Interviews de M. François Léotard, président de l'UDF, dans "Les Echos" du 5 mai, "Le Journal du dimanche" du 18, "La Nouvelle République du centre-Ouest" du 21 et dans "Le Monde" du 23 mai 1997, et article dans "Ouest-France" du 14, sur le projet économique et politique de la majorité RPR-UDF pour les élections législatives 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives des 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Energies News - Les Echos - La Nouvelle République du Centre Ouest - Le Journal du Dimanche - Le Monde - Les Echos - Ouest France

Texte intégral

Date : 5 mai 1997
Source : Les Echos

Les Echos : Le projet RPR-UDF promet de nouvelles baisses d’impôts face à une réduction de la dépense publique. Mais, il reste complètement muet sur leur rythme. Quel sera-t-il ?

François Léotard : D’abord, le projet part d’un engagement pris par le Parlement sur l’impôt sur le revenu puisqu’un texte de loi a été voté par l’actuelle majorité, prévoyant une réduction de 75 milliards sur cinq ans. Le rythme sera maintenu. Cela représente 25 milliards d’allégement cette année et 12,5 milliards l’an prochain. À partir de là, se posaient deux questions : devait-on s’orienter vers une baisse de l’impôt sur la consommation (la TVA), ce que, d’une certaine manière, je souhaitais, ou vers un allégement des charges sociales. Dans la discussion, d’abord interne à l’UDF, puis entre le RPR et l’UDF, il est apparu que poursuivre 3 lièvres à la fois n’était pas réaliste. J’ai accepté qu’on ne mette plus en avant la baisse de la TVA, et qu’on mette l’accent sur la baisse des cotisations sociales. Avec deux perspectives : soit une franchise de cotisations sur les 1 500 premiers francs, soit l’élargissement du « mécanisme textile », qui est un peu différent. Nous voudrions que ce débat soit laissé à l’appréciation de la future assemblée. Mais le choix est bien de faire porter dans l’immédiat, la totalité de la baisse des prélèvements obligatoires, en plus de l’impôt sur le revenu, sur la baisse des cotisations sociales.

Les Echos : Quelle est la logique ?

François Léotard : On s’est aperçu que l’enrichissement de la croissance en emplois était réelle avec ce type de mécanisme. Comme, en plus, la perspective de croissance est maintenant assez satisfaisante sur 1998, on peut penser que l’effet multiplicateur sera important. Il restera bien entendu à décider, si l’activité est vraiment au rendez-vous ou même si elle s’amplifie, s’il convient d’envisager, en plus, des baisses de TVA ciblées sur des secteurs précis, et ce dès 1998. Il faudra bien se rapprocher un jour de la moyenne européenne pour ce qui concerne la TVA.

Les Echos : La baisse de l’IRPP se déroulera selon un plan quinquennal. La baisse des charges se fera-t-elle de la même façon ?

François Léotard : Je préférerais une formule qui consiste en un dispositif assez massif et clair en une fois. En fonction des résultats, on pourra, alors, trouver éventuellement d’autres applications.

Les Echos : La poursuite du transfert de la cotisation maladie sur la CSG n’apparaît pas dans votre dispositif.

François Léotard : Non, parce que la question à poser au Parlement est de savoir jusqu’à quel niveau on poursuit l’évolution déjà engagée. Cette question n’est pas tranchée actuellement.

Les Echos : Par crainte de taxer trop les revenus de l’épargne ?

François Léotard : Essentiellement, oui. Il y a un équilibre à trouver. Si, comme c’est notre volonté, on veut favoriser le salaire direct, c’est une bonne décision. Il faut maintenant voir à quel moment on s’arrête.

Les Echos : En matière fiscale, vous parlez d’un grand mouvement qui va s’étaler sur cinq ans. Mais, à court terme, quelle sera son ampleur ?

