Interviews de M. Alain Madelin, ministre des entreprises et du développement économique chargé des PME du commerce et de l'artisanat, à France 3 et Europe 1 les 4 et 6 avril et France 2 le 11 mai 1993, sur la situation des entreprises, les orientations du plan d'urgence pour les PME PMI et les "nouveaux métiers" sous statut de travailleur indépendant.

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Média : Europe 1 - France 2 - France 3

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : Une des innovations du gouvernement E. Balladur, c'est votre ministère.

A. Madelin : En tout cas, c'est un ministère tout neuf.

J.-P. Elkabbach : Vous avez défini les contours de ce nouveau poste ?

A. Madelin : C'est une idée neuve qui est d'E. Balladur. C'est un très bel outil de travail. C'est l'idée qu'un certain nombre de problèmes ne peuvent pas être résolus dans les structures et selon les schémas traditionnels. On va essayer de faire du neuf, c'est un peu un ministère qui regroupe toutes les forces vives, les entreprenants grands et petits, les commerçants, les artisans. C'est le tissu local, celui qui fait la croissance, la richesse et l'emploi. Aujourd'hui la seule source de la création d'emplois c'est le développement de produits, de marchés, de services nouveaux. Et pour développer cela, il faut des entrepreneurs.

J.-P. Elkabbach : M. Aubry avait prévu dis destructions d'emplois jusqu'au début 94. Avec quelles armes pourrez-vous enrayer ce processus apparemment inévitable ?

A. Madelin : Un mot sur le diagnostic. La situation est dramatique, il y a une destruction accélérée du tissu des PME et PMI en province, des dépôts de bilan toutes les trois minutes. Chaque jour ouvrable, 3 090 chefs de famille se retrouvent au chômage. On met cinq ans, dix ans pour construire une moyenne entreprise, mais on met quelques semaines pour la détruire.

J.-P. Elkabbach : Vous confirmez que c'est une crise qui a une dimension internationale.

A. Madelin : Ce sont des entreprises qui sont fondamentalement saines, et elles déposent leur bilan pour des raisons qui leur échappent totalement. C'est la raison pour laquelle il faut aujourd'hui un plan d'urgence pour les entreprises et pour l'emploi et prévenir les défaillances d'entreprises.

J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire qu'il y aura une réforme ?

A. Madelin : Sans doute, il faudra réformer la loi de 85 sur les faillites. Mais il faut également trouver des mécanismes : avances exceptionnelles de trésorerie, etc., pour essayer d'aider les entreprises qui, aujourd'hui, se trouvent en difficulté. Et surtout il faut empêcher le domino des dépôts de bilan. Il faut renforcer les capacités financières des entreprises et tout particulièrement des petites et moyennes entreprises. On va faire quelque chose d'important avec le décalage d'un mois de TVA, mais il faudra ajouter des mesures financières spécifiques pour les moyennes entreprises.

J.-P. Elkabbach : C'est ce que vous allez faire ?

A. Madelin : On va faire cela très vite, mais laissez-nous quand même quelques jours. Mais quand je dis, il faudra, ça se calcule en jours, en semaines.

J.-P. Elkabbach : Recommandez-vous aux chefs d'entreprises d'éviter de recourir à de nouveaux licenciements autant qu'ils pourront le, faire ?

A. Madelin : il ne s'agit pas de recommander, il s'agit de leur donner les moyens de le faire. Recommander, c'est une recommandation morale. Quand on gère une entreprise, il y a des nécessités. Dans les PME, PMI, quand vous licenciez des gens que vous connaissez, humainement c'est dramatique.

J.-P. Elkabbach : Qu'attendez-vous-en contrepartie de leur part ?

A. Madelin : De s'engager avec nous dans la lutte contre le chômage. Mais on va essayer de regarder ce que l'on peut faire pour mettre les grandes entreprises au service des petites. Aujourd'hui les grandes entreprises ne sont plus créatrices d'emploi, les petites oui. Mais, en revanche, les grandes entreprises ont un potentiel de savoir qu'elles peuvent mettre à la disposition des petites pour assurer leur développement. Ce sont des micro-initiatives, et il y a dans le développement économique, le mot "développement local".

