Texte intégral
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Depuis peu, nous pouvons constater les uns et les autres avec satisfaction que les responsables politiques ont compris qu’une troisième révolution est à l’œuvre : la révolution numérique, celle des nouvelles technologies de l’information et de la communication – je nous écarte évidemment du nombre, puisque nous sommes tous ici des visionnaires de longue date.
À cet égard, je veux d’abord rendre hommage au travail de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Sans les rapports de ses membres sur la société de l’information, les nouvelles technologies, l’Internet, la sensibilisation à la modernité technologique des pouvoirs publics et des décideurs français aurait sans doute été plus lente ! Votre exemple me permet de souligner que le rôle et les moyens de nos offices parlementaires doivent être renforcés. Il ne suffit pas de voter des lois - en général, on en vote trop –, il faut les appliquer et périodiquement les évaluer. C’est l’un des aspects, et l’un des outils, du renforcement du rôle du Parlement. Merci d’avoir joué, tant dans votre apport à l’institution parlementaire, que dans son ouverture à la question des NTIC, un rôle de précurseurs !
Cependant, et vous le savez comme moi, la France est encore loin du compte dans la diffusion et l’usage des NTIC. Nous devons « passer la surmultipliée ». Le Premier ministre le dira certainement avec force dans quelques minutes comme il l’a déjà fait, il y a quelques semaines. Qu’est-ce qui va se modifier avec les NTIC ? Tout ou presque, et dans bon nombre de domaines, des plus quotidiens aux plus lointains, des plus anecdotiques aux plus stratégiques. J’en donnerai une seule illustration qui annonce un véritable changement de société.
Tout commence à l’école et se construit par le savoir. Les encriers de nos grands-parents ont disparu des salles de classe. Bientôt, des cartables électroniques apparaîtront. Dans une sorte de mallette de moins d’un kilo seront stockés un agenda, un traitement de texte, des logiciels graphiques, l’équivalent de milliers de pages de cours et une connexion Internet. Au-delà du caractère excitant de ces drôles de machines dont les enfants expliquent la technologie aux parents, les NTIC instaurent un nouveau rapport au savoir : tout le savoir est potentiellement accessible à tous et à tout moment. C’est l’un des aspects les plus révolutionnaires des NTIC. Mais au prix d’une difficulté et d’un risque.
La difficulté est d’ordre pédagogique : la vitesse des évolutions technologiques rend obsolète notre modèle de formation. Je crois qu’il doit désormais faire place à l’éducation continuelle et utiliser les NTIC comme fer de lance d’une nouvelle façon d’apprendre, d’une nouvelle façon de réaliser l’intégration sociale. Bien sûr, l’école obligatoire sera toujours le lieu de l’éducation première et de l’apprentissage des valeurs républicaines. Mais il faudra que chaque individu puisse, au long de sa vie, se former à des techniques différentes et évolutives, s’ouvrir à des connaissances nouvelles. En plus du système éducatif, d’autres partenaires et d’autres secteurs devront participer à l’éducation continuelle : les associations, les médias audiovisuels en général, les collectivités locales, les institutions culturelles et scientifiques, les entreprises. Quant au risque, il est d’ordre social. Si les NTIC peuvent devenir l’outil d’un nouvel humanisme, un « humanisme technologique », elles peuvent aussi se révéler un facteur d’atomisation de la société. Il faut refuser qu’un illettrisme technologique isole davantage ceux qui sont déjà les plus fragiles.
La révolution des NTIC est, comme toutes les révolutions industrielles et techniques qui l’ont précédée, ambivalente. Je pense à la belle formule de Claude Lévi-Strauss : « chaque progrès donne un nouvel espoir, suspendu à la solution d’une nouvelle difficulté. Le dossier n’est jamais clos. » Cela dit, on peut beaucoup espérer des NTIC : développement de la connaissance pour tous, accroissement des échanges internationaux, enrichissement du temps libre, création d’emplois qualifiés dans de nouvelles activités, redynamisation de l’espace rural, modernisation de l’État. À condition de maîtriser ces technologies et non de nous laisser dominer par elles. À condition de définir une approche politique adaptée. J’en donnerai ce que sont, pour moi, les cinq axes principaux.
1. Un principe : ne jamais oublier que l’humanisme technologique, cette nouvelle figure du progrès, est, comme son nom l’indique, au service de l’homme. La technique ne doit pas instrumentaliser la politique. Même revu par Microsoft, Big Brother reste ce qu’il est.
2. Une procédure : nous devons développer l’action en faveur des NTIC sur la base d’un large débat public. Nous ne pouvons pas, d’un côté, dire que les NTIC portent en elles les germes d’une révolution sociale, et, de l’autre, limiter notre analyse à l’avis de quelques-uns. Enseignants et élèves, fonctionnaires et chefs d’entreprises, salariés et artisans. Nous devons impliquer tous les Français dans ce grand débat d’avenir. Dès lors, il me paraît naturel que, sous une forme à définir, un tel grand débat soit porté devant le Parlement.
