Interview de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, à RTL et déclaration diffusée sur Internet, sur la nécessaire évolution de la réglementation de la publication des sondages électoraux. à l'Assemblée nationale le 23 octobre 1997.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Intervention à l’Assemblée nationale, jeudi 23 octobre 1997

Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de me trouver devant vous pour parler des sondages, des sondeurs et des sondés, ainsi que des relations complexes que les trois entretiennent, à un moment où il n'y a pas d'élection immédiate. Je ne sais pas si je suis véritablement qualifié pour le faire, n'étant pour ma part qu'un utilisateur modeste de ces savantes études et ayant été désigné par une élection, ce dont d'avance je vous prie de m'excuser.

Vous avez placé le débat sous le signe de la sérénité : c'est un défi. Car si, comme vous le soulignez à juste titre, les météorologues ne font jamais la pluie et le beau temps, il arrive que les paratonnerres attirent la foudre. Les baromètres des grands hebdomadaires influent d'une certaine façon sur le climat politique qu'ils sont censés traduire, les thermomètres des intentions de vote peuvent donner la fièvre et attiser les passions électorales. C'est donc un sujet qui mérite d'être traité avec sagesse et discernement, d'autant plus qu'il engage notre vie démocratique.

Car l'opinion publique, longtemps réduite à une oligarchie de quelques centaines de nobles, puis à quelques milliers de riches bourgeois, a fini par devenir, au XXe siècle, une opinion de masse. Les sondages sont apparus, dans les années 30, fils du taylorisme, de la presse à grands tirages et de la radiodiffusion. Totem ou placebo, mesure de toutes choses ou instrument douteux, le débat a surgi avec l'outil. Des immortels n'ont pas hésité à y voir « la pollution de la démocratie » ; des sociologues, à nier l'existence d'une opinion publique. Pourtant, les sondages se sont peu à peu affirmés comme l'un des moyens de communication sociale et politique les plus répandus, les plus démocratiques d'une certaine manière. Sondage et opinion forment désormais, qu'on le veuille ou non, une des figures centrales de la donne politique, figures libres venant compléter et éclairer les figures imposées du jeu institutionnel. Les sondages éclairent le politique, la politique et les politiques.

Du coup, certains en ont conclu au triomphe de la « démocratie d'opinion » en lieu et place de la démocratie représentative. Je doute - et ce n'est pas une défense corporatiste - que l'on puisse être aussi catégorique, même si la réflexion sur les sondages électoraux, leur environnement légal et réglementaire, participe d'une interrogation plus vaste et légitime sur la pratique démocratique en relation avec la nouvelle société de l'information, de la communication et du savoir. Je suis de ceux qui continuent de considérer que « gouverner c'est prévoir » ne se ramène pas à « mesurer c'est décider ».

Quelle conception de la représentation politique est à l’œuvre dans les sondages ? A l'évidence, la notion de rationalité de l'opinion publique. Débarrassées des vestiges d'idéologies aujourd'hui manifestement disparues - comme chacun peut le noter... dans les propos amènes que mes collègues échangent à quelques mètres d'ici en examinant le budget -, éduquées à la citoyenneté, voilà, nous dit-on, que des opinions individuelles additionnées seraient en mesure de dégager des tendances collectives fortes, des tendances quasi objectives ! C'est un postulat que je ne chercherai pas à remettre en cause car il s'inscrit dans la logique politique moderne : les individus sont libres, lucides, insérés dans un processus de relations sociales ; ensemble, quand ils s'expriment, ils forment une communauté, de pensées et de paroles. Mais de là à rallier intégralement la cause de la démocratie d'opinion, il y a un rubicond philosophique que je ne franchirai pas. De fait la pratique des sondages soulève pour le moins cinq difficultés.