J.-P. Elkabbach : Tous les chefs d'entreprises attendent une baisse des taux. Vous leur dites que c'est possible.

A. Madelin : Ils ont commencé à baisser, je souhaite évidemment qu'ils continuent parce que c'est la question essentielle. Cela dépend d'une initiative franco-allemande, et aujourd'hui, avoir renoué les fils du dialogue avec les Allemands, avoir engagé la perspective de l'indépendance de la Banque de France, c'est se donner les chances d'une meilleure coopération franco-allemande.

J.-P. Elkabbach : Vous dites indépendance et pas autonomie ?

A. Madelin : L'essentiel c'est…

J.-P. Elkabbach : mais elle sera indépendante ou autonome ?

A. Madelin : Je souhaite qu'elle soit indépendante, mais on ne va pas jouer sur les mots.

J.-P. Elkabbach : Vous confirmez qu'il pourra y avoir des baisses de taux.

A. Madelin : Je ne suis pas en charge de ce dossier, mais c'est vital. Et tout le monde a bien conscience au gouvernement qu'il est nécessaire de prendre les mesures nécessaires en coopération avec les Allemands pour faire baisser les taux d'intérêt. J'observe que le retour de la confiance, lié à l'arrivée du nouveau gouvernement, a permis déjà un mouvement de détente des taux d'intérêt.

J.-P. Elkabbach : Vous annoncez un effort en faveur des nouveaux métiers. Sont-ils créateurs de vrais emplois durables ? De combien d'emplois ?

A. Madelin : Je ne vais pas vous dire combien, mais il est sûr qu'en France, il y a toute une série d'emplois de service qu'on a du mal à faire apparaître. Ils existent dans de très nombreux autres pays, et on ne réussit pas parce que le coût du travail, des charges sociales, des règlements administratifs, des enquiquinements, est beaucoup trop élevé. Alors il faut abaisser la barre. Mais il ne faut pas imaginer que ces nouveaux emplois sont des petits boulots, ce sont de vrais métiers. Et ces métiers, on ne doit pas seulement imaginer de les exercer sous la forme d'emplois salariés. On va essayer de créer des statuts de micro-entrepreneurs, de travailleurs indépendants pour permettre l'émergence de ces nouveaux métiers.

J.-P. Elkabbach : Et ces gens seront protégés socialement.

A. Madelin : Bien sûr, avec protection sociale mais contraintes et charges sociales allégées. Il n'y a pas d'autre solution pour retrouver le chemin de la création d'emplois que de remettre tous ceux qui veulent travailler au travail, en permettant de créer et de développer des produits, des services nouveaux.

J.-P. Elkabbach : V. Giscard d'Estaing s'est engagé à veiller à ce que les promesses de la plate-forme soient tenues par le gouvernement de E. Balladur. Y a-t-il un risque ?

A. Madelin : Je pense au contraire que derrière E. Balladur, il y a la volonté d'impliquer notre programme et de l'appliquer rapidement. La situation est grave. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Ce sera un gouvernement d'audace et de réformes.

J.-P. Elkabbach : À quel signe, et quand verra-t-on que le redressement s'amorce ?

A. Madelin : Je suis sûr que, dans quelques semaines, vous venez que nous avons pris la bonne et la seule route qui débouche sur la création d'emplois et de richesses.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que le libéral A. Madelin n'est pas en train de préparer une cure de colbertisme pour l'économie française ?

A. Madelin : Je suis très libéral, ça veut dire que je crois profondément à l'entrepreneur, à la libre entreprise, à la liberté d'initiative. C'est le seul chemin de la richesse et de l'emploi. Mais il est vrai que, lorsqu'on est dans une crise comme dans les années 30 de déflation, il y a nécessité d'une action de l'État. Et je défendrai tout à fait cette action forte de l'État pour contribuer au redressement économique et à l'emploi.

