Texte intégral
Dominique Voynet
Ce projet, qui sera examiné par le Parlement dès le mois de janvier prochain, modifie la loi du 4 février 1995 d'Orientation pour l'Aménagement et le Développement du Territoire, restée largement inappliquée.
Les schémas de services collectifs
Dans ce texte, le gouvernement propose un renouveau de la démarche de planification, de ses projets et de sa méthode. En effet, une fois de plus, l'expérience a montré que les processus bâtis sur une logique descendante (une loi puis un schéma national élaboré par l'État, puis des schémas sectoriels élaborés par l'État, puis des schémas régionaux élaborés par les Conseils régionaux) sont inadéquats et inopérants.
La démarche de planification menée par l'État doit impliquer la société tout entière. L'élaboration doit être concertée. Cette concertation ne peut se mener que sur des politiques concrètes, dont les enjeux sont explicités par le gouvernement.
Le cadre de cette nouvelle démarche consistera en huit schémas de services collectifs :
– Le schéma de services collectifs de l'Enseignement supérieur et de la recherche organise le développement de l'offre de formation et une répartition équilibrée de la recherche sur le territoire national.
– Le schéma de services collectifs culturels définit les objectifs de l'intervention de l'État pour favoriser l'accès de tous aux biens, services et pratiques culturels et artistiques, et prévoit le rééquilibrage de l'offre culturelle sur le territoire.
– Le schéma de services collectifs sanitaires a pour but d'assurer un égal accès, en tout point du territoire, à des soins de qualité.
– Le schéma de services collectifs de l'information et de la communication a pour objectif d'assurer le développement équitable des services d'information et de communication en tout point du territoire.
– Les deux schémas multimodaux de services collectifs de transport de voyageurs et de marchandises déterminent les différents objectifs de services aux usagers et leurs modalités de mise en œuvre en répondant aux exigences économiques, environnementales et sociales du développement durable.
– Le schéma de services collectifs de l'énergie définit les conditions d'une programmation énergétique territoriale visant la maîtrise de la demande ainsi qu'une meilleure efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables.
– Le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux fixe les orientations fondamentales de la gestion, de la protection et de la mise en valeur des patrimoines naturels et ruraux.
Compte tenu des nouvelles orientations en matière de planification stratégique, ces schémas de services collectifs constitueront l'expression principale de la politique nationale d'aménagement et de développement durable du territoire.
C'est la raison pour laquelle ils seront élaborés de manière concomitante. Leur approbation par décret comprendra un texte introductif rappelant les principales orientations et options de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire.
La notion de schémas de services collectifs apporte trois innovations par rapport à l'exercice précédent :
– L'élargissement des domaines stratégiques couverts à deux nouveaux champs : celui de l'énergie et celui de la gestion des espaces naturels et ruraux.
– L'enrichissement du contenu des documents, qui ne doivent plus porter exclusivement sur des équipements ou infrastructures nouveaux, mais s'attacher, en appréciant la réalité des besoins et le rôle de l'offre, à proposer une réponse formulée en termes de services rendus.
– La modification des conditions de réalisation de cet exercice de planification stratégique, en y associant, par une concertation élargie, les acteurs concernés. Seront associés au processus d'élaboration des schémas, non seulement des instances nationales comme le Conseil national d'aménagement et de développement du territoire, mais aussi les élus et partenaires locaux, à travers une phase décentralisée, menée sous l'égide des préfets de région.
Cette réflexion stratégique sera couplée à la négociation des prochains contrats de plan État-région. Le calendrier nous impose de mener ensemble ces exercices que l'habitude voudrait voir s'enchaîner. Je pense que cette contrainte est une chance. La négociation pour la programmation sera ainsi mise en perspective pour la réflexion à plus long terme des schémas.
Les schémas multimodaux de services de transport
La planification en matière de transports, sans remonter à la carte des routes royales de Trudaine et à l'étoile de Legrand projetant le développement des voies ferrées, est de pratique ancienne, et d'aucuns pourraient s'étonner de la nécessité de renouveler leur processus d'élaboration.
Il me semble donc important d'insister sur ce qu'apporte cette nouvelle démarche des schémas de services collectifs. Un simple bilan du passé permet de le comprendre. Ainsi, le schéma national des TGV adopté en 1992 prévoyait 3 500 km de lignes nouvelles, sans hiérarchie des priorités et sans adéquation des moyens publics pour les réaliser, de sorte que cette « planification par accumulation » n'en était plus une, laissant à l'État tout liberté de piocher dans le stock des projets au gré des opportunités politiques ou financières.