1/ L'expression spontanée et a priori d'un avis au travers d'un sondage ne peut pas s'identifier à une opinion totalement construite et réfléchie. Les sondages mesurent évidemment moins des opinions que des réactions. Réactions à des questions que les sondés se posent ou ne se posent pas, ou encore se posent avec des intensités diverses, mais qui sont indistinctement agglomérées les unes aux autres (on sait bien sûr, par des tris détaillés, les séparer : mais cette information n'est que rarement fournie aux lecteurs, en général peu armés pour se livrer à de telles subtilités). Réactions aussi à des formulations qui, même honnêtement définies, ne sont pas sans rapport avec le niveau des réponses obtenues : sans quoi on ne comprendrait pas les différences entre les réponses à divers baromètres de popularité qui, pour les mêmes personnalités, recueillent tantôt des mesures de confiance, tantôt des indications de satisfaction, tantôt des souhaits d'avenir, quand ce ne sont pas d'autres indices d'adhésion, de soutien ou de sympathie. C'est d'ailleurs un leitmotiv républicain : entre un sentiment fugitivement recueilli dans la rue et une conviction qui se forge et se précise au fil d'une vie, scandée par des scrutins, il y a un fossé qui ne se comblera pas. Ce ne peut pas être la même chose.

2/ Les sondages ne peuvent pas davantage décrire avec certitude les dispositions à agir de l'individu. De l'opinion à l'action, il y a un pas. Il y a ce qui est dit vouloir être fait et ce qui est fait. En plus ou en moins. C'est précisément ce qu'on appelle l'engagement.

3/ La formulation de certains sondages est parfois fondée sur un appauvrissement de l'opinion. Les a priori méthodologiques, techniques ou commerciaux ne déterminent certes pas les résultats d'une enquête, mais ils restreignent le champ des réponses. Les sondages disent souvent juste, mais ils le font en ramenant la réalité à un ensemble de conduites types, de raisonnements idéaux. Il peut en résulter des ambiguïtés ou des erreurs.

4/ Le sondage est la plupart du temps une commande commerciale, même quand il vient d'un parti politique. Il ne découle pas nécessairement d'un besoin d'information et impose alors une problématique étrangère aux préoccupations de ceux dont il prétend symboliser les choix.

5/ Enfin le sondage n'est qu'un outil. Mal conçu, il est inutilisable ou dangereux. Mal utilisé, il est pervers. L'instrument d'analyse devient moyen de pression. Pour ménager les susceptibilités, je regarderai de l'autre côté du Channel. Que penser de ce sondage récent qui crédite Tony Blair d'une côte de popularité de 93 % ? Les mérites politiques de celui-ci sont très grands ; je suis de ceux qui ne lui ménagent pas leur hommage. Mais ceux de ses experts en communication politique qui ont su poser la question, celle à laquelle on ne peut pas dire non, ont sans doute leur part ! Et je n'aurais pas le mauvais goût de rappeler comment certains ont voulu jouer au jeu de la prédiction propagande lors d'une pré-campagne présidentielle récente où leurs chiffres désignaient d'avance le vainqueur.

La réalité est plus modeste : la science des sondages indispensable, demeure tout simplement une science humaine. Avec ses incertitudes et ses intuitions. Les sondeurs eux-mêmes évidemment le savent. Le développement de la technique des sondages délibératifs, cherchant à se rapprocher des modalités d'émergence de l'opinion, le montre. J'y vois une tentative intéressante, une sorte de volonté de reproduire in vitro la fonction du jugement politique et du débat d'idées. L'élection par conception assistée en quelque sorte...

Dans ces conditions, comment préserver l'outil de mesure de l'opinion sans le confondre avec l'opinion elle-même ? Il y a des précautions nécessaires. Tous les acteurs de la communication politique sont concernés. Les sondeurs d'abord : la question est pour eux déontologique. Les commentateurs ensuite : c'est leur sens de la nuance qui est en jeu. Les responsables politiques enfin ; une certaine distance est exigée d'eux. S'en servir donc et ne pas se laisser asservir : tel pourrait être un bon mot d'ordre.

