Interview de M. Hervé de Charette, ministre du logement, à France Inter le 4 juin 1993, sur le plan de relance du bâtiment.

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Média : France Inter

Texte intégral

M. Denoyan : Bonsoir.

Les Français continuent à faire confiance au Gouvernement ; la lecture des sondages montre que malgré le flot de mauvaises nouvelles qui tombent pratiquement tous les jours, que ce soit sur les perspectives de croissance négative pour 1993 ou les conséquences de la délocalisation des activités de production vers les pays du Tiers-Monde, rien n'atteint en ce moment le crédit d'Édouard Balladur.

L'Europe entre dans la récession et le pays, inquiet, attend beaucoup du plan de relance de l'activité, dont la partie logements est sans doute un des piliers forts. Pourtant, déjà, des petits couacs se font entendre dans la majorité, que ce soit sur le Plan 2000 de François Léotard pour l'Armée française ou la défiscalisation de la CSG.

Invité d'Objections ce soir : monsieur Hervé de Charette, ministre du logement bien sûr, mais Délégué Général des Clubs Perspectives et Réalités.

Monsieur le ministre, bonsoir.

M. de Charette. Bonsoir.

M. Denoyan : On a le sentiment à l'écoute des responsables actuels, que la situation est de plus en plus compliquée. Il n'est pas de jour où une information, un rapport, ne vienne obscurcir un peu le paysage. Hier, c'était le Rapport du Sénateur Jean Arthuis qui, avec l'étude qu'il a faite sur les fameuses délocalisations des activités industrielles, semble nous dire que le problème de la résolution du chômage et de la perte de l'emploi en France, c'est quand même une affaire de longue haleine.

M. de Charette : Oui, c'est évidemment une affaire très importante, très sérieuse, parce que nous sommes en face, me semble-t-il, de deux crises : une crise conjoncturelle et une crise qui est plus structurelle, une crise de court terme dont on peut sortir et dont on voit bien dont on peut sortir et une crise plus longue, plus profonde, qui atteint d'ailleurs non seulement la France, mais l'Europe. La crise conjoncturelle, chacun la ressent et la voit ; l'Europe toute entière est atteinte de langueur.

Et en France, je crois qu'il s'y ajoute quelque chose qui est ce que je serais tenté d'appeler une sorte de déprime collective. Et comme la vie économique d'un grand pays moderne…

M. Denoyan : Que le changement de majorité ne semble pas avoir guérie.

M. de Charette : Vous n'avez pas tort, mais l'affaire n'est pas simplement politique ; elle intéresse l'ensemble du comportement des acteurs économiques, qui n'ont pas de raison de changer d'attitude du jour au lendemain parce qu'ils ont un nouveau député ou un nouveau gouvernement.

Cette espèce de déprime collective à une grande importance dans un pays moderne pour une raison simple : c'est que l'activité économique dépend un peu des grandes décisions nationales qui sont prises, mais beaucoup des millions de décisions individuelles que nous prenons. Selon que nous avons le moral ou pas, que nous faisons des prévisions optimistes ou pas pour l'avenir, qu'on craint ou pas pour l'emploi, on va décider de changer sa voiture, on va décider de faire un projet de vacances plus coûteux que d'ordinaire, on va décider peut-être – et cela me concerne beaucoup – de s'acheter un appartement, de régler durablement son problème de logement. Si l'on fait une anticipation plutôt inquiète et pessimiste sur l'avenir, on est précautionneux, on épargne davantage qu'on agit.

Et cet effet a un effet de spirale, d'entraînement. C'est pourquoi le principal message que je ferai passer aujourd'hui à l'égard de celles et ceux qui nous écoutent c'est-à-dire : "C'est le moment d'y aller, notre pays a la capacité de faire face pourvu que tous ensemble nous marquions notre volonté, notre détermination et notre ardeur".

M. Giesbert : C'est justement le sens de ma question : le chômage continue à progresser, les Français doivent se serrer la ceinture, ils sont de plus en plus pessimistes, ou en tout cas ils le sont toujours. Comment est-ce que vous pouvez, dans ces conditions, leur redonner le goût de la pierre ?

