Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, dans "Valeurs actuelles" du 26 juin 1999, sur le rôle du Sénat en faveur de la création d'entreprises en partenariat avec l'ESSEC et sur la réflexion du Sénat sur l'entreprise.

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Média : Valeurs actuelles

Texte intégral

Valeurs actuelles
Comment est née cette opération ?

Christian Poncelet
D’un double constat. Tout d’abord le tarissement des créations d’entreprises : 250 000 en 1994, 166 000 en 1999. Cette régression nous interpelle. L’entreprise est créatrice de richesses et seule génératrice de vrais emplois, qui ne doivent rien aux financements publics.
L’autre constat est que dans notre pays où sévit la culture du tout Etat l’accession à un poste de cadre supérieur dans une entreprise publique ou de haut fonctionnaire dans un grand corps de l’Etat est encore, pour beaucoup de jeunes, la voie royale de la réussite.
Voilà qui aide à comprendre notre double record négatif de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires qui représentent respectivement 55 % et 47 % du PIB. Si encore ces dépenses préparaient l’avenir ! Mais sur un budget global de 1 600 milliards, 8 % seulement des crédits vont aux équipements et investissements. Tout le reste est englouti dans les frais de personnel et les dépenses sociales.
C’est la raison pour laquelle l’Etat tend constamment la main aux collectivités territoriales. Quand il décide par exemple une extension du TGV, il réclame une contribution aux départements ou aux grandes villes.
L’entreprise produit des richesses, richesses qui permettent de conduire en particulier une politique sociale saine et durable. C’est pourquoi il est urgent de la replacer au cœur de nos valeurs et d’encourager l’esprit d’entreprendre.

Valeurs actuelles
Suggérez-vous que l’entreprise est mieux considérée au Sénat qu’à l’Assemblée nationale ?

Christian Poncelet
Il y a longtemps en tout cas que le Sénat se préoccupe de la situation des entreprises et de leur développement. La liste de nos initiatives est éloquente. La réforme du droit des sociétés a fait l’objet d’un rapport de M. Marini, aujourd’hui rapporteur général du Budget à la commission des Finances.
Plusieurs propositions ont été déposées par MM. Raffarin et Grignon pour encourager la création d’entreprises. Le rapport Tregouet sur le développement des nouvelles technologies de l’information a reçu un accueil flatteur des spécialistes et il a inspiré plusieurs amendements d’un projet du gouvernement.
Le Sénat a enfin voté à une forte majorité la proposition que je lui avais soumise pour alléger les charges des entreprises de main-d’œuvre. Si on n’applique pas d’urgence les mesures que je préconise, notre industrie textile nationale sera sinistrée.

Valeurs actuelles
D’où viennent les obstacles ?

Christian Poncelet
D’une méconnaissance par le politique des réalités de l’entreprise. L’élu doit se familiariser avec les problèmes que rencontrent au quotidien les entrepreneurs. C’est pourquoi j’ai engagé plusieurs initiatives en ce sens. J’organise ainsi régulièrement des petits déjeuners où je mets en présence des patrons de grandes comme de moyennes ou petites entreprises, et des sénateurs. Un dialogue enrichissant s’engage. Quand François Michelin vient nous dire : « Je produis des pneumatiques au Portugal et en France ; le prix de revient au Portugal est de 28 % inférieur ; que dois-je faire pour faire face à la concurrence ? », il nous oblige à réfléchir notamment sur le coût du travail.
Je suis un européen convaincu. J’ai soutenu la mise en place de l’Euro. Il aurait été souhaitable que les pays membres harmonisent au préalable leurs législations fiscales et sociales. Un des patrons que nous avons reçus. Jean-Marie Messier, le PDG de Vivendi, nous confirmait que les différences de législation sont devenues telles que les délocalisations n’ont plus seulement lieu dans les pays extérieurs, mais à l’intérieur de la zone euro et donc au détriment de la construction européenne.
Que puis-je répondre à un industriel ou à un salarié d’une entreprise de confection de ma circonscription qui nous mettent en garde : «   Nous allons être obligés de nous transporter en Espagne ou au Portugal. C’est cela votre Europe, sacrifier nos emplois pour en créer ailleurs ? »

Valeurs actuelles
Pour autant, il ne suffit pas de les écouter. Ils se plaignent constamment de ne pas être entendus…

