Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre, dans "Impact médecin" du 25 avril 1996, sur la maîtrise médicalisée des dépenses de soins et les mesures contenues dans les ordonnances pour réduire le déficit de la Sécurité sociale.

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Média : Impact Medecin

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Impact médecin : Un grand nombre de médecins libéraux ont protesté hier, mercredi 24 avril, sous des formes diverses, contre l'ordonnance sur la maîtrise médicalisée des dépenses de soins. Comprenez-vous leur réaction ?

Alain Juppé : Tous les médecins que je rencontre expriment un même sentiment : les conditions de leur exercice professionnel changent, et changent rapidement.

Ils l'éprouvent mieux que quiconque : on ne peut plus continuer à soigner aujourd'hui comme on le faisait hier. Le progrès médical va de plus en plus vite. L'information des patients est de plus en plus large, et le plus souvent mal assimilée. L'opinion publique est de plus en plus fascinée par la médecine et de plus en plus exigeante avec les médecins. Tout cela, dans un contexte où les dépenses de protection sociale pèsent de manière croissante sur le fonctionnement de notre économie. Je suis convaincu que face à ces évolutions, le pire serait de ne rien faire, de les subir, avec tous les risques pour l'égal accès de tous à des soins de qualité, qui, inévitablement, en résulteraient. C'est pourquoi le gouvernement a engagé une réforme : elle n'est pas faite contre les médecins, elle leur offre les instruments nécessaires pour surmonter cette période de mutation.

C'est avec eux, parce qu'ils entretiennent une relation suivie et confiante avec leurs patients, que nous sauverons la Sécurité sociale. Au cours des décennies passées, les médecins libéraux ont été les premiers artisans de progrès considérables dans l'amélioration de la santé des Français. Ce n'est pas un hasard si notre pays compte parmi les siens la doyenne de l'humanité. Nous savons à qui nous le devons. C'est bien pour cela que le gouvernement met tout en oeuvre pour la médecine libérale reste au coeur de notre système de soins.

Impact médecin : Quelles seront les conséquences de l'ordonnance sur la médecine de ville pour l'exercice quotidien des médecins ?

Alain Juppé : Ce qui va changer dans l'exercice quotidien, c'est que les médecins vont pouvoir très rapidement bénéficier de l'ensemble des outils de maîtrise médicalisée qu'ils ont définis depuis quelques années.

Il s'agit de faire entrer dans les faits, d'ici deux ans, ce qui, jusqu'à maintenant était resté du domaine de la postulation, largement, je dois dire, du fait des pouvoirs publics. La formation médicale continue sera généralisée et rendue obligatoire. Le codage des actes et l'informatisation des cabinets seront accélérés selon un échéancier précis. Le carnet de santé bénéficiera à l'ensemble de la population. Les outils de bonne pratique, et en particulier les références médicales opposables, joueront un rôle accru.

Ce sont ces instruments de maîtrise médicalisée rendus pleinement opérationnels qui garantiront une régulation satisfaisante, c'est-à-dire conforme aux objectifs votés par le Parlement.

Autrement dit, le projet du gouvernement, ce n'est pas de mettre un médecin-conseil derrière chaque médecin, ce n'est pas de lui imposer une norme d'activités individuelles. Mais c'est se fonder sur un esprit de responsabilité pour que le corps médical pratique en quelque sorte avec « tact et mesure ». Car, nous le savons bien, une minorité de médecins ne respectent pas les bonnes pratiques médicales ou multiplient inconsidérément les actes et prescriptions au détriment de la qualité des soins. Il n'y a rien d'anormal à ce qu'ils soient contrôlés et sanctionnés, selon des procédures qui associent les représentants des médecins. Il n'y a rien d'anormal non plus à ce qu'ils subissent le plus directement les conséquences d'un dépassement très important de l'objectif d'évolution des dépenses fixé par le Parlement, selon des modalités qu'il appartiendra largement à la convention de déterminer. Mais les sanctions ne doivent être qu'un outil exceptionnel s'exerçant dans la transparence et la clarté.