Jusqu'à présent, les sondages sont réglementés par la loi du 19 juillet 1977. Elle doit être regardée pour ce qu'elle est : un ensemble de garanties propres si ce n'est à combler toutes les exigences d'une vie publique pluraliste et sereine, du moins à en faciliter l'émergence ou la préservation. Des élections libres sont le fondement de la démocratie. Des sondages libres sont un élément de la liberté.

Quoi qu'on en pense, force est de reconnaître que, par l'intermédiaire notamment de la Commission des sondages, la loi a été défendue et, le plus souvent, appliquée. Le magistère moral de cette autorité n'y est pas étranger.

D'autre part, il est clair que ce texte répond aux caractéristiques de notre culture politique et qu'il a inspiré d'autres législations d’États démocratiques. Son bilan doit être salué.

Alors, quelles règles adopter ? Faut-il les faire évoluer ? Comment ? Il convient de dire d'entrée de jeu d'une part - excusez l'évidence - que c'est le Parlement qui vote la loi et que toute disposition tendant à limiter la liberté d'information ne saurait être satisfaisante. La prohibition fait mauvais ménage avec les libertés fondamentales. Tout naturellement, elle suscite d'ailleurs son propre marché noir. Résultat, la loi et son application ou son inapplication placent les citoyens dans une situation inégale. Cela fait plusieurs années qu'un petit nombre - partis, grandes entreprises, journaux, lobbies - peuvent commander des sondages plus ou moins confidentiels, lesquels alimentent les usines à rumeurs. Cette inégalité de fait était déjà malaisément justifiable, et voici que le phénomène explose sous la pression des techniques et de l'internationalisation des échanges : l'information supposée interdite est en libre-service sur Internet, sur les fax qui se transmettent de place en place, sur les chaînes de télévision câblées de nos voisins, dans les journaux étrangers qu'on peut se procurer à toutes les frontières mais que l'on oblige à publier des éditions masquées à l'usage de nos concitoyens ! Pour légitime qu'elle ait pu être dans son inspiration, l'interdiction de publication ne devient tout simplement plus applicable. Il en serait de même à mon avis pour l'idée de l'interdiction totale de la fabrication des sondages pendant la dernière semaine, qui serait pratiquement incontrôlable et constituerait une étrangeté politique.

Quant à la question des rapports entre les sondages électoraux et les comportements de vote, - influence ou indifférence ? - je me garderai bien de trancher une querelle qui, pour le plus grand plaisir des universitaires, prend parfois la forme d'une guerre de religion et je m'en tiendrai à un principe que nous devons conserver constamment à l'esprit : les citoyens sont des adultes. C'est pourquoi, à propos de l'évolution à mon sens nécessaire de la loi du 19 juillet 1977 je dirai : liberté, déontologie, voilà le bon couple. A plus de liberté, doit correspondre davantage de responsabilité. A partir de là, quatre pistes pourraient être explorées :

1) Libéraliser les limites de publication : la publication des sondages électoraux pourrait être autorisée jusqu'à la fin de la campagne officielle précédant chaque tour de scrutin. Ce serait une nouvelle et à mon avis une bonne règle. Cela signifierait donc un changement de la loi actuelle. Est-ce que les sondages portant sur une circonscription, eu égard aux faibles écarts de voix qui font parfois l'élection, devraient suivre exactement les mêmes règles ? Faut-il établir une différenciation entre sondages locaux et sondages nationaux ? Sur ce point-là, je suis plus hésitant.

2) Renforcer la déontologie : la mention lisible et intelligible des risques d'erreur devrait être rendue obligatoire et, de façon plus générale, devraient être davantage précisées les conditions techniques de conception et de fabrication du sondage, ainsi que leurs conséquences. On connaît certains adeptes du taux de redressement dont il faudrait peut-être redresser les errements.

3) Garantir la transparence : les moyens de la Commission des sondages pourraient être augmentés. De plus, elle établirait chaque année un rapport, à l'instar de la CNIL, présentant les fiches techniques des sondages et ses remarques d'ensemble. Remis aux autorités constitutionnelles, il serait publié.

