Déclaration de M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur la coopération intercommunale, le rôle des communes dans l'aménagement du territoire et la décentralisation, et notamment des communes de montagne, en Haute Corse le 24 octobre 1997.

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  • Émile Zuccarelli - Ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation

Circonstance : 13 ème congrès de l'Association nationale des élus de la montagne en Haute Corse le 24 octobre 1997

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les maires,
Mesdames, Monsieur,

Je souhaiterais tout d'abord chaleureusement remercier le président Didier Migaud d'avoir bien voulu me convier à ce 13e congrès de l'Association nationale des élus de la montagne. Je tiens également à vous faire part du plaisir qui est le mien de représenter le gouvernement à vos travaux avec ma collègue Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, qui s'exprimera à son tour devant vous cet après-midi.

Il m'est d'autant plus agréable d'être des vôtres que vous avez choisi la Haute-Corse pour y tenir votre congrès. Vous permettrez certainement que le ministre s’efface un court instant devant l'élu qui était, jusqu'à une date récente, parlementaire de ce département et maire de son chef-lieu pour vous dire combien la Corse, très sensible à l'honneur que lui fait votre association, est heureuse de vous accueillir aujourd’hui.

Je forme le vœu que cette manifestation soit pour beaucoup d'entre vous l'occasion de mieux connaître ou de découvrir notre île et de goûter à ses charmes après cette journée de travail.

Le nombre de participants à ce congrès témoigne à la fois de sa parfaite organisation mais aussi de l'audience de l’ANEM. Je vois le résultat du travail opiniâtre mené depuis la création de l'Association par ses présidents successifs (Louis Besson, Jean Briane, Augustin Bonrepaux, Jean Faure, Patrick Ollier et Didier Migaud) et son équipe technique pour faire entendre la voix des élus de la montagne.

Grâce à son dynamisme et à la qualité de sa réflexion, votre association s'est affirmée comme un interlocuteur reconnu et écouté des pouvoirs publics ; je voudrais, en particulier, souligner la part active qu'elle a prise aux débats sur l'intercommunalité, le maintien des services publics et l'évolution des finances locales.

Les communes de montagne sont des acteurs essentiels de l'aménagement du territoire. Leur potentiel économique, qu'il soit agricole, industriel ou touristique, est important. Comme l'ont montré vos échanges de ce matin, les défis auxquels elles sont confrontées dans leur développement exigent une politique adaptée soutenant les efforts de revitalisation entrepris localement ; Dominique Voynet y reviendra cet après-midi.
Mais elles exigent également un cadre législatif et réglementaire favorable aux initiatives locales. Les élus de la montagne pourront s'appuyer sur la volonté du gouvernement de poursuivre et d'approfondir la décentralisation.

Depuis 15 ans, la décentralisation a transformé notre pays en mobilisant efficacement l'énergie des collectivités territoriales et de leurs partenaires en faveur du développement local. Pourtant, des progrès restent à accomplir et une priorité s'impose : clarifier les compétences respectives des différents niveaux de collectivités territoriales.

Dans beaucoup de domaines, il est devenu de plus en plus difficile pour le citoyen de discerner qui fait quoi de la commune, de l'intercommunalité, du département, de la région ou de l'État. L'action publique a perdu de sa cohérence et la décentralisation de sa lisibilité. Une remise en ordre est aujourd'hui nécessaire. Non pas bien sûr pour aboutir à des cloisonnements rigides qui se révéleraient rapidement inadaptés mais pour mieux préciser le rôle de chacun.
Dans un souci d'efficacité, le gouvernement a choisi de procéder par étapes. Dès le premier semestre de 1998, je présenterai au Parlement un projet de loi visant à clarifier les compétences des collectivités locales dans le domaine de l'action économique.

Le régime des interventions économiques des collectivités locales est, en effet, devenu largement obsolète et répond mal aux besoins actuels des entreprises. Un récent rapport de la Cour des Comptes a montré l'importance du fossé qui sépare les dispositions législatives et réglementaires en vigueur des pratiques mises en œuvre par les collectivités.

Les textes comportent beaucoup de zones d'ombre : je pense, en particulier, à la distinction, pour le moins confuses, entre les aides directes et les aides indirectes.

De même, certaines dispositions de la loi du 7 janvier 1982 et de ses décrets d'application sont aujourd'hui en contradiction avec des textes intervenus ultérieurement, notamment la loi du 4 février 1995 ; c'est le cas, par exemple, en ce qui concerne les zonage liés à la politique d'aménagement du territoire.

