Texte intégral
Q - La majorité est secouée depuis plusieurs semaines par des polémiques, initiées par Daniel Cohn-Bendit et ses amis. Croyez-vous menacés l'équilibre de la majorité plurielle et sa cohésion ?
Jean-Claude Gayssot. Les polémiques ne sont pas utiles dès lors qu'elles ne portent pas sur le problème de fond : comment réussir une vraie politique progressiste, comment résister aux fortes pressions du modèle libéral, d'où qu'elles viennent ? Mais que des différentes s'expriment, qu'il y ait débat dans une majorité plurielle, c'est naturel. Si nous travaillons avec ces objectifs, je ne crois qu'il y ait des menaces ou des risques pour la majorité.
Il est normal qu'à mi-parcours de la législature, en examinant ce qui a été fait et ce qui reste à faire, il y ait une recherche des choix susceptibles de conforter, d'amplifier l'action sur les objectifs fixés dès l'origine à ce gouvernement, et que je résume ainsi : lutte pour l'emploi, solidarité, justice sociale et efficacité économique.
Je lisais ces derniers jours Laurent Fabius expliquant que ce n'est pas la droite qui risque de nous battre, mais les impôts. Personnellement, je pense que c'est sur la mise en oeuvre et le bilan global d'une politique de gauche, sur les trois thèmes mis en avant, que la majorité sera jugée. On ne pourra pas expliquer aux électeurs, au terme des cinq années, que nous venons juste d'arriver. Soit dit en passant, je crains qu'à tout suspendre à de prochaines échéances électorales, on risque de ne pas bien travailler. Les soubresauts qui peuvent accompagner Cohn-Bendit m'apparaissent donc secondaires, si je les ramène aux enjeux qui sont les nôtres.
Q - Mais les remarques formulées par les communistes ces dernières semaines semblent d'abord viser les Verts, et épargner les socialistes...
Jean-Claude Gayssot : Il ne s'agit ni de viser ni d'épargner. Vous savez, au lendemain des législatives, l'ensemble des composantes de la majorité plurielle a voté en faveur du discours de politique générale présenté par Lionel Jospin. La question est de savoir aujourd'hui, face aux objectifs qui ont été assignés et tout en laissant à chacun le droit de s'exprimer - non pour détruire mais pour construire -, comment faisons nous en cette mi-temps pour amplifier, développer et éventuellement modifier certains, aspects. Par exemple, allons-nous continuer à accréditer l'idée que la privatisation est la seule réponse au développement moderne ? Je pense que non, et je souhaite que cette question soit examinée avec sérénité avec la volonté de réussir, dans le rassemblement et l'union des forces de gauche, de progrès et écologistes.
Q - Le nucléaire est apparu comme une pomme de discorde. Comment gérer ce différend ?
Jean-Claude Gayssot. C'est vrai, on a entendu certains, qui réclamaient au même moment des ministres de plus, menacer de partir si leur position n'était pas adoptée. Ne tournons pas autour du pot : le nucléaire est un enjeu de société qui touche à l'économie, la croissance, à l'indépendance, et évidemment à l'environnement. Si la France n'avait pas cette contribution du nucléaire à sa production énergétique, nous ne serions pas le meilleur élève des pays développés dans l'action contre l'effet de serre qui est une des menaces les plus graves qui pèsent sur la planète. Je ne pense pas pour autant qu'il faille décréter : circulez, il n'y rien à voir. Personne ne niera que le choix du nucléaire civil - il faudrait d'ailleurs évoquer plus souvent les dangers du nucléaire militaire - mérite d'être réfléchi. Mais pas en termes manichéens, exigeant des réponses par oui ou par non, pas en nourrissant des peurs ancestrales ou artificielles. Mais la maîtrise de cette énergie, les conditions de sécurité, le fonctionnement du service public, d'efficacité économique, d'indépendance et de croissance doivent être débattus. Dans un vrai débat national qui évoque aussi la diversification. Je ne suis ni pour le tout-nucléaire, ni contre le nucléaire.
Q - Un excédent budgétaire de 30 à 35 milliards de francs est annoncé. Ne pourrait-il pas être l'occasion pour le gouvernement d'un coup de barre à gauche ?
Jean-Claude Gayssot. Les rentrées fiscales qui font cet excédent se réalisent maintenant. Certains proposent d'attendre le budget 2000 pour les prendre en compte. J'ai envie de dire voyons ce que nous pouvons en faire dès le collectif budgétaire 1999. Certains proposent de réduire les impôts pour tout le monde. Une telle mesure réjouirait la droite qui en fait un cheval de bataille, et l'extrême droite qui veut supprimer les impôts. Franchement, quand je regarde le partage des revenus en 1998 - les salaires ont augmenté de 4 %, les revenus du capital notamment foncier de 7 %, les revenus des plus-values financières de 20 %, et la Bourse caracole à 30 % -, j'estime qu'il est des gens qui peuvent payer plus. Je pense notamment à un renforcement de l'impôt sur les grandes fortunes et à la taxation de la spéculation.
