Interview de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce et l'artisanat, à Europe 1 le 19 août 1999 et dans "Ouest France" le 31, sur l'intérêt de renforcer les contrôles sanitaires dans les usines d'équarrissage, l'interdiction d'utiliser des boues des stations d'épuration dans la fabrication d'aliments pour animaux et sur le double affichage des prix des produits agricoles vendus en grande distribution.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - Ouest France

Texte intégral

EUROPE 1 : jeudi 19 août 1999

Q - Des experts de la Commission européenne vont arriver aujourd'hui en France, pour une mission de contrôle car nos voisins allemands et anglais nous montrent du doigt. Les boues d'épuration de plusieurs usines d'équarrissage auraient été utilisées dans la fabrication de farines animales pour les poulets. Est-ce que ça veut dire qu'aujourd'hui la France est sous contrôle, au banc des accusés ?

- “Pour refaire rapidement l'histoire, c'est qu'à partir de novembre 98, lorsque la France a décidé d'ajouter la mesure du chauffage des farines animales au fait que déjà on séparait les déchets à risques des autres morceaux d'animaux qu'on pouvait transformer, eh bien nous avons décidé aussi, en même temps, d'aller voir toutes les usines de fabrication d'aliment du bétail pour voir si toutes ces mesures étaient bien mises en application. Et dans cinq d'entre elles - il y en à peu près 50 en France - on a trouvé des anomalies dont effectivement dans deux cas : la réutilisation des boues de stations d'épuration - qui ne sont pas des boues de stations d'épuration urbaine, vous avez raison de le spécifier - mais celles de l'usine elle-même qui repartaient, ces boues repartaient en tête de chaîne pour refabriquer des aliments. C'est interdit depuis 1991, c'était inadmissible ! On a donc mis fin à ces pratiques qui n'étaient pas des pratiques, il faut le rappeler, dangereuses immédiatement pour la santé. Mais on estime qu'à l'intérieur de ces boues, parce qu'il y a des déchets d'animaux et de bovins en particulier, on pourrait éventuellement transporter des maladies comme la vache folle. Eh bien on ne doit plus les utiliser. Donc voilà. On a décidé d'aller voir et forcément quand on va voir, en, France, on fait un rapport d'enquête. On a fait un rapport d'enquête qui a été d'ailleurs reproduit à 4 5000 exemplaires dans nos services. Ce rapport d'enquête a fait l'objet d'articles en France et au mois d'août - curieusement, d'ailleurs, parce qu'il est ancien maintenant - d'un article en Allemagne. Voilà pourquoi l'inspection s'est à nouveau posée la question de nos boues.”

Q - Vous accueillez à bras ouverts ces inspecteurs européens ?

- “Absolument. Ils sont arrivés hier soir et ils sont très bien accueillis.”

Q - Ce que vous dites c'est que plus on fait de contrôles plus on trouve d'anomalies. Est-ce que vous sous-entendez que, par exemple, nos voisins ne sont peut-être pas aussi pointilleux que nous ?

- “Je ne suis pas allée voir dans tous leurs établissements comment ils font leurs contrôles. Donc ce serait présomptueux de ma part et penser que… Mais ce que je veux dire, c'est que nous avons gardé, nous, une disposition de séparation des déchets à risques et nos voisins n'en ont pas gardé. La plupart des pays européens ne le font pas. Nous ne sommes que trois pays à le faire. Et c'est vrai que nous contrôlons à l‘intérieur de ces entreprises, comment séparer les déchets à risques, comment on vérifie que tel ou tel animal est bien un animal abattu dans des bonnes conditions, etc. On est très pointilleux parce que c'est un problème de santé publique et que sur les problèmes de santé publique, on multiplie les contrôles. Mais c'est vrai que je crois qu'on en fait plus, et surtout je pense qu'on fait des rapports d'enquêtes que nos voisins, peut-être, ne font pas et ne donnent pas facilement à leurs journalistes. Ce que je regrette, voyez-vous, c'est que - ce rapport donc était ancien , il a été publié en avril 98 pour montrer que tout était terminé - ce soit au mois d'août qu'une journaliste allemande le reprenne et fasse cette émission. Mais tout compte fait, ce n'est peut-être pas plus mal et pour une chose : c'est que les inspecteurs de la Commission vont venir, qu'on va pouvoir leur expliquer tout ce qui s'est passé puisqu'on a gardé tous les détails des contrôles, les lettres de mise en demeure, les contrôles supplémentaires après des mise au point des nouvelles formes de fabrication dans les usines incriminées, etc. Ca va permettre en fait de pouvoir dire très publiquement que tout cela se passe bien.”