Enfin, beaucoup d'initiatives se sont développées en marge du droit communautaire sur les aides publiques. L'absence de notification de nombreux dispositifs mis en place par les collectivités locales, outre qu'il fait encourir à notre pays le risque d'une condamnation par la cour de justice, exclut les projets concernés du bénéfice des cofinancements communautaires, ce qui est particulièrement regrettable.

Le projet de loi actuellement en préparation poursuivra trois objectifs :
- premier objectif : simplifier le système actuel et lever ses incertitudes afin de permettre aux élus de s'impliquer en faveur du développement local sans craindre de franchir la « ligne jaune » de la légalité nationale et européenne ;
- deuxième objectif : encourager les collectivités locales à recourir à l'intermédiation de professionnels du développement économique, notamment les sociétés financières de capital-risque et de garantie ;
- troisième objectif : protéger les budgets locaux en veillant à ce que les interventions économiques des collectivités n'excèdent pas leurs capacités financières.

Le projet de loi comportera également des dispositions visant à moderniser le régime juridique des sociétés d'économie mixte locales et à apporter aux collectivités actionnaires un certain nombre de garanties de transparence dans leurs relations contractuelles et financières avec ces sociétés.

J'engagerai prochainement avec les associations d'élus locaux une concertation sur ce projet de loi. Je ne manquerai pas d'y associer l’ANEM. J'ajoute que la même démarche de clarification sera étendue par la suite à d'autres secteurs : je pense, en particulier, à la formation professionnelle et à l'action sanitaire et sociale.

La réforme de l'intercommunalité est également au rang de mes principales priorités. Les communes de montagne sont, pour la plupart d'entre elles, directement concernées comme me l'a rappelé Didier Migaud lorsque je l'ai reçu avec une délégation de l’ANEM, quelques jours après ma prise de fonction, pour un premier échange de vues.

La loi du 6 février 1992 a marqué une étape importante en incitant les communes, déjà familiariser avec les SIVU, les SIVOM et les districts, à s'engager dans une intercommunalité toujours volontaire mais plus structurée et reposant sur la mise en œuvre d'un projet commun de développement. Beaucoup d'entre vous en sont les acteurs au quotidien.

Notre pays compte aujourd'hui près de 1 500 structures intercommunales à fiscalité propre qui rassemblent plus de 31 millions d'habitants et environ 16 500 communes. Ce renforcement du poids de l'intercommunalité constitue un véritable facteur de mutation de notre vie locale.

Pourtant, la situation actuelle n'est pas satisfaisante pour au moins trois raisons :
- l'intercommunalité n'a pas progressé au même rythme dans toutes les régions ;
- l'architecture de la coopération intercommunale est devenue de plus en plus complexe : la stratification des dispositifs successifs, l’enchevêtrement ou la superposition des périmètres et des compétences, on fait de l'intercommunalité une réalité peu lisible et donc mal identifiée par beaucoup de citoyens.
- enfin, la solidarité fiscale n'a été mise en œuvre que par un nombre limité de groupements : seules 65 des 1 500 structures intercommunales à fiscalité propre ont fait le choix du partage de la taxe professionnelle.

Il est devenu indispensable de procéder à une remise en forme du cadre législatif et réglementaire de l'intercommunalité et de mettre en œuvre une réforme tirant les enseignements des principales évolutions constatées ces dernières années.

J’y travaille actuellement avec mon collègue Jean-Pierre Chevènement. Nous faisons nôtres un certain nombre des orientations dégagées par mon prédécesseur Dominique Perben et qui figuraient dans le projet de loi élaboré sous son égide, même si – c’est bien naturel – nous nous réservons un droit d'inventaire et également d'initiative pour enrichir ce texte et le rendre plus ambitieux. Le ministre de l'intérieur et moi-même avons fait le choix de ne pas travailler dans la précipitation, de prendre le temps de la réflexion et de la concertation, pour préparer un texte qui réponde au mieux aux attentes des élus locaux.

1. Le projet de loi visera, en premier lieu, à simplifier le cadre institutionnel de la coopération intercommunale.

Un consensus se dégage aujourd'hui pour reconnaître que la multiplication, au fil des ans, des types de groupements de communes a généré une complexité parfois inutile. Certaines de ces structures présentent de nombreuses similitudes qui pourraient justifier leur regroupement en une seule catégorie d'établissement public de coopération intercommunale, moyennant une harmonisation des règles régissant leur création, leur fonctionnement et leurs compétences.