En revanche, une réforme de la fiscalité afin qu'elle soit plus juste, plus légère pour ceux qui n'ont que leur travail ou les économies de leur travail pour vivre, me paraît nécessaire. Nous avons déjà obtenu en 1997, avec Louis Besson, que cette taxe soit abaissée de 20,6 % à 5,5 % sur les travaux de réhabilitation du logement social. Mais dès ce moment-là j'ai souhaité que cette réduction de la TVA soit étendue à tous les travaux d'entretiens publics et privés. Une telle mesure permettrait une véritable économie pour tous ceux qui ont des travaux à faire, ferait reculer le travail au noir et participerait à la bataille pour l'emploi.
On peut aussi réfléchir à d'autres mesures. Par exemple, après le blocage des loyers HLM décidé pour deux ans, la suppression du droit de bail ferait économiser 600 francs par an en moyenne aux locataires. Le moment n'est-il pas venu aussi de réformer la taxe d'habitation - foncièrement injuste comme la TVA puisque les plus faibles revenus doivent la payer ?
Q - Concernant la justice sociale, ne peut-on donner un coup de pouce aux minima sociaux et aux bas salaires lors des négociations collectives ?
Jean-Claude Gayssot. Le premier ministre m'a confié, avec louis Besson, la responsabilité d'élaborer un projet de loi qui va concerner l'urbanisme, l'habitat, et les déplacements dans les grandes agglomérations. N'y a-t-il pas quelque chose à faire pour aider les collectivités locales dans la lutte contre l'exclusion, les ghettos, pour favoriser la mixité sociale et l'essor des transports collectifs. Ou bien encore pour favoriser le transport ferroviaire des marchandises alors que tout le monde déplore l'hypertrophie du trafic routier ?
C'est de la sorte que j'entends participer activement à un débat qui me semble tout à fait légitime au sein d'un gouvernement pluriel.
Q - Les communistes ne seraient donc pas les béni-oui-oui de la majorité ?
Jean-Claude Gayssot. Certains disent aussi que les communistes avalent des couleuvres. Ce serait le cas, si nous étions allés au gouvernement avec l'illusion qu'il appliquerait la politique du PCF. Personne ne l'a eue. Mais soit par modestie, soit parce que nous regardons d'abord l'ampleur de ce qui reste à construire, nous ne mettons pas assez en valeur notre apport à la politique gouvernementale. Ainsi à la SNCF. Alors qu'elle avait perdu 80 000 emplois, elle va procéder à 25 000 embauches. Alors que le transport ferroviaire était, à l'exception du TGV, délaissé, nous régénérons des lignes, et pas seulement Béziers-Neussargues, liaison à laquelle je suis par mes origines particulièrement attaché. Le logement social était voué à l'abandon, maintenant on travaille à le développer. Voyez les progrès enregistrés par le tourisme avec Michelle Demessine. Ou dans le domaine de la jeunesse et des sports avec Marie-George Buffet.
Q - Vraiment, ce n'est pas la politique de Juppé qui est poursuivie.
Jean-Claude Gayssot. Les communistes sont attachés à la réussite de cette majorité, et ne croient pas y parvenir par des polémiques ou des coups politiciens. En revanche, ils avancent des propositions et agissent pour mobiliser. Ainsi Robert Hue a-t-il mis l'accent sur le relèvement de l'impôt sur les grosses fortunes et celui des minima sociaux, la taxation des mouvements de capitaux spéculatifs, sur l'obtention de droits nouveaux pour les salariés dans les entreprises - notamment à l'égard des licenciements. Sur ces sujets, il y a de belles batailles à mener, et je constate que la pétition nationale que proposent actuellement les militants va dans le sens de mobilisations populaires en faveur de l'enrichissement de la politique conduite, de son ancrage à gauche.
Q - Retour à vos dossiers ministériels : l'été se termine, et vous vous félicitez d'une baisse de 14 % du nombre de morts sur les routes. Peut-on considérer ce résultat comme un acquis durable, ou bien d'autres efforts sont-ils nécessaires pour conforter cette amélioration ?
Jean-Claude Gayssot. Ce bilan provisoire établi par la gendarmerie pour le mois de juillet n'est évidemment pas négligeable. Il est pour une part le résultat de la campagne télévisuelle plus réaliste, la mobilisation des forces de contrôle, et de la loi dont deux volets - le délit de grande vitesse et la responsabilité des propriétaires - sont désormais appliquées. Je me garderais bien cependant de considérer que la partie est gagnée. C'est une oeuvre de longue haleine que de modifier les comportements. Nous allons poursuivre l'effort et l'an 2000 fera de la sécurité routière la grande cause nationale. Permettez-moi d'ailleurs, à la veille d'un week-end de grands retours, d'inciter à limiter sa vitesse, de respecter les espacements, la sobriété, les repos... En résumé, d'appeler à une conduite apaisée.