Interviews de M. Jack Lang, député européen et membre du bureau national du PS, à TF1 le 7 mai 1996 et dans "Le Monde" du 31 mai, sur les propositions du PS en matière de démocratie et de réforme des institutions.

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Intervenant(s) : 

Média : TF1 - Le Monde

Texte intégral

TF1 : jeudi 7 mai 1996

TF1 : Vous avez été chargé par L. Jospin d'élaborer un certain nombre de propositions sur la démocratie ; Où en êtes-vous ?

J. Lang : Le débat commence. Je suis très heureux de constater que le Parti socialiste est à nouveau une ruche à réflexions et à idées, et en ce moment sur la démocratie qui va associer l'ensemble des militants. Disons que le point de départ de cette réflexion est une observation que tout le monde sait aujourd'hui : cette coupure ou cette fracture, ou ce divorce entre d'un côté une classe dirigeante, politique, financière et économique, qui accapare tous les pouvoirs…

TF1 : Dont vous faites partie...

J. Lang : Dont je fais partie, dont nous faisons partie, en raison de règles, d'un système, de traditions, et puis de l'autre, l'immense majorité des citoyens qui se sentent écartés et exclus du jeu des personnages puissants ou influents. D'où un certain malaise qu'on ressent ici ou là, un désenchantement ou une désespérance. Et notre ambition, c'est de redonner confiance, et espérance aux citoyens en changeant, en proposant, le jour venu, de changer profondément le système, disons : en changeant la République.

TF1 : Tout le monde dit ça avant des élections, et personne ne le fait

J. Lang : Ce que vous dites à l'instant est quelque chose de grave. Et c'est une des raisons d'ailleurs de la désillusion des gens. C'est qu'il y ait cette rupture entre les engagements et les actes accomplis. Je pense que l'un des premiers changements à apporter dans un futur gouvernement est de tenir strictement les promesses faites. Alors parmi les promesses que nous ferons, il y aura celle de changer en effet les règles de la République. Disons pour parler vite, nous avons peu de temps, mieux protéger les droits individuels des citoyens face aux administrations, face à tous les pouvoirs, ceux qui réclame, nous ferons des propositions précises dans un mois, ceux qui réclame une réforme assez sensible du système juridictionnel, imaginer les solutions qui feraient qu'enfin, je dis bien enfin, la justice française serait indépendante, d'où la coupure entre le parquet et le ministère de la justice, impartiale et moderne, de telle sorte que l'on en finisse avec ces procès qui n'en finissent plus, qui sont coûteux, qui n'aboutissent pas parfois.

TF1 : Une redéfinition du rôle du Conseil constitutionnel ?

J. Lang : Oui, parce que nous souhaiterions, c'est une des pistes sur lesquelles nous réfléchissons, que ce Conseil constitutionnel devienne un véritable tribunal constitutionnel, je veux dire par la capable d'accepter des recours directs des citoyens tel que l'avait souhaitée F. Mitterrand voici trois ans. Deuxième axe de réflexion : imaginer les solutions qui feraient que les Français participeraient réellement à la gestion des affaires publiques. Alors là, nous établirons des propositions sur le rôle du Parlement, sur le choix des dirigeants, sur la participation dans l'attente des élections. Je dirais qu'une condition préalable, sur laquelle il me semble qu'un consensus va se produire au sein du Parti socialiste : en finir avec un scandale français, une anomalie française qu'on appelle le cumul des mandats, et qui fait qu'un grand nombre d'hommes politiques sont à la fois ministre, maire, président de région, ce qui veut dire par exemple pour le fonctionnement du Gouvernement, le plus souvent des ministres à mi-temps ou à deux tiers de temps, qui passent un tiers de leur temps dans leur circonscription. Comment voulez-vous qu'un ministre puisse diriger, gouverner une administration s'il n'est pas là le plus souvent à commander et à diriger ? En même temps, c'est une tromperie des citoyens. Les citoyens pensent avoir un Gouvernement, un Gouvernement à plein-temps, et ils ont un Gouvernement à mi-temps, un demi-Gouvernement.

TF1 : Même chose pour les députés, non ?

J. Lang : Je pense qu'il nous faut rompre radicalement, collectivement avec le cumul des fonctions exécutives et le cumul des fonctions législatives ou électives. Naturellement, il y aura de nombreuses réformes que nous proposerons pour que la voix des citoyens se fasse entendre. Je crois que notre pays regorge d'idées, de propositions, de talents. On se porterait beaucoup mieux, s'il y avait cette réconciliation entre les responsables politiques et les gens eux-mêmes. Notre ambition est de redonner un nouveau souffle à la démocratie. Ce débat sur la démocratie, nous voulons qu'il soit démocratique. D'où la participation active des militants, d'où ouverture demain – célébration de l'anniversaire du 10 mai – d'un débat sur internet et enfin et je m'adresse grâce à vous à tous ceux qui m'entendent, s'ils ont des propositions, des idées, des suggestions, je serais très heureux de recevoir leur lettre, rue de Solferino, Parti socialiste.

TF1 : Qu'ils soient socialistes ou non ?

J. Lang : Socialistes, Français ou non. Tous ceux qui se passionnent pour la démocratie, qui veulent que la démocratie respire.


Le Monde : 19 mai 1996

Le Monde : Quand vous évoquez « le déficit de démocratie », n'est-ce pas une autocritique, après deux septennats de François Mitterrand ?

