Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs
La volonté exprimée, tant par le milieu professionnel que par les pouvoirs publics, de bâtir un nouvel avenir pour le secteur de la pêche maritime et des cultures marines, après la crise de la filière en 1993-1994, et au-delà des mesures économiques et sociales indispensables au redressement qui ont été prises, s'est concrétisée par l'élaboration de la loi d'orientation. C'est le résultat d'une réflexion sur les voies possibles, et d'une concertation avec les partenaires sociaux.
Le contexte de la présentation de ce projet de loi est tout à fait particulier. En effet, ce projet a déjà été soumis, par mon prédécesseur Philippe Vasseur, aux deux Assemblées. Nous avions à l'époque, dit les avancées qu’il permettait, exprimé la nécessité d'une ambition plus grande. Je tiens à souligner la qualité du travail accompli par le rapporteur Monsieur Josselin de Rohan. À l'issue de ces examens par les deux Assemblées, une vingtaine d'articles ont été adoptés de façon conforme. Il n'est pas fréquent qu'un projet de loi soit présenté en troisième lecture devant votre Haute Assemblée. Après les changements intervenus à l'Assemblée nationale et compte-tenu des enrichissements apportés à la loi, je me devais, tant par respect pour la Haute Assemblée que pour saluer le travail réalisé au cours des deux premières lectures, de venir devant vous aujourd'hui, présenter la loi d'orientation dans sa nouvelle configuration.
La politique des pêches, nous le savons, est très dépendante du contexte international et d'abord du cadre communautaire. Aussi, avant de rappeler les objectifs du projet de loi et les enrichissements apportés, voudrais-je intervenir sur deux thèmes d'une actualité sensible et dont l'évocation éclairera nos travaux. Je veux parler du plan d'orientation pluriannuel (POP IV) et des mesures techniques qui seront arrêtées avant la fin de l’année.
Sur le POP IV, j’hérite d’une situation où il nous faut, dès 1997, résorber le retard issue du POP III et mettre en œuvre le POP IV avant d'obtenir à nouveau les aides à l'investissement. Le cumul de ces deux situations conduirait en 1997 à un besoin de sortie de flotte de l'ordre de 3 % de la capacité totale. J'ai demandé au Commissaire européen, Madame Bonino, des aménagements tendant à obtenir un rétablissement des aides en 1998. Si cela est obtenu, je mettrai en œuvre un plan de sortie de flotte dès la fin de l'année, préalablement à la reprise d'une modernisation maîtrisé de la flotte française.
Par ailleurs, je serai attaché à ce que les spécificités méditerranéennes d'une part, et des départements d’Outre-mer d'autre part, soient prises en compte dans le POP IV national qui doit être adopté fin novembre.
Ainsi, pour les DOM, je défendrai la possibilité d'augmenter l'effort de pêche et la reconnaissance du particularisme des flottilles de chaque département.
S’agissant des propositions de règlement sur les mesures techniques élaborées par la Commission, je suis conscient de la nécessité de dispositions permettant de protéger les juvéniles pour maintenir la capacité de capture à venir. Mais il ne faut tomber dans l'excès. Il s'agit de trouver le juste équilibre qui permet d'assurer le revenu de nos marins et prendre en considération la diversité des pêcheries françaises et la complexité des situations qu'elle engendre. C’est pourquoi, je répète ce que j'ai dit récemment au Commissaire européen : les cantonnements envisagés dans le golfe de Gascogne sont inacceptables et d'ailleurs scientifiquement injustifiables pour les pêcheurs français. Si pour moi, le retrait des cantonnements est un préalable politique, il nous faudra discuter d'alternatives crédibles. D'autres points me préoccupent également, par exemple, le maillage en Mer du Nord, pour lequel je défends un accroissement limité à 100 mm.
Par ailleurs, je tiens à confirmer ici que, s'agissant des filets maillants dérivants, la réglementation en vigueur est respectée, ce qui est d'ailleurs reconnu par l'administration espagnole qui a pu assister aux contrôles lors de la campagne en cours. Ni la volonté de préserver la ressource, ni celle d'assurer un développement durable de la pêche, ne justifient leur remise en cause. J'insiste pour que cette technique de pêche soit maintenue dans les conditions de pratiques actuelles. Je souhaite que la fermeté de mes propos sur ces questions soit entendue au-delà de votre Assemblée.