Q - Cela dit c'est encore une affaire de poulet ! On a beau dire que la chaîne alimentaire n'a jamais été aussi sûre, la succession de tous ces scandales depuis plusieurs mois, ça finit par jouer, par peser sur la confiance des consommateurs…

- “Oui.”

Q - … est ce que vous le ressentez dans les chiffres, par exemple sur la consommation ?

- “Dans les chiffres un petit peu mais plus après la crise de la dioxine. C'est plus la dioxine et tout ce qui a pu être dit. Et, même si ce n'était pas une affaire typiquement française, c'est là qu'on a senti vraiment une baisse de la consommation et les producteurs de poulets sont d'ailleurs très inquiets comme les producteurs d'oeufs. Il y a vraiment eu une baisse importante de consommation. Et c'est reparti pendant l'été. Bon. Il faut attendre, on ne peut pas se baser sur des chiffres de quelques semaines. Mais ce que je voudrais dire quand même c'est qu'on a maintenant des pratiques qui sont très codifiées pour fabriquer les aliments du bétail, que les boues des stations d'épuration qui sont des boues de stations à l'intérieur d'usines elles-mêmes, ne peuvent plus être utilisées. Pendant des décennies et des lustres, on a utilisé des déchets d'animaux pour nourrir les animaux dans les cours, etc. Voyez c'est un progrès d'enlever ces boues. Le problème c'est de savoir ce qu'on fera des boues en question après.”

Q - Vous avez une réponse ?

- “Nous sommes en train. Pour les déchets à risques, nous venons d'ouvrir les enveloppes d'un appel d'offres publiques sur performance qui a été fait en France pour détruire dans des fours qui vont être très modernes, très performants, les déchets à risques. Nous pensons, en France, que dans la mesure où nous prenons des décisions de ne plus réutiliser des boues, d'enlever les déchets à risques, etc. nous devons aussi aller jusqu'au bout de la chaîne et détruire. Et je pense qu'au niveau européen nous sommes en avance. Je crois que si, au niveau européen, le débat est largement ouvert et médiatique, il faudra aussi qu'on se pose des questions au niveau mondial. Quand on va commencer les discussions sur l'organisation mondiale du commerce il va falloir qu'on soit aussi exigeants pour les pays hors-Europe que pour les pays européens.”

Q - Votre actualité, c'est également le double affichage qui se met en place tout doucement, notamment dans les grandes surfaces. Croyez-vous vraiment à l'efficacité de cette mesure ? Va-t-elle faire remonter les cours parce que c'était bien l'objectif de départ ?

- “C'était ça l'objectif. Les agriculteurs l'ont demandé lors de l'élaboration de la loi d'orientation agricole, c'est l'article 71 qui est un article d'initiative parlementaire que les parlementaires ont voté à l'unanimité. L'objectif est de pouvoir faire un double affichage en cas de crise pour voir quelle est la différence entre le prix payé au producteur et le prix du consommateur. C'est une mesure qui est facile à mettre en place dans les grandes centrales d'achats, dans la grande distribution, plus difficile dans la petite distribution parce qu'il y a beaucoup d'intermédiaires mais le but c'est bien la transparence, ce n'est pas de jouer sur le marché. On veut informer le consommateur pour qu'éventuellement il ait des comportements de discussions sur un prix mais ça ne peut pas être miraculeux. C'est une mesure d'explication mais ça n'est pas miraculeux pour les marchés.”

