Lettre de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à M. Lionel Jospin, Premier ministre, le 3 juin 1997 publiée dans "FO hebdo" le 11 juin, et article dans "FO hebdo" le 17, sur les analyses et revendications principales de FO, la relance de l'économie, l'augmentation des salaires et le "réexamen de la réforme de la Sécurité sociale".

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Média : FO Hebdo

Texte intégral

Force ouvrière hebdo - 11 juin 1997

Monsieur le Premier ministre,

J’ai l’honneur, au nom du Bureau confédéral, de vous féliciter pour votre nomination en tant que Premier ministre et de solliciter un entretien afin que nous puissions vous exposer les revendications et analyses principales de la CGT-Force Ouvrière.

Celles-ci étant liées, en toile de fond, aux modalités actuelles de la construction européenne, notamment au regard des critères européens de convergence économique, il nous apparaît important que cet entretien puisse avoir lieu suffisamment tôt avant le sommet d’Amsterdam.

La lutte contre le chômage est une priorité. Elle suppose une relance de l’activité économique initiée par l’État au travers de programmes particuliers, relevant d’une démarche de type keynésien. Elle suppose également, pour répondre aux besoins, de s’intéresser étroitement à la question de l’emploi dans la fonction publique où plus d’un million de salariés sont déjà hors statut, voire en situation précaire.

Elle suppose enfin un rééquilibrage de la répartition de valeur ajoutée au profit des salaires, leur part étant la plus faible, depuis vingt-cinq ans.

La France est également le pays industrialisé où la proportion des salaires dans le PIB est la moins élevée.

Corollairement, la part des profits s’est accrue sans pour autant se traduire en investissements, celle des profits non investis ayant atteint en 1995 le taux record de 67 %.

Dans ces conditions, une progression du pouvoir d’achat des salaires nous apparaît socialement, économiquement et psychologiquement indispensable et nous considérons que les pouvoirs publics peuvent l’amorcer par le relèvement du SMIC et des minimas sociaux et par la négociation en tant qu’État employeur direct ou indirect.

Corrélativement, la question de la durée du travail est également posée, compte tenu en particulier des gains de productivité pouvant atteindre 8 à 10 % dans certains secteurs d’activité et de l’abus d’utilisation des heures supplémentaires.

De ce point de vue, il nous apparaît essentiel de revoir complètement des dispositifs comme celui de la loi Robien, qui favorise les effets d’aubaine, contribue à accroître la flexibilité et fragilise dangereusement les comptes de la protection sociale collective.

Le dossier de la Sécurité sociale constitue un autre dossier prioritaire.

La situation financière du régime général demeure plus que préoccupante, soulignant ainsi l’échec du plan Juppé dont les motivations visaient prioritairement, au travers de l’étatisation (contrôle de l’État fiscalisation du financement), à préparer une privatisation ou moins partielle de la couverture sociale En effet, il s’agissait avant tout de réduire de manière comptable la part des déficits sociaux dans les comptes des administrations publiques.

Nous attirons d’ores et déjà votre attention sur le fait que même une croissance zéro des dépenses de santé ne permettrait pas d’annuler ce déficit, une part importante des difficultés étant liée au manque de recettes découlant du chômage et des évolutions salariales insuffisantes.

Dans ces conditions, les perspectives de déficit 1997 peuvent être évaluées, pour le régime général, environ 50 milliards de francs, après 54 milliards en 1996. En matière de trésorerie, il n’est par ailleurs pas exclu qu’à l’automne, la ligne permanente de crédit auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations (66 milliards de francs) soit dépassée, nécessitant notamment un débat au Parlement.

Enfin, selon l’ACOSS, le montant des cotisations exonérées s’est accru de 60 % en 1996 atteignant le montant de 60,8 milliards, dont 50,3 milliards pris en charge par l’État.

Pour toutes ces raisons, il nous apparaît indispensable de réexaminer la réforme de la Sécurité sociale afin de replacer celle-ci dans la logique d’égalité et de solidarité et d’en assurer la pérennité, ce qui suppose en particulier une réelle clarification des responsabilités et des financements entre l’État et la Sécurité sociale.

Nous souhaiterions aussi vous entretenir de l’avenir du service public, de plus en plus menacé par la vague libérale en vigueur au plan européen, qui conduit, notamment la Commission européenne, par l’utilisation de l’article 90-3 du traité, à promouvoir la privatisation, la déréglementation et la libéralisation.

Complémentairement, nous tenons enfin, Monsieur le Premier Ministre, à vous faire part de nos inquiétudes sur la réforme engagée de l’État, qui s’inscrit, elle aussi, dans une logique de moins d’État ou d’État concurrentiel, rendant de moins en moins opérant le respect des valeurs républicaines fondamentales.

Dans l’attente, nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, en notre considération très distinguée.

