Texte intégral
Ruth Elkrief : Bonsoir, je suis très heureuse de vous recevoir sur ce plateau de « 19 h Dimanche », le nouveau magazine de TF1. Chaque semaine, nous vous parlerons des hommes et des femmes qui font l’actualité. Nous passerons quelques jours avec eux pour mieux vous les faire découvrir et puis nous serons en coulisses au cours des principaux événements de la semaine. Alors ce soir, vous verrez comment loin de Paris et des ors de la République, Bernard Kouchner vit le quotidien difficile des Albanais et des Serbes à Pristina. Nous vous tracerons le portrait de l’incroyable Nicolas Anelka, l’attaquant des Bleus et du Real Madrid. Il n’a pas été très brillant hier soir à Ukraine-France et nous vous expliquerons pourquoi. Nous serons au cœur de la bataille Elf-Total. Vous retrouverez aussi Tom Cruise et Nicole Kidman – je les ai rencontrés cette semaine à Paris – et puis, bien sûr, un invité répondra en direct à mes questions. Ce soir, il s’agit de Dominique Strauss-Kahn, le ministre de l’économie et des finances. Nous parlerons des impôts, de la croissance et des fusions des grandes entreprises. Mais tout de suite, la pub, on se retrouve ensuite.
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Ruth Elkrief : Voilà, nous nous retrouvons sur le plateau de « 19 h Dimanche » avec la première page de notre magazine. Quel point commun entre José Bové, le prince héritier du Danemark, Claude Allègre ou encore Enrico Macias ? Eh bien, ils ont tout simplement marqué l’actualité de la semaine et nous avons choisi de vous rappeler pourquoi et comment avec cette rubrique « Les gens de la semaine » préparée par Gilles Bouleau.
Agenda de la semaine
Ruth Elkrief : Il est français, très populaire et médiatique. Nommé administrateur civil de l’ONU au Kosovo, il a la lourde responsabilité de réconcilier les ennemis de toujours, les Serbes et les Albanais. Après une arrivée en fanfare, nous nous sommes demandé comment Bernard Kouchner vivait sa mission au quotidien, bien loin du confort parisien. Regardez ce reportage.
Reportage
Ruth Elkrief : Cet été, vous avez vu les grands patrons en bras de chemise, souriant dans les publicités pour défendre leurs entreprises contre l’appétit de leurs concurrents. BNP-Société générale, Elf-Total. Comment se passent en coulisses ces batailles à coup de milliards de francs ? Vous le savez, nous avons décidé de vous montrer dans cette émission l’envers du décor, ce que, d’ordinaire, on ne vous montre pas et plus spécialement dans le monde encore très opaque des affaires. Cécile Timoreau (phon) et Arnaud Ifergan (phon) ont passé une semaine avec Philippe Jaffre et Thierry Desmaret, les frères ennemis d’Elf et Total. Regardez !
Reportage
Ruth Elkrief : Bonsoir, Dominique Strauss-Kahn ! Merci beaucoup d’être avec nous. Vous êtes le ministre de l’économie et des finances. Et merci donc d’inaugurer cette nouvelle émission. Les sujets sont bien nombreux évidemment : les impôts, le budget, la croissance, le chômage, la politique. Mais on vient de voir un sujet sur les fusions Elf-Total, c’était un peu l’été des patrons – on les a vus comme ça un petit peu partout –. Moi, j’ai envie d’abord de vous interroger sur votre été. Vous avez passé beaucoup de temps au téléphone pendant vos vacances, c’est ce que j’ai lu dans les journaux… On m’a dit que vous interveniez, que vous parliez aux banquiers, au président de la Banque de France, qu’il y avait un certain nombre d’interventions comme ça du ministre de l’économie et des finances.
Dominique Strauss-Kahn : C’est-à-dire que, cet été, on avait droit à trois semaines de vacances, ce qui est plus que d’habitude. Et trois semaines de vacances, c’est difficile d’arrêter l’ensemble du fonctionnement d’un gros ministère comme le mien. Donc, effectivement j’ai passé beaucoup de temps au téléphone. En plus, vous avez raison, il s’est passé plein de choses pendant l’été : les banques, les pétroliers…
Ruth Elkrief : Alors vous interveniez comment ? C’est-à-dire que vous appeliez les banquiers pour leur dire : non, pas de fusion ! Si, fusionnez !?