Q - Ce n'est pas ça qui fera remonter les cours ?

- “Avec J. Glavany, c'est ce que nous avons décidé de faire parce que les crises se répètent maintenant tous les ans. On ne peut pas parler de crise, ça devient vraiment un phénomène structurel. Le problème des fruits et légumes en France, c'est de bien travailler avec les producteurs et les distributeurs. Il y a une table ronde prévue en septembre au cours de laquelle on va vraiment travailler point par point pour regarder ce qui peut être amélioré dans les marchés. Il ne faut pas laisser dire ou penser que la crise n'est due qu'à une politique commerciale ou qu'aux commerçants français. Le problème n'est pas là, même s'il y a des comportements à corriger. La grande distribution ou la moyenne distribution dans certains cas, avec certains acheteurs ont des comportements que nous ne pouvons pas accepter parce qu'elles mettent certains producteurs à genoux. La grande distribution va discuter avec nous là-dessus pour que les acheteurs mettent derrière eux un certain nombre de pratiques.”

Q - Quand vous voyez les grands groupes qui mettent en place des méga-centrales d'achat, ça n'est pas de bon augure dans votre esprit ?

- “C'est un problème parce qu'on passe de l'oligopole au futur monopole et effectivement c'est un souci. Je ne cacherai pas que chacun se pose des questions sur le fait que s'il ne nous reste que trois-quatre centrales d'achat, ça va être un peu plus difficile pour travailler dans de bonnes conditions. En revanche, ce sera aussi une source de grande clarté, c'est-à-dire que quand on ira chercher un problème, on le trouvera tout de suite. Il y a à la fois des avantages et des inconvénients. Ce qu'il faut surtout, c'est que les producteurs et les distributeurs se parlent pour qu'on puisse enfin mettre sur la table ce qui peut améliorer la bonne tenue des marchés parce que beaucoup de choses sont dites et souvent ne sont pas exactes.”

Q - Par exemple ?

- “Par exemple qu'il y a une marge extrêmement importante, cachée, qui a été pratiquée à tel ou tel endroit et ce n'est pas forcément exact. Alors quand je vais voir le distributeur en disant : « Vous avez fait tel ou tel type de proposition illégale à votre producteur » et que ce n'est pas vrai, c'est un coup d'épée dans l'eau et on perdu du temps. Ce qu'il faut, c'est qu'on regarde bien ce qui n'est pas acceptable, ce qu'on peut discuter, parce que la grande distribution comme la moyenne distribution a besoin de producteur français donc elle n'a pas un intérêt à ce que tous les producteurs se cassent la figure. Il faut qu'on discute sur : comment on règle les problèmes de crise, comment on pratique des promotions fortes lorsqu'il y a une surproduction sur quelques jours, comment on règle le problème le plus difficile, à savoir l'arrivée en même temps d'une production française et d'une production européenne, etc, cela demande un travail au fond.”

Q - Qu'est ce qui vous permet cette année de pouvoir régler ce problème qui, vous l'avez dit, est structurel ?

- “Je n'ai pas dit qu'on allait le régler… On essaye d'améliorer les choses. L'année dernière quand on a fait cette première réunion avec l'interprofession et la distribution, il y a deux ou trois gestions de crise qui n'ont pas été mauvaises. On a vu qu'on a réussi à améliorer les choses même si ce n'était pas spectaculaire. Il y a aussi de la part des producteurs un gros travail qui est fait en ce moment sur des appellations d'origine, sur la qualité, sur des engagements. Il n'y a pas que la distribution à régler, il y aussi le problème de la production. Producteurs et distributeurs peuvent au moins analyser le pourquoi des crises actuelles qui sont trop répétitives pour qu'on considère simplement que ce sont des crises et qu'on en sortira. On est dans un problème structurel. Il faut qu'on prenne du temps. Le double affichage a été un moment demandé par les agriculteurs eux-mêmes mais c'est simplement un moment dans cette élaboration qui ne sera pas simple. Ni J. Glavany ni moi ne pensons qu'en quelques semaine on va tout régler.”