Enfin, avant de conclure sur les aspects communautaires, je voudrais vous indiquer ma volonté exprimée récemment à Madame Bonino de faire progresser l’organisation commune de marché des produits de la pêche pour que les efforts d'organisation nationale trouvent un meilleur écho dans le cadre communautaire.
Il me revient maintenant de vous présenter le projet de loi nouveau et enrichi devant votre Haute Assemblée. Il vous a été donné d'examiner le 5 novembre 1996 le texte déposé par le précédent gouvernement. À l'issue de la discussion le 4 mars 1997 devant l'Assemblée nationale, 20 articles ont été adoptés de façon conforme. La deuxième lecture au Sénat, le 17 avril dernier a conduit à l'adoption conforme de 14 articles supplémentaires et à la suppression d'un article. Ainsi, demeurent en discussion 21 articles. Avant d'entrer dans le vif du sujet, qu'il me soit permis de rendre un nouveau hommage à la qualité du rapport de Monsieur Josselin de Rohan et aux travaux de la Commission des affaires économiques et du plan.
Il m'apparaît nécessaire de remettre en perspective les principales dispositions du projet de loi. Celles-ci sont conformes aux principes et aux règles de la politique commune des pêches et respectent les engagements internationaux de la France.
Les cinq axes de la loi concernent :
- la ressource et son accès ;
- l'ajustement entre la production et les besoins du marché ;
- le statut des entreprises ;
- les cultures marines ;
- la modernisation des relations sociales.
Je retracerai les principales dispositions du projet qui ont fait l'objet d'un examen par le Parlement.
Pour créer les conditions d'une gestion durable de la ressource, il convient de concilier deux impératifs : assurer les conditions d'accès à la ressource qui garantissent la préservation des stocks halieutiques et maintenir les équilibres économiques et sociaux des zones littorales qui vivent de la pêche. À cette fin, le projet de loi consacre le rôle de l'État dans la détermination des conditions d'accès à la ressource et évite la cession des quotas ou des licences qui serait de nature à bouleverser les équilibres économiques et sociaux et à pénaliser les professionnels de la filière.
Le projet de loi à quatre ambitions pour ajuster la production aux besoins du marché. Il s'agit de renforcer le rôle économique et interprofessionnel du Fonds d'intervention et d'Organisation des Marchés des produits de la pêche et des cultures marines, le FIOM, pour en faire un véritable office des produits de la mer et de l'aquaculture, à l'instar des offices agricoles.
Il s'agit aussi de rationaliser le fonctionnement des infrastructures portuaires dans le cadre de ce que j'appelle la Commission régionale pour l'amélioration des conditions de débarquement des produits de la mer (CORECODE).
Il s'agit encore de mieux impliquer les organisations de producteurs dans la gestion des quotas de leurs adhérents.
Enfin, il est créé un conseil supérieur d'orientation, instance consultative placée auprès du ministre, chargée de veiller par ses avis, à la cohérence de l'ensemble des aspects de la politique des pêches et des cultures marines.
Tout ceci est de nature à développer les accords entre les différents partenaires de la filière, du producteur au distributeur, pour assurer un meilleur service au consommateur. Celui-ci doit pouvoir bénéficier de la sécurité alimentaire.
Pour moderniser les entreprises de pêche, qui sont pour l'essentiel des entreprises individuelles, le statut de la société de pêche artisanale permettra aux patrons-pêcheurs propriétaires de mieux distinguer la gestion de leur entreprise, de celle de leur patrimoine propre. Il s'agit d'une option qui ne remet pas en cause, pour celui qui la choisit, les avantages sociaux et fiscaux de l'entreprise individuelle.
En outre, le projet consacre la nature commerciale de l'activité de pêche. Il en résulte pour le conjoint du chef d'entreprise, un mandat général d'administration courante, lui permettant de représenter l'entreprise dans l'ensemble de ses intérêts économiques.
La modernisation du secteur nécessite, par ailleurs, une adaptation de la fiscalité pour assurer la création et le renouvellement des entreprises. C'est pourquoi le projet de loi :
- favorise la première acquisition d'un navire à la pêche artisanale par un jeune patron-pêcheur en permettant, par des incitations fiscales, l'appel à des capitaux extérieurs pour mieux résoudre le problème de l'autofinancement dans un secteur particulièrement capitalistique ;
- prévoit l'étalement de l'imposition des plus-values de cession d'un navire de pêche sous réserve de réinvestissement dans le secteur des pêches maritimes. Cette mesure préservera, la capacité d'autofinancement, notamment de la pêche industrielle.
Ces deux mesures fiscales sont donc complémentaires.