M. de Charette : D'abord le goût de la reprise : je crois qu'aujourd'hui c'est le moment pour nos compatriotes de comprendre que si, en effet, nous subissons les conséquences négatives d'une situation qui est derrière nous, nous avons entre les mains le moteur de la consommation nationale. C'est à nous de…

M. Giesbert : Vous n'avez pas le sentiment qu'il faut une reprise avant qu'ils retrouvent le goût de la pierre ? C'était le sens de ma question, pour être plus clair.

M. de Charette : Pour ce qui concerne le logement, la question que vous posez est une question forte et d'ailleurs c'est bien pour cela que le Gouvernement a voulu un plan de relance du logement qui soit un plan ambitieux.

M. Giesbert : Oui, mais dans les conditions d'abattement actuelles, je parle d'abattement moral et psychologique…

M. de Charette : Ce n'est pas l'abattement fiscal…

M. Denoyan : On y reviendra tout à l'heure, à l'abattement fiscal.

M. Giesbert : Il y en a, des abattements fiscaux, mais je parle de l'abattement moral, on voit mal les gens en ce moment engager des dépenses pour l'avenir sur des logements.

M. de Charette : Oui, c'est l'une des difficultés auxquelles nous avons à faire face. J'ai tenu compte de cette situation en demandant, et je crois en obtenant, un plan de relance du logement qui soit un plan fort, ambitieux, coûteux d'ailleurs pour les pouvoirs publics et qui a…

M. Giesbert : Ce n'est pas le premier, vous savez ; il y a souvent des plans emploi, des plans pour le logement…

M. de Charette : En matière de logements et de bâtiments, je fais appel à votre mémoire, il n'y a pas d'exemple au cours des 25 dernières années qu'on ait fait aussi bien, aussi loin, aussi fort, en faveur du logement.

Mme Ardisson : Comment expliquez-vous qu'un Gouvernement qui veut fonder son action économique sur la restauration de la confiance, annonce sans sourciller qu'il y aura 350 000 chômeurs de plus à la fin de l'année et qu'on va fermer tel ou tel site, industriel ou militaire ? Est-ce que ce n'est pas très exactement le contraire de ce qu'il fallait faire pour redonner le moral aux Français ?

M. de Charette : Je crois qu'il est impossible aujourd'hui, dans un pays comme le nôtre, qui est un pays où la maturité politique, le degré d'information, la connaissance des choses sont réels et profonds, je crois qu'il est impossible de penser qu'on peut relancer ce pays en lui racontant les balivernes. Il faut lui dire la vérité et c'est parce qu'on regarde la vérité en face que nous sommes capables de la surmonter. On a des problèmes, on est assez grand, on est assez riche, on est assez fort, collectivement j'entends, pour pouvoir gagner toutes ces batailles. Mais la première chose à faire…

Mme Ardisson : Justement, le pire n'est jamais sûr, ce n'est peut-être pas la peine de l'annoncer…

M. de Charette : La première chose à faire, c'est de dire la vérité et la vérité, c'est celle que nous connaissons. D'ailleurs ce n'est pas le Gouvernement qui a annoncé qu'il y aurait 350 000 demandeurs d'emploi en plus…

Mme Ardisson : Si, c'est monsieur Giraud.

M. de Charette : … c'est l'INSEE. Annette Ardisson, vérifiez, c'est l'INSEE qui l'a annoncé. C'est une donnée qu'on peut considérer comme objective…

M. Denoyan : Prévisionnelle en tout cas…

M. de Charette : Voilà… Sachant quel est l'obstacle à franchir, c'est à nous désormais de nous battre pour que nous puissions réduire ce chiffre d'ici la fin de l'année et en ou cas inverser la tendance à partir de la fin de l'année et du début de l'année prochaine. Et c'est ce qui va se passer, je vous l'annonce.

Je vois bien qu'aujourd'hui l'esprit est au noir, mais je vous invite, et j'invite vraiment ceux et celles qui nous écoutent, à considérer que désormais la France est partie et engagée dans une bataille, qu'elle a rassemblé les moyens pour la gagner et qu'elle a toutes les raisons d'exprimer aujourd'hui son optimisme.

M. Brocard : Est-ce que les abattements fiscaux prévus pour acheter un logement sont suffisants pour inciter les Français à acheter ?

