Texte intégral
Message de Madame Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité 30 juin 1997
Le précédent gouvernement avait déclaré, il y a un an, à la suite du congrès mondial de Stockholm, « Grande cause nationale pour 1997, la protection de l’enfance maltraitée ».
Compte tenu de l’importance que j’attache à ce grave problème, j’ai décidé de poursuivre et soutenir votre initiative. Je m’adresse donc personnellement à vous qui vous êtes engagés dans cette lutte.
Notre société est dure aujourd’hui.
Elle l’est encore plus pour les plus faibles d’entre nous, à commencer par nos enfants. Notre société se doit d’être plus accueillante, plus douce, moins indifférente, plus respectueuse de leurs besoins et de leurs droits.
Notre pays doit d’abord protéger les enfants et les jeunes. Il doit aussi les aider à construire leur autonomie et permettre leur développement. Une relation de confiance doit s’établir entre adultes et enfants. La confiance en soi et dans les autres est indispensable pour affronter les difficultés de la vie. Cette confiance est parfois brisée, comme des événements récents l’ont montré.
La loi du silence a été rompue, depuis le vote par le Parlement, de la première loi sur l’enfance maltraitée, le 10 juillet 1989.
Après cette date un travail considérable a été réalisé par tous les professionnels de l’ensemble du système de protection de l’enfance en danger.
Les initiatives que vous prenez au cours de cet été vont dans ce sens. Des millions de personnes pourront s’échanger les cartes postales que vous avez fait imprimer.
Je me réjouis que grâce à cette vaste campagne de sensibilisation et d’information, l’opinion publique se mobilise.
« Si tout le monde bouge, ça bougera ».
Je suis prête à bouger avec vous.
Discours de Monsieur Bernard Kouchner, secrétaire d’État à la santé, à l’occasion de la 9e journée nationale pour l’enfance maltraitée - 30 septembre 1997
Vous avez choisi de consacrer cette 9e journée nationale pour l’enfance maltraitée aux « violences intrafamiliales ».
Lorsque l’on aborde un tel sujet, on se doit, surtout lorsque l’on assume une responsabilité publique, d’être à la fois profondément humble et résolument volontariste.
Humble, du fait de la grande complexité du sujet et surtout de la difficulté à élaborer des réponses pertinentes et adaptées, que ce soit en termes de prévention ou de prise en charge des enfants et des familles concernées.
C’est pourquoi je suis particulièrement sensible à l’intérêt d’avoir réunis ici aujourd’hui à la fois des acteurs de terrain, des responsables institutionnels et associatifs, des chercheurs, et d’avoir su ouvrir cette réflexion commune à d’autres expériences, d’autres approches venues de nos voisins européens.
Car on ne peut espérer progresser dans ce domaine que si l’on accepte d’ouvrir sa perspective et de décaler son regard.
Décaler son regard, c’est notamment confronter son expérience et son action à celle des autres acteurs d’une prévention et d’une prise en charge par nature et nécessité pluridisciplinaire et multisectorielle.
Ouvrir sa perspective, c’est intégrer l’idée que l’on ne peut que bénéficier de l’échange avec des professionnels d’autres pays européens. D’autant plus, sachons l’admettre, qu’ils ont été parfois en avance sur nous dans ce domaine.
D’où l’importance d’une « approche comparative en Europe de la prise en charge des victimes et de leur famille », comme le rappelle l’intitulé de cette table ronde.
Je voudrais donc saluer et remercier les spécialistes de la protection de l’enfance de Belgique, de Grande-Bretagne et d’Italie qui ont accepté de venir travailler avec nous aujourd’hui.
Dans le domaine de la protection des enfants maltraités, comme dans beaucoup d’autres, il est indispensable de comparer notre expérience à celle de nos voisins. C’est aussi à cela que sert l’Europe.
Humilité donc mais aussi volontarisme pour affronter un enjeu qui a trop longtemps été recouvert d’une intolérable chape de plomb de silence, d’indifférence et d’hypocrisie.
Partie tard et timidement, la France, vous le savez, s’est dotée, depuis une dizaine d’années d’une législation et de moyens qui lui ont permis de faire de réels progrès dans la prévention et la prise en charge des enfants et des familles concernées.
Et une nouvelle étape majeure sera franchie très prochainement, marquant la volonté du gouvernement de s’engager sur ce sujet. Je veux bien sûr parler du projet de loi sur la délinquance sexuelle sur lequel je reviendrai dans un instant.
Mais permettez-moi, tout d’abord, un rapide retour en arrière.
Après des décennies où nous sommes restés, presque totalement sourds et aveugles à la souffrance des enfants maltraités et/ou victimes d’abus sexuels, une première campagne de prévention de la maltraitance a été lancée en 1984 après que l’on a mis en évidence que, dans notre pays, près de 50 000 enfants étaient maltraités chaque année.
Une première campagne intitulée : « 50 000 enfants sont maltraités : en parler c’est déjà agir », dont le titre traduisait bien l’assourdissant silence antérieur.
Mais c’est incontestablement l’adoption, à l’unanimité, par l’Assemblée nationale, le 10 juillet 1989, à l’initiative du gouvernement de Michel Rocard, de la loi relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance, qui a constitué une avancée capitale.
Elle a permis de fédérer les énergies et de développer l’innovation. Elle a, de l’avis général, bouleversé les pratiques, les attitudes et les représentations sur l’enfance maltraitée et la façon de concevoir les remèdes à apporter à des situations particulièrement douloureuses.
Pour compléter cette loi, la signature en novembre 1989 de la convention internationale des droits de l’enfant inscrivait celui-ci comme un sujet de droit dans une société de droit. Une convention ratifiée par le Parlement l’année suivante.