4) Enfin, et j'allais dire avant tout, puisque le sondage est un outil, il importerait que les jeunes générations soient formées à sa lecture, à sa compréhension. Dans le cadre notamment de cours d'instruction civique, un tel apprentissage contribuerait à une meilleure maîtrise de cette source d'informations. Comme il le faudrait d'ailleurs pour l'ensemble des nouveaux moyens d'information et de communication. C'est à l'Éducation nationale de s'en charger, mais c'est peut-être à vous Mesdames et Messieurs les sondeurs de ne pas vous en désintéresser.

J'ajoute que sur tous ces points, quitte à passer pour un rabat-joie, il n'y a pas de droit sans règles, pas de règles sans juges, et pas de juges sans sanctions. Cela vaut aussi pour le sujet qui nous rassemble aujourd'hui.

Car, en définitive, le seul objectif qui vaille est de renforcer le débat d'idées et d'améliorer la qualité, la diversité, la densité de la discussion publique. Et la possibilité pour tous d'y accéder. Avec et au-delà des sondages, nous ressentons la nécessité d'une parole citoyenne quasi-permanente. C'est ce que certains philosophes appellent « la démocratie continue ». Elle n'a pas vocation à remplacer la démocratie représentative, mais au contraire, à l'approfondir, à la renforcer. Donc ni sondomanie, ni sondocratie, ni sondophobie : il ne s'agit ni de mépriser les sondages ni de les manipuler. Il s'agit, sachant que depuis Aristote la démocratie est le régime politique de la parole, de tenir compte des nouveaux médias qui la portent et créer les conditions pour que tous puissent y accéder en cette fin du XXe siècle. Il n'est donc à mon sens pas question - car là est l'enjeu - de se priver d'une nouvelle étape possible du progrès politique !


RTL : jeudi 23 octobre 1997

Q. - On commence peut-être par la politique puisque, une nouvelle fois, J. Chirac est intervenu dans le débat politique et l'action du Gouvernement, vous l'avez entendu. Une politique implicite des 35 heures, puisque M. Chirac s'est prononcé ce matin pour une politique d'incitation au travail et à l'effort, je le cite, déclaration qui va quand même à l'encontre de la baisse du temps de travail que propose M. Jospin ?

R. - On ne doit pas lire nécessairement cette déclaration comme cela. Je n'ai pas le texte exact mais s'il s'agit d'être favorable au travail et à l'effort, chacun doit signer dès demain.

Q. - Mais on remarque quand même qu'il ne se passe plus maintenant une semaine sans que le Président de la République ne se manifeste pour faire savoir qu'il n'est pas tout à fait d'accord sur certains points avec la politique du Gouvernement. Est-ce que cela nuit à la cohabitation en fait ?

R. - Je ne crois pas. Vous savez, tous les Français ont heureusement la liberté de s'exprimer, on ne voit pas pourquoi le seul Français auquel la liberté de s'exprimer serait refusée est le Président de la République ! Maintenant, chacun est assez responsable de part et d'autre pour savoir ce qu'il peut dire et ne pas dire. Non, je ne suis pas inquiet de cela.

Q. - Alors venons-en au procès Papon suspendu jusqu'à lundi en raison de son état de santé. Êtes-vous, comme certaines personnalités - là, je pense à M. Badinter - affligé par la polémique politique ?

R. - Je crois surtout que, dans ce procès, ce que l'on doit souhaiter, c'est de revenir aux faits. C'est un homme qui est jugé. Lui sont reprochés des faits extrêmement graves et la seule question qui importe, c'est : est-il oui ou non coupable de ces faits ? Alors qu'il y ait d'autres débats qui se greffent là-dessus, je le comprends bien mais je crois qu'il ne faut pas s'écarter de ce principe de justice, il faut qu'il ait un procès équitable et qu'on en revienne sans cesse aux faits.