Dominique Strauss-Kahn : Non, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Mais d’abord, je me tiens au courant de ce qui se passe. Le gouverneur de la Banque de France, s’agissant des banquiers, qui menait une opération de négociations, m’en rendait compte régulièrement et j’essayais de voir, avec parfois les uns ou les autres, comment les choses pouvaient bouger. Mais j’aurais été à Paris, les choses auraient été de la même manière, c’est-à-dire que de toute façon, l’économie continue à fonctionner et celui qui essaie de la piloter, évidemment, est concerné.
Ruth Elkrief : Justement ! Vous dites « piloter » mais, en fait, on a un petit peu de mal à suivre. Depuis le début de ces fonctions, notamment avec les banques, on avait l’impression d’un changement de stratégie. On avait l’impression que vous appuyiez le projet BNP pour avaler Société générale et Paribas, et puis ensuite, c’est devenu plus compliqué, peut-être plus dangereux socialement : tout d’un coup, plus personne, peut-être laisser-faire et, résultat, on vous accuse ou d’impuissance ou d’interventionnisme. Alors ma question est très simple : à quoi servez-vous dans ces cas-là ? À quoi servez-vous ? À regarder passer les trains ou à prendre le volant, à être le conducteur ?
Dominique Strauss-Kahn : Il faudrait repartir un peu plus en amont…
Ruth Elkrief : Pas trop en amont, vous savez, pas trop, pas trop…
Dominique Strauss-Kahn : Pas trop mais quand même un mot. On vit des périodes de concentration très forte. On le voit, vous en avez cité deux – Promodes-Carrefour. Tout à l’heure, vous parliez des banques. On a vu les pétroliers. Sans doute est-ce inévitable parce que la mondialisation de l’économie fait que, si la France veut être présente, elle a besoin de grandes entreprises. Simplement, il y a des risques, des risques qui sont ceux qui concernent les salariés, les consommateurs parfois, les entreprises, les PME qui travaillent pour Carrefour ou pour Promodes sont concernées, les agriculteurs aussi. Et donc quel est le rôle – je viens à votre question –, quel est le rôle du gouvernement ou de l’État ? Le rôle, c’est dans cette matière d’être arbitre. Il n’est pas directement acteur. Je ne suis pas une banque. Le Gouvernement n’est pas propriétaire d’une de ces banques…
Ruth Elkrief : Et il n’y a pas eu d’ambiguïté là-dessus. Vous n’êtes pas trop intervenu ? Vous n’avez pas laissé planer une certaine ambiguïté là-dessus ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, je ne crois pas. Quand le Gouvernement était propriétaire d’une banque – je pense au Crédit Lyonnais –, il a construit avec… avec le Crédit agricole un des plus grands groupes mondiaux. C’était autre chose. Mais là, nous ne sommes ni propriétaires, ni acteurs directement. On est arbitres. C’est un rôle un peu nouveau de l’État auquel il faut qu’on s’habitue. Vous savez, le Gouvernement qui intervient partout, plus personne n’en veut. Il y a vingt ans, le ministère des finances fixait le prix de la baguette de pain. Les Français ne veulent plus de ça. Aujourd’hui, le Gouvernement est arbitre et, l’arbitrage dans cette affaire, ça consiste à peser le pour et le contre. Vous me disiez : on a dit de vous que vous étiez pour le regroupement des trois banques. Si ça avait été possible, j’aurais trouvé ça très bien. Le problème, c’est de mesurer – et le gouverneur de la Banque de France qui présidait l’organisme qui doit stabiliser tout cela et moi en avons beaucoup discuté – mesurer si c’est possible. Si c’est possible, mon opinion était que c’est bien. Si ça n’est pas possible, parce que le conflit est trop fort, alors il vaut mieux ne pas le faire que d’avoir un monstre qui serait peu cohérent, avec une bataille interne et qui serait faible à l’arrivée.
Ruth Elkrief : Mais, Dominique Strauss-Kahn, vous, on vous présente comme le socialiste libéral, le modernisme du Gouvernement mais, ces derniers temps, on a encore un petit peu de mal à vous cerner…
Dominique Strauss-Kahn : J’aime bien le modernisme. Je n’aime pas le socialisme libéral…
Ruth Elkrief : Ah ! On va en parler. Mais, tout de même, c’est vous…, vous assumez complètement d’intervenir, par exemple, dans la bataille des banques ? C’est vous le modernisme dans ces cas-là ?
