Interview de M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, dans "L'Express" le 4 mars 1999, sur le bilan critique des zones franches et les priorités pour les futurs contrats de ville.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC L'Express - L'Express

Texte intégral

Question
On dit que la zone franche est une bonne idée qui a mal tourné… Quelles conclusions tirez-vous des rapports d’évaluation qui vous ont été remis ?

Claude Bartolone
Je dirais plutôt que c’est une mauvaise idée qui a parfois bien tourné. Le précédent gouvernement a présenté ce dispositif comme remède miracle aux problèmes des quartiers en difficulté. Les rapports d'inspections incitent à plus de modestie : seuls 44 quartiers sont concernés, alors qu'il y a plus de 200 contrats de ville et 700 communes touchées par la crise urbaine. La majorité des emplois a été le fait de délocalisation d'entreprises, dans des zones d'activité économique, parfois très étendues, dont le dynamisme était antérieur aux mesures d'exonération. Ma bonne surprise a été de constater que quelques communes ont su utiliser ces mesures dans le cadre d'une politique de la ville plus globale.

Question
Quelle mesures prendre pour réduire les effets pervers du système ?

Claude Bartolone
Aucun rapport d'inspection n'évoque la suppression pure et simple du dispositif, et le gouvernement n'entend pas remettre en question les engagements de l’État. Il proposera un profond changement de philosophie, afin de lutter contre les effets d'aubaine et les « chasseurs de primes », et d'éviter les entreprises « boîtes aux lettres ». A l'avenir, les partenaires locaux pourront exiger des nouvelles entreprises souhaitant bénéficier de ces coûteuses exonérations de véritables contreparties en termes de création d'emplois pour les habitants.

Question
Comment améliorer cet accès à l'emploi ?

Claude Bartolone
C'est la priorité n° 1. La marginalisation économique de certains quartiers et les difficultés rencontrées avec les outils classiques de la politique de l'emploi sont clairement apparues comme des causes profondes des récentes violences urbaines. Les emplois_jeunes, dont 20 % doivent bénéficier aux quartiers, sont un outil puissant, de même que les programmes Trace (trajet d'accès à l'emploi), pour les jeunes les plus en difficulté. Il faut également réussir à intéresser les entreprises à leur environnement, les encourager à s'installer sur des territoires qui leur paraissent difficiles, les aider à recruter une main-d’œuvre  adaptée et lutter sévèrement contre les discriminations à l'embauche. Des idées nouvelles émergent, de réussites se font jour, à Marseille, à Sarcelles, à Vaux-en-Velin ou à Lille. Le moment est venu d'intensifier les efforts, d'aller plus loin.

Question
Zones franches aujourd'hui, zones de redynamisation hier, n'est-il pas temps de simplifier cet empilage, bien français,des dispositifs ?

Claude Bartolone
Deux choses me gênent dans ces dispositifs, inventés en 1995 et en 1996. Leur nom : qui a envie d'habiter dans une « zone » ? Les effets stigmatisants de ces termes technocratiques sont parfois très profonds. Au-delà des mots, l'ennui, dans  ces périmètres, c'est qu'ils n'ont pas été définis en fonction d'un projet, d'une ambition collective, et qu'ils sont figés une fois pour toutes. Ce n'est pas ma conception de la politique de la ville, qui repose sur la notion de territoire de projet, qui peut varier dans le temps et dont l'objectif est de conjuguer les efforts de développement. Ma volonté est donc d'intégrer ces différents périmètres dans une politique plus globale, pour ne retenir que l'idée plus mobilisatrice dont les projets de ville (2000-2006) seront les vecteurs.

Question
Quels aspects du dispositif souhaitez-vous retenir dans le cadre de ces futurs contrats ?

Claude Bartolone
Le dispositif n'est pas généralisable, en raison des limites observées, des contraintes européennes et de son coût pour les finances publiques. Sa grande faiblesse est d'avoir voulu répondre de la même manière aux problèmes de mixité urbaine, de développement économique et d'insertion professionnelle. Le gouvernement a décidé de confier à deux parlementaires, Chantal Robin et Pierre Bourguignon, une mission pour recenser les expériences réussies et proposer d'ici à juin prochain les mesures les plus adaptées à chaque objectif visé. Cette boîte à outils devra pouvoir être adaptée aux besoins et au potentiel de chaque territoire. La bataille contre l'exclusion grâce au travail se gagnera pied à pied, loin des solutions en prêt-à-porter et des vendeurs de miracles.

Claude Bartolone :  « le moment est venu d'intensifier les efforts, d'aller plus vite et plus loin. »