François Léotard : Ce n’est peut-être pas dans le domaine fiscal que devrait venir, pour reprendre les termes d’Alain Juppé sur les quarante jours, les premières mesures. Par définition, cette décision politique de dissoudre nous permet d’obtenir du temps politique. Par définition, sa vraie vertu est de donner à la France cinq années pour des réformes de fond.

Les Echos : Il y aura quand même un débat d’orientation budgétaire et, assez vite, annonce de baisses de charges. Quel sera son montant ? De l’ordre de 10 milliards de francs, 20, 30 ?

François Léotard : Vous savez que cela suppose  j’ai observé que la gauche le dit aussi  une réforme profonde des aides à l’emploi puisque c’est le seul gisement intelligent où l’on peut opérer des basculements. Il faudra un peu de temps.

Les Echos : Au chapitre des marges de manœuvre, interprétez-vous les critères de Maastricht en tendance ou aux 3 % près ?

François Léotard : Je suis plus attaché à la date qu’aux critères parce qu’un report de la décision serait effectivement catastrophique pour l’Europe. Le report, c’est le déchaînement du tumulte des marchés à peu près assuré. Alors que, lorsqu’on lit attentivement le Traité de Maastricht, l’analyse des critères doit se faire en tendance. Donc, il n’y a pas rupture du traité, ni de notre signature si la tendance est continue  et elle l’est actuellement en France  pour ce qui concerne les critères les plus difficiles, ceux du déficit et de la dette.

Les Echos : Vos propos ne donnent-ils pas un argument aux socialistes pour interpréter avec souplesse les critères de Maastricht ?

François Léotard : Pour eux, cette lecture du traité est un prétexte au laxisme, à l’abandon des disciplines budgétaires. J’ai bien le sentiment que leur idée est de se débarrasser d’un certain nombre de contraintes de bon sens, pour ne pas respecter ces critères. Moi, je souhaite qu’on les respecte, mais, ce n’est pas le « virgule quelque chose » qui va empêcher cet évènement historique pour les Européens qu’est l’émergence d’une monnaie unique. À condition qu’on soit très strict sur la tendance, qu’on ne revienne pas en arrière et même qu’on aille vers l’équilibre budgétaire.

Les Echos : Vous tablez sur le fait que la baisse des dépenses publiques va financer, sur cinq ans, les baisses d’impôt. Mais le processus ne sera plus immédiat.

François Léotard : Notre dispositif part du constat, aujourd’hui reconnu par tout le monde, que nous battons les records à la fois de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires. C’est la vraie faiblesse française, le point de départ de tout raisonnement économique dans cette bataille électorale. De quels paramètres disposons-nous ? La nouvelle venue dans ce débat électoral est la croissance. Tous les instituts de conjoncture concordent sur sa remontée et sur le fait que la France est un pays qui rejoint la moyenne des grands pays industriels. Ensuite nous pouvons espérer que la politique de meilleure gestion du secteur public, que je n’hésite pas à qualifier de libérale  ce n’est certainement pas un adjectif chargé d’opprobre  nous amènera à ne pas connaître les gaspillages considérables du passé. Quand on évoque les dépenses publiques, les socialistes mettent l’accent sur la fonction publique. Mails ils évitent de parler des gaspillages monumentaux qui proviennent de la mauvaise gestion des entreprises nationales ou publiques (Crédit Lyonnais, Giat, GAN, entreprises de transport...). Je vous rappelle que c’est de l’ordre de plusieurs centaines de milliards.

Les Echos : Concrètement, où couperez-vous ?