Dominique Strauss-Kahn : S’il s’agit d’intervenir pour essayer de rapprocher deux grandes banques françaises – Paribas étant de toute façon dans l’escarcelle soit de l’un, soit de l’autre – donc deux grandes banques françaises, la BNP et la Générale, on intervient pour essayer de les mettre d’accord, parce que c’est mieux…
Ruth Elkrief : … Oui, et pour essayer de les protéger des étrangers. Ça, c’est aussi vous, le modernisme libéral…
Dominique Strauss-Kahn : Vous avez raison. Je vais y venir… Laissez-moi une minute, je vais y venir. On essaie de les rapprocher si c’est possible. Mais cette intervention-là, qui consiste à faire les bons offices, à faire l’arbitre encore une fois, me paraît heureuse. Ce n’est pas de l’interventionnisme comme certains la critiquent, comme on a pu le faire il y a une vingtaine d’années. Maintenant vous avez raison. Il y a eu une autre intervention que j’ai conduite qui a consisté pendant la période où ces deux banques étaient faibles parce qu’elles avaient chacune lancé une offre sur l’autre, donc elles étaient sur les marchés, elles étaient affaiblies – ça a duré de début mars jusqu’au 6 août –, j’ai fait en sorte qu’aucune banque étrangère ne vienne en profiter pour ramasser l’une ou ramasser l’autre.
Ruth Elkrief : Dominique Strauss-Kahn, il nous reste vingt secondes là-dessus… C’est incompréhensible. Il y a deux mois, c’étaient les élections européennes. Vous nous expliquiez que l’Europe c’était formidable. Là, il y a une banque espagnole qui a des visées sur la Société générale et, tout d’un coup, les Espagnols ne sont plus formidables. Ce n’est plus l’Europe ?
Dominique Strauss-Kahn : C’est extrêmement compréhensible… Non, non, pas du tout. Je suis extrêmement européen et je veux que les entreprises françaises, si elles le souhaitent – et je souhaite qu’elles le fassent –, s’allient avec d’autres entreprises européennes, mais s’allient d’égale à égale. Je ne veux pas qu’à un moment où les entreprises françaises règlent un problème entre elles, elles se fassent attaquer de l’extérieur. Ça, c’est le rôle de l’État de les protéger. Maintenant que la période de marché est terminée, la Générale, la BNP Paribas – je rappelle que BNP-Paribas, aujourd’hui, c’est la deuxième banque européenne ; nous avons quand même réussi en France à créer avec cela la deuxième banque européenne – eh bien maintenant, les alliances européennes sont les bienvenues. Il n’y a pas de contradiction. Vouloir l’Europe, c’est une chose, mais c’est l’Europe des égaux. Rappelez-vous, Lionel Jospin disait construire l’Europe sans défaire la France. Il faut tenir les deux aspects.
Ruth Elkrief : Merci, Dominique Strauss-Kahn. C’est déjà la pub et on se retrouve juste après pour poursuivre cette interview et parler des impôts. À tout de suite.
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Ruth Elkrief : Retour sur le plateau de « 19 h Dimanche » et on retrouve Dominique Strauss-Kahn, le ministre de l’économie et des finances. Merci beaucoup d’être avec nous. Un tout petit mot avant de parler des impôts, qui est un sujet très attendu, vous le savez. Sur Carrefour et Promodes – on en parlait –, le PS, ce soir, donc François Hollande, propose qu’on saisisse le Conseil de la concurrence afin de savoir si oui ou non cette nouvelle configuration est un abus de position dominante. Il vient de le dire sur Europe 1.
Dominique Strauss-Kahn : Le Conseil de la concurrence est là pour juger de cela. J’ai déjà saisi le Conseil de la concurrence sur d’autres affaires de centrales d’achats. Et, en effet, je vais le faire et demander à Bruxelles qui s’occupe aussi de ce dossier, de rapatrier à Paris pour qu’on le gère nous, au travers du Conseil de la concurrence. Les problèmes que posent Promodes-Carrefour, il faut protéger dans ces opérations et vérifier à la fois ce qui arrive aux consommateurs et aux fournisseurs.
Ruth Elkrief : Mais vous pouvez casser cette fusion ?