M. de Charette : Monsieur Brocard, est ce que vous me permettez en quelques instants, Gilbert Denoyan aussi bien sûr qui anime cette émission, de revenir en quelques mots sur la philosophie de ce plan pour le logement.

Il repose sur quatre idées : la première, c'est qu'il est grand temps de relancer l'accession sociale à la propriété. Je crois que c'est en effet un droit et en tout cas un objectif de permettre à chacun en France, y compris ceux qui ont des revenus moyens et modestes, de devenir propriétaire de son logement s'il le souhaite. Donc nous prenons des dispositions pour cela.

En second lieu, un grand nombre de Français, 4 millions de foyers, sont des locataires de propriétaires privés, 4 millions de foyers, ce qui fait environ 10 millions de Français qui sont logés comme cela. Il ne faut pas que ce secteur diminue ; or il diminue, c'est-à-dire qu'un certain nombre de propriétaires, parce qu'on a matraqué fiscalement l'immobilier, même modeste, s'éloignent, renoncent, vendent, même laissent leur petite maison de campagne vide. Il faut faire revenir vers la pierre, vers l'investissement pierre.

M. Brocard : Est-ce que les mesures prises sont suffisantes ?

M. de Charette : Franchement, je crois que oui. N'étant pas sourd et pas aveugle, j'entends et je lis ce que demandaient un certain nombre de professionnels, et ils étaient dans leur rôle de demander le maximum. Mais je crois pouvoir dire que toutes les grandes organisations professionnelles du bâtiment, de la promotion, de la vente dans l'immobilier, se sont prononcées en faveur de ce plan, et pour la raison que je disais tout à l'heure à Franz-Olivier Giesbert : c'est la première fois qu'on inverse la tendance. Quand vous regardez la fiscalité de l'immobilier depuis 15 ans, elle n'a pas cessé de se dégrader, au point qu'aujourd'hui, pour investir dans l'immobilier, il fallait faire preuve d'un esprit de civisme ou d'un attachement à la pierre passionné… Donc nous changeons…

M. Brocard : Est-ce que ce n'est pas trop timide ?

M. de Charette : Non, franchement non. Je prends un exemple…

M. Denoyan : Monsieur de Charrette, je voudrais simplement dire qu'en 1986, lors de la première cohabitation, il y avait eu la loi Méhaignerie qui permettait selon les circonstances, qu'on soit un couple avec enfants, sans enfant, un certain nombre d'avantages fiscaux relativement satisfaisants. On ne retrouve pas cette même ouverture… Vous me direz que la loi Méhaignerie continue, qu'elle a été votée au Parlement avant même le changement de majorité, mais il n'y a pas de votre part, vous nouvelle majorité, une incitation fiscale aussi stimulante que celle que contenait la loi Méhaignerie.

M. de Charette : Excusez-moi, monsieur Denoyan, je vais contredire cela.

M. Denoyan : Allez-y, allez-y.

M. de Charette : N'y voyez rien de désagréable, mais je vais contredire ce que vous avez dit. Quel était le problème en 86 ? Il était que l'investissement dans la pierre avait été bloqué par la Loi Quilliot, qui régissait les rapports entre les propriétaires et les locataires dans les conditions telles que tous les propriétaires en avaient été découragés. Il y avait donc eu un effondrement des prix, tout le monde s'était retiré de tout cela, il n'y avait plus de propriétaires disponibles.

Donc la principale démarche de Pierre Méhaignerie, qui a été un très remarquable ministre de l'Équipement et du Logement, a été, grâce à sa Loi Méhaignerie, de modifier et de rééquilibrer les rapports propriétaires/locataires. C'est fait. Il y a ajouté quelques avantages fiscaux, dont je me permets de dire que 1) nous les maintenons…

M. Denoyan : Et vous les maintiendrez dans la…

M. de Charette : Oui, bien entendu, et 2) le problème aujourd'hui n'est plus dans la question des rapports entre les propriétaires et les locataires, où l'équilibre vaille que vaille est à peu près trouvé, mais le problème est maintenant dans le rétablissement de la neutralité fiscale de l'investissement dans la pierre par rapport à tout autre investissement à long terme. Donc nous revenons en arrière.