François Léotard : Sur la fonction publique (600 milliards qui pèsent sur le budget de l’État), il faut avoir une attitude marquée par deux principes : d’abord un audit des fonctions de l’État, ce qui n’a jamais été fait en tant que tel. Ensuite, le non-remplacement partiel des départs à la retraite, selon un chiffre issu de cet audit. Et là je cite quelques pistes pour bien montrer qu’il ne s’agit ni des infirmières, ni des policiers. Premièrement, I'administration des domaines au ministère des Finances. Son objectif est d’évaluer les biens publics. Pourquoi ne pas confier cela à des cabinets privés mis en concurrence ? Deuxièmement, les Renseignements généraux à l’intérieur de la Police nationale. C’est plusieurs milliers de personnes. Vous en affectez une partie à la police judiciaire et vous redevenez un pays dans lequel il n’y a plus de police spécialisée dans l’information politique. Troisièmement, les structures de l’État dans les départements et les régions, qui n’ont pas été modifiées après les lois de décentralisation et qui font souvent double emploi avec des structures départementalisées. Quatrièmement, les services de communication des grands ministères. On peut poursuivre la liste, notamment dans les administrations centrales…

Les Echos : Cela veut dire que vous ne vous sentez pas tenu par le chiffre cité par Alain Juppé de 5 000 réductions par an du nombre de fonctionnaires. Cela pourrait être plus, en fonction de l’audit ?

François Léotard : Oui, en fonction de l’audit et de la nécessaire réforme de certaines structures publiques.

Les Echos : Sur l’ensemble de la dépense publique, le Premier ministre parle pour le moment d’une stabilisation en francs constants. Pensez-vous qu’on peut aller au-delà et viser une réduction ?

François Léotard : Je crois effectivement qu’on peut réduire la dépense publique mais pour y parvenir, il faut fixer, par une loi organique, la règle impérieuse  sauf crise grave  d’un excédent du budget de l’État. C’était le cas au tout début de la Ve République. Et il faut y parvenir dans les quatre ou cinq ans. Pourquoi impose-t-on cette règle aux communes et pas à l’État ?

Les Echos : Vous voulez limiter le nombre de ministres à quinze. Est-ce réaliste ?

François Léotard : Ce n’est pas du tout impossible. Aujourd’hui, on en compte seize, tout le reste étant des ministres délégués ou des secrétaires d’État. Notre idée est de faire en sorte qu’il y ait une identification très forte de l’homme responsable de l’administration concernée, et puis, à côté de lui, des secrétaires d’État qui ne siègent pas au Conseil des ministres, et qui peuvent être renouvelés plus fréquemment Chaque ministre sera davantage responsable de l’amélioration de la gestion de son administration.

Les Echos : Sur la décentralisation, vous avez visiblement réussi à convaincre votre partenaire RPR. Mais êtes-vous bien sûr qu’en transférant aux régions un certain nombre de responsabilités nouvelles, l’ensemble des dépenses publiques ne va pas augmenter ?

François Léotard : C’est la véritable question. La décentralisation n’est pas en elle-même garante d’une bonne gestion. Mais nous pensons que la pression des contribuables, en vue de limiter la dépense publique, peut plus facilement se concentrer sur des élus clairement identifiés que sur un État trop dispersé. Mais vous avez raison de dire que cela supposera beaucoup de volonté, alors que les besoins locaux explosent et qu’une partie des tâches jadis conférées à l’État tombent maintenant dans la corbeille des collectivités.

Les Echos : Vous disiez tout à l’heure que vous n’aviez pas peur, ou pas de réticence envers le libéralisme. Pourquoi est-ce qu’à votre avis, ce mot ne figure pas dans les discours de la majorité ?

François Léotard : Je refuse d’être culpabilisé sur ce mot et je trouve cette campagne plus que désagréable. Elle est marquée par beaucoup d’ignorance politique. Le libéralisme, c’est le contraire de l’esprit de système. C’est une attitude de l’esprit qui refuse l’embrigadement, la soumission de l’individu à la collectivité ou à la masse. Ensuite, c’est une attitude vis-à-vis de la société qui est faite de tolérance, de générosité et de responsabilité. Enfin, sur le plan économique, c’est l’idée que ni l’emploi, ni la création de richesses, ne sont au premier chef le fait des pouvoirs publics. C’est le fait des individus regroupés en associations qui s’appellent entreprises, communautés... Et, je trouve tout ça non seulement moderne, mais parfaitement respectueux de la dignité humaine et de sa profonde et essentielle liberté.