Dominique Strauss-Kahn : On peut regarder les conditions, voir si dans telle ou telle ville, ça crée des conditions de monopole. Il ne faut pas de monopole. La gauche a toujours été contre et on va continuer à regarder ça de très près.
Ruth Elkrief : En tout cas, le contact passe apparemment entre François Hollande et Dominique Strauss-Kahn. Ils sont d’accord là-dessus. On va voir pour la suite. Sur les impôts, vous nous aviez dit, il y a à peine une semaine sur TF1, que vous aviez fait la plus forte baisse d’impôts depuis dix ans. Et hier, vous êtes à la foire de Strasbourg et vous dites – je vous cite – : « le sentiment des Français de payer trop d’impôts est justifié ». Ça veut dire que vous trouvez que vous-même, vous n’en faites pas assez ?
Dominique Strauss-Kahn : Il faut être modeste et responsable dans cette affaire d’impôts. C’est très facile de gesticuler sur les estrades en disant : « baissons les impôts ! Baissons les impôts ! » Encore faut-il avoir les moyens de le faire. Et les moyens, c’est la croissance. C’est ce qui rentre dans les caisses.
Ruth Elkrief : Vous l’avez, ça. On a de bons résultats !
Dominique Strauss-Kahn : On l’a, et c’est le paradoxe que je voulais souligner une seconde. C’est que nous avons une année 99 qui est très particulière. Elle est moins bonne que prévue. Rappelez-vous, il y a un an, on disait : « la croissance ne sera jamais aussi bonne que vous l’avez dit ». On critiquait en disant « vous êtes beaucoup trop optimistes »…
Ruth Elkrief : Et là, c’est l’inverse…
Dominique Strauss-Kahn : C’est l’inverse, non. C’est moins mauvais qu’on l’aurait craint, mais ce n’est pas aussi bon qu’on l’avait espéré. On est entre les deux. Et c’est pour ça que nous avons une possibilité d’avancer, de faire des baisses d’impôts, on va en parler plus en détails, mais ces baisses d’impôts doivent être programmées dans le temps. La méthode du gouvernement de Lionel Jospin, c’est qu’on programme les choses dans le temps. On les annonce à l’avance. Et donc en effet, l’année prochaine, il y aura entre 35 et 40 milliards de baisse d’impôts. Plutôt près de 40 d’ailleurs…
Ruth Elkrief : Vous avez annoncé 38 dont 15 milliards qui étaient des impôts que vous aviez créés l’année dernière et que vous supprimez cette année. Donc, ça fait 23 !
Dominique Strauss-Kahn : Non, non, pas qu’on a créés l’année dernière et qu’on supprime cette année, dont on a déjà décidé l’année dernière qu’ils baisseraient cette année. Prenons l’exemple de la taxe professionnelle. On a dit l’année dernière : on la supprime en cinq ans. Donc il y a une tranche tous les ans. Il y a une tranche 2000. Elle a déjà été décidée, mais cette tranche, elle arrive bien en 2000. C’est bien une baisse d’impôts pour 2000. Et donc il y a bel et bien 38 à 40 milliards donc de baisse d’impôts en 2000, ce qui, en effet, est la plus forte baisse depuis plus de dix ans.
Ruth Elkrief : Alors je précise évidemment que vous n’avez pas encore annoncé les hausses et vous les annoncerez évidemment pour le budget. Peut-être un petit mot ?
Dominique Strauss-Kahn : Vous serez surprise. Vous serez surprise…
Ruth Elkrief : Alors allez-y ! Surprenez-moi !
Dominique Strauss-Kahn : Il n’y aura pas de hausse. Il n’y a pas de hausse. Il y aura bel et bien entre 38 et 40 milliards de baisse d’impôts. La principale mesure, c’est celle qui concerne la TVA, le logement et la possibilité pour chacun de faire des réparations d’entretien dans son logement. Quand vous allez – peut-être est-ce votre cas – demander à un peintre de faire disons 5 000 francs de travaux de peinture chez vous, vous allez gagner 15 %, c’est-à-dire 750 francs, ce n’est pas rien !
Ruth Elkrief : Et vous n’en faites aucune autre… J’ai quand même eu le sentiment, parce que vous avez eu une altercation avec le Premier ministre, la semaine dernière, à propos des impôts et notamment de l’impôt sur le revenu, j’ai eu le sentiment que vous aviez envie quand même, vous, d’aller plus vite, que vous auriez souhaité éventuellement baisser plus rapidement l’impôt sur le revenu. C’est pour ça que vous vous étiez un petit peu accroché avec le Premier ministre ?
