Texte intégral
LE FIGARO : 22 juillet 1999
Le Figaro. – Quel est l'enjeu de ces contrats de plan ?
Jean-Pierre Raffarin : Sur le plan financier, l'enjeu est considérable. Plus de 150 milliards de francs (105 milliards pour l'État et 45 milliards de fonds européens) vont être affectés dans le cadre des prochains contrats de plan État-région-Europe, sur une période de six ans. Nous avons demandé au Premier ministre le respect d'une véritable éthique contractuelle, fondée sur trois principes : le partage effectif des fruits de la croissance entre l'État et les régions, une priorité accordée aux régions fragiles en vue d'une vraie justice territoriale, enfin la transparence des procédures et la neutralité politique dans l'affectation des dotations.
Le Figaro. – Sur le terrain, comment se passent les négociations ?
– Le climat de négociation avec les préfets est globalement constructif, mais nous avons des revendications communes, quelle que soit notre étiquette politique. Nous considérons que l'enveloppe de 105 milliards pour l'État est largement insuffisante. Si le Gouvernement ne fait pas un geste supplémentaire pour approcher les 120 milliards, une bonne dizaine de régions seront dans l'incapacité de signer leur contrat de plan. Les moyens financiers pour le dossier transports (ferroviaire et routier) sont notamment insuffisants. Pour les routes, le total de la demande des régions équivaut au double de ce que propose l'État. Nous souhaitons disposer simultanément des enveloppes de l'État et de l'Europe (un tiers des dotations), région par région, pour bâtir nos programmes d'investissements avec une véritable lisibilité.
Le Figaro. – Mais il est prévu que les crédits européens baissent de 25 % en moyenne dans toute la France…
– C'est bien notre inquiétude. Pour la Bretagne, on annonce même une baisse de 50 % des financements européens, ce qui serait catastrophique ! C'est pourquoi nous demandons que l'État compense les réductions de fonds européens pour les régions les plus touchées. Nous souhaitons aussi que l'État confie aux régions la gestion de ces fonds européens, qui sont actuellement mal gérés et mal consommés. On gagnera en efficacité et en gestion.
Le Figaro. – Les régions demandent-elles plus de pouvoirs ?
– Nous ne demandons pas plus de pouvoirs, mais plus de responsabilités, et nous voulons en convaincre le Gouvernement. Des dossiers comme le tourisme, le patrimoine ou le commerce et l'artisanat, autrement dit les PME, devraient être complètement régionalisés, afin de marquer une nouvelle étape de la décentralisation pour alléger des structures nationales asphyxiées. La nouvelle loi sur l'aménagement du territoire fait d'ailleurs des régions le pivot de la contractualisation renforcée. Je note que le président de la République, Jacques Chirac, a rappelé le 14 juillet que les caisses de l'État étaient pleines. Il faut maintenant que l'État partage avec les régions et tienne compte des fruits de la croissance.
Le Figaro. – Vous parlez de décentralisation, de responsabilisation à la base. Ces attitudes pourraient-elles inspirer l’aménagement des nouveaux territoires de… l'opposition ?
– C'est bien mon avis. Les structures partisanes nationales ne peuvent pas porter la rénovation de l'opposition, qui ne peut venir que de la base. Car notre société réclame la lisibilité, et la légitimité. Une auto-proclamation de candidature n'a plus de sens aujourd'hui. C'est sur le terrain que se gagne la légitimité d'un candidat. Je propose qu'un an avant les élections (législatives, municipales) soient organisées des conventions d'investiture locales pour permettre aux sympathisants à la base de désigner les candidats de leur choix. Aucune investiture nationale ne pèse actuellement plus de 15 % des voix dans l'opposition. Pour gagner une élection, il faut aller chercher sa légitimité dans les rues et dans les villages.
Le Progrès : vendredi 23 juillet 1999
Q - Qu'attendez-vous du CIADT ?
« De l'argent et des principes. Nous attendons que l'État fixe une règle du jeu claire et équitable, une éthique contractuelle : respect des engagements, véritable neutralité politique des dotations aux régions et transparence des procédures. Sur l'argent, nous voulons connaître pour chaque région l'enveloppe des contrats de plan et des fonds structurels européens, qu'il faudra coupler, afin de pouvoir programmer nos investissements. »
Q - L'enveloppe de 105 milliards est-elle suffisante ?
« Non, il faudrait mieux partager la croissance. J'ai entendu le 14 juillet à la télévision que « les caisses sont pleines » (déclaration du président de la République NDLR)… Les caisses parisiennes doivent partager avec les caisses régionales. Ce n'est qu'en se rapprochant de 120 milliards que le Premier ministre pourra espérer avoir des signatures dans l'ensemble des régions. Á 105 milliards, une bonne dizaine de régions sont dans l'impossibilité de signer leur contrat. »
Q - Dont votre région ?