Je vais donner des exemples. La plus-value mobilière, elle était amortie en quelque sorte en 32 ans ; elle le sera désormais, conformément aux demandes des professionnels, en 22 ans. La capacité de déduire les déficits fonciers du revenu global, c'est fait ; c'est plafonné naturellement parce qu'on ne peut pas…

M. Brocard : Justement ce chiffre-là est controversé ; on trouve que c'est trop faible.

M. de Charette : Il y a toujours des gens pour trouver que c'est trop faible. Moi je pense que c'est juste et que cela convient pour la relance du bâtiment.

3) Pour les travaux, mesure fiscale qui permet de déduire 20 000 francs de travaux de sa déclaration de revenus : c'est une mesure qui coûte presque un milliard de francs, ce qui prouve que cela marche.

4) L'exonération des droits de succession pour tout achat d'un logement neuf entre le 1er juin et le 1er juillet de l'année prochaine, qui est une mesure très intéressante, et je vais donner un exemple…

M. Denoyan : Qui n'est pas à la portée de toutes les bourses, si vous me permettez, monsieur de Charette, parce que…

M. de Charette : C'est à la portée de toute personne qui veut acheter sa maison.

M. Denoyan : Mais dans la Région Ile-de-France, tout le monde connaît le prix d'accession à la propriété. Je voudrais revenir entre ce que vous avez décidé…

M. de Charette : Monsieur Denoyan, il faut quand même ne pas décourager ceux qui nous écoutent.

M. Denoyan : C'est une donnée objective : le prix de l'acquisition en Région Parisienne a été décuplé en l'espace de quelques années.

M. de Charette : Autrement dit, vous trouvez que la déduction n'est pas assez forte ?

M. Denoyan : Je pense surtout que le plan sur lequel vous vous appuyez aujourd'hui est un plan qui vise à déstocker un peu le parc immobilier, notamment en Ile-de-France, mais qu'il ne sera pas en contrepartie, comme l'avait été la Loi Méhaignerie, une incitation à la construction, c'est-à-dire qu'on a un parc immobilier extrêmement important, dont on ne sait que faire aujourd'hui, qui est invendu ; cela va peut-être permettre d'en déstocker quelques-uns, mais cela ne va pas aider à la construction, donc au retour à l'emploi dans ce type d'activité.

M. Giesbert : Pourquoi la limite n'a-t-elle pas été fixée à 500 000 francs par exemple ?

M. de Charette : Je vais vous donner un exemple : en matière de droit de succession, c'est 300 000 francs par part. Monsieur Giesbert, vous êtes marié, vous avez 2 enfants, vous avez un peu d'épargne, votre ambition est d'acheter 2 appartements pour pouvoir les donner à vos enfants dans 5 ans. L'exonération qui va résulter du collectif budgétaire vous permettra d'y consacrer 2 400 000 francs en exonération de droits de succession.

Deux enfants, deux appartements, cela fait 1,2 million par appartement. Pardonnez-moi… Il est vrai que cela ne sera pas facile d'acheter 1,2 million un appartement de 300 m2 dans le VIIème arrondissement de Paris, mais dans la Région Parisienne, vous trouverez sans problème de quoi loger convenablement vos 2 enfants qui en seront très contents. Je vous invite à le faire.

M. Portes : Comment avez-vous accueilli les critiques de l'UDF sur votre plan présenté ? Pas mal de parlementaires de l'UDF ont trouvé ce plan un peu tiède ou, sur certains aspects, ont critiqué les mesures que vous présentiez.

M. de Charette : Je n'ai pas ressenti le débat à l'Assemblée Nationale, comme je ne ressens pas actuellement le débat qui commence au Sénat, comme des critiques, mais comme des apports constructifs. Et lorsque l'Assemblée Nationale, par exemple, aussi bien le groupe UDF que le groupe RPR d'ailleurs, insiste pour que, par exemple soit augmenté le niveau des plafonds des prêts d'accession à la propriété sociale, je m'en félicite et je m'en réjouis.