Dominique Strauss-Kahn : Non. Le Premier ministre a été mécontent, tout le monde l’a vu, parce que les propositions, que nous faisons là, étaient dans la presse alors que les ministres se réunissaient pour en discuter. Et il a raison : ça ne se fait pas. Il reste que, sur le fond, évidemment je ne m’engagerai dans aucune direction sans avoir l’accord du Premier ministre et nous avons établi ensemble le fait que, l’année prochaine, c’était le logement qui était prioritaire, les baisses de TVA, mais aussi les frais de notaire qui vont continuer à baisser, et une annonce que je veux vous faire maintenant – et je vais y revenir dans un instant – et puis que, l’année prochaine, pour l’année prochaine, mais il faut en parler dès maintenant, nous allons discuter des impôts directs. Certes, l’impôt sur le revenu, mais aussi la taxe d’habitation parce que l’impôt sur le revenu, tout le monde ne le paie pas. Si on veut que ça touche tout le monde, que tout le monde en bénéficie, il faut parler aussi de la taxe d’habitation. Je reviens à ce que je voulais vous annoncer : il y a en effet la confirmation de la baisse sur les droits de mutation, sous réserve qu’au conseil des ministres du 15 septembre personne ne s’y oppose et que le Parlement veuille bien le voter quand on passera devant le Parlement au mois d’octobre…
Ruth Elkrief : Vous prenez vos précautions. D’accord, je vois…
Dominique Strauss-Kahn : Et puis, il y a la suppression du droit de bail que paient tous les locataires. C’est Jean-Claude Gayssot qui a eu cette idée, qui l’a proposée à la fameuse réunion, d’ailleurs, dont vous parliez – vous voyez, ça montre bien qu’il ne faut pas annoncer les choses trop tôt –, et nous allons en effet supprimer le droit de bail. Ça veut dire que pour cette année 2000, 80 % des locataires verront, sur leurs quittances de loyer, les 2,5 % de droit de bail disparaître et le reste des 20 % l’année suivante.
Ruth Elkrief : Dominique Strauss-Kahn, c’est très bien. Vous nous annoncez des baisses comme ça... Certains diront homéopathiques parce que le sentiment des Français, ce soir et depuis quelques semaines, vous l’avez vu vous-même parce que vous le dites – il est justifié –, c’est qu’il y a des prélèvements obligatoires qui sont très élevés, qu’ils ont encore augmenté et qu’ils ont le sentiment d’être ponctionnés…
Dominique Strauss-Kahn : Les Français pensent, considèrent que les impôts sont trop élevés. Un Gouvernement qui est à l’écoute des Français ne peut pas ne pas prendre ça en considération. Et c’est la raison pour laquelle… – on avait déjà commencé l’année dernière, mais beaucoup moins – la TVA doit baisser puisque c’est, dans toutes les enquêtes, l’impôt que les Français demandent à voir baisser en premier. Nous ne le faisons pas de façon homéopathique. Je ne peux pas vous laisser dire ça. On trouvera toujours que c’est insuffisant, mais ce n’est en rien homéopathique.
Ruth Elkrief : Vous trouvez que c’est insuffisant, non ?
Dominique Strauss-Kahn : Les Français le trouvent et on voudrait aller plus loin…
Ruth Elkrief : Non, mais vous personnellement, vous le trouvez ? Alors qu’est-ce que vous faites ? Pourquoi est-ce que vous n’augmentez pas justement cette diminution ?
Dominique Strauss-Kahn : Pourquoi est-ce qu’on ne va pas plus loin encore ? Parce que, comme vous le disiez tout à l’heure, la croissance, même si elle n’est pas mauvaise, même si la confiance revient, si le trou d’air est derrière nous, il reste que la croissance est moins forte que prévue. Elle sera plus forte en 2000 et c’est pour ça qu’on aura des marges pour 2001…
Ruth Elkrief : Ça, c’est le discours pour mieux faire passer la pilule, non ?
