Texte intégral
France 2 - Mercredi 15 octobre 1997
D. Bilalian : Le Président de la République, lorsque vous avez présenté les deux projets de loi - sur la nationalité, le ministère de la justice, et vous sur l’immigration - a fait des réserves. On ignore quel type de réserves il a fait.
Jean-Pierre Chevènement : Le but du gouvernement c'est de sortir l'immigré de sa situation de punching-ball, d'otage de débats politiciens. J'ai effectivement entendu que le Président de la République faisait des réserves, il n'a pas dit lesquelles. Il a dit que ces réserves étaient à l'intention du conseil des ministres. Elles ont été rendues publiques par son porte-parole. J'aimerais que le chef de l'État se comporte non pas comme un chef de parti, mais comme le Président de la République soucieux de rassembler tous les Français. En tout cas, c'est le but de ce texte qui, contrairement à ce que vous avez dit Monsieur Bilalian, est en rupture profonde avec la législation précédente. Parce que la législation précédente visait à faire de l'immigration la source supposée de tous les maux. Notre but au contraire c'est l'accueil, c'est l'intégration ; et d'abord des étrangers en situation régulière qui sont dix fois plus nombreux, au moins, que les étrangers en situation irrégulière.
D. Bilalian : Est-ce que ce n'était pas plus facile d'abroger ces lois, comme vous l'aviez indiqué pendant la campagne électorale, plutôt que de les réformer ? La situation aurait été claire.
Jean-Pierre Chevènement : Si on avait simplement abrogé, on aurait retrouvé les textes antérieurs, mais on aurait pas pu réaliser les avancées, par exemple, sur le droit de vivre en famille, sur le regroupement familial, sur l'assouplissement du régime des visas, qui vont intervenir ; pas plus que nous n'aurions pu étendre le droit d'asile politique ou le droit d'asile territorial. Donc l’abrogation, c'est un mot. Ce qui compte, c'est que le gouvernement ait été fidèle à ses engagements, droit du sol, droit d'asile, et droit de vivre en famille.
J.-M. Carpentier : Vous parlez d'avancée, mais J.-L. Debré, je le cite, dit que « vous êtes incapable de résister aux gauchistes et aux laxistes ».
Jean-Pierre Chevènement : Je crois que tout a montré le contraire. Monsieur Debré qui prétendait vouloir voter notre projet de loi il y a quelques semaines, aujourd'hui part en guerre à des fins purement électoralistes. C'est son projet qui était électoraliste, car il faut toujours rappeler que c'est à des fins électorales, et non pas pour améliorer beaucoup la législation, que Monsieur Debré a convaincu le Président de la République à la fin de 1996 de présenter ce projet de loi. C'était avant une dissolution programmée.
J.-M. Carpentier : Il y a aussi des critiques qui viennent de la gauche. Vous avez qualifié d’« irresponsables » les signataires des pétitions de gauche qui vous avaient soutenu au moment des lois Debré. Ils vous reprochent d'utiliser les mêmes mots qu’E. Raoult à l’époque.
Jean-Pierre Chevènement : Moi personnellement, je n'ai jamais varié. Je vous défie de trouver dans le passé aucun mot que je ne tienne aujourd'hui. Je pense qu'il faut stabiliser, intégrer…
J.-M. Carpentier : Ce sont des irresponsable les gens qui ne sont pas d'accord avec vous à gauche ?
Jean-Pierre Chevènement : Je pense qu'un certain nombre de thèses sur l'ouverture totale des frontières, ou un mot d'ordre comme la régularisation de tous les sans-papiers n'est pas tenable. Les demandes qui…
D. Bilalian : C’est irresponsable ?
Jean-Pierre Chevènement : Comprenez-moi bien Monsieur Bilalian, si nous régularisions aujourd'hui tout le monde, cela voudrait dire que demain, toujours, nous régulariserions tous ceux qui le demandent. Aucun État n'est tenu d'aille cueillir sur son sol quiconque le demande.
D. Bilalian : Prenons un exemple précis dans le projet de loi : il n'y a plus de déclaration volontaire à 18 ans pour un étranger né en France pour devenir français, il le devient automatiquement. Pourquoi ôter cette demande volontaire qui était une marque, une volonté d'être Français ?