Les Echos : Et libéralisme et modèle social ? Peut-on conserver entièrement, comme le laisse entendre la plate-forme RPR-UDF, le système social tel qu’il fonctionne actuellement ?

François Léotard : Tout dépend de ce qu’on entend par « singularité française », ou par « exemple français ». Si la singularité française, ce sont les retraites du secteur public, dont tout le monde sait, y compris les principaux syndicats concernés, qu’elles sont infinançables à un horizon prévisible, c’est une mauvaise singularité. Je crois qu’il faut avoir le courage de dire que certains exemples de ce qu’on appelle le modèle français sont une singularité négative.

Les Echos : Outre les retraites, qu’appelez-vous singularité négative ?

François Léotard : Le mécanisme des lois Aubry où l’on confie à un juge l’analyse des conditions d’un licenciement. C’est une absurdité. La situation de quasi-monopole dans certains secteurs clés de l’économie grâce à laquelle, au moment même où je vous parle, un groupe très minoritaire de salariés peut bloquer une partie de l’économie pour faire valoir quelques droits qui lui sont propres. C’est vraiment de l’abus de pouvoir !

Les Echos : Mettez-vous aussi le contrat de travail dans cette catégorie ?

François Léotard : D’une certaine manière, oui. On peut mettre aussi certaines règles de la fonction publique. Un exemple : la fonction publique territoriale ou hospitalière. Le problème majeur des syndicats y est de préserver les règles d’avancement, qui sont totalement mécaniques. Il n’y a, à proprement parler pas de reconnaissance du mérite et aucune appréciation sous forme de notation car les notations sont sans arrêt en augmentation. Si les chômeurs savaient cela, et aussi certaines personnes du secteur privé, ils seraient stupéfaits ! Je ne sais pas comment appeler ça autrement qu’une injustice.


Date : Mercredi 14 mai 1997
Source : Ouest-France

« Rapprocher les décisions des citoyens, suivant la définition consacrée de la décentralisation, c’est très concrètement donner le plus possible de pouvoir à des hommes que chacun connaît, rencontre et peut interpeller. La démocratie locale, tout élu le sait, ne se pratique pas seulement lors du scrutin : elle est tissée de rencontres quotidiennes, nourrie de la vie associative, fortifiée par l’exigence de qualité de service public des électeurs-administrés.

C’est cette vitalité qui fait de la décentralisation le système de gestion publique le plus efficace. On l’a constaté pour toutes les attributions déjà décentralisées : le transfert réduit les coûts et améliore le service rendu. Rien n’incite mieux à l’économie et à l’efficacité que la capacité du citoyen à sanctionner directement le manque de rigueur financière ou professionnelle.

Le projet de la majorité fonde, sur cette constatation, un premier train de nouveaux transferts de compétences : formation professionnelle, aide aux PME-PMI, culture et logement pour les régions, aide sociale pour les départements. Les communes pourront, par des contrats locaux de sécurité signés avec l’État, s’impliquer dans l’amélioration de la sécurité de proximité, première immixtion des élus dans ce domaine essentiel de la vie urbaine, où ils sont en mesure d’apporter leur connaissance des situations concrètes et de la demande des habitants.

Deux mesures de bonne démocratie permettront à ces transferts de s’effectuer dans de bonnes conditions : d’abord, on ne pourra plus être maire d’une ville importante et président de la région ou du département, ni cumuler l’une de ces fonctions avec celle de ministre. Affirmer qu’elles doivent être exercées à plein temps, c’est rendre leur dignité aux responsables de terrain.

Quant à la réforme de l’élection des conseils régionaux, elle permettra à la plus jeune des collectivités, la Région, de retrouver son dynamisme et sa stabilité.

On peut aller plus loin, et l’UDF le souhaitera : la décentralisation doit constituer l’un des moteurs de la réforme de l’État vers plus de proximité, d’économies, d’efficacité.