Dominique Strauss-Kahn : Non. Vous savez comment on a fait pour pouvoir faire des baisses d’impôt cette année ? On a limité à zéro la croissance des dépenses. Ça veut dire qu’on a fait des économies sur des choses qui étaient obligées d’augmenter et qu’on a restreintes. Et c’est comme ça qu’on a créé des marges. Parce que je suis le ministre de l’économie, je suis aussi le ministre des économies et, si dans le Budget on fait des économies, c’est ce qui permet de faire des baisses d’impôt.
Ruth Elkrief : Alors justement, franchement, vous nous dites : la croissance augmente, parce que là je trouve que vous avez un discours assez modéré…
Dominique Strauss-Kahn : Modeste, modeste…
Ruth Elkrief : Parce qu’on vient vous demander de l’argent, entre guillemets, mais il y a quelques semaines, vous disiez : c’est formidable ! On a des résultats formidables ! À La Rochelle, le discours de Lionel Jospin était extrêmement… assez triomphant, assez confiant. Pourquoi, à ce moment-là, si tout va bien finalement, on ne peut pas baisser les impôts ? Vous dépensez trop d’argent quand même alors ?
Dominique Strauss-Kahn : On ne peut pas dire que tout va bien dans un pays où il y a 2,8 millions de chômeurs. On ne peut pas dire que tout va bien quand il y a encore 200 milliards de déficit. C’est vrai que ça rentre un peu plus que prévu parce que l’année 98 a été formidable. Les entreprises ont fait beaucoup de bénéfices et donc l’impôt sur les sociétés rapporte beaucoup cette année. Tant mieux ! On va s’en servir pour baisser la TVA. Ça vient des entreprises, ça ira vers les familles. Mais, pour autant, il y a encore plus de 200 milliards de déficit public dans ce pays, même s’il diminue chaque année ; il y a encore 2,8 millions de chômeurs ! Dire que ça va bien, c’est une absurdité. Nous sommes un pays convalescent…
Ruth Elkrief : Vous avez changé de discours un petit peu… Vous avez un petit peu modifié, non ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, ça va de mieux en mieux et je m’en réjouis. Quand vous disiez que je me réjouissais, oui, parce qu’il y a quelques mois encore, on se disait : la France ne fera pas mieux que l’Allemagne, pas mieux que l’Angleterre, pas mieux que l’Italie. On s’aperçoit qu’on va faire mieux que tous ceux-là. Je m’en réjouis mais, pour autant, on est loin du compte et il y a encore du chemin à faire avant que le chômage ait suffisamment baissé.
Ruth Elkrief : On va revenir au chômage. Mais, Dominique Strauss-Kahn, vous nous expliquez en gros que vous avez un calendrier : on baisse la TVA dans certains cas, je dirais pour satisfaire, les classes populaires – ce sont les termes du Premier ministre à La Rochelle – et puis dans un an, peut-être qu’on baissera l’impôt sur le revenu. Ça, c’est le côté classes moyennes, c’est-à-dire un coup à gauche, un coup au centre, tout ça pour arriver aux législatives et à la présidentielle en bonne position. Mais vous croyez que les Français, ils vivent selon votre calendrier électoral ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, je crois que les Français ont élu un Gouvernement… une majorité à l’Assemblée dont est issue un Gouvernement pour cinq ans, que celui-ci doit mener sa politique fiscale en cinq ans et c’est ce qu’il fait. Il a commencé par augmenter les impôts…
Ruth Elkrief : C’est un calendrier économique ou électoral, ça ? Dominique Strauss-Kahn, ce n’est pas là-dessus que vous vous êtes un petit peu accroché avec le Premier ministre, non ?
Dominique Strauss-Kahn : Non, vous ne pouvez pas, sous prétexte qu’on prend des décisions, dire que c’est en vue des élections. On prend des décisions parce que c’est notre métier de faire en sorte que, ce que les Français ont demandé et qu’on leur a proposé dans une campagne, soit mis en œuvre. On a commencé par augmenter les impôts sur les sociétés pour pouvoir faire l’euro. Ensuite, on a redressé l’équilibre entre l’impôt sur le revenu du travail et le revenu du capital. Ensuite, on a fait ce qu’il fallait pour l’emploi par la baisse de la taxe professionnelle et, si nous avons cette année la croissance en termes d’emplois et la baisse du chômage que nous avons, c’est en partie dû à cette baisse de la taxe professionnelle. Maintenant, nous nous attaquons à la baisse des impôts indirects, la TVA et, en effet ça vient après, nous verrons les impôts directs. Il faut bien qu’il y ait quelque chose qui vienne à la fin du parcours.