Jack Lang : Avec la décentralisation, la libération de l'audiovisuel, les lois Auroux, l'abolition de la peine de mort, la démocratisation de l'éducation et de la culture, la loi Roudy sur les femmes, l'oeuvre accomplie sous la présidence de François Mitterrand a été importante, mais inachevée. J'ai cependant regretté que la Constitution n'ait pas été révisée afin de redonner au Parlement un vrai pouvoir. Nous aurions pu léguer des institutions plus libres, plus ouvertes, plus démocratiques.

Malgré la Révolution française, nos institutions politiques et judiciaires sont imprégnées par une certaine survivance de l'ancien Régime, du bonapartisme et d'autres dérives autoritaires ; Il y a une culture immémoriale de l'exécutif. Les pouvoirs locaux, nationaux, patronaux se protègent derrière des murailles de règles destinées à tenir aussi loin que possible les citoyens et les travailleurs. L'esprit « Ve République » est dans cette filiation, et nous avons eu, nous-mêmes, tendance à l'épouser.

À ce mal traditionnel s'ajoutent des maux contemporains, qui minent, de l'intérieur, la démocratie : l'exclusion sociale, l'exclusion des jeunes, des femmes, des personnes âgées. Le scepticisme et le désenchantement des citoyens sont aggravés par l'attitude d'hommes politiques qui déchirent leurs engagements électoraux comme un chiffon de papier. Certains citoyens en arrivent à se demander à quoi bon voter.

Le Monde : La volonté de Lionel Jospin de distinguer le programme législatif de l'affirmation de principes sur la démocratie ne réduit-elle pas votre exercice, en renvoyant à plus tard votre démocratie « idéale » ?

J. Lang : Notre réflexion porte sur un horizon de cinq à dix ans ; c'est à partir de cette ligne d'horizon que sera défini, en 1997, notre programme législatif.

Le Monde : Au-delà du droit de vote des étrangers aux élections municipales, ne faut-il envisager que des réformes que l'opinion est prête à accepter ?

J. Lang : Nullement. Être démocrate, cela ne consiste pas à se conformer à la doxa, à l'opinion moyenne. La gauche n'est forte qu'en conservant l'esprit pionnier et la passion du futur. Elle se meurt si elle colle aux caprices de l'opinion. Le droit de vote des étrangers figurera dans notre texte, mais nous ne l'inscrirons pas dans notre programme législatif puisque  nous n'aurons pas les moyens juridiques de réviser la Constitution. L'exigence de loyauté, de vérité, d'honnêteté consiste à ne pas brandir un projet de réforme qui, en raison d'obstacles juridiques, ne peut pas se réaliser avant l'élection présidentielle.

Le Monde : Que proposez-vous face à la crise de la représentation politique ? Jusqu'où voulez-vous aller dans la limitation du cumul des mandats ?

J. Lang : À tous les étages de la société, la France est le royaume des chefs, grands ou petits. Étrange exception française ! Dans aucun autre pays démocratique, il  n'est possible d'être à la fois ministre et maire, parlementaire et président de région. Comment peut-on admettre qu'un ministre puisse être à mi-temps ou à tiers temps ? J'ai connu cette situation de 1989 à 1993, ayant eu la chance, de 1981 à 1986, de me consacrer totalement à mon emploi de ministre, mais ce n'est pas sain. Nous nous orientons donc vers une limitation assez générale et progressive du cumul des mandats. Les élus doivent être plus disponibles, plus responsables – par une réduction de la durée des mandats – et plus représentatifs, ce qui implique une transformation du mode de scrutin et une plus grande représentation des femmes dans la vie publique.

Le Monde : À défaut de changer les institutions, comment mettre en oeuvre un exercice du pouvoir plus citoyen ?

J. Lang : Tout ce que nous proposons ne relève pas nécessairement d'une révision de la Constitution. Beaucoup de réformes dépendront de simples lois ou de la pratique. Dans l'intervalle des élections, les citoyens doivent pouvoir participer à la vie locale. Les dirigeants doivent solliciter l'intelligence des habitants de la commune ou du pays et organiser de vrais débats sur le chômage, la réforme fiscale, la protection sociale.

Le Monde : Vous envisagez d'approfondir la démocratie sociale, mais n'y a-t-il pas, d'abord, un déficit d'application des lois Auroux de 1982 ?

J. Lang : Vous avez raison. Sur un plan plus général, il y a divorce, en France, entre les droits proclamés et les droits effectivement garantis. C'est grave dans une démocratie qui prétend obtenir la confiance du peuple. Rappelez-vous l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, qui affirmait qu'une société qui ne garantit pas les droits « n'a point de Constitution ».

En droit social, la rupture est encore plus éclatante entre les droits et les réalités : 80 % des textes sont inopérants ou ignorés. Les lois Auroux ont constitué une étape forte, mais le droit du travail a été vidé de sa substance par le chômage de masse et la précarisation ; Dans de nombreuses PME, le non-droit l'emporte. Sur les licenciements, nous voudrions rééquilibrer le rapport de forces entre le patronat et les travailleurs. Quelle mesure efficace imaginer qui ne se retournerait pas contre les travailleurs ?

D'autres moyens de protection des salariés sont à inventer : renforcement des pouvoirs de l'inspection du travail, extension des compétences des tribunaux prud'homaux, augmentation des prérogatives des délégués du personnel et des comités d'entreprise. Peut-on imaginer une médiation, obligatoire et suspensive, afin d'engager la négociation ? Nous choisirons, le moment venu, la voie la plus favorable aux travailleurs et au développement de l'emploi. Démocratie sociale, démocratie politique : même combat ! »