À l'heure actuelle, à la Commission des Finances du Sénat, je sais qu'il y a des projets d'amendement pourra aller encore plus loin. Loin d'y trouver un élément de contestation, j'y vois un élément de discussion, de progrès. Ensuite, il appartient au Gouvernement de voir jusqu'où on peut aller. Je répète qu'il est naturel qu'on demande ; rien n'est plus simple que de demander. Mais celui qui a la charge de la décision pourra arbitrer avec une situation financière qui est ce qu'elle est, et on essaie d'aller le plus loin possible. Je crois franchement que dans le plan logement on n'a jamais fait mieux.

M. Denoyan : Monsieur de Charette, on voit bien les avantages que pourront en tirer les particuliers, on voit bien aussi les avantages que vont pouvoir en tirer les professionnels de l'immobilier, puisque, s'il y a déstockage, ils pourront renter un peu dans les sommes investies…

M. de Charette : Et reconstruire.

M. Denoyan : Mais il faudrait aussi, comme disait tout à l'heure Franz-Olivier Giesbert, que la confiance revienne et qu'il y ait une volonté de participer à l'activité économique…

M. de Charette : Dès que les stocks seront vides, la reconstruction démarrera.

M. Denoyan : On verra que les patrons, et vous le voyez comme nous, que les patrons n'ont pas l'air tout à fait décidés à se lancer dans l'affaire en ce moment. Vous vouliez, à travers ce plan logement ramener à peu près 20 000 emplois dans cette activité, grosso modo…

M. de Charette : Non, beaucoup plus que cela…

M. Denoyan : Mais dans l'année qui vient, j'entends…

M. de Charette : Dans les 12 mois qui viennent, mon objectif est de passer de 250 000 logements/an, qui est le rythme actuel, le plus faible qu'on ait connu depuis la guerre – c'est vous dire l'ampleur du désastre ! – à plus de 300 000 et, si possible dans le délai d'un an, à 320 000 ou 330 000.

Si on y parvient, c'est assez facile de faire les comptes, dans ce métier qui emploie 1 500 000 personnes, qui concerne à la fois des très grandes entreprises dont je ne cite pas les noms, qui sont des majors au niveau mondial, et puis des entreprises moyennes et des toutes petites ; le tissu est diffus sur l'ensemble du territoire, il n'y a pratiquement pas de commune de France où il n'y ait pas un artisan du bâtiment. Dans ce tissu extrêmement dense, nous perdons actuellement 10 000 emplois par mois.

Mon objectif est d'arrêter cela et de faire en sorte que le bâtiment non seulement garde ses emplois, mais en recrute à nouveau.

M. Giesbert : Vous avez déjà une opposition et, bizarrement, ce sont beaucoup de patrons. On sent une grande impatience, une incroyable nervosité dans le patronat, vous devez le constater tous les jours, et on entend dire par des chefs d'entreprise qui sont aujourd'hui les principaux opposants à Balladur : "Ce n'est pas assez courageux, il faut aller plus loin, il faut la relance, il faut dévaluer, peut-être refaire 80 (cela ils ne le disent pas…), etc."

M. de Charette : D'abord je ne vais pas devant vous, aujourd'hui, critiquer les chefs d'entreprise.

M. Giesbert : Le Premier ministre ne s'est pas gêné pour le faire.

M. Denoyan : Oui, c'est vrai.

M. de Charette : Je ne vais donc pas le faire. Pourquoi ? Parce que je pense que les chefs d'entreprises… Vous savez, je suis un élu du monde rural, avec beaucoup de petites entreprises dans ma circonscription, de 50 à 100 salariés ; je comprends l'inquiétude, l'angoisse, parce que le chiffre d'affaires, l'équilibre de l'entreprise, la situation de l'emploi, cela n'attend pas. Donc je comprends combien, après 2 ans de décroissance, il y a [MANQUE FIN DE LA PHRASE].

M. Giesbert : On est d'accord là-dessus, mais simplement il y un débat. Où est-ce que vous vous situez là-dedans ? Comment sentez-vous les choses ? J'imagine que vous leur parlez ?

M. de Charette : Bien sûr.

M. Giesbert : Qu'est-ce que vous leur dites ?

M. de Charette : Ce que je leur dis, c'est que le Gouvernement rassemble tous les éléments du succès, prend des risques et que, normalement, nous avons la certitude que les choses vont s'améliorer dans les semaines et dans les mois qui viennent.

