Tribune de M. Christian Poncelet, président du Sénat, dans "Le Monde" du 23 juin 1999, sur le rôle du Sénat et sur son opposition aux projet de réforme du mode d'élection des sénateurs et de la limitation du cumul des mandats, intitulé "Affaiblir le Sénat, c'est fragiliser la démocratie".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Le projet de réforme du mode d'élection des sénateurs est soumis à l'examen du Sénat. Ce texte à une apparence : assurer une meilleure représentation du milieu urbain au sein du collège électoral des sénateurs. Il a une réalité : traduire en termes législatives l'offensive lancée par le Premier ministre à la rencontre du Sénat au printemps 1998.

Cette réforme pourrait n'être qu'une péripétie politicienne si elle n'avait pas pour effet de remettre en cause le rôle joué par le Sénat dans nos institutions en tentant de gommer sa spécificité. Ce rôle, que j'ai le devoir de défendre, et celui d'une assemblée parlementaire à part entière qui exerce, en plus deux missions particulières : La représentation des collectivités territoriales l'échelle de nos compatriotes établis hors de France. Mais au-delà de ses fonctions le rôle du Sénat tient en un mot : contre-pouvoir.

Ce rôle de contre-pouvoir consiste non seulement à améliorer la qualité de la législation, mais aussi et surtout à permettre l'expression d'une opinion différente de celle du gouvernement et de l'Assemblée nationale. Le Sénat nourrit ainsi un débat public sans lequel il n'y aurait pas de démocratie.

Ce rôle, le Sénat l'assume quelle que soit la majorité à l'Assemblée nationale. Car il n'a pas, comme tu dois le faire la majorité, à soutenir le gouvernement. Il n'a pas non plus à s'opposer, systématiquement aux orientations du gouvernement en place. Et c'est bien parce que le Sénat a su, hier, dire non à un gouvernement proche de sa sensibilité, comme par exemple en matière de fiscalité de l'épargne ou du patrimoine, il a quelques crédibilités, aujourd'hui, à formuler des réserves à l'endroit d'un gouvernement d'une sensibilité différente.

Ni soutiens, ni opposant, le Sénat a pour vocation de porter un regard différent sur les décisions du gouvernement, afin que le Parlement délibère en connaissance de cause. Au demeurant, cette vocation s'inscrit dans la tradition républicaine la plus ancienne puisque l'un de mes illustre prédécesseur Jules Ferry, sénateur des Vosges et président du Sénat, affirme est déjà en 1883 « le Sénat ne saurais jamais être un instrument de discorde, ni un organe rétrograde. Il n'est point l'ennemi des nouveautés généreuse ni des hardies initiatives. Il demande seulement qu’on les étudie mieux ».
 
Le Sénat et d'autant plus nécessaires au bon fonctionnement de notre démocratie kiné, dans l'ordre politique, le plus important, pour ne pas dire le seul contre-pouvoir. L'Assemblée nationale n'a pas en effet pour vocation d'être un contre-pouvoir face au gouvernement. Elle doit, au contraire de le soutenir. Sans être à ses ordres elle doit rester en étroite harmonie de penser avec lui. Dans ces conditions son apport au travail législatif et forcément plus limitée puisque sa majorité par construction, en, accord avec le gouvernement. Surtout qu'elle ne peut être la consistance du contrôle qu'elle exerce sur ce dernier ? Peut-on bien contrôler un pouvoir que l'on soutient ?
 
Par ailleurs, ni le Conseil constitutionnel, dont le contrôle s'exerce uniquement dans l'ordre juridique, ni les médias, qui n'ont pas le pouvoir de poser directement sur l'élaboration des normes, ne sont davantage en mesure de jouer ce rôle de contre-pouvoir politique.

Sur le Sénat, l'élaboration des lois ne serai donc pas soumise à un examen contradictoire. L'Assemblée nationale s'en remettrait le plus souvent au gouvernement et celui-ci à ses services. L'examen des textes se limiterait alors à des joutes oratoires stérile entre majorité et opposition.

Mais pour remplir pleinement sa mission le Sénat doit être différent de l'Assemblée nationale c'est pour cette raison que les fondateurs de la Vème République au veiller à ce que le Sénat soit composé d'élus indépendant et expérimenté.

