Texte intégral
Le prolongement du traité de Maastricht, dit projet d’Amsterdam, qui vient d’être finalement signé le 2 octobre par les gouvernements de l’Union européenne, est commenté en France de manière assez contradictoire : d’un côté, les agitateurs fédéralistes habituels dénoncent ses insuffisances, voire sa vacuité ; de l’autre, les autorités admettent maintenant que la ratification sera complexe, et qu’elle pourrait bien ne pas avoir lieu avant la fin de 1998, en raison de problèmes constitutionnels.
L’existence de ces problèmes, dont les Français n’ont guère été informés, sinon par l’article que nous avons publié ici même (1), montre que les enjeux sont plus importants qu’on veut bien le dire. En effet, il est clair que le projet d’Amsterdam s’inspire de conceptions politiques radicalement opposées à celles des institutions de la Ve République : pour les Français, la norme juridique supérieure est leur Constitution ; pour le projet d’Amsterdam, il s’agit du droit communautaire.
La différence est immense : c’est la différence entre une Europe des nations et une Europe fédérale, supranationale.
Un exemple : le protocole sur la subsidiarité, inclus dans le projet de traité, proclame qu’il « ne porte pas atteinte aux principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire ».
Mais, au fait, quels sont ces principes ainsi avalisés sans aucune réserve ? Prudemment, les négociateurs n’ont pas fourni la liste en annexe. Résumons cette jurisprudence à leur place : pour la Cour de justice, le droit communautaire, y compris le droit secondaire (c’est-à-dire les simples règlements de Bruxelles), est supérieur à toute règle de droit national, même postérieure, et quelle que soit sa nature, y compris les « droits fondamentaux formulés par la Constitution d’un État membre », ou les « principes de sa structure constitutionnelle nationale » (2) (et y compris aussi, doit-on en conclure, les lois référendaires) ; par ailleurs, le traité constituerait la « carte constitutionnelle de base » des communautés. D’où l’on tire que, selon cette jurisprudence, les nations seraient complètement subordonnées au droit communautaire et que le juge de ce droit, la Cour de justice, se serait attribué les prérogatives d’une sorte de super-Cour constitutionnelle en Europe.
* Démission des nations
Mais là commencent les problèmes : dans quel pays membre cette construction juridique a-t-elle été approuvée par le peuple, le Parlement ou la Cour suprême nationale ? Dans aucun. Bien au contraire, la Cour suprême allemande (4) et la Cour suprême danoise (5) ont récemment affirmé la supériorité de leur Constitution respective sur le droit communautaire.
Et, pour ce qui concerne la Constitution française, admet-elle quelque part la supériorité des règlements communautaires sur ses propres dispositions ? Prévoit-elle quelque part l’existence d’un super Conseil constitutionnel européen ? Non, en aucun cas.
Ainsi, le projet d’Amsterdam, ce projet prétendument bénin, cherche-t-il à museler toutes les résistances nationales à l’omnipotence du droit communautaire. Il cherche à nous faire ratifier de manière détournée un bouleversement complet de notre ordre juridique (sans d’ailleurs aucun droit de retrait), tendant à éliminer à terme le droit de chaque peuple d’Europe à disposer de lui-même. Et l’exemple que nous citons, s’il suffit à la démonstration, n’en est pas pour autant isolé. Nous pourrions en citer d’autres. C’est tout le projet qui dévoile à chaque page la démission des gouvernements nationaux.
Cette démission s’explique elle-même par la confusion est la complexité de la négociation, qui donnent une prime aux initiés du droit communautaire (les politiques ont-ils toujours tout compris ?). Elle cache aussi peut-être la volonté, chez certains, de commencer à préparer une suite politique supranationale à la monnaie unique.
De cette affaire, nous tirons deux conclusions. D’abord de fond : ce que nous voyons à l’œuvre ici, c’est une entreprise de confiscation de la démocratie. En effet, la démocratie s’exerce le mieux, jusqu’à présent, dans le cadre du réseau de valeurs, de règles juridiques, de solidarités, constitutif de chaque nation. L’entreprise européenne actuelle, qui consiste à enlever sans cesse davantage de pouvoirs aux Parlements nationaux pour les remettre aux institutions communautaires, revient à démolir le cadre de référence national pour essayer de construire à sa place un cadre équivalent, sorti tout armé de la tête des eurocrates, et couvrant l’ensemble de l’Union.
C’est pourquoi nous estimons qu’il faut préserver les démocraties nationales et construire sur cette base, peu à peu, des coopérations complémentaires au niveau européen. C’est tout le projet développé par le groupe Europe des nations. Les constitutions et les lois référendaires nationales doivent être clairement reconnues comme normes supérieures par l’Union. Les arrêts de la Cour de la justice, lorsqu’ils interprètent trop librement le traité, doivent pouvoir être présentés au verdict supérieur des peuples. Les nations ne doivent pas être soumises au contrôle de Bruxelles, mais Bruxelles doit être soumis au contrôle des nations : ce qui implique de donner aux Parlements nationaux un rôle beaucoup plus actif dans l’Europe à venir
* Référendum
Seconde conclusion, sur notre stratégie : « SOS Europe ! » s’écrient les fédéralistes, en cherchant à nous faire croire qu’il n’y a rien dans le projet d’Amsterdam. « SOS démocratie ! », pouvons-nous leur répondre avec beaucoup plus de raisons. Oui, cette fois, l’Europe fédérale est allée trop loin. Le moment est venu de réagir, pour tous les citoyens, de droite ou de gauche, de France ou des autres pays membres, qui croient que chaque peuple doit rester maître de son destin, et que l’Europe sera non seulement plus libre mais aussi plus forte, si elle s’appuie sur des démocraties nationales vivantes.
C’est pourquoi d’autres pays ont déjà décidé la tenue d’un référendum. C’est pourquoi, en France, un débat constitutionnel étant maintenant inévitable, nous demandons qu’il donne lieu aussi à un référendum au moment de la révision ou de la ratification, comme pour le traité de Maastricht.
(1) Le Figaro du 11 septembre 1997, pages « Opinions ».
(2) Arrêt CDJ, Internationale Handeslgesellschaft, 17 décembre 1970.
(3) Arrêt « Les Verts » contre le Parlement européen, 23 avril 1986.
(4) Arrêt « Maastricht », 12 octobre 1993.
(5) Arrêt Carlson et autres, 12 août 1996.