La démarche engagée invite au contraire les différents acteurs à faire preuve de responsabilité en fixant 2020 comme horizon des schémas et en explicitant dès les lettres de cadrage les contraintes inhérentes à l'exercice, contraintes budgétaires ou environnementales par exemple. Les grands projets d'infrastructures devront par définition être compatibles avec les schémas, mais aussi y être hiérarchisés. Cette exigence explique l'insistance du Gouvernement sur la concertation et sur la mobilisation des acteurs et responsables locaux autour de l'élaboration des schémas.
Afin de réussir cet exercice, le gouvernement a assigné aux schémas un certain nombre d'objectifs, et défini des principes d'actions pour y parvenir.
Les objectifs des schémas de services de transports
Selon les termes du projet de loi pour l'aménagement et le développement durable du territoire, « les schémas de services de transports évaluent les évolutions prévisibles de la demande de transport et définissent les moyens permettant d'y répondre dans des conditions économiques, sociales et environnementales propres à contribuer au développement durable du territoire, et notamment à la lutte contre l'effet de serre ». Dans cette optique, les orientations du gouvernement sont les suivantes :
- l'efficacité économique : si la mobilité des personnes et des biens constitue un élément essentiel du développement économique et de la compétitivité des entreprises, on ne saurait toutefois confondre efficacité économique globale et taux de croissance du seul secteur des transports ;
- le progrès social : la liberté de se déplacer est un fondement essentiel du bien-être social. Les collectivités publiques doivent poursuivre leurs efforts pour fournir des services de qualité à toute la population, en particulier la fraction qui n'a pas l'usage d'un véhicule particulier ;
- la protection de l'environnement. Les transports produisent des effets locaux de plus en plus mal acceptés : bruit et pollution atmosphérique notamment. En outre, ils contribuent, dans une proportion importante et croissante, aux émissions de gaz à effet de serre (CO2) qui ont un impact planétaire. La maîtrise ou la réduction des impacts environnementaux des transports s'affirment comme une des conditions de la poursuite de leur développement.
Ces orientations se déclinent en trois objectifs :
– Répondre à la demande de transport dans des conditions économiques, sociales et environnementales propres à contribuer au développement durable du territoire.
Cet objectif rompt volontairement avec la politique de l'offre qui a prévalu lors de l'élaboration des précédents schémas directeurs d'infrastructures.
Connaître la demande de transport ou plutôt les différents besoins de mobilité (voyageurs interurbains, déplacements urbains, marchandises) à l'horizon 2020 est un exercice difficile. Plusieurs modélisations ont été effectuées par les services du ministère chargé des Transports sous diverses hypothèses d'environnement économique général (production, revenus, coût de l'énergie…) et de politiques de transport européennes et nationales (organisation du marché, fiscalité, prix relatifs des différents modes, qualité de l'offre commerciale des opérateurs…) et de politiques locales d'aménagements et d'urbanisme.
Ces travaux montrent que la demande de transport, globalement et dans sa répartition modale, ne dépend pas seulement du taux de croissance prévisionnel du PIB, mais aussi des politiques de régulation applicables à ce secteur (réglementation, tarification, taxation…) et des politiques d'offres (investissements routiers et ferroviaires) développées par la puissance publique. Ces résultats dessinent le champ des possibles de l'action des pouvoirs publics.
Tous les scénarios étudiés aboutissent à une croissance de la demande de transport à un rythme plus ou moins ralenti par rapport à la période 1970-1995. Certaines hypothèses débouchent sur une aggravation de la prédominance du mode routier au détriment principalement du ferroviaire et des transports collectifs. Inversement, une politique combinant une internalisation plus importante des coûts externes de la route, le renforcement de la réglementation sociale qui y prévaut, et des efforts commerciaux et tarifaires du mode ferroviaire, permettrait une croissance substantielle de ce dernier, se traduisant par un maintien des parts modales pour les marchandises et une reconquête des parts de marché pour les voyageurs.
Il convient toutefois d'être conscient des limites de ces modèles, qui ne peuvent que reproduire les comportements observés dans le passé et prennent peu en compte les modifications de l'efficacité des opérateurs et l'impact des politiques sociales ou d'aménagement du territoire.
