes de ses partenariats à l'étranger. Le gouvernement trouvera toutes les mesures qu'il faut pour la soutenir.


France 2 : mercredi 28 février 1996

G. Leclerc : Le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales fait couler pas mal d'encre. Les grandes surfaces disent que la première conséquence en sera une hausse des prix : est-ce bien judicieux ?

J.-P. Raffarin : Il y a une manœuvre. Il n'y a aucun risque d'inflation dans ce pays. Ce que nous voulons, c'est parler à l'intelligence du consommateur citoyen. Nous avons tous, dans notre famille, quelqu'un qui a des difficultés d'emploi et le commerce doit servir l'emploi. Certaines promotions sont destructrices d'emplois, certaines importations excessives, certains distributeurs sont des importateurs de chômage même s'il ne faut tous les mettre dans le même sac. Nous ne voulons pas dévaluer le travail des producteurs. Nous disons qu'il y a un juste prix pour les produits et nous devons faire en sorte que le consommateur pense qu'il est citoyen. Le consommateur croit quelquefois sur certaines promotions, qui sont des promotions du chômage, faire une affaire et en fait, le citoyen doit pays le facteur du chômage. Nous disons le juste prix, protégeons le travail des Françaises et des Français.

G. Leclerc : M. Leclerc dit que, dans cette affaire, ce sont quelques gros producteurs qui vont en profiter et pas les petits alors ?

J.-P. Raffarin : Les distributeurs défendent leur intérêt mais si on avait attendu les grandes surfaces pour défendre les petits, cela se saurait dans ce pays. Nous sommes là pour défendre les PME. Nous voulons réorganiser le commerce d'une certaine manière, nous voulons rééquilibrer le paysage commercial avec une loi sur la concurrence pour plus de loyauté. Qui est contre la loyauté dans ce pays ? Et que l'on dise clairement qu'il s'agit de faire en sorte qu'on stoppe une logique qui voudrait que l'on est des hangars de plus en plus grands avec des produits de plus en plus étrangers. Nous disons vraiment aux Françaises et Français : « Pensez que vous êtes aussi citoyens quand vous êtes consommateurs ». Nous parlons à l'intelligence du consommateur, pensez que quelques promotions sont abusives et détruisent l'emploi.

G. Leclerc : La consommation a repris fortement, en janvier, avec + 5 % : est-ce que c'est une véritable reprise qui bénéficierait notamment au commerce et à l'artisanat ou est-ce que ce n'est pas plutôt un rattrapage qui risque d'ailleurs d'être contrarié par le RDS qui vient à la fin du mois ?

J.-P. Raffarin : Je crois qu'il y a un frémissement mais il faut être prudent car dans tous les phénomènes économiques, on se rend compte qu'il faut être lucide, objectif et prudent. En fait, on s'aperçoit que l'augmentation de la consommation au mois de janvier est plus forte que ne fut le ralentissement de décembre. Donc, il y a une vraie accélération. Ce qui m'intéresse, surtout, c'est de voir que le moral des patrons de PME est en amélioration. Donc cela veut dire que les carnets de commandes sont meilleurs. Il y a donc un frémissement. Il faut rester mobilisé mais je crois, comme le président de la République, que la croissance est au rendez-vous de ce second semestre 96.

G. Leclerc : Le ton monte à l'UDF entre les trois prétendants, vous êtes bien discret sur le sujet, cela ne vous intéresse pas ?

J.-P. Raffarin : Moi, je suis fidèle à V. Giscard d'Estaing, donc j'attendrai que le président de l'UDF, qui en est le fondateur, qui en est le fédérateur, se prononce. Je ne veux pas provoquer chez les giscardiens, une prise de position anticipée par rapport à celles du président de l'UDF. Ce qui est clair, c'est que la rénovation qu'a voulue V. Giscard d'Estaing est en marche et que cette rénovation démocratique de l'UDF est très importante car la majorité a besoin d'une UDF forte et d'une UDF rénovée à côté du RPR, à parité. C'est dommage qu'il n'y ait pas eu un candidat UDF aux élections présidentielles, l'UDF doit avoir sa place et il faut donc la rénover démocratiquement. Trois candidats sont en place. Il y a la candidature Madelin qui est porteuse d'une dynamique, il y a la candidature Léotard qui est porteuse d'un accord et, enfin, il y a la candidature Rossinot qui est porteuse d'une position, celle du centre de l'UEDF. Les électeurs de l'UDF vont donc pouvoir se prononcer pour la rénovation de cette grande famille politique.

G. Leclerc : A. Madelin a dit que son élection serait un signal fort dans la vie politique alors que celle de F. Léotard serait le résultat d'un accord entre professionnels, qu'en pensez-vous ?

J.-P. Raffarin : Je ne vais pas me prononcer avant que V. Giscard d'Estaing ne se soit prononcé, donc je ne vais pas juger les campagnes. Je suis naturellement objectif et je suis secrétaire général de l'UDF donc je suis chargé d'organiser une élection démocratique le 31 mars. Il est clair qu'il y a une dynamique Madelin, il est clair aussi qu'il y a un accord entre F. Léotard et F. Bayrou. Donc entre ces deux positions, les électeurs de l'UDF vont se prononcer. Sans oublier que, naturellement, au centre du centre, c'est-à-dire au Parti radical, aujourd'hui un candidat est né. Peut-être que d'autres candidats viendront. Chacun choisit sa logique, certains prennent une logique extérieure à l'UDF pour montrer que ce qui est en jeu c'est la victoire de la majorité en 98 et A. Madelin dit qu'il est le porteur de la victoire de 98. C'est un message qu'il veut faire passer. F. Léotard veut faire passer l'accord entre les deux grandes familles de l'UDF.

G. Leclerc : Quand V. Giscard d'Estaing se prononcera-t-il ?

J.-P. Raffarin : A la mi-mars mais il s'est déjà prononcé pour la rénovation de l'UDF et c'est grâce à lui qu'aujourd'hui cette rénovation est démocratiquement engagée.

G. Leclerc : Le ton se durcit à l'égard du Gouvernement. Hier, A. Madelin a dit que le changement nécessite un sursaut collectif et ce sursaut ne s'est pas produit après l'élection présidentielle, et F. Léotard accentue ses critiques, notamment sur le service national, cela ne vous inquiète pas un peu ?

J.-P. Raffarin : Non, franchement. A. Madelin a participé au Gouvernement et donc il a mesuré les difficultés de la gestion et il a donc pris la mesure des difficultés des finances publiques de notre pays. Il a pris la mesure des difficultés, que nous avions engagé des réformes profondes mais aujourd'hui ces réformes sont engagées. Quand on voit ce qui est engagé pour la défense nationale, ce qui est engagé pour la mobilisation des PME, on voit qu'il y a une dynamique. Et dans la majorité, les relations sont saines. Naturellement, on a une très forte majorité à l'Assemblée nationale et dans le pays, donc il y a un débat.

G. Leclerc : A. Juppé est quand même au bas des sondages, n'est-ce pas inquiétant ?

J.-P. Raffarin : Quand on est dans l'action, on s'occupe d'obtenir des résultats et de mobiliser ce pays pour atteindre des objectifs. Pour le moment, nous sommes dans l'action au cœur même de la réforme. Les résultats viendront avec les résultats des réformes. Je ne suis pas du tout pessimiste. Ca frémit dans l'opinion et je suis donc, très optimiste pour le deuxième semestre. Il nous aura fallu un an de travail pour mettre en place les réformes.