Q. - Ce qui veut dire qu'à Bordeaux, on a oublié qu'on juge un homme pour complicité de crime contre l'humanité ?

R. - Ce qui veut dire que, même si la compréhension de l'Histoire est toujours très importante, on ne doit pas confondre ce qui est de l'ordre de la justice et ce qui est de l'ordre de l'histoire. L'histoire est là pour expliquer, pour comprendre, la justice, c'est fait pour juger coupable ou innocent. Il faut qu'il y ait un éclairage et c'est ce qui a lieu en ce moment. Mais je le répète, je souhaite vivement que, dans le débat -puisque les uns et les autres interviennent et c'est tout à fait normal -, on se concentre sur les faits.

Q. - Mais que pensez-vous du pardon de la France, estimez-vous que l'attitude de l'Allemagne et l'attitude de certains éléments à l'intérieur de la France sont liés ou que cela n'a rien à voir ?

R. - Le débat est très compliqué, c'est le débat à propos de Vichy. Vichy n'est pas la France mais Vichy est en France. Ce que je veux dire, c'est que tout le monde sait qu'il y a eu des Français collaborateurs mais en même temps, et L. Jospin s'est exprimé de façon tout à fait remarquable l'autre jour à l'Assemblée nationale à ce sujet, la France c'était la France qui était à Londres, c'était la France qui était dans le Vercors, c'était la France des droits de l'Homme. Et on ne peut pas dire que la France se soit rendue dans son intégralité coupable. Ça, ce serait une erreur historique et ça ne correspond pas du tout à ce qu'on sait et ce que l'on doit dire.

Q. - Venons-en au dossier politique et économique, est-ce que les hésitations du Parti socialiste et du Gouvernement sur la politique familiale constituent une erreur, la première erreur de L. Jospin ?

R. - Qu'est-ce que vous appelez hésitations ?

Q. - Sur l'Aged, les allers-retours…?

R. - Ce que je crois, si vous voulez, c'est que tout cela intervient dans le cadre du Budget. Je pense que le Budget, ça n'est jamais facile à préparer mais que le Budget qui est présenté par le Gouvernement, dans l'ensemble, est un Budget utile...

Q. - Dans l'ensemble seulement ?

R. - Non, mais dans l'ensemble, ça veut dire dans l'ensemble et dans les traits particuliers ! C'est-à-dire qu'il respecte un critère qui fait que le déficit n'est pas excessif, cela me paraissait nécessaire ; il insiste sur un certain nombre de budgets prioritaires, l’Éducation, l'Emploi, la Recherche, la Justice et en même temps, il essaie d'introduire un peu plus de justice fiscale. Donc de ce point de vue-là, c'est à mon avis excellent. Il faut en même temps être très attentif à deux aspects et c'est le sens de votre question : d'une part faire attention à ne pas avoir des prélèvements trop lourds parce que nous sommes dans un monde ouvert et il peut y avoir des fuites non seulement de capitaux, mais surtout des fuites de cerveaux. Donc il faut faire attention à cela. Et l'autre aspect c'est qu'il ne faut pas aller trop loin en matière de politique familiale. La politique familiale, ce n'est pas simplement des dispositions fiscales qu'on prend, c'est quelque chose de beaucoup plus large, j'ai eu d'ailleurs l'occasion de recevoir le président de l'Unaf pas plus tard qu'hier soir sur ce sujet. Donc il y a une politique familiale à mener, il y a des redistributions à opérer, des réorientations à faire. Et si on a trouvé une formule qui me parait maintenant équitable, c'est pour ne pas charger trop lourdement les revenus disons intermédiaires entre les revenus moyens et les revenus supérieurs. Donc il faut toujours faire attention à cela.

Q. - Vous vous êtes prononcés pour la publication des sondages jusqu'au dernier jour d'une campagne électorale. Estimez-vous, si cela doit se faire, que ça doit être appliqué dès les prochaines élections régionales ?