Entre les divers avenirs possibles, il appartient à la société française de marquer son choix. Non pas choisir un scénario, mais une orientation se déclinant, de manière cohérente et continue dans le temps, dans toutes les décisions publiques affectant les transports. À cet égard le choix du Gouvernement est clair : orienter la politique des transports, dans toutes ses composantes, vers des avenirs compatibles avec les exigences économiques, sociales et environnementales d'un développement durable, telles qu'elles résultent des choix nationaux et des engagements européens et mondiaux de notre pays.
– Articuler au mieux les réponses aux besoins exprimés aux diverses échelles territoriales.
L'ouverture des économies au sein de l'Union européenne et le nécessaire renforcement de la compétitivité du territoire français, conduisent à intégrer les réseaux de transport au niveau international. Cette orientation se décline à deux échelles : l'accès du territoire aux échanges mondiaux, notamment par nos ports et aéroports, et l'amélioration des relations des grandes aires métropolitaines françaises entre elles et avec les principaux pôles européens.
Le développement de l'accessibilité des diverses parties du territoire passe par l’amélioration des services de voyageurs interurbains et interrégionaux. Ce développement ne doit pas s'entendre par la réalisation en tous lieux d'infrastructures assurant des services rapides à hauts débits. Des services adaptés devront être recherchés pour garantir, aux zones d'accès difficile comme aux villes petites et moyennes, des liaisons fiables, efficaces et accessibles à tous, avec les grandes villes qui regroupent les services et activités nécessaires aux populations et entreprises, et avec les réseaux rapides qui ouvrent sur l'Europe et sur le monde.
Organiser la mobilité quotidienne et les déplacements de proximité requiert une égale attention. À cet effet, les services de transport en milieu urbain doivent être appréhendés à l'échelle des bains de vie, en s'appuyant sur la coopération entre les autorités responsables.
Au croisement de ces objectifs le gouvernement retient deux priorités :
- les grands équipements des agglomérations et régions urbaines, et en priorité les transports collectifs, car c'est en ville que se concentrent les principaux problèmes de croissance de la demande de déplacements, de préservation du cadre de vie et de cohésion sociale ;
- les actions permettant de développer le trafic ferroviaire fret, et notamment les conditions de constitution et de fonctionnement d'un réseau à priorité fret, en synergie avec les ports nationaux.
– Limiter les nuisances des transports, et contribuer notamment à la lutte contre l'effet de serre.
Le développement de la mobilité doit se faire dans le respect des populations affectées par les nuisances et pollutions générées par les transports, et préserver leur santé. La croissance des déplacements doit donc se réaliser sous une contrainte de maîtrise ou de réduction des nuisances ou pollutions émises, qu'elles soient liées aux infrastructures elles-mêmes (déchets, pollution des eaux), à la concentration des trafics (bruit, odeurs et pollution de l'air) ou aux atteintes portées à diverses catégories d'espaces d'intérêt biologique ou paysager (espaces protégés de haute valeur patrimoniale, continuité des milieux naturels, espaces montagnards, espaces naturels de grande étendue à vocation touristique et récréative). Sans oublier les enjeux liés à la consommation des ressources non renouvelables et à la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre.
Elles sont particulièrement sensibles dans les zones urbaines denses ou les espaces confinés comme les vallées de montagne. C'est pourquoi le projet de loi d'Orientation pour l'Aménagement et de Développement Durable du territoire prévoit :
- de favoriser les modes de transport alternatifs à la route, les transports collectifs, l'interconnexion des réseaux et, au besoin, les infrastructures de contournement dans les grandes aires urbaines ;
- de donner la priorité au transport ferroviaire pour le transit international franchissant les Alpes et les Pyrénées.
Plus généralement, l'objectif de limitation des nuisances provoquées par les transports devra être recherché lors de l'élaboration des schémas, notamment au moyen d'une évaluation globale des différents projets sur l'environnement, la sécurité et la santé.
L'Union européenne s'est en particulier engagée, lors du sommet de Kyoto, sur des objectifs chiffrés de limitation des gaz à effet de serre. Si la contribution demandée au secteur des transports n'est pas encore définitivement précisée, il est clair que le fort accroissement des émissions de CO2 dans le secteur des transports devra être fortement réduit à l'horizon 2010, puis inversé à plus long terme. Il faudrait en effet, selon l'OCDE, diminuer de 50 % dès 2030 les émissions de gaz à effet de serre des transports par rapport à 1990 pour espérer stabiliser le climat.