S’agissant des cultures marines, le projet de loi affirme le caractère agricole de ces activités. De même que pour le mareyage, il confirme l'existence de droits réels pour les installations situées en zones portuaires départementales.
Un accès à la ressource organisé, une filière structurée, des entreprises consolidées, ne sauraient constituer à elles seules une politique des pêches si les conditions de travail demeuraient en l’état.
C'est pourquoi, ce projet de loi prévoit de moderniser les relations sociales, pour ce qui concerne les conditions d'appréciation de la rémunération minimale, l'amélioration des protections sociales, le droit au repos. Pour ces diverses mesures d'importance, il est accordé un plus grand rôle aux partenaires sociaux, au travers des accords collectifs.
Afin d'encourager l'embauche de jeunes, la préretraite à la pêche sera possible.
Enfin, pour la pêche comme pour la conchyliculture, les entreprises de marins de moins de 10 salariés pourront cotiser à un organisme collecteur paritaire agréé unique, pour assurer le financement de leur propre formation.
Dès mon arrivée au ministère de l'agriculture et de la pêche, j'ai tenu, dans la ligne des remarques que j'avais formulé en tant que parlementaire, à enrichir le texte par des nouvelles dispositions à caractère économique et social. C'est pourquoi le gouvernement présente 21 amendements supplémentaires.
La concertation engagée au cours de l'été a confirmé la nécessité de renforcer trois des cinq axes du projet dans les domaines de l'accès à la ressource, de l'entreprise de pêche et de la modernisation des relations sociales. Pour chacun d’eux, j'insisterai sur les principales évolutions que je propose.
Je veux d'abord évoquer la captation de quotas (je propose à la représentation nationale d'abandonner l'anglicisme de "quota-hopping").
Alors qu'il est demandé à nos pêcheurs de réduire leurs efforts de pêche, il est inacceptable que des capitaux étrangers profitent de nos quotas, sans aucun bénéfice pour l'activité portuaire et l'emploi. Les règles communautaires sont à cet égard contradictoires : à la pêche, en effet, l'application des quotas nationaux est incompatible avec les principes généraux de libre circulation.
L'amendement que je présente vise à limiter l'accès à nos quotas pour les navires d'un autre État membre.
Lorsqu'un navire est sous contrôle de capitaux d'un autre État membre, l'accès à nos quotas et aux licences ne sera possible que pour ceux qui ont un lien économique réel avec le territoire national et sont dirigés à partir d'un établissement stable situé sur le territoire. Cette double liaison économique et administrative conditionne l'accès aux quotas et aux licences.
Les deux notions auxquelles la loi fait expressément référence sont désormais bien cernées par la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes. Ainsi, le lien économique réel suppose que ces navires débarquent et mettent en vente au moins 50 % de leurs prises dans un port français, ou que leurs équipages soient composés d'au moins 50 % de marins résidant en France, ou encore que la majorité des marées aient lieu au départ d'un port français. Il peut aussi résulter d'une combinaison pondérée de ces mesures ou d'autres éléments d'un poids économique ou structurel équivalent.
L'établissement stable pour sa part suppose l'existence d'un service administratif et technique gérant le navire et entraîne la soumission de ce dernier aux règles techniques et sociales de l'État du pavillon et aux contrôles correspondants. Ces conditions s’appliqueront à tous les navires, y compris ceux actuellement en activité.
Dans le même souci de protection de nos ressources, je vous propose le renforcement important des amendes pour les navires étrangers pêchant frauduleusement au large des Terres Australes et Antarctiques Françaises.
S’agissant de l'entreprise de pêche, il convient de rappeler que le secteur des pêches maritimes et des cultures marines est le dernier à ne pas octroyer un statut du conjoint collaborateur du patron-pêcheur propriétaire ou du chef d'exploitation. Le rôle des femmes dans l'entreprise, (puisque ce sont d’elles qui il s’agit), n'était pas reconnu. Or, chacun sait dans nos ports, combien leur participation est active, qu'il s'agisse de l'avitaillement, de la gestion du bateau, ou même de la vente des produits.
Depuis de longs mois, les associations de femmes de patrons-pêcheurs et d’exploitants conchyliculteurs avaient exprimé clairement leurs revendications. Plusieurs réunions de travail avec mes services, un rapport d'inspection générale, ont permis de construire des propositions. Je tiens à rendre hommage à leur détermination et je salue la récente création de la fédération interrégionale des « Femmes du littoral ».