La prochaine législature doit être l’occasion de progresser dans tous ces domaines, et je proposerai que, dès 1997, comme ce fut le cas pour l’aménagement du territoire, un grand débat national soit organisé sur la décentralisation. Il devrait porter sur la clarification des responsabilités entre les différentes collectivités, la réduction du nombre des niveaux de décentralisation et la création de contre-pouvoirs évitant les errements autocratiques de certains élus.

Ainsi, pourrons-nous, peu à peu, appliquer ce principe simple qui veut que chaque décision soit prise le plus près possible des citoyens qu’elle concerne : au terme compliqué de subsidiarité qui le désigne habituellement, je préfèrerais celui de transparence du pouvoir.


Date : 18 mai 1997
Source : Le Journal du Dimanche

Le Journal du dimanche : Concrètement, François Léotard, en cas de victoire de la majorité le 1er juin, comment redonner le pouvoir aux Français ?

François Léotard : Le principal bilan de l’actuelle majorité c’est le retour de la croissance en France. Cette réalité s’est établie peu à peu aux yeux de tous les instituts de conjoncture. Nous proposons aujourd’hui d’accompagner cette croissance, dont il faudra redéfinir les objectifs, d’une nouvelle réflexion sur notre démocratie ; c’est-à-dire de redonner à nos compatriotes un pouvoir réel sur leur vie sociale.

Redonner du pouvoir, c’est d’abord se présenter aux électeurs, comme nous le faisons, avec un projet lisible, qui établira des responsabilités politiques mieux réparties, plus claires et plus proches, pour redonner aux français plus de moyens d’agir sur les décisions qui les concernent.

Ce gouvernement, resserré autour de quinze ministères sera mieux à même, par sa cohérence et une identification précise des responsabilités, de pratiquer une méthode de réforme qui fera pleinement appel à la concertation, et comptera davantage sur la force de conviction que sur l’exercice de l’autorité ; l’on ne réforme bien qu’en étant compris avant de vouloir être obéi.

Dans le même souci de permettre aux citoyens d’exercer effectivement leur pouvoir de contrôle des responsables publics, nous limiterons plus strictement le cumul ; il n’est ni possible ni raisonnable de diriger une commune importante, un département ou une région en même temps qu’un ministère.

Des ministres et des élus exécutifs à plein temps, c’est l’une des conditions d’une nouvelle décentralisation. Elle comporte nécessairement la réforme du scrutin régional, qui donnera force et stabilité à la collectivité la plus jeune de notre démocratie.

C’est notamment à son profit que l’État devra décentraliser de nouvelles compétences, en matière de formation, de logement, d’action économique et de culture ; départements et communes recevront pour leur part des responsabilités accrues en matière d’action sociale et de sécurité.

Au rapprochement des centres de décision correspond, dans l’ordre économique, la réduction des impôts, la promotion du contrat et la simplification administrative. On a plus de liberté et de pouvoir quand on consomme ou que l’on investit, que quand on paie l’impôt.

Cette vérité d’évidence fait de la réduction de la dépense publique un impératif de démocratie : quand 55 % du PIB est dépensé par les structures publiques, c’est la vie quotidienne de chacun qui en est affectée, et l’emprise des administrations qui s’étend sur la société. De même, quand la loi ou le règlement prend le caractère de l’éphémère, du conjoncturel, du catégoriel, le citoyen se dérobe naturellement à son respect. Nous devons faire de la sobriété et de la clarté de notre législation le prolongement normal d’une interdiction des cumuls.

Un pouvoir plus équilibré, des citoyens plus libres d’agir, un droit plus simple et plus clair ; ce n’est pas seulement pour nous un objectif conforme à nos valeurs, c’est un impératif d’efficacité.


Date : 23 mai 1997
Source : Le Monde

Le Monde : N’est-il pas surprenant que la majorité sortante, qui a, dans le passé, accepté la cohabitation, la présente aujourd’hui comme un danger ?