 


Force ouvrière hebdo - 17 juin 1997

Une réforme « réforme » à réexaminer

Le dossier de la Sécurité sociale, comme d'autres, a fait l'objet d'un virage à 180 degrés entre les promesses de la campagne présidentielle de 1995 sur le thème de la fracture sociale et le discours prononcé par le Premier ministre à l'Assemblée nationale le 15 novembre 1995. Entre temps, le gouvernement avait fait le choix, annoncé en octobre 1995, de donner la priorité des priorités à la réduction des dépenses publiques et sociales.

Dès 1994, Force Ouvrière avait, publiquement, fait connaître ses propositions de réforme de la Sécurité sociale afin de consolider ses aspects solidaire et égalitaire, c'est-à-dire d'améliorer la couverture sociale des assurés et la qualité des soins en évitant des dépenses médicalement justifiées. Cela passait en particulier par une clarification des budgets et responsabilités réciproques de la Sécurité sociale et de l'État.

Conscients que la « réforme » qu'ils allaient proposer allait tourner le dos à leurs promesses, les pouvoirs publics ont décidé de la préparer en secret.

Conscients également qu'une organisation comme FO serait en désaccord, aurait des arguments, compte tenu de son expérience et de sa connaissance des dossiers, le gouvernement pas mécontent (c'est le sur moins qu'on puisse dire), de voir certains journaux salir Force Ouvrière, d'abord sur le thème du syndicat qui ne veut rien changer, ensuite du syndicat qui tirerait des profits substantiels de la Sécurité sociale.

Pour la première fois, nous avons dû ester en justice pour diffamation contre des journaux comme Capital, Le Quotidien de Paris et Minute, qui ont tous contre trois été condamnés sans appel.

Avec le recul, on se rend compte de plusieurs réalités :
- une stratégie de communication ne dure qu'un temps, on ne peut pas cacher éternellement la réalité des choses ;
- axé sur la réduction des dépenses, le Plan Juppé a échoué. Au lieu 17 milliards de déficit annoncés pour 1996 et l'équilibre en 1997, ce sera entre 80 et 100 milliards de déficit sur deux ans.

Il faut comprendre que même si le total des dépenses remboursées n'augmentait pas d'une année sur l'autre, le déficit existerait encore car l'essentiel des problèmes vient du manque de recettes, dû au chômage et à l'insuffisance des salaires.

C'est d'ailleurs pourquoi la logique de réduction des dépenses ne peut conduire qu'à des déremboursements.

La volonté des pouvoirs publics de contrôler intégralement la Sécurité sociale et d'accroître la fiscalisation de son financement (par CSG, le RDS, les dettes de l'Etat dont l'exonération de cotisations patronales) correspond à la volonté, dans un second temps, d'ouvrir largement la porte aux assurances privées. On dira même que c'est une nécessité, à l'instar de ce qui se passe dans d'autres pays, pour conserver un socle commun (minimum) de couverture sociale. N'oublions jamais qu'un impôt est plus « flexible » en droit qu'une cotisation et que le Parlement peut changer son affectation (rappelons-nous la vignette automobile).

De tout cela il ressort qu'avec le plan Juppé, la Sécurité sociale a effectivement été placée sur une trajectoire d'implosion. D'ores et déjà, nombreux sont les assurés qui se plaignent des restrictions auxquelles les médecins sont confrontés pour ordonner certaines analyses.

Certains pays qui ont connu leur « réforme Juppé » avant nous (par exemple le Royaume-Uni, le Danemark ou la Suède) connaissent aujourd'hui des délais de plusieurs mois avant certaines opérations, la grande difficulté d'obtenir la visite à domicile d'un généraliste, l'impossibilité de consulter directement un spécialiste. Seuls ceux qui en ont les moyens peuvent s'offrir une assurance privée. C'est bien pour cela que le plan Juppé est une contre-réforme dans laquelle le comptable a écrasé l'humaniste, le tiroir-caisse, la solidarité.

Dès la nomination du nouveau gouvernement, Force Ouvrière a fait état de la nécessité de réexaminer ladite réforme. Il en est temps encore.

Vous avez entre les mains un journal spécial à grande diffusion, qui informe sur les procès sur les condamnations dont font l'objet les organes de presse qui ont essayé de nous discréditer. L'utilisation faite par nos concurrents syndicaux des articles incriminés nous a contraints de plaider. Nous ne l'avons pas fait de gaieté de cœur, la liberté d'expression n'acceptant, selon nous, aucune entrave.

Nous avons toujours défendu la liberté de la presse. Mais, au nom de l'information et de la justice, il faut distribuer et faire circuler ce journal. Et, pour bien marquer notre détermination, nous avons fait le point sur le dossier Sécurité sociale, ce qui reste l'essentiel. A bientôt.