Christian Poncelet
C’est pourquoi nous n’avons pas voulu au Sénat nous limiter à ces rencontres. J’ai demandé à certains de mes collègues d’aller passer quelques jours dans une entreprise : plusieurs se sont déjà portées candidates. Thierry Jaquillat, le patron de Pernod-Ricard, m’a téléphoné qu’il serait ravi d’accueillir des sénateurs « pour leur montrer comment nous confectionnons nos produits et comment nous développons nos ventes ».
Je demanderai en retour à des entrepreneurs de nous rendre visite pour découvrir comment nous travaillons nous aussi, à quelles sollicitations souvent contradictoires le sénateur doit faire face à Paris ou dans sa circonscription, quand on lui demande le matin une chose, le soir son contraire. Tous ces contacts créent des liens, aident à mieux se connaître et se comprendre.

Valeurs actuelles
Et tous les groupes du Sénat y participent ?

Christian Poncelet
Ah oui, je suis un président œcuménique. Une autre opération déjà engagée connaît un réel succès, celle des « déplacements pédagogiques » en entreprise. Nous essayons d’éveiller chez les jeunes la vocation d’entreprendre en les amenant à l’entreprise.

Valeurs actuelles
Ils découvrent alors qu’il existe d’autres orientations prometteuses que les grands postes de la fonction publique…
Voire les petits – pour un récent recrutement de postiers on a vu affluer des dizaines de milliers de candidats, dont plusieurs bac + 4 ou 5…

Christian Poncelet
C’est vrai, et c’est dommage. Je voudrais que les étudiants se pénètrent de la nécessité et de l’intérêt de créer, de produire, de conquérir des marchés. Je vais aller régulièrement à leur rencontre, comme je l’ai fait récemment à Sophia Antipolis. Je les fais débattre entre eux et avec les sénateurs en présence d’entrepreneurs qui ne leur cachent rien de leurs difficultés, de leurs échecs parfois, jusqu’à la dernière tentative qui est la bonne. Ils se rendent compte que le monde de l’entreprise exige d’être persévérant, combatif. Mais aussi que la satisfaction est grande, quand on réussit, d’apporter un plus à la société où nous vivons. Nous accompagnons les étudiants dans l’entreprise où ils poursuivent le dialogue sur le terrain, vivent avec les patrons et leurs cadres leurs soucis quotidiens comme leur enthousiasme, apprennent à ne jamais baisser les bras.

Valeurs actuelles
C’est alors que vous vous lancez avec l’ESSEC dans l’opération Tremplin…

Christian Poncelet
Pour passer des paroles aux actes et pour donner l’exemple de cet esprit d’initiative que nous voulons insuffler aux jeunes. Nous nous sommes adressés à tous ceux qui avaient des projets d’entreprise innovants, mais qui manquaient de capitaux pour démarrer ou se développer. Nous les avons invités à se faire connaître. Nous avons reçu plus de cent soixante projets en provenance de toute la France. Un comité de sélection composé de douze experts en a retenu vingt. Pendant deux jours, les 29 et 30 juin prochain, chaque entrepreneur sélectionné pourra convaincre des investissements professionnels et des business angels de financer son projet.

Valeurs actuelles
Comment éviter que ces nouvelles entreprises ne meurent au bout de quelques années : la moitié en cinq ans d’après les statistiques ?

Christian Poncelet
Le Sénat, l’ESSEC et les nombreux partenaires qui nous ont accompagnés dans cette opération suivront très attentivement les entreprises sélectionnées. De leur côté, les investisseurs et les « capital-risqueurs » ne se contenteront pas d’apporter des financements. Ils feront bénéficier les entrepreneurs de leurs conseils, de leur expérience et de leurs réseaux. L’avantage de cette action d’envergure est qu’elle ne coûte pas un centime à la collectivité. Elle suscite d’ores et déjà un intérêt grandissant chez les industriels qui participent à nos rencontres ou qui ont entendu parler de notre opération. L’excellent accueil réservé à toutes ces initiatives est un précieux encouragement pour les sénateurs et les entrepreneurs qui ont fait ensemble le pari de cette ouverture réciproque. Nous espérons faire ainsi comprendre aux jeunes que la prospérité économique non seulement garantit le progrès social, évidence trop souvent ignorée dans notre pays, mais peut assurer aussi la promotion individuelle. Finissons-en avec le « hors l’État point de salut ». La vérité est aujourd’hui : hors l’entreprise point de richesses ni de progrès.