3. Des priorités et des cibles :
- priorité, l’école et la culture avec comme objectif la multiplication des échanges et la démocratisation de l’accès à la connaissance. L’exemple britannique mérite notre attention. Le Premier ministre Tony Blair vient de s’engager à connecter les 32 000 écoles du pays à Internet et à créer un réseau national d’apprentissage. 100 millions de livres seront débloqués pour ce projet. Par ailleurs, l’organisme de surveillance de l’industrie des télécommunications a conclu un accord avec les opérateurs afin d’obtenir des tarifs préférentiels pour les écoles. Enfin le parc scolaire d’ordinateurs sera modernisé. Il serait souhaitable à mon sens qu’un plan de ce type puisse être engagé dans les meilleurs délais en France, sachant que les opérateurs de radiocommunication mobile ont l’obligation, inscrite dans leurs cahiers des charges, de consacrer chaque année au minimum 7 % de leurs dépenses d’investissement à la recherche, au développement, à la formation et à l’enseignement supérieur, cette obligation étant ramenée à 4 % pour France Télécom. À titre d’illustration, sans même évoquer l’utilisation des sommes tirées de l’ouverture du capital de France Télécom, affecter 20 % de ces contributions recherche et développement permettrait de consacrer chaque année environ un milliard de francs à l’équipement NTIC des écoles ;
- priorité, le développement du commerce électronique dont le chiffre d’affaires pourra difficilement échapper à toute fiscalité. Montrer du doigt le Liechtenstein, et laisser cet univers, au prétexte de sa virtualité, s’affranchir de la moindre contribution à l’intérêt général, serait peu cohérent ;
- priorité, les entreprises innovantes en matière de NTIC, dont il faut encourager la création et le développement. Pourquoi ne pas envisager le développement de fonds communs de placement d’amorçage (FCPA), instrument financier ayant pour objectif de financer la constitution du capital de départ dans le domaine des NTIC ?
- priorité, la modernisation des services publics. Je songe par exemple aux guichets électroniques qui, installés dans les maisons de services publics, permettraient de désenclaver de nombreuses zones d’où les administrations se retirent, faute de population ;
4. Une méthode : le temps des grandes décisions technologiques est révolu. La multitude des choix technologiques possibles, la rapidité des évolutions, la complexité des schémas d’action doivent nous inciter à mûrir de nouvelles stratégies : le bien commun et les forces du marché, non plus antagonistes ou substituables, mais mis en complémentarité, c’est tout l’enjeu de l’économie partenaire. Stimulation, régulation, amplification.
5. Un choix, enfin, celui de la coopération européenne. En matière de NTIC, tout ce qui pourra être fait au plan européen devra l’être, notamment le droit et la régulation des réseaux, la sécurité des transactions et la cryptologie. Unie, l’Europe possède une puissance technologique considérable. Unies, nos nations pourront trouver la force de s’opposer aux hégémonies virtuelles à base américaine qui s’édifient en ignorant les souverainetés et les frontières.
Mes chers collègues, j’aimerai, pour finir, dire quelques mots du développement des NTIC et de l’Internet au sein même de l’Assemblée nationale. Le Sénat est parti le premier : c’est sa chance. L’Assemblée a du retard : c’est la sienne. Il serait curieux d’inciter nos concitoyens – écoles, entreprises ou familles – à se mettre à cliquer sur la souris pendant que les députés en resteraient au crayon bille. L’Assemblée, parce qu’elle est une administration particulière, une institution majeure, doit donner l’exemple. C’est aussi dans nos murs que se joue la participation de notre pays à cette nouvelle révolution.
Nos premiers projets seront opérationnels avant la fin de l’année : ouvrir une messagerie électronique par groupe, puis permettre à chaque député d’avoir sa boîte-aux-lettres et son adresse électronique – j’ajoute que, d’ores-et-déjà, on peut m’envoyer un mail à l’adresse suivante : president@assemblee-nat.fr – ; doter l’Assemblée d’une salle multimédia, pour que les députés et leurs collaborateurs soient en contact direct avec les NTIC ; développer la communication externe, en étoffant le contenu de notre serveur afin de mieux informer les citoyens des travaux de l’Assemblée, tout cela sera fait dans les semaines qui viennent.
Un peu après, d’autres dispositions suivront : systématiser la formation des parlementaires et des fonctionnaires, moderniser la procédure législative, améliorer les échanges avec les partenaires institutionnels, en relation avec le Sénat, numériser notre fonds culturel.
Ce dernier point me paraît symbolique. Bientôt, chacun devrait pouvoir, sur son écran d’ordinateur, être en contact avec son député et, s’il le souhaite, lire le débat sur la séparation de l’église et de l’État, ou relire la plaidoirie de tel de nos collègues pour que soit abrogée dans notre pays la peine de mort. De quoi s’agit-il ? D’une modernité qui n’aurait pas oublié la mémoire. N’est-ce pas une excellente façon de nous avancer démocratiquement vers la société de l’information de demain ?