En outre, je voudrais insister sur un point, ce que j'appelle la « reconquête du territoire » par l'exercice libéral de la médecine. Notre système de soins, en dépit de ce qu'autorise aujourd'hui le progrès médical, a trop souvent réduit le champ d'intervention des médecins de ville. Il faut changer cette logique, permettre des prises en charge plus complètes et plus cohérentes, et souvent moins onéreuses. C'est tout l'enjeu des expérimentations, qu'il s'agisse des filières de soins, organisées à partir du médecin généraliste, ou des réseaux de soins, pour la prise en charge de pathologies lourdes ou chroniques.

Dans tous ces cas, bien entendu, en maintenant le principe du libre choix du malade, et sans faire peser sur lui d'obligation pour avoir accès à telle ou telle prise en charge.

Impact médecin : Plusieurs syndicats médicaux dénoncent un risque d'étatisation de la médecine : quel sera dans l'avenir le rôle des partenaires conventionnels ?

Alain Juppé : Soyons clairs : la convention, c'était un ménage à trois. Un couple légitime, l'assurance maladie et les syndicats de médecins. Et l'État, qui, si vous me passez l'expression, tenait la chandelle, c'est-à-dire multipliait les interventions dans le champ conventionnel.

Eh bien cela, c'est fini ! En application de la réforme constitutionnelle et de la loi organique, l'État déterminera, dans une convention d'objectifs et de moyens avec les caisses, le cadre général dans lequel s'inscrira la gestion du système de soins. Et, ensuite, aux partenaires conventionnels de jouer, dans plus de possibilité pour le gouvernement et les administrations d'intervenir à toute occasion, avec la garantie sur ce point d'un conseil de surveillance chargé d'indiquer au Parlement comment ce principe de non-intervention a été respecté.

Le rôle des partenaires conventionnels sera ainsi essentiel : détermination des objectifs d'évolution des dépenses remboursées pour les différentes activités de médecine de ville dans le cadre de l'objectif fixé par le Parlement, élaboration et suivi des instruments de bonne pratique médicale qui sont essentiels au respect de ces objectifs... Ce n'est qu'en cas de blocage conventionnel que l'État pourrait exercer un pouvoir de substitution, de façon notamment à maintenir les remboursements pour les assurés.

Le mécanisme de régulation des dépenses de médecine ambulatoire montre bien l'importance déterminante des partenaires conventionnels.

En quoi consiste exactement ce mécanisme ? Dans le cas où le dépassement de l'objectif d'évolution des dépenses aura été d'un niveau tel qu'il excède le niveau de la revalorisation d'honoraires décidée en début d'année et mise en provision, les médecins seront appelés à un reversement. Mais les conditions de ce reversement ne seront pas fixées arbitrairement par l'État, mais par les partenaires conventionnels qui sont les mieux placés pour individualiser ce reversement sur des critères médicalisés.

Impact médecin : Le président de la Cnamts a affiché son opposition à cette réforme : cette position est-elle défendable ?

Alain Juppé : Nous sommes en République, chacun est heureusement libre d'exprimer ses opinions...

Impact médecin : Beaucoup de médecins libéraux voient un décalage, certains emploient même le terme de trahison, entre les propos de la campagne présidentielle et votre politique de maîtrise de soins. Qu'avez-vous à répondre à ce sentiment ?

Alain Juppé : Pendant la campagne électorale, le président de la République s'est exprimé à différentes reprises, et en particulier dans votre journal, sur ses objectifs en matière de santé.

Quels étaient-ils ? Mettre la réforme de l'hôpital au coeur des priorités, avec pour objectif premier la qualité des soins et le souci du malade. Renforcer la maîtrise médicalisée des dépenses de soins de ville et lui permettre d'être effective. Ne pas dépenser plus, mais dépenser mieux. Ne pas rationner, mais rationaliser notre dispositif de prise en charge. Arrêter les déremboursements qui pèsent sur les assurés et conduisent à l'exclusion des soins.

Je n'ai pas le sentiment que les trois ordonnances qui ont été présentées trahissent, comme certains veulent le faire croire, ces engagements.

La réforme de l'hôpital est engagée, avec des instruments puissants et nouveaux : création des agences régionales de l'hospitalisation, mise en place d'une procédure d'accréditation obligatoire, mise en oeuvre de contrats d'objectifs et de gestion avec chaque hôpital, regroupement de services à l'initiative des équipes en centres de responsabilités... C'est une transformation en profondeur de la gestion de l'hôpital.