OUEST-FRANCE : Mardi 31 août 1999

Q - Ouf ! Pas de gros pépins pour le consommateur durant ces vacances ?

Globalement, je suis assez contente, même si le nombre de restaurants fermés (31) reste quasi identique à l'an passé. En un an, le nombre de procès verbaux dressés par l'administration pour les habituelles infractions (2 690 en fin de semaine passée) est tombé de 14,1 % des contrôles à 12,7 %, ce dont bien entendu je me félicite. Parmi les anomalies importantes je note, une fois encore, les centres d'activité sportives et de loisirs : 20 ont été fermés pour des questions d'implantation, d'entretien, ou d'encadrement. Ce que je trouve le plus répétitif et inacceptable, le plus grave, ce sont les ventes avec dates de péremption dépassées.

Q - Il y a des phénomènes nouveaux ?

Peut être la montée de nouvelles soldes massives, en déstockage ou à la suite de faillites, etc. On trouve là des comportements commerciaux dangereux. On a dû, par exemple, saisir dans ce circuit de distribution des bouées qui avaient été interdites à la vente. Il va falloir clairement être plus vigilant, organiser plus de contrôles. Mais ce qui m'importe le plus, c'est d'accentuer la pédagogie. Il y a des gens précautionneux qui ne nettoient pas leurs frigos, en toute bonne conscience. Trop de restaurateurs qui ne comprennent pas l'intérêt de l'affichage du prix des trois vins les plus couramment servis.

Q - On vous a peu entendue sur la question du double étiquetage des fruits. Vous auriez fait la même chose que le ministre de l'Agriculture ?

Il était difficile de ne pas appliquer une loi récemment adoptée et réclamée par les agriculteurs. Ils n'auraient pas compris. Moi, ce qui m'inquiète dans ce dossier c'est qu'il pose plus de problèmes aux petits commerçants (qui en ont déjà beaucoup) qu'à la grande distribution. Par définition, un petit commerçant est toujours obligé de faire plus de marge pour s'en tirer.

Q - Quelles leçons tirez-vous, aujourd'hui, de l'affaire Coca-Cola ? Bruxelles a critiqué votre attentisme ?

Ce serait à refaire, je referais la même chose en termes de recommandation publique. Simplement, j'irais plus vite du côté de l'entreprise, non seulement pour réclamer des informations mais aussi pour les aider. Je chercherais à gagner du temps, car ça a été un peu long pour obtenir les résultats des analyses. Voilà pourquoi, avec le ministère de l'Agriculture, on est décidé à agréer plus de laboratoires de contrôle. L'idéal serait de mettre en place un réseau européen. L'autre leçon que je retiens, c'est que les entreprises doivent être très très pointues sur la traçabilité des produits. Il faut qu'elles soient capables de dire très vite où se trouve tel ou tel lot. Dans leur propre intérêt. Il y a des contaminations qui n'ont pas fait les titres des journaux, parce qu'on a su rappeler les produits tout de suite.

Q - L'affaire des déchets toxiques est derrière nous ?

J'ai été très choquée par l'attitude du journaliste allemand qui a relancé cette affaire. Je n'ai pas compris. Maintenant, l'affaire n'est pas terminée. Nous allons dresser des PV à ceux qui ont continué à utiliser des boues de station d'épuration. Mais le vrai souci qu'on a devant nous c'est le devenir des boues, des déchets industriels. Ou va-t-on les mettre ? Qu'en faire ? Peut-on tout incinérer sans risque ? C'est un vrai sujet, comme le montre le problème des stocks de farines animales en Bretagne