Jean-Pierre Chevènement : Mais il peut devancer l’appel en faisant cette déclaration à 16 ans. Et il peut aussi faire la déclaration au contraire s'il ne veut pas de la nationalité française. Donc si vous voulez, l'esprit c'est qu'on ne peut pas rester étranger sans le savoir, mais on peut en quelque sorte devenir Français avant 18 ans, à 16 ans. Je dirais que nous revenons à la tradition française du droit du sol, qui fait qu'à 18 ans, c'est-à-dire l'âge de la majorité, les enfants nés en France deviennent Français.
D. Bilalian : Ce serait l'automaticité dès la naissance. C'est ça le vrai droit du sol.
Jean-Pierre Chevènement : Oui, mais ce n'est pas du tout notre tradition car nous faisons fond sur la puissance de l'éducation. Et le délai de cinq ans - qui est exigé - implique, notamment, qu'avant l'âge de 18 ans ou 16 ans qui correspond à la scolarité obligatoire, le jeune ait été à l'école. Il devient Français à l'école de la République.
J.-M. Carpentier : On va être devant un cas concret très rapidement : vous êtes en train de faire régulariser un certain nombre de gens qui sont en situation irrégulière aujourd’hui.
Jean-Pierre Chevènement : Sur la base de critères.
J.-M. Carpentier : Il y a à peu près 120 000 demandes. Pour l'instant, on n'en est à 10 000 acceptations. Il reste plus de 100 000 personnes. Que vont devenir ces personnes ? Est-ce que vous allez les renvoyer dans leurs pays d'origine, et comment ?
Jean-Pierre Chevènement : Je précise que nous serons sans doute à 10 000 avant la fin du mois. Ce n'est pas un maximum - comme Monsieur Bilalian l'a dit, hier soir. Je ne peux vous dire quel sera le chiffre total puisque cela se fait sur la base des critères qui ont été définis par la Commission consultative des droits de l’homme.
J.-M. Carpentier : Que vont devenir les gens qui ont été repérés par les services de police, et qui ont été déboutés. Vous devinez ce qu'il y a derrière…
Jean-Pierre Chevènement : C'est un procès d'intention indigne.
J.-M. Carpentier : Ils auront été fichés, leurs noms ont été notés.
Jean-Pierre Chevènement : Il n'y a pas de fichiers. Leurs noms l'étaient déjà car ils avaient souvent fait des demandes. Leur domicile n'est pas toujours celui qu'ils indiquent. J'ajoute qu'on ne peut pas faire un contrôle de police à domicile. Il faut l'autorisation du juge.
J.-M. Carpentier : Qu’est-ce qu’ils deviennent ?
Jean-Pierre Chevènement : S'ils sont interpellés dans la rue, ils seront reconduits. Et s'ils sont reconduits, ils bénéficieront d'un certain nombre de dispositions.
D. Bilalian : Ils ne seront pas reconduits massivement ?
Jean-Pierre Chevènement : Ils seront reconduits avec des dispositions qui favoriseront leur réinsertion s'ils le veulent.
J.-M. Carpentier : Les 100 000 personnes reconduites ? Vous faites comment ?
Jean-Pierre Chevènement : Je n'ai pas cité de chiffres.
J.-M. Carpentier : Mais peut-être quelques dizaines de milliers en tout cas ?
Jean-Pierre Chevènement : Je mets justement en garde ceux qui citent des chiffres, parce que la régularisation se fait sur critères : le soutien à des micro-projets de développement, par exemple, en accord avec les pays d'origine permettra de les reconduire dignement. Nous sommes en train d'élaborer une loi à la fois ferme et humaine.
D. Bilalian : Prenons un autre point : jusqu'à présent le droit d'asile politique était pour des violences d'État. Un État était violent à l'égard d'un adversaire politique : on l'accueillait en France. Aujourd'hui, vous l’étendez à d'autres violences qui ne sont pas forcément d'État. Est-ce que vous ne pensez pas qu'un Italien menacé par la mafia, un Colombien menacé par le cartel peut profiter de ce système ?
Jean-Pierre Chevènement : Soyons sérieux. Il s'agit de demandes qui sont présentées devant l’OFPRA, dont la jurisprudence s'est montrée très restrictive ces dernières années. Mais la jurisprudence française est, en effet, très restrictive parce qu'elle implique une persécution par un État, et nous l’étendons à des persécutions qui peuvent venir de force non-étatiques.
J.-M. Carpentier : comme le GIA en Algérie ?