La maîtrise médicalisée des dépenses de soins de ville est renforcée, comme je vous le disais à l'instant, dans le droit-fil des dispositifs conventionnels.

La coopération entre hospitalisation publique et hospitalisation privée, entre hôpital et médecine libérale est facilitée, qu'il s'agisse de la création des groupements de coopération sanitaire, de la généralisation du carnet de santé et des expérimentations de réseaux prévues.

Quant à l'encadrement budgétaire, je récuse ce faux procès. Le taux voté par le Parlement prendra en compte les nécessités de santé publique qu'aura fait apparaître la Conférence nationale de santé. Il ne s'agit pas de mettre une camisole de force, il s'agit d'utiliser les moyens au mieux de l'intérêt des malades. C'est là l'inspiration essentielle de cette réforme.

Je le répète, il n'est pas question de rationner les soins. Notre objectif, c'est que les malades soient mieux soignés et que les médecins continuent d'avoir tous les moyens pour améliorer la qualité des soins.

Impact médecin : Vous demandez des efforts importants aux médecins. Ne faut-il pas agir sur les assurés sociaux qui abusent du système de santé ?

Alain Juppé : La responsabilisation des assurés sociaux est, bien entendu, indispensable. Mais elle ne doit plus passer par une politique de déremboursement qui a conduit notre pays à avoir un taux de remboursement qui n'est que de l'ordre de 70 % pour les soins de ville et qui pèse sur les conditions d'accès aux soins des plus modestes. Il faut maintenant agir par d'autres moyens.

D'abord par le développement des actions de prévention et d'information pour la santé qui doivent commencer dès l'école.

Mais également par la mise en place du carnet de santé, puis, dès 1998, par la carte à puce qui aura pour effet de réduire les pratiques actuelles de nomadisme médical qui sont la source de bien des gaspillages.

Enfin, l'apposition d'une photographie d'identité sur la future carte à puce permettra de lutter efficacement contre des abus que l'on ne peut plus tolérer.

Cette responsabilisation des assurés, c'est aussi l'objectif de l'expérimentation des filières de soins organisée à partir du médecin généraliste, de façon à permettre un recours plus avisé aux différents acteurs du système de santé. Bien entendu, ces expérimentations, fondées sur le double volontariat du patient et du médecin, devront être soigneusement évaluées.

Impact médecin : Si l'objectif des dépenses de médecine ambulatoire est respecté et que, par ailleurs, le déficit de l'assurance maladie persiste, le gouvernement acceptera-t-il des revalorisations d'honoraires ?

Alain Juppé : Bien entendu. C'est là toute la logique du système. Ne plus faire peser sur la médecine libérale le poids d'un déficit dont elle ne serait pas responsable dès lors que les objectifs auront été respectés. C'est d'ailleurs ce qui se passe d'ores et déjà pour les autres professions de santé.

Impact médecin : Les mesures contenues dans les ordonnances permettront-elles de contenir, en 1996 et en 1997, le déficit de la Sécurité sociale, et plus généralement de l'assurance maladie ? Les prévisions de croissance pour 1996 sont en effet moins favorables que prévues. Quel en sera l'impact sur les comptes sociaux ?

Alain Juppé : Il est clair que le ralentissement de la conjoncture économique ne peut que peser sur la croissance des recettes de la Sécurité sociale, qui restent trop dépendantes de la seule évolution de la masse salariale. Il aura à l'évidence des répercussions mécaniques sur l'équilibre des différentes branches. Il appartiendra à la commission des comptes de la Sécurité sociale de les préciser.

S'agissant plus particulièrement de l'assurance maladie, j'observe que selon les informations dont je dispose, les budgets hospitaliers sont globalement tenus. Je ne doute pas que le renforcement des dispositifs de maîtrise médicalisée permet une même évolution pour les soins de ville. C'est pourquoi je souhaite que les partenaires conventionnels reprennent rapidement leurs discussions. C'est dans cet esprit que j'ai décidé, comme le demandaient plusieurs des partenaires sociaux, d'anticiper, au 15 juillet, le renouvellement du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance maladie, prévu initialement au 30 septembre.