R. - Moi, je suis président de l'Assemblée nationale, donc il faut que je fasse attention plus qu'un autre à ce que la loi soit respectée. La loi actuelle date de 1977 et qui consiste à dire qu'on ne peut pas publier des sondages plus d'une semaine avant les élections. Mais le malheur c'est que cette loi n'est pas du tout respectée - vous le savez bien, comme moi - et qu'il y a des sondages qui courent sous le manteau, d'ailleurs plus ou moins sérieux. Un certain nombre de groupes connaissent ces sondages - les radios, les partis politiques, un certain nombre d'entreprises. Maintenant on peut en avoir connaissance si on est sur Internet, les journaux étrangers peuvent les publier, pas les journaux français, donc on entre dans une espèce de casuistique impossible. Moi, je crois qu'il va falloir revenir là-dessus et dire, tout simplement - c'est mon sentiment personnel -, qu'il peut y avoir des sondages jusqu'au moment où se termine la campagne électorale. En général, quand les élections ont lieu un dimanche, la campagne se termine le vendredi, donc le samedi serait jour de réflexion. Donc le couple qu'il faut respecter, à mon avis, c'est le couple liberté-déontologie. Ça veut dire que, de leurs côtés, les instituts de sondages, les journalistes, tout le monde, doivent respecter une déontologie peut-être encore plus forte qu'aujourd'hui. Ça me paraît, à la fin du XXe siècle, nécessaire.

Q. - Pourquoi avez-vous reçu à l'hôtel de Lassay le président tunisien Ben Ali alors que certains dans la majorité se sont abstenus de participer à la réception que vous avez organisée, comme J. Lang, les communistes ou les verts ?

R. - C'est une question qui avait été examinée par le bureau de l'Assemblée nationale et le bureau a décidé de cette réception, d'ailleurs c'est une tradition. M. Ben Ali était invité dans une visite d’État, et en général dans les visites d’État, il doit y avoir le Président de la République, le Premier ministre et le président de l'Assemblée. Donc je l'ai fait tout en étant, chacun le sait, comme attaché aux droits de l'Homme, réservé sur un certain nombre de choses qui se passent, et en disant dans l'entretien que j'ai eu avec le Président Ben Ali ce que j'avais à lui dire sur les droits de l'Homme et en lui faisant remettre, par notre ambassadeur, une liste de cas à propos desquels on a une préoccupation très forte.

Q. - Que répond-il dans ce cas-là,

R. - Moi, je jugerai sur les faits. Il y a des cas précis, je crois qu'il faut souhaiter que dans ces cas précis, il y ait des progrès qui soient faits. Évidemment, on répond toujours - ce qui est exact d'ailleurs - : les droits des femmes sont davantage protégés en Tunisie qu'ailleurs. D'autre part, on compare souvent ce qui se passe en Tunisie avec les pays voisins, mais pour nous, et par rapport à l'exigence des droits de l'Homme qui existe à travers le monde, nous souhaitons que cette exigence soit beaucoup mieux respectée. C'est clair et c'est net.

Q. - C. Pasqua a dit : s'il n'en reste qu'un sur l'euro, je serai celui-là. Pourquoi souhaitez-vous, vous, un débat parlementaire sur l'euro ?

R. - D'abord moi, je suis favorable à l'euro et je crois que de plus en plus de citoyens comprennent que si on ne veut pas que le dollar soit la seule monnaie qui décide dans le monde, avec les inconvénients que ça peut avoir, il faut que nous, Européens, nous soyons capables de constituer une monnaie solide : l'euro. Pourquoi peut-on envisager un débat ? Je ne sais pas si le débat aura lieu et à quel moment, mais je crois que quand il y a de grandes questions qui sont posées, il est tout à fait normal que le Parlement puisse en discuter. D'ailleurs nous aurons, le 2 décembre de cette année, avant le Sommet européen, un débat parlementaire - le Gouvernement a bien voulu l'accepter - et nous examinerons toute une série de sujets.