Ruth Elkrief : Je vais revenir juste un instant sur cet accrochage avec Lionel Jospin. J’ai lu que c’était Martine Aubry qui avait cafté.
Dominique Strauss-Kahn : Tout le monde l’a vu. Il y a eu un accrochage. Je ne m’en suis jamais caché. Et encore une fois, le Premier ministre n’était pas content et c’est bien normal qu’il le dise…
Ruth Elkrief : Mais ce n’est pas Martine Aubry qui a voulu vous lancer une petite pique ?
Dominique Strauss-Kahn : Rien ne me donne à penser cela.
Ruth Elkrief : On dit que vos relations sont assez difficiles. Je dirais même que vous pourriez dire, vous : les impôts baissent, mais les prélèvements sociaux, par contre, c’est beaucoup plus difficile, c’est un peu ça qui plombe…
Dominique Strauss-Kahn : C’est vrai, mais je le dis, je le dis : c’est vrai. C’est beaucoup plus difficile du côté des prélèvements sociaux et des dépenses sociales. Mais il faut arriver à la maîtriser aussi. C’est plus facile pour le budget, donc elle a une tâche plus difficile.
Ruth Elkrief : Alors vous ne lui dites pas : moi, je fais ce que je peux, Martine, s’il vous plaît, fais ce que tu peux de ton côté, non ?
Dominique Strauss-Kahn : Écoutez ! Chacun fait ce qu’il peut et si nous avons cette année la croissance et les créations d’emplois que nous avons, c’est le résultat du travail de l’ensemble du Gouvernement. Vous ne m’entraînerez pas sur ce terrain-là.
Ruth Elkrief : Oui mais, ça, c’est un peu de la langue de bois. On sait que la situation et que votre relation n’est pas très facile.
Dominique Strauss-Kahn : Elle n’est jamais facile entre le ministre des finances et les autres ministres parce que les autres ministres veulent dépenser plus. Le ministre des finances, il essaie de faire des économies. Donc évidemment !
Ruth Elkrief : Et puis il y a un petit peu de concurrence peut-être pour l’avenir. On voit que beaucoup de femmes prennent de l’importance dans le gouvernement. Ce n’est pas trop dur d’être un homme dans le Gouvernement Jospin ? Vous ne dites pas…
Dominique Strauss-Kahn : C’est de plus en plus dur d’être un homme, mais pas particulièrement dans ce Gouvernement…
Ruth Elkrief : Vous n’êtes pas jaloux. Vous ne vous dites pas : les femmes ont la cote, les ministres femmes ont la cote ?
Dominique Strauss-Kahn : Vous savez, pour les femmes… ça ressemble à ce qu’on disait tout à l’heure sur les déficits. On est encore très loin du compte, d’avoir la parité. C’est vrai qu’il y a plus de femmes, mais on est encore très loin. Donc pour le moment, on ne fait que rattraper du retard.
Ruth Elkrief : Élisabeth Guigou, par exemple, qu’on porte aux nues en ce moment, vous partagez cet optimisme ?
Dominique Strauss-Kahn : Absolument ! Élisabeth Guigou fait du très bon travail. Elle est très appréciée à l’Assemblée, dans le pays…
Ruth Elkrief : Elle a l’étoffe d’un Premier ministre possible ?
Dominique Strauss-Kahn : Sûrement ! Beaucoup ont l’étoffe d’un Premier ministre possible mais, pour le moment, nous avons un Premier ministre. Cessons de regarder ce qui se passera après-demain. Faisons le travail qu’on a à faire aujourd’hui.
Ruth Elkrief : Parce que vous voulez nous dire qu’avec le discours de Lionel Jospin à La Rochelle, dans lequel il table sur le temps, dans lequel il annonce le plein emploi dans dix ans, Lionel Jospin n’est pas, dans sa tête, candidat à la présidentielle ?
Dominique Strauss-Kahn : Je ne peux rien vous dire de ce qu’il y a dans la tête de Lionel Jospin…
Ruth Elkrief : Vous êtes considéré comme un de ses proches.