Impact médecin : La perspective d'avoir à trouver de nouvelles ressources financières pour la Sécurité sociale vous semble-t-elle écartée ?

Alain Juppé : Il appartiendra à la première loi de financement de la Sécurité sociale, qui sera présentée au Parlement dès l'automne, de se prononcer sur les voies et les moyens de l'équilibre. Le surplus de croissance attendu pour le second semestre devrait, de ce point de vue, apporter par lui-même un supplément de recettes à la Sécurité sociale.

Il faut, par ailleurs, faire évoluer notre système de financement de la Sécurité sociale pour plus de justice et pour qu'il ne pèse plus comme aujourd'hui sur l'emploi. C'est en ce sens que j'ai demandé à la commission de réforme fiscale présidée par M. de Lamartinière de me remettre, pour la fin du mois de mai, ses premières conclusions, notamment sur une répartition mieux équilibrée du financement de l'assurance maladie entre les différentes catégories de revenus, et sur la recherche d'une assiette plus favorable à l'emploi pour la cotisation sociale.

Impact médecin : Les efforts demandés aux médecins hospitaliers ne sont-ils pas une fois encore moins importants que ceux demandés aux médecins libéraux ?

Alain Juppé : Pour la médecine libérale comme pour l'hôpital, la réforme obéit à la même logique : dépenser mieux pour se donner les moyens d'améliorer la qualité des soins. Et il n'y a pas deux poids deux mesures entre l'hôpital et la médecine de ville.

Ainsi, en 1996, le taux directeur hospitalier a été fixé à 2,1 %, soit à un niveau identique à celui de l'objectif d'évolution des dépenses de médecine de ville.

Plus généralement, le Parlement votera désormais, chaque année, un objectif d'évolution des dépenses de l'assurance maladie. Pour que ce vote soit respecté, les instruments nécessaires seront mis en place : mécanisme de régulation pour la médecine de ville, opposabilité des dotations pour les hôpitaux publics.

Certes, ces mécanismes fonctionneront différemment, mais c'est parce que les conditions d'exercice sont différentes : exercice individuel et libéral en médecine ambulatoire, exercice collectif et salarié en médecine hospitalière publique. Mais ils seront tout aussi effectifs.

La réforme de l'hospitalisation est en effet profonde. Première révolution : la qualité des soins va être placée au coeur du fonctionnement de l'hôpital. Ainsi, et pour ne prendre que deux exemples, l'accréditation par une instance scientifique indépendante va devenir obligatoire pour tous les établissements de santé, et les références médicales vont être mises en place pour les consultations externes en hôpital. Seconde révolution : la logique contractuelle, qui est un des piliers de l'organisation de la médecine libérale, va être introduite à l'hôpital entre les équipes médicales et paramédicales et le directeur de l'établissement, entre les établissements et l'agence régionale de l'hospitalisation, pour permettre la collaboration entre les hôpitaux publics et les cliniques privées grâce au groupement de coopération sanitaire.

Cette réforme, nous nous donnerons les moyens de la mettre en place très vite. Avant même la constitution des agences, leurs directeurs seront nommés en Conseil des ministres pour mettre aussitôt en oeuvre les procédures nouvelles, dès le vote de la première loi de financement de la Sécurité sociale.

Impact médecin : La régionalisation de la gestion hospitalière ne signifie-t-elle pas une forte reprise en main de l'hôpital par l'État ?

Alain Juppé : L'objectif de la réforme de l'hôpital est de libérer le système hospitalier du double carcan du budget global et du cloisonnement entre l'hospitalisation publique et privée. Pour cela, la réforme de l'hospitalisation a fait le choix de la régionalisation, mais aussi, je le disais à l'instant, de la contractualisation entre, d'une part, une autorité plus forte, le directeur de l'agence régionale, et, d'autre part, des hôpitaux plus responsables et plus autonomes, une fois le contrat défini.

Nous sommes donc là encore non pas dans une logique d'étatisation, mais dans une logique qui consiste à libérer les capacités d'initiative de tous les acteurs de l'hospitalisation, avec comme conséquence une exigence forte de responsabilité sans laquelle rien de solide ne pourra se construire à l'hôpital.