François Léotard : La cohabitation n’est pas en elle-même étrangère au système politique et institutionnel français, ni même contradictoire avec ce système. Il se trouve qu’elle prendrait aujourd’hui, si elle devait se faire, une signification particulière. Pour au moins trois raisons. La première, c’est que ce ne serait pas une cohabitation entre deux forces politiques, mais entre trois : un Président de la République qui dit « oui » à la question essentielle de l’euro ; un éventuel Premier ministre, Lionel Jospin, qui dit « peut-être » ; et un partenaire, même minoritaire, mais très encombrant, le PC, qui dit « non ». Ces trois forces-là rendent la lecture d’une cohabitation encore plus difficile que ce n’était le cas jadis. Et donc, vis-à-vis de nos partenaires, pose davantage de problèmes.

La deuxième raison, c’est l’éventuelle durée de cette cohabitation. Cinq ans, ce n’est pas une parenthèse ! Cela poserait probablement des difficultés de nature politique un jour ou l’autre. La troisième raison, c’est que les rendez-vous auxquels faisait allusion le Président de la République  la monnaie, les institutions, l’élargissement et la défense  justifient une très grande cohérence entre l’exécutif et le législatif. Sur chacun de ces sujets, nous risquerions d’avoir une différence forte d’analyse entre l’exécutif et le législatif, et pas simplement sur la monnaie. Je ne pense pas que l’on puisse trouver d’équivalent entre 1986 et 1988 quant à l’importance de ces enjeux.

Mais ne disons pas qu’en elle-même la cohabitation est contraire aux institutions ! Elle est même l’application stricte du droit français. Ne disons pas le contraire de ce que nous avons dit en 1986 !

Le Monde : Vous n’êtes donc pas d’accord avec M. Jospin lorsqu’il affirme qu’il existe un consensus entre la droite et la gauche sur l’Europe...

François Léotard : D’abord, Lionel Jospin ne parle que de la monnaie, il ne parle pas des trois autres rendez-vous. Et j’aimerais savoir quelle est la position du Parti communiste sur l’élargissement, sur les institutions et sur la défense. Même sur la monnaie, deux des conditions posées par Lionel Jospin méritent d’être regardées de plus près : celle sur la participation de l’Italie et de l’Espagne au premier train de l’euro et celle qui concerne la surévaluation éventuelle de la monnaie unique. Je ne partage pas ces deux conditions.

Je souhaite vivement que l’Italie soit dans la surface politique de l’euro, mais à condition qu’elle respecte les critères. Sur la surévaluation éventuelle de l’euro, je crains que cette dernière condition ne soit la porte de sortie qui permettrait à la gauche de ne pas respecter la date. Car c’est une appréciation extraordinairement subjective, et je crains qu’elle ne soit le prétexte à un report indéfini de la date ou, même, à une rupture des accords. Or, ce sont les marchés qui vont en grande partie fixer le niveau de cette monnaie. En outre, je ne suis pas pour un euro faible, mais pour un euro solide. Les Allemands ont raison de souhaiter que l’euro ait les mêmes qualités que leur monnaie, qui leur a permis des succès économiques considérables dans les cinquante dernières années.

Quant au gouvernement économique, il faudrait définir exactement ce que cela signifie. Je suis très attaché à l’indépendance de l’institut d’émission européen. Cela fait trois conditions de Lionel Jospin, sur quatre, qui appellent une certaine réserve.

Le Monde : Le programme de l’UDF se prononce pourtant pour un gouvernement économique via le conseil des ministres des finances...

François Léotard : Oui, mais dans le respect de l’indépendance de l’institut d’émission. En outre, l’objectif de ce gouvernement économique doit être la convergence économique, c’est-à-dire, la discipline budgétaire et la convergence fiscale, plutôt que la manipulation monétaire.

Le Monde : Quelles sont, selon vous, les réformes indispensables au « nouvel élan » annoncé pour l’année qui vient ?