L’indépendance : les sénateurs tiennent à leur suffrage indirect, de l'impossibilité d'être dissous, de la durée de leur mandat qui leur donne « espérance de vie politique » supérieure à celle de n'importe quel gouvernement et, enfin, du mode d'élection qui en assurant Une large part au scrutin uninominal, permet aux sénateurs de maintenir une certaine distance vis-à-vis des appareils des partis politiques.

L’expérience : c'est celle que confère l'ancienneté est l'enracinement dans les réalités locales. Le mot même de sénateur vient du latin senior (« anciens »). j'observe toutefois que la moyenne d'âge au Sénat - 61 ans - n'est que de 10 ans plus élevé que celle de l'Assemblée nationale. Mais le Sénat trouve dans cette légère différence une source de sagesse supplémentaire dont la plupart des démocraties ont toujours jugé bon de s'entourer.

C’est pourquoi, je conteste les initiatives législatives du gouvernement qui aurait pour effet, si elle té votée en l'état, laisse tomber, par touches successives, la différence sénatoriale et donc atténuer son utilité démocratique.

Le projet de loi sur la limitation du cumul des mandats, tout d'abord. En coupant de façon excessive les sénateurs des réalités Locale, ce texte aurait pour effet de supprimer cette donnée fondamentale de la différence sénatoriale qu'est l'expérience. Qui peut prétendre bien représenter les collectivités territoriales sans exercer de responsabilité locale ?

Le projet de réforme du mode d'élection des sénateurs, ensuite. Personne ne conteste la nécessité d'assurer une meilleure représentation du milieu urbain au sein du collège électoral des sénateurs. Laisse rééquilibrage ne doit pas se fait que tu es au détriment de la juste représentation des « petites moyennes » villes, qui joue un rôle essentiel dans l'équilibre humain et sociale de notre pays.

Tel est l'objet de la proposition de la majorité sénatoriale qui préconise de ne pas toucher à la représentation des « petites moyennes » villes et de créer des électeurs sénatoriaux supplémentaire au profit des seules communes de plus de 9 000 habitants. Cette démarche raisonnable et équilibrée a été approuvé par l'immense majorité (75 %) des 14 000 maires qui ont répondu au questionnaire adressé par mes soins aux élus locaux. Elle s'oppose à l'attitude du gouvernement qui établit une stricte proportionnalité démographique entre le nombre de délégués sénatoriaux auxquels a droit une commune et sa population, à raison d'un électeur sénatorial par tranche de 500 habitants.

Or l'application de cette règle arithmétique, n'entraîne pas d'augmentation de l'effectif total des
Electeurs sénatoriaux. Autrement dit, à effectif constant, on déshabille Pierre, les « petites moyennes » Communes, pour habiller Paul, les plus grandes communes.

Sous prétexte de corriger un déséquilibre démographique, le projet du gouvernement crée un déséquilibre sociologique. À la fracture sociale risque de s'ajouter une fracture territoriale provoquée par la perte d'influence des pôles structure de notre aménagement du territoire que sont les bourgs centre et les commune périurbaine.

En outre, cette transformation du corps électoral des sénateurs des natures la vocation constitutionnelle du Sénat :  il ne serait plus le Grand Conseil de toutes les collectivités territoriales de la République mais seulement le petit conseil des grandes villes de France.

Enfin, l'abaissement du seuil de déclenchement du scrutin proportionnel pour les élections des sénateurs risque d'altérer la nature des élections sénatoriales :  elle deviendraient plus partisane et donc moins respectueuse de l'indépendance des élus.
 
Ces offensives conjuguées sont inquiétante car, on a fait vie sans le Sénat, le Gouvernement prend le risque de fausser le jeu normal des contrôles, des contrepoids et des contre-pouvoirs. Loin d'être une « anomalie », le Sénat, qui participent de la séparation des pouvoirs, est une institution indispensable à l'équilibre de notre démocratie.

Par quelle étrange conception de l'exception française, notre pays déstabiliserait-il sa seconde chambre, en atteignant sa spécificité, alors qu'on assiste partout dans le monde, et notamment dans les jeunes démocraties d'Europe centrale et orientale ou d'Afrique, à une floraison de Sénat ?

Le bicamérisme, auquel le peuple français a manifesté à deux reprises son attachement, forme un « tout démocratique ». Dans ces conditions, affaiblir le Sénat c'est porter atteinte au Parlement, dans son ensemble, et faire le lit des mouvements extrémistes qui ont placé l'antiparlementarisme au premier rang de leurs fantasmes.
 
Ne jouez pas avec le feu point à c'est bien le Sénat de la République c'est fragiliser la démocratie.