Impact médecin : Pensez-vous que l'industrie pharmaceutique française dispose de tous les atouts pour assurer son développement dans un contexte marqué par une très forte concurrence ?

Alain Juppé : L'industrie pharmaceutique française est confrontée depuis plusieurs années au double défi de l'internationalisation des marchés et de la course à la concentration considérée comme la condition nécessaire à la mise au point et à la commercialisation de molécules innovantes. Ce défi, elle a commencé à le relever avec succès, ainsi qu'en témoignent les bons résultats de notre industrie sur les marchés étrangers. Mais cet effort doit être poursuivi maintenant dans deux domaines essentiels : les génériques et les thérapies géniques.

L'industrie pharmaceutique française doit, en effet, rattraper son retard en matière de générique, car les contraintes économiques qui pèsent sur l'assurance maladie et la nécessité de dégager des marges financières pour rembourser des médicaments nouveaux sur la base des prix mondiaux exigent que le marché des génériques se développe au plus vite dans notre pays. Les ordonnances prévoient ainsi un certain nombre de mesures nécessaires à ce développement.

Pour l'avenir, tout doit être fait pour développer les synergies nécessaires entre notre recherche fondamentale, notamment dans le domaine de la génétique humaine, et notre industrie. Nous entrons, en effet, à grands pas dans l'ère où les thérapies géniques permettront de lutter contre certaines maladies incurables d'origine génétique. C'est sur la capacité de notre industrie à s'engager sur ce marché que se joue pour l'avenir sa place au niveau mondial.

Impact médecin : L'effort que l'industrie a fourni cette année en apportant une contribution de 2,5 milliards de francs sera-t-il reconduit ?

Alain Juppé : Cette contribution était nécessaire au redressement des comptes de l'assurance maladie et décidée compte tenu du niveau particulièrement rapide de progression en 1995 des dépenses pharmaceutiques remboursées. Je souhaite que les mécanismes conventionnels, auxquels je suis attaché, contribuent à la modération indispensable à ces dépenses au cours des mois qui viennent. Les nouveaux mécanismes prévus dans l'ordonnance sur la médecine de ville devraient également y concourir.

Impact médecin : Que se passera-t-il si l'ensemble du dispositif de réforme du système de santé ne produit pas les fruits attendus dans les trois prochaines années ?

Alain Juppé : Je ne me place absolument pas dans cette perspective, car nous sommes en train de conduire une réforme structurelle profonde qui donnera à tous les acteurs de notre système de santé les moyens de préserver et de moderniser notre assurance maladie. Cette chance, je suis convaincu que nous saurons la saisir tous ensemble : les professionnels de santé, les partenaires sociaux, les assurés sociaux et l'État, car l'enjeu, c'est l'existence du modèle français d'assurance maladie qui a su concilier l'égal accès de tous à des soins de qualité et l'exercice libéral de la médecine.

Qu'on ne s'y trompe pas : l'alternative ne serait pas plus de liberté, mais plus de contraintes, pour le patient comme pour le médecin, et une exclusion grandissante des soins. Le système américain est tout, sauf libéral...

Impact médecin : Parmi tous les chantiers que vous avez ouverts depuis que vous êtes à Matignon, quel est celui qui vous paraît le plus important ?

Alain Juppé : Celui de la protection sociale est pour moi essentiel. Car c'est notre cohésion sociale, et plus généralement notre pacte républicain, qui est en cause. Notre Sécurité sociale, qui fonde depuis 1945 la solidarité entre les Français autour du principe fondamental de légalité devant la maladie, la vieillesse et les charges de famille, doit à tout prix être sauvegardée. Mais il est également de notre responsabilité d'agir pour moderniser, rendre plus juste notre protection sociale. C'est pourquoi le gouvernement engagera, dans les mois qui viennent, deux réformes fondamentales : l'assurance maladie universelle, pour que plus personne ne puisse être dans les faits exclu du droit aux soins, et la réforme de financement de la protection sociale, pour que tous les revenus, et notamment ceux du capital, contribuent à l'effort collectif de solidarité.