En quelques années, nous sommes ainsi passés d’une notion assez restrictive de protection des enfants « battus », à un concept plus large de maltraitance.
Aujourd’hui, le dispositif législatif existant mérite d’être enrichi. C’est le sens du projet de loi relative à « la prévention et la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs » présenté en conseil des ministres le 3 septembre 1997 par Élisabeth Guigou, garde des sceaux.
Modifiant substantiellement le projet du précédent gouvernement, ce projet de loi vise trois objectifs :
- mieux protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles en créant à leur profit un véritable statut juridique ;
- diminuer les risques de récidive des auteurs de telles infractions en instituant une mesure de suivi socio-judiciaire ;
- améliorer l’efficacité de la législation concernant les infractions qui portent atteinte à la dignité de la personne ou mettant en péril les mineurs.
À l’éducation nationale, une circulaire signée de Claude Allègre et de Ségolène Royal vient d’être envoyée à tous les recteurs, inspecteurs d’académie, chefs d’établissement et directeurs d’école, afin de leur préciser, de manière claire et détaillée, la ligne de conduite à adopter lorsque des faits de violences sexuelles sur des enfants sont portés à leur connaissance et le dispositif à mettre en place pour assurer concrètement leur protection.
Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, et moi-même portons bien entendu tous deux une attention toute particulière à ce grave sujet, notamment afin de prolonger l’élan né du congrès mondial de Stockholm, fin août 96, sur l’exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales.
J’ai personnellement milité de façon active, et avec succès, pour que le centre de gravité du nouveau projet de loi, à la différence de celui du précédent gouvernement, intègre autant les préoccupations d’ordre sanitaire que judiciaire.
Nous travaillons également à la mise en place sur l’ensemble du territoire, de dispositifs régionaux d’accueil et de prise en charge des personnes victimes de violences sexuelles, avec la désignation de pôles régionaux de référence devant assurer une mission essentielle de coordination d’un réseau local.
Enfin, nous soutenons et aidons un projet pilote venu d’une association. Celui-ci vise à faire que le premier entretien avec un enfant abusé sexuellement soit réalisé en milieu pédiatrique ou pédopsychiatrique, avec un double objectif d’écoute et de préparation de l’enfant à une éventuelle procédure.
Il faut considérer un enfant victime d’abus sexuel d’abord comme un enfant souffrant, avant d’être un enfant plaignant.
Vous le voyez, le gouvernement s’engage en faveur de la protection de l’enfance maltraitée qui, est-il besoin de le rappeler ici, a été déclarée « Grande cause nationale pour 1997 ». C’est dans ce cadre que nous avons délivré, Martine Aubry et moi-même, un message qu’a signé le Premier ministre, à Belle-Île-en-Mer, le 12 septembre dernier, où 150 enfants étaient rassemblés, à l’appel du COFRADE. Leur déclaration des enfants de France « Etre acteur de sa propre protection » se termine ainsi : « Nous demandons à tous les adultes de nous entendre pour que les enfants victimes de toute forme de violence soient mieux aidés et mieux compris. »
Je fais mienne cette déclaration.
Mais si l’État ne reste pas inactif, il ne peut pas seul faire face à un tel enjeu. C’est de l’action et de la mobilisation de l’ensemble des partenaires concernés que dépend notre capacité à réduire durablement l’incidence de la maltraitance et à apaiser les souffrances de ceux que les efforts de prévention n’ont pas su ou pu protéger.
Les associations, bien sûr, dont le rôle est essentiel, et elles sont nombreuses à être représentées ici. Mais également les collectivités territoriales. Je ne peux évidemment citer maintenant toutes les initiatives qui ont pu être prises par ces dernières, mais je voudrais appeler votre attention sur deux d’entre elles.
Au niveau des départements je tiens à souligner l’action exemplaire qui a été menée par le Pas-de-Calais sur la prévention de la violence en diffusant dans les établissements du secondaire un programme intitulé « la violence, parlons-en ». Ce programme, et cela nous ramène à notre échange européen d’aujourd’hui, s’inspirait d’ailleurs d’un programme belge réalisé de l’autre côté de la frontière.
Au niveau communal, des initiatives ont également été prises. Permettez-moi, à ce sujet, de citer la municipalité de Cachan, en banlieue parisienne, qui a mis en place des rencontres entre parents et professionnels pour parler de la maltraitance au sein des familles.
Notre pays doit savoir protéger les enfants et les jeunes, tout en les aidant à construire leur autonomie.
Pour répondre à ce défi, il nous faut une politique familiale forte, qui ait le souci prioritaire de contribuer au maintien de la cohésion sociale, car nous savons les liens qui existent entre ruptures sociales et ruptures familiales.
C’est ce à quoi s’emploie le gouvernement, et tout particulièrement Martine Aubry et moi-même.
Notre principale responsabilité aujourd’hui, au-delà des dispositifs de lutte contre la maltraitance, est aussi de contribuer à l’édification d’une société plus juste et plus équitable, comme l’a indiqué le Premier ministre dans son discours de politique générale, lorsqu’il a proposé aux Français un pacte de développement et de solidarité.
L’enfant ne doit plus être victime des abus des adultes. Il nous faut combattre toutes ces formes de violences. Ensemble, nous pouvons y contribuer puissamment, quels que soient nos fonctions et nos moyens respectifs.
Votre rencontre d’aujourd’hui doit nous permettre de progresser sur l’approche des violences intrafamiliales qu’on ne peut pas dissocier des violences que notre société exerce à l’égard des plus fragiles et des plus vulnérables.
Je souhaite que vos échanges soient fructueux et sachez que je serai très attentif à vos propositions.