Jean-Pierre Chevènement : Comme le GIA en Algérie. À cela, qui est l'asile constitutionnel, qui est accordé à des hommes ou des femmes qui se battent pour la liberté, pour les droits de l'homme et du citoyen que nous avons proclamés, nous ajoutons le droit d'asile territorial pour des gens qui seraient menacées dans leurs vies. Mais cela est délivré par le ministre de l'intérieur. Vous pouvez faire confiance au gouvernement…
J.-M. Carpentier : Vous ne serez pas toujours ministre de l'intérieur ! Après il y aura d'autres ministres.
Jean-Pierre Chevènement : Mais vous pouvez faire confiance, quand même, à tout gouvernement pour trouver le juste équilibre.
D. Bilalian : Votre déclaration sur le fait que les immigrés clandestins pèsent sur les comptes de la sécurité sociale a fait tilt.
Jean-Pierre Chevènement : Je crois que c'est une question de bon sens. Les étrangers en situation régulière ont les mêmes droits sociaux que les Français. Si nous ouvrions complètement les frontières, cela voudrait dire que - vous avez vu ces Roumains tout à l'heure (reportage de France 2, Ndlr) - ils pourraient s'inscrire à la sécurité sociale. Or de toute évidence, nous sommes là en présence de réfugiés de la misère. Ce sont des gens qui fuient la misère.
J.-M. Carpentier : Il n'y a pas un risque de confusion avec le vocabulaire du Front national lors ce que vous dites cela ?
Jean-Pierre Chevènement : Je cherche à dire ce qui est vrai d'abord. C'est que nous sommes responsables des équilibres sociaux et politiques du pays, qu'il y a des dérives communautaristes qui sont aux antipodes des valeurs de la République, il y a des millions de chômeurs dans notre pays, qu'on ne peut pas traiter de la même manière les flux migratoires que s’il y avait le plein emploi. C'est le bon sens ! Il y a des déséquilibres dans le monde qui sont graves. Nous avons vu la Roumanie, mais aujourd'hui, la première nationalité qui arrive à nos frontières se sont les Irakiens - comme par hasard ! Je vous réponds une chose : si on veut traiter correctement les problèmes, on doit les traiter là où ils se posent : en Irak ! Qu'on lève le blocus ! Car c'est peut-être plus intelligent que de délivrer des titres de séjour.
D. Bilalian : C'est un autre débat qui date d'il y a quelques années !
Jean-Pierre Chevènement : Ce n'est pas un autre débat. C'est un débat malheureusement très actuel. Les problèmes du Sud se résolvent au Sud. Il faut aider les pays du Sud à se construire des États digne de ce nom, des États de droit, à se développer parce que c'est la condition du développement ; il n'y a pas de développement sans sécurité. Il faut avoir la vue globale du problème, et très peu de gens ont cette vue globale. Il faut bien le dire. Et nous sommes sur un sujet fantasmatique, où de part et d'autres on veut jeter de l’huile sur le feu. Mon souci est de servir les immigrés en situation régulière pour les stabiliser, et s’ils le veulent pour qu'ils puissent s'intégrer à la République.
France Inter - Mercredi 15 octobre 1997
Jean-Pierre Chevènement : C'est un texte à la fois juste, pour autant qu'il soit possible de l’être, et que je crois conforme à l'intérêt national. Je pense que le texte est équilibré. Il part d'une volonté qui est d’intégrer les immigrés qui sont établis durablement sur notre sol, qui sont quand même huit à dix fois plus nombreux que les étrangers en situation irrégulière, il ne faut jamais l'oublier. Et moi je défends les immigrés qui sont en situation régulière, d'abord. Il est vrai que les autres, naturellement, ont droit à toutes les garanties, à toutes les procédures qui sont celles qui ont cours dans un État de droit. Le but, c'est d'intégrer, c'est de servir le rayonnement de la France. Je pense que c'est un texte qui est conforme à l'intérêt national. Il vise à la fois à améliorer l'accueil, à garantir le droit d'asile, mais en contrepartie à rendre plus effectif le respect de la loi, tout simplement.
RMC - Mercredi 15 octobre 1997
Jean-Pierre Chevènement : Les jeunes qui ont leurs études en France, qui ont fait l'ensemble de leur scolarité obligatoire - puisque c'est cinq ans à seize ans, la clause qui est définie : cela veut dire le collège - eh bien, on peut penser qu'effectivement, ils se sentent français. L'expérience le montre. Ils n'ont pas d'avenir dans d'autres pays que la France, et il faut leur apprendre que la France est leur pays. S’agissant de l'immigration, je vous le dis, le seul souci du gouvernement est de faire en sorte que l’immigré ne soit plus l’otage des débats politiciens.