François Léotard : Nous sommes devant une situation effectivement nouvelle. Premièrement, nous sommes à l’aube, je crois, d’une nouvelle période de croissance en Europe et en France, puisque la perspective de croissance pour 1998 est maintenant de 3 %. À 3 %, beaucoup de nos difficultés peuvent être résolues. Le débat d’orientation budgétaire permettra de dessiner non seulement le budget de 1998, mais quelques-unes des impulsions fortes que nous voulons prolonger jusqu’en 2002.

Ensuite, nous éprouvons la nécessité d’un grand débat sur la modernisation de la vie politique française. Nouvelle croissance et nouvelle démocratie : tout cela peut être présenté au Parlement avant le 14 juillet. Nous avons la volonté d’inscrire ces sujets à l’ordre du jour d’une Assemblée dont les travaux commenceront le 12 juin et devraient se terminer, avec une session extraordinaire, vers la fin juillet.

Le Monde : Sur l’emploi, quelles mesures proposez-vous en priorité ?

François Léotard : La plate-forme RPR-UDF retient l’extension du « plan textile », comportant une baisse des charges, à d’autres secteurs d’activités. J’ai dit, toutefois, à nos partenaires RPR, que le groupe UDF, dans la future Assemblée, aura son mot à dire. Je ne voudrais pas que, parce que nous avons signé un document – que nous respectons , il n’y ait pas de débat dans la législature qui s’ouvrira en juin. Je souhaite donc que la future assemblée se saisisse elle-même de certains sujets et qu’elle puisse débattre, par exemple, de la proposition UDF d’instaurer un abattement de 1 500 francs sur les charges sociales pesant sur les bas salaires.

Nous sommes en train, à l’UDF, de préparer un certain nombre de propositions sur la fiscalité, sur l’emploi, sur la décentralisation, thèmes qui nous permettront de peser sur l’exécutif, quel que soit, d’ailleurs, le résultat des élections.

Le Monde : Pour le budget de 1998, envisagez-vous d’accélérer la baisse des impôts et de réduire les dépenses publiques au-delà de ce qui a été fait ou programmé à ce jour ?

François Léotard : S’agissant de l’impôt sur le revenu, je m’en tiens au plan de baisse en cinq ans qui a été voté à la fin de 1996. Il est difficile d’aller au-delà compte tenu de la situation des finances publiques. On peut y ajouter, cependant, une baisse des droits de mutation, comme le prévoit la plate­forme RPR-UDF, et la baisse des charges sociales dont j’ai déjà parlé.

On peut probablement, en revanche, aller plus vite dans la baisse de la dépense publique. ]’ai eu l’occasion de citer une mesure qui ne fera pas plaisir à tout le monde, mais qui est symbolique quant à la qualité de notre démocratie et quant à la baisse de la charge publique, c’est la suppression des renseignements généraux. Dans le monde moderne, démocratique, transparent, qui doit être le nôtre, on n’a pas besoin d’une police spécialisée dans l’information politique. La police judiciaire est parfaitement à même de lutter contre le terrorisme, les sectes et autres activités que les renseignements généraux ont la charge de surveiller. J’ai cité aussi, au titre des économies, le service des domaines du ministère des finances. Je souhaite que l’on en finisse, en outre, avec la pratique consistant à mettre des fonctionnaires – plusieurs milliers aujourd’hui – à la disposition d’associations.

La bonne gestion des finances publiques consiste aussi, tout simplement, à éviter, dans la gestion des entreprises dépendant de l’État, des scandales tels que ceux du Crédit Lyonnais ou du GAN. Il faut ensuite adopter une loi organique qui obligerait l’État à être en équilibre à la fin du siècle. Une telle loi renouerait avec la pratique du début de la Ve République, par laquelle l’État s’appliquerait à lui-même l’obligation qu’il impose aux collectivités locales et que les particuliers se doivent de respecter. Enfin, l’État devrait s’imposer de n’emprunter que pour financer ses investissements, pas son fonctionnement.