De telles réductions ne pourront être atteintes par les seuls progrès techniques de diminution des émissions par véhicule, avec une croissance de la circulation routière totale (urbaine et interurbaine) de 50 % à 60 % à l'horizon 2020. Elles nécessiteront des transferts entre modes de transport, une meilleure maîtrise de l'évolution des demandes, et pourraient conduire à des modifications structurelles dans les modes de production et les modes de vie.
Il nous faudra inventer collectivement une croissance plus économe en mobilité.
Les contraintes financières
Pour les dix dernières années, le financement des 61 milliards par an d'investissements en matière de transports a été couvert par des ressources publiques à hauteur de 28 milliards (moitié État, moitié collectivités locales), soit 45 % de la ressources totale, le reste étant payé par l'usager (capacité d'autofinancement et emprunt des entreprises de transport). Toutefois une partie importante de ces emprunts constitue un surendettement qui risque de devoir être remboursé par des contributions publiques.
La poursuite de cet effort d'investissement va poser des problèmes difficiles dans les prochaines années, compte tenu des grandes opérations déjà déclarées d'utilité publique (TGV Est, autoroutes déjà concédées…) et du nécessaire maintien du rythme de réalisation des autres investissements (contrats de plan, transports collectifs urbains…). Par ailleurs, le respect de la directive européenne « travaux » interdit de continuer à financer les nouvelles concessions autoroutières par adossement au réseau existant. Comme pour les lignes ferroviaires, les nouvelles concessions nécessiteront des subventions publiques lorsque les recettes perçues par les péages ne couvriront pas la totalité des coûts. En première approche, les projets connus réclament des subventions dépassant en moyenne la moitié du coût d'investissement.
Les contraintes qui pèsent sur les ressources publiques globales consacrées aux transports amèneront donc l'État à moduler son effort financier selon les différents enjeux d'aménagement du territoire.
Les principes d'actions pour l'élaboration des schémas de service de transport
– S'interroger d'abord sur les objectifs de services à l'usager que l'on recherche avant d'envisager les moyens d'y parvenir.
Une infrastructure nouvelle n'est pas un objectif en soi, mais un moyen parfois indispensable, mais pas nécessairement le plus efficace, pour obtenir un objectif d'amélioration de service. Il conviendra d'évaluer les avantages et inconvénients des différentes solutions susceptibles d'atteindre cet objectif.
- Tirer le meilleur parti des réseaux existants.
Ce champ recouvre l'ensemble des mesures d'exploitation et de régulation (gestion des trafics, tarifications spécifiques…) visant à limiter l'effet des perturbations du trafic, et l'ensemble des aménagements de capacité qui permettent d'accroître l'offre de transport avec des coûts d'aménagement d'infrastructure très inférieurs à ceux d’une infrastructure nouvelle.
Face aux perspectives d'évolution des trafics, ces moyens ne sauront suffire à eux seuls à répondre aux besoins. Ils permettront néanmoins de retarder l'échéance de la saturation par une utilisation plus efficace des réseaux et des infrastructures, à canaliser la croissance de la demande, et à gérer au mieux les insuffisances de l'offre face à la demande.
Compte tenu de la difficulté objective et des coûts associés à la réalisation de nouvelles infrastructures dans les zones denses, les plus menacées par les risques de congestion, la politique d'exploitation des réseaux devient une des priorités des schémas de service.
– Favoriser les complémentarités entre modes de transport.
L'intermodalité est vécue quotidiennement par les usagers des parcs-relais qui abandonnent leur voiture pour emprunter les transports en commun, ou par les voyageurs en correspondance à la gare TGV de l'aéroport de Roissy. La forte croissance du transport combiné illustre, quant à elle, l'intermodalité du transport de marchandises.
En 1982, la loi d'Orientation des Transports Intérieurs avait déjà mis le développement de l'intermodalité parmi ses priorités. Toutefois, faute d'outils adéquats, les schémas directeurs étant uni-modaux, cette orientation ne fut que très peu suivie d'effets. L'élaboration de deux schémas multimodaux de services de transport permettra au contraire de privilégier les complémentarités entre modes, et la connexion des réseaux au moyen de pôles d'échanges et d'une coopération accrue antre les divers opérateurs.
– Réaliser les infrastructures nouvelles qui s’avéreront nécessaires.
Le gouvernement a défini un nouveau cadre, exposé ses analyses et présenté ses orientations. Il revient maintenant à l'ensemble des acteurs qui vont s'impliquer dans cette démarche d'en exprimer toute la richesse et de nous permettre collectivement d'inventer les réponses les plus adaptées aux enjeux auxquels notre pays doit faire face.