« Cela dépendra des crédits affectés aux infrastructures de transports, routières et ferroviaires. Or, les propositions actuelles de l'État sont, dans de nombreuses régions, inférieures à celles du plan précédent, ce qui rend impossible la recherche d'une majorité régionale pour signer le contrat. »
Q - Vous parliez de coupler les fonds européens et les enveloppes de l'État…
« Oui, car il faut comprendre que cette nouvelle génération de contrat État-région devrait en fait s'appeler Europe-État-régions. Nous nous félicitons d'ailleurs de la nomination à la Commission de Michel Barnier, qui sera à la tête de 45 milliards de francs d'aides régionales pour la France. Nous demanderons à Matignon une conférence exceptionnelle État-Europe-régions, de manière à mieux définir pour l'avenir le visage territorial de la France en Europe. »
Q - Est-ce le moment de donner plus de responsabilités aux régions, sorties très affaiblies des élections de mars 1998, souvent sans majorité stable ?
« C'est vrai que les régions ont connu des difficultés, mais le fait régional a été renforcé. La région est le lieu de la modernité, où se posent les problèmes de la société française : le Front national est un problème de la société française qui n'est posé ni à l'Assemblée nationale, ni au Sénat, mais dans les régions… De même pour la présence des écologistes ou des chasseurs dans les conseils régionaux… »
Q - Approuvez-vous la volonté du Gouvernement de ne pas discuter directement avec les présidents des régions Bourgogne, Picardie et Languedoc-Roussillon, élus grâce au Front national ?
« J'ai le sentiment qu'il y a un discours à Paris, et des pratiques diversifiées sur le terrain. Globalement, la préparation des contrats de plan dans ces trois régions ne suit pas de procédure particulière. N'oublions pas que le président de région n'est pas le seul acteur du contrat : il y a l'Europe, les maires, les présidents de département… Si je devais donner un conseil au Gouvernement, ce serait de ne pas trop politiser la contractualisation, au risque de tout bloquer. Il faut que la cohabitation État-région soit constructive. »
LA CROIX : 23 juillet 1999
Q - Le Gouvernement va annoncer la répartition d'une enveloppe de 90 milliards pour les contrats de plan État-régions. Quels sont vos attentes ?
Jean-Pierre Raffarin. – Nous attendons un double effort de l'État. Il faut d'abord un effort qualitatif pour que les procédures soient les plus transparentes possibles et que soit définie une véritable éthique contractuelle entre l'État est les régions. Ainsi, qu'il y ait un respect des financements annoncés et une neutralité de l'État vis-à-vis de la couleur politique des différentes régions.
Il faut ensuite un effort quantitatif au niveau financier. Le Gouvernement a annoncé qu'il était prêt à investir, au total, 105 milliards pour ces contrats. À notre avis, il faut 120 milliards si l'on veut parvenir à boucler les dossiers présentés par l'ensemble des régions. Nous avons bien entendu le président de la République dire que les caisses sont pleines à Paris. Il serait juste que le Gouvernement partage avec les régions les fruits de la croissance.
Q - Concrètement, à quoi servira cet argent ?
– Il y a trois principaux volets. D'abord les infrastructures routières et ferroviaires. Pour le moment, les enveloppes annoncées par l'État sont inférieures de moitié aux demandes des régions. Là, il faudrait vraiment faire un effort. Le deuxième gros poste de dépense, c'est l'enseignement supérieur et la recherche. Claude Allègre est le seul ministre qui ait reçu tous les présidents de régions. Nous souhaitons maintenant qu'il puisse tenir les engagements qu'il a pris avec chacun d'entre nous. Le troisième dossier important, c'est l'aménagement de l'espace et notamment l'agriculture et l'environnement.
Q - La répartition des fonds entre les régions tiendra-t-elle compte des enseignements du dernier recensement ?
– La population ne peut pas et ne doit pas être le seul critère. Il faut prendre en considération des critères de revenus. Nous pensons que les territoires qui ont particulièrement souffert d'un déclin démographique doivent faire l'objet d'une attention particulière. Ce serait une erreur de mettre les contrats de plan au sein service d'une stratégie de métropolisation de la France. Il faut que le monde rural ait sa juste part pour ne pas accentuer les déséquilibres.
Q - Les délocalisations ont longtemps été les mesures les plus symboliques pour affirmer cette volonté de rééquilibrage entre l'Île-de-France et la province. Souhaitez-vous qu'elles se poursuivent ?
– C'est une question qui n'est plus vraiment à l'ordre du jour. Personnellement, pourtant, j'y suis très favorable, notamment pour avoir vécu de près le succès de la délocalisation du Centre national d'enseignement à distance, le CNED au Futuroscope. Certains dossiers ont ainsi très bien réussi, d'autres non. Il est important d'implanter des centres de décision en région. Quand on compare la France aux autres pays européens, ce qui est le plus frappant c'est la concentration en Île-de-France des centres de décision. Il faut en finir avec la pathologie française qui veut qu'il y ait une région qui commande et les autres qui subissent.
Q - L'aménagement du territoire est-il un sujet d'opposition entre la droite et la gauche ?
– L'aménagement du territoire exige la neutralité politique et la politique contractuelle impose de chasser tout esprit partisan. Tous les contrats seront signés par un gouvernement de gauche, avec une région, une ville ou un département qui peuvent être de droite ou de gauche. Les partenaires sont forcément pluriels. Tous peuvent se paralyser les uns et les autres. Si on tente de politiser les contrats de plan, on court à l'échec.