Le Monde : Vous ne souhaitez pas aller plus loin dans la réduction du nombre des fonctionnaires…

Le resserrement du nombre des ministères à quinze, dès le lendemain des élections, est aussi destiné à donner à chaque ministre un rôle managérial à la tête de son administration, le périmètre des services dépendants de chaque ministère ne changeant pas d’un titulaire à l’autre. Il faut que chaque ministre soit en mesure de diminuer le poids de son administration, sachant que cela ne peut concerner la justice et que, dans l’éducation nationale, il faut rechercher la stabilisation de la dépense globale.

Le Monde : Comment faire face au nouveau déficit annoncé de la Sécurité sociale ?

François Léotard : Contrairement à ce qui a été annoncé, le plan de novembre 1995 ne sera pas le dernier plan de réforme de la Sécurité sociale. Il faudra réfléchir sur les retraites du secteur public. Nous devrons affirmer le principe général de la concertation et ne pas agir de façon autoritaire ; faire en sorte qu’une commission  du type de la commission Truche sur la justice  reçoive l’ensemble des partenaires, et réfléchir à l’évolution de ces régimes de retraite, infinançables à l’horizon 2010 ; tracer quelques pistes sur la durée de cotisation qu’il faudra prendre en compte.

Le dispositif sur l’assurance-maladie devrait produire ses effets à moyen terme, mais il y a certainement, là aussi, des adaptations à faire. Le blocage des médecins est dû à une réflexion légitime de leur part sur le refus de sanctions collectives, qui posent des problèmes de conscience au monde médical. La discussion devra s’ouvrir, de nouveau, au lendemain des élections, sur ce sujet.

Le Monde : S’agissant de ce que vous appelez « nouvelle démocratie », la dissolution de l’Assemblée nationale ne constitue-t-elle pas en elle-même un pas vers une plus grande concentration du pouvoir ?

François Léotard : La dissolution ne peut avoir que deux justifications. La première est le caractère exceptionnel des événements qui sont devant nous. Le Président de la République a raison : nous sommes devant des événements exceptionnels en Europe, et il y a là une justification très profonde de la dissolution.

La deuxième justification, c’est que cette dissolution s’insère dans un ensemble d’autres décisions qui sont à venir : un très fort mouvement de décentralisation ; la revalorisation des pouvoirs du Parlement sur le budget, sur le contrôle de l’administration, sur la création de commissions d’enquête, sur l’évocation des questions internationales ; la limitation du cumul des mandats et la réduction de leur exercice à deux mandats successifs ; le quinquennat ; le référendum d’initiative populaire. Il faudra aussi envisager de réformer le mode de scrutin, non seulement pour les élections régionales et européennes  ce sera fait  mais aussi pour les élections législatives, où l’on peut imaginer que s’ajoute au mode de scrutin actuel une liste nationale à la proportionnelle. Nous devons aboutir à ce qu’à tous les niveaux, le mode de scrutin assure la formation d’une majorité, mais permette aussi, la représentation des minorités.

Notre démocratie a mis l’accent sur l’efficacité de l’exécutif. Comme cette efficacité n’est pas perçue par nos compatriotes, un vrai malaise politique en résulte. L’Italie a résolu ses problèmes de corruption par une vaste auto-réforme de ses hommes et de ses partis politiques. Le pouvoir à venir devra faire preuve, à mon sens, de courage et de modestie. Il ne faut pas qu’il soit ressenti comme lointain, peu attentif aux préoccupations des citoyens et permettant à certains responsables de dérapages économiques d’échapper à d’éventuelles sanctions.

Ou bien cette dissolution est la dernière de la Ve République, c’est-à-dire que nous allons, petit à petit, vers un régime présidentiel, avec une exigence très forte de séparation des pouvoirs. Ou bien c’est la première dissolution de type britannique, le Président de la République et le Premier ministre, en réalité, ne faisant qu’un. Je préfère une évolution de type présidentiel.