2. Une deuxième question devra impérativement être traitée par le projet de loi : le partage de la taxe professionnelle.

L'unification progressive des taux et la mise en commun des ressources de la taxe professionnelle dans le cadre de l'intercommunalité à fiscalité propre apparaissent aujourd'hui comme deux conditions indispensables de la réussite de politiques cohérentes de développement local dans les agglomérations urbaines bien sûr, mais aussi en milieu rural.

Plusieurs propositions ont été formulées pour dissiper les réticences constatées actuellement. Je pense, en particulier, à la possibilité pour un EPCI de pratiquer une fiscalité mixte conjuguant taxe professionnelle unique et fiscalité additionnelle aux impôts ménages ; ou encore, à la suggestion visant à apporter certains assouplissements à la règle du lien entre le taux de la taxe professionnelle intercommunale et le taux des impôts ménages des communes membres. Ces propositions seront prises en considération par le projet de loi. Je souhaite, cependant, que le débat reste ouvert sur des mesures plus volontaristes permettant d'aboutir, dans des délais raisonnables, à l'unification des taux et à la mise en commun de la taxe professionnelle dans un plus grand nombre de structures intercommunales.

3. Troisième question qu'il nous faudra aborder : la nécessité d'une plus grande sélectivité de l'aide de l'État.

On ne peut nier qu'un certain nombre de groupements à fiscalité propre ont été constitués, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 février 1992, afin de pouvoir bénéficier de la dotation globale de fonctionnement et des autres incitations financières mises en place par l'État. De même, il est clair que certains établissements publics de coopération intercommunale n'ont pas résisté à la tentation – si vous me permettez l’expression – de « charger la barque » afin d'accroître ainsi, assez artificiellement, leur coefficient d'intégration fiscale et, de ce fait, leurs attributions de DGF.
Il serait à la fois logique et équitable, sans bouleverser la répartition de la DGF des groupements, que l'effort financier de l'État soit prioritairement consenti en faveur des groupements qui ont fait le choix d'une réelle intégration et qui se consacrent à la mise en œuvre effective de projets de développement.

4. Un autre sujet est également au cœur de tous les débats actuels sur l'avenir de l'intercommunalité : le mode de désignation des délégués à l'assemblée délibérante des EPCI à fiscalité propre.

C'est un thème sensible à propos duquel s'opposent partisans et adversaires de l'élection au suffrage universel direct. Cette question devra, le moment venu, être tranchée et pas nécessairement, d'ailleurs, avec une réponse uniforme quelles que soient les structures intercommunales. Si le choix de l'élection au suffrage universel devait, au bout du compte, être jugé prématuré, je suis convaincu qu'il ne serait pas pour autant souhaitable d'en rester au statut quo. Il y a place pour des mesures qui permettent de renforcer l'enracinement démocratique des structures intercommunales et la transparence de leur gestion, notamment en assurant une meilleure information des citoyens mais aussi, et surtout, des conseils municipaux des communes membres sur les décisions prises par les EPCI.

5. Enfin, il me paraît opportun d'aller vers une reconnaissance plus explicite du rôle des structures de coopération intercommunale dans le domaine de la coordination des politiques locales de l’emploi.

Le troisième thème que je souhaite aborder devant vous concerne la fonction publique territoriale. C'est un sujet auquel vous êtes très sensibilisés : tout ce qui concerne le statut et la carrière de vos collaborateurs ne peut, en effet, vous laisser indifférent.

J'ai annoncé, le 3 juillet dernier, devant le conseil supérieur de la fonction publique territoriale, ma volonté de traiter les problèmes du recrutement des fonctionnaires territoriaux et de l'organisation de leur formation. En dépit des incontestables améliorations apportées par la loi du 27 décembre 1994, les collectivités locales continuent en effet à éprouver de réelles difficultés pour recruter les fonctionnaires dont elles ont besoin.
En accord avec le ministre de l'intérieur, j'ai demandé à Monsieur Rémy Schwartz, maître des requêtes au Conseil d'État, de rédiger un rapport d'étude et de propositions sur ces questions. Ce rapport me sera remis à la fin du mois de janvier prochain. Je ne vais pas bien sûr devant vous anticiper ses conclusions. Les orientations sur lesquelles j'ai demandé à Monsieur Schwartz de travailler sont les suivantes :
- clarifier le rôle des différents intervenants (CNFPT, centres de gestion, etc.) et mettre en œuvre une plus grande complémentarité de leurs actions respectives ;
- adapter le contenu des concours et la formation aux métiers de l'action locale ;
- aborder, en termes objectifs, la question du déroulement de carrière des fonctionnaires territoriaux.

J'ai également pris bonne note de vos préoccupations relatives aux modalités de recrutement des employés communaux saisonniers et j'en ai saisi mes services.