 

11 mai 2013
France 2

G. Leclerc : Dans ce plan Balladur, 60 milliards sont prélevés sur les ménages par la CSG, les différentes taxes et de l'autre côté, 20 milliards vont aux entreprises. N'est-ce pas très déséquilibré ?

A. Madelin : Deux choses : tout d'abord il faut combler les déficits et assainir une situation budgétaire catastrophique et l'explosion de nos déficits sociaux. Il n'y a sans doute pas d'autres moyens que ces mesures difficiles, courageuses et qui vont nous permettre d'assainir la situation et de rebondir évidemment, pour entreprendre les réformes nécessaires, afin que plus jamais ça !

G. Leclerc : Ce genre de plan, il y en a eu tous les deux ans et on recommence. Ce sera le dernier vous en êtes sûr ?

A. Madelin : Je suis sûr en tout cas qu'il y a la volonté d'assainir la situation et que derrière il y a une profonde volonté réformatrice pour aller au fond du problème, le problème des retraites dont on a parlé mais rien fait. Là, il y a la volonté d'apporter des solutions de fond. Vous dites que l'on a donné de l'argent aux entreprises, ce n'est pas tout à fait ça. On a donné de l'argent pour l'emploi. Le drame de ce pays aujourd'hui, c'est le drame du chômage. On a mis le paquet c'est vrai sur le bâtiment et le logement social. Ceci, pour essayer de combler les trous, préserver les acquis sociaux des Français. On a mis aussi le paquet sur les entreprises, pour faire en sorte qu'on stoppe ou tente de le faire, cette dégradation continue des dépôts de bilans avec les conséquences catastrophiques sur l'emploi.

G. Leclerc : Il y a des allégements de charges mais pas d'engagements demandés aux entreprises. N'est-ce pas un chèque en blanc, comme dit la CFDT ?

A. Madelin : Je ne sais pas si on pouvait demander des engagements aux entreprises, notamment aux PME qui sont dans une situation catastrophique. Vous savez on n'a jamais vu ça ; nous sommes en récession. Et il y a une destruction continue des PME. Que voulez-vous donc demander comme échange alors que chaque minute une PME disparaît ? Il faut arrêter ça. On va essayer d'alléger leur trésorerie, de leur donner de l'oxygène. C'est le décalage d'un mois de TVA. Nous allons essayer d'alléger les charges sociales sur les bas salaires.

G. Leclerc : Ce type de mesures a déjà été fait dans le passé…

A. Madelin : Le décalage d'un mois de TVA c'est une situation abracadabrante. Les entreprises actuellement font la trésorerie de l'État, ça n'existe dans aucun autre pays européen. On s'y était engagé, on le fait. Avec les charges sociales sur les bas salaires, on s'attaque vraiment au problème de fond. C'est la volonté sur 5 ans et plus, de transférer progressivement la charge des allocations familiales qui pèse sur les entreprises et sur l'emploi, vers le budget de l'État.

Q : En sens inverse, ponctionner le revenu des ménages, est-ce que ça ne risque pas de freiner la consommation et d'aggraver la récession ?

A. Madelin : Augmenter les impôts et les charges c'est une mauvaise solution, je suis d'accord. C'est la nécessité. Effets récessionnistes ? Sans doute un peu. Mais pouvait-on faire autrement ? Je ne le crois pas. On a essayé de calibrer les mesures, pour qu'elles aient le moins mauvais effet possible.

G. Leclerc : Vous allez augmenter les prélèvements obligatoires, c'est le contraire de ce que vous vouliez faire…

A. Madelin : Vous avez raison. Ce n'est pas une politique, mais une nécessité. L'axe de notre politique dans les années qui viennent, c'est de baisser les prélèvements obligatoires, les charges qui pèsent sur l'entreprise et sur l'emploi.

G. Leclerc : Vous aviez été très sévère avec la CSG lors de sa création et finalement c'est…

A. Madelin : Il faut savoir mieux l'utiliser que ne l'avait fait le gouvernement Rocard. Pendant la campagne électorale, prudemment, on a dit pouvoir éviter la CSG sans en être sûrs, car Un voyait hélas ! venir la dégradation de ces comptes sociaux.