Pour aller au-delà de ce qui était proposé au cours des précédentes lectures et pour répondre à leurs soucis légitimes, il convenait de prendre en compte la diversité des situations. C'est pourquoi les propositions concernent un système à options qui harmonise les situations entre la pêche et les cultures marines. Il crée un véritable droit à la retraite. Celui-ci, proposé dans le cadre de l’ENIM, ne porte pas atteinte à la spécificité du régime des marins.
Le conjoint pourra obtenir une retraite à 55 ans, sous réserve qu'il cesse son activité dans l'entreprise, de même le remplacement pour congé maternité est proposé. En contrepartie de ces avantages, l'entreprise devra payer une contribution sur la part armement.
Mais, pour le propriétaire embarqué, seul à bord, nous proposons en option la possibilité d'un partage des droits entre le marin et son conjoint, sans augmentation de cotisation.
Le conjoint a principalement un rôle de gestion qu’il convenait de reconnaître au sein des organisations économiques. C'est pourquoi, il pourra représenter l'exploitant et être élu aux différentes instances des organismes de coopération, de mutualité ou de crédit maritime, comme cela se pratique en agriculture.
S’agissant de l’accès à la formation, la loi prévoit la possibilité pour les conjoints de bénéficier de stages de formation dans le cadre du fonds d’assurance formation-pêche. Je précise que l’ensemble des dispositions du conjoint intègrent et complètent celles initialement prévues pour les conjoints de conchyliculteur, disposition présentée par Jean de Lipkowski, dont je salue ainsi la mémoire.
J'ai conscience que les présentes dispositions ne répondent pas à l'ensemble des demandes des femmes de marins, mais elles constituent une réelle avancée de leurs droits.
Enfin, il convenait d'accentuer les avancées du projet de loi dans le domaine de la modernisation des relations sociales, afin d'améliorer la protection des salariés, c'est pourquoi je propose des mesures sur la prévention des risques et le licenciement des capitaines.
Le métier de la pêche est dur, c'est l'activité où, en proportion, les accidents du travail sont les plus élevés. Faut-il rappeler qu'annuellement, un marin sur six est victime d'un accident du travail alors qu'il est déjà de un sur huit dans le bâtiment et de un sur vingt dans le régime général. Nous ne pouvons pas accepter la fatalité du danger de l'exercice de la pêche. C'est pourquoi nous nous devions d’étendre les principes généraux de prévention aux entreprises d'armement maritime, notamment pour ce qui concerne :
- la consultation des partenaires sociaux au sein d'un organisme professionnel d’hygiène et de sécurité du travail maritime ;
- différentes dispositions relatives au fonctionnement des comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail.
Il fallait aussi faire évoluer le statut du capitaine en lui accordant le bénéfice du droit commun du licenciement maritime.
Je veux intervenir sur le problème longtemps discuté par les instances professionnelles et controversé de la protection du chômage des marins à la pêche artisanale. Si le texte, à cet égard demeure inchangé, le gouvernement a demandé à un inspecteur général d’analyser la réalité du chômage à la pêche et les modalités de son fonctionnement. Il s'agit de concevoir, pour le mettre en œuvre, un système d'indemnisation, soit dans le cadre des ASSEDIC, soit de façon spécifique qui prenne en compte les contraintes inhérentes à la pêche artisanale. J'entends que ce rapport soit remis à la fin de cette année.
Enfin, vous avez constaté que par amendement gouvernemental une disposition s'est ajoutée au texte pour traiter le problème de la retraite complémentaire des agriculteurs. Il s'agit en effet de prendre des dispositions devenues très urgentes pour combler le vide juridique laissé par un arrêt du Conseil d'État qui annule le régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles dénommé « COREVA ». Celui-ci n'était en effet pas conforme au droit européen de la concurrence. Les dispositions qui vous sont proposées règlent cette question en proposant un système dans lequel l'agriculteur aura le choix entre une pluralité d'assureurs. Le gouvernement a veillé à ce que le texte garantisse l'intégralité des droits et des avantages dont bénéficient déjà les exploitants agricoles dans ce domaine.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, le temps nous a été donnée d'approfondir le projet de loi, de poursuivre la concertation avec les professionnels pour le compléter et l'enrichir. Il est de nature à offrir un cadre de travail permettant de moderniser et de développer le secteur des pêches maritimes et des cultures maritimes, en l'avenir duquel nous sommes confiants.
Je suis convaincu que votre Haute Assemblée saura partager cette confiance dans l’avenir.