J'en viens à un quatrième sujet qui vous intéresse directement dans la perspective de la préparation de votre prochain budget primitif : l'évolution des relations financières entre l'État et les collectivités locales en 1998.

Le gouvernement a décidé de maintenir, jusqu'à son terme, c'est-à-dire le 31 décembre 1998, le pacte de stabilité financière instaurée en 1996.

Les dotations de l'État aux collectivités locales évolueront en 1998 au même rythme que l'indice prévisionnel des prix hors tabac figurant dans la loi de finances et connaîtront ainsi une progression de 1,3 % pour atteindre 156,7 milliards de francs. En tenant compte de l'abondement du fonds national de péréquation de la taxe professionnelle (FNPTP) par la fiscalité locale acquittée par La Poste et France Telecom, cette progression sera légèrement supérieure à l'inflation prévue pour 1998.

Les dotations de fonctionnement prises globalement seront en progression de 1,78 % par rapport à cette année. La progression de la DGF devrait permettre de réaliser un effort supplémentaire en faveur de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR) que beaucoup de vos communes perçoivent.

Par ailleurs, après deux années de baisse, la dotation globale d'équipement (DGE) progressera en 1998 de 2,5 % et atteindra un peu plus de 5 milliards de francs.

Je terminerai ce tour d'horizon financier en vous rappelant que le taux de cotisation à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) ne sera pas augmenté en 1998. Je suis personnellement intervenu auprès du Premier ministre pour que le taux de cotisation soit maintenu à son niveau actuel et je suis heureux que mes arguments aient été entendus. En 1998, le gouvernement, en étroite concertation avec les associations d'élus locaux, proposera des mesures structurelles permettant d'améliorer l'équilibre financier de la CNRACL.

Au total, le gouvernement tient, dans la loi de finances, ses engagements à l'égard des collectivités locales. Il s'attache à préserver leur marge de manœuvre à l’heure où il sollicite leur engagement actif pour la mise en œuvre du plan pour l'emploi des jeunes.

Je souhaiterais, avant de conclure, vous entretenir un instant de ce sujet dont l'importance ne vous échappe pas en tant qu'élus proches du terrain et attentifs aux préoccupations de nos concitoyens.

C'est en partant d'un double constat – d’une part, la persistance d'un chômage massif des jeunes, d'autres par l'existence de besoins non satisfaits dans le domaine des services – que l'État a décidé de soutenir, dans la durée, la création de nouvelles activités d'utilité sociale pour les jeunes de moins de 26 ans sans emploi.

Trois grands principes définissent l'esprit de la loi qui vient d'être votée :

1. Offrir dans le cadre de contrats de travail de droit privé, de vrais emplois répondant à des besoins de nouveaux liés à l'évolution de notre société, tels les services aux personnes, la préservation de l'environnement et du patrimoine, la qualité du cadre de vie.

2. Engager les collectivités territoriales, d'autres personnes morales de droit public et les associations à partager ces nouveaux emplois.

3. Pérenniser et professionnaliser les emplois, en suscitant la création de véritables métiers et en recherchant la solvabilisation de la demande.

J'appelle tout particulièrement votre attention sur un point essentiel : l'intention du gouvernement n'est pas, comme certains ont pu le dire, de créer une fonction publique au rabais ; ces nouveaux emplois n’ont, en effet, en aucune façon, vocation à se substituer aux emplois classiques de la fonction publique territoriale.

Pour assurer la réussite de ce programme, l'aide de l'État sera importante : le budget mobilisé en 1998 approchera les 10 milliards de francs (92 000 francs par emploi). La procédure d'instruction des dossiers sera simple et rapide. Pour l'État, elle sera conduite par le préfet de département. Une convention annuelle, établie avec chaque employeur, précisera les activités concernées et le nombre d'emplois bénéficiant de l'aide de l'État. Celle-ci sera versée mensuellement, un mois à l’avance.

Pour notre jeunesse, ce programme doit réussir ! À l'instar de l'ensemble des collectivités locales, les communes de montagne ont un rôle important à jouer, je ne doute pas qu'elles prendront toute leur part à la mobilisation nécessaire.

Telles sont Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, les principales informations que je souhaitais vous communiquer ce matin. Les relations étroites de concertation que j'entends entretenir avec l'Association nationale des élus de la montagne nous conduiront à nous revoir très bientôt. Soyez assurés de la volonté qui est la mienne d'être pour vous un interlocuteur attentif à vos préoccupations et désireux de vous aider à aller de l’avant.

Dans l'immédiat, je forme des vœux de pleine réussite pour ce congrès et je vous remercie de votre attention.