Dominique Strauss-Kahn : En revanche, je peux vous dire que Lionel Jospin est jour après jour consacré, attiré et il passe son temps sur le travail qu’il a à faire. Vous allez me dire que c’est de la langue de bois. Ce n’est pas de langue de bois ! Vous parliez de mes vacances en commençant. Vous m’avez dit « vous avez passé votre temps au téléphone ». Quand j’ai passé mon temps au téléphone pendant mes vacances pour régler les problèmes que j’avais à régler, je ne me posais pas des questions sur ce qui allait se passer dans une élection présidentielle ! Je me pose des questions sur le travail que j’ai à faire maintenant. Et il en est de même du Premier ministre.
Ruth Elkrief : En fait, vous n’êtes pas un petit peu en train de rectifier le tir parce qu’on avait le sentiment qu’il y avait un peu d’autosatisfaction ces dernières semaines, notamment à ces journées parlementaires à La Rochelle, il y avait un peu d’autosatisfaction…
Dominique Strauss-Kahn : Non… ce n’étaient pas des journées parlementaires. C’étaient les universités d’été du PS à La Rochelle, c’était festif. Il y avait beaucoup de jeunes, le mouvement des jeunes socialistes. On a chanté, c’était gai. Tout le monde nous a dit : vous êtes auto satisfaits. Non, on était gais ! Si on ne peut pas faire la fête avec les copains sans qu’on vous dise « c’est de l’autosatisfaction », c’est exagéré ! Encore une fois, nous sommes tous très conscients de ce que la France a encore beaucoup de chemin à faire.
Moi je suis élu de Sarcelles – je le répète souvent, mais c’est vrai –. Lorsque j’y suis retourné à la fin de mes vacances pour voir effectivement où en étaient les choses, comment avançaient la reconstruction des écoles ou les caniveaux à boucher, je vois combien dans notre pays il y a encore de misère. Et donc, il n’y a pas d’autosatisfaction. On est plus satisfait de soi-même quand ce qu’on a fait commence à donner des résultats. Qui va nous en blâmer ? Et les résultats commencent à être là. Mais on est conscients qu’on est loin du compte.
Ruth Elkrief : Donc, ce soir, le ministre de l’économie dit : finalement, on ne peut pas baisser plus les impôts parce que ça ne va pas si bien.
Dominique Strauss-Kahn : Je dis : ça va mieux qu’on ne le craignait, et notamment que la droite le disait. Je dis : il faut baisser les impôts dans ce pays et notamment parce que la droite les a augmentés – qui a oublié l’augmentation de 2 % de la TVA de monsieur Juppé ? – Je dis : nous le faisons aussi vite que possible et c’est aussi vite, c’est plus vite que ça n’a jamais été le cas puisque, vous le rappeliez tout à l’heure, c’est la plus forte baisse depuis dix ans.
Ruth Elkrief : C’est ce que vous avez dit, le sentiment des Français – je vous l’avais dit – était qu’ils étaient trop imposés…
Dominique Strauss-Kahn : La baisse, ils ne l’ont pas encore sentie puisque c’est l’année prochaine. Mais elle va commencer le 15 septembre puisqu’en effet il y a plus d’argent qui est entré dans les caisses. On le disait tout à l’heure, tous les Français le savent…
Ruth Elkrief : Alors il y a plus d’argent et vous nous dites : il faut quand même payer encore. Ça veut dire que vous dépensez trop ?
Dominique Strauss-Kahn : On ne dépense pas trop, je vous disais tout à l’heure qu’on a bloqué la croissance de la dépense. Mais, plus d’argent est rentré par l’impôt sur les sociétés, ça va nous permettre dès le 15 septembre de faire la baisse de TVA qui, sinon, n’aurait commencé que le 1er janvier. C’est une manière de rendre aux Français de l’argent qui est venu dans les caisses sans qu’on ne l’attende, puisqu’on n’attendait pas une si grande rentrée de la part des entreprises.
Ruth Elkrief : Merci beaucoup Dominique Strauss-Kahn. On va continuer à parler chiffres quelques instants. 220 millions de francs pour un footballeur, ça vous choque ?
Dominique Strauss-Kahn : C’est beaucoup. C’est beaucoup.
Ruth Elkrief : En tout cas, c’est le montant du transfert de Nicolas Anelka du club Arsenal vers le Real de Madrid.
Reportage
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Ruth Elkrief : Voilà, c’est la fin de « 19 h Dimanche ». Merci d’être restés avec nous. On se trouve bien sûr la semaine prochaine pour un nouveau rendez-vous.