Je vous l'ai dit tout à l'heure, le redressement économique d'un pays, cela ne se commande pas comme cela. C'est une nouvelle orientation économique une nouvelle orientation sociale, une nouvelle orientation économique européenne. Tout cela doit nous permettre d'obtenir en effet le redressement de la situation économique.

Mme Ardisson : Sur le même thème, est-ce qu'on peut demander aux patrons de créer tout de suite des emplois, en leur reprochant finalement, implicitement, de ne pas jouer le jeu ? Est-ce que c'est judicieux ?

M. de Charette : Je ne suis pas de ceux qui sont portés à critiquer les entreprises dans la situation où elles sont.

Mme Ardisson : Je ne parle pas des entreprises, je parle de ceux qui les critiquent.

M. de Charette : Je n'ai pas entendu comme cela les attitudes auxquelles vous faites allusion. Les entreprises ont leurs problèmes, elles y font face.

M. Giesbert : Elle voudrait que vous répondiez à Édouard Balladur en fait.

M. de Charette : J'ai bien compris, mais je n'ai pas l'intention de le faire.

Mme Ardisson : J'ai compris que vous n'aviez pas l'intention de le faire.

M. de Charette : En même temps, c'est notre rôle…

Mme Ardisson : Implicitement, vous dites quand même le contraire.

M. de Charette : Mais non, Annette Ardisson, vous ne me verrez jamais dire le contraire de ce que dit et pense le Premier Ministre, naturellement. J'appartiens à un gouvernement, j'en suis solidaire, tout cela est limpide.

Mais dans le même temps, c'est aussi notre rôle que de dire au pays : c'est vrai que cela ne va pas très bien, on comprend qu'il y ait de l'inquiétude des patrons mais aussi l'inquiétude des salariés, permettez-moi de vous le dire, mais ce n'est pas en broyant du noir qu'on va s'en sortir. Maintenant il faut aller de l'avant et, de même que je vais faire moi-même un tour de France dès que les dispositions seront votées pour le plan logement, pour aller en faire, si j'ose dire, la publicité sur le terrain, je pense aussi que c'est un peu le rôle, et je me réjouis d'avoir lu dans la presse que le Président du CNPF avait l'intention d'en faire autant, de dire à ses propres troupes : "C'est le moment d'y aller".

Cela n'empêche pas que chaque entreprise a ses problèmes, ses difficultés, ses souffrances, ces inquiétudes, et après tout, c'est la vie, malheureusement…

M. Brocard : Hervé de Charette, dans Le Figaro ce matin, 84 % des emplois seraient délocalisables dans l'industrie, soit 2 700 000 emplois : est-ce que le protectionnisme n'est pas devenu une nécessité, comme le dit Jean Arthuis ?

M. de Charette : On ne peut pas se laisser aller à dire des choses pareilles… Si vous le voulez, on peut même dire : pourquoi 84 % et pourquoi pas 100 % ? Ce sont des propos que je ne peux pas comprendre. Je ne mets pas en cause l'excellent journal auquel vous avez fait allusion, mais il ne faut pas dire des choses comme celles-là parce que c'est de nature à décourager.

M. Giesbert : Il ne fait que reprendre des informations.

M. de Charette : Bien entendu, c'est pour cela que je ne le critique pas.

M. Giesbert : C'est ce que fait Le Figaro avec une grande objectivité.

M. de Charette : La délocalisation, l'affaire est simple. Si vous me donnez quelques secondes…

M. Denoyan : Allez-y, ensuite nous passerons à l'objecteur.

M. de Charette : L'affaire est la suivante : l'Europe est en effet aujourd'hui dans l'œil du cyclone. Elle est attaquée par des pays qui savent très bien qu'ils ont 10 ou 15 ans devant eux – ils viennent d'Asie généralement, mais quelquefois d'Europe de l'Est – pour s'imposer sur les marchés.

Quel est le marché le plus fort et le plus attaquable ? C'est le marché européen, parce qu'avec 350 millions d'habitants, un pouvoir d'achat élevé, c'est le marché le plus riche du monde, et le plus important, et en même temps c'est celui qui est le moins organisé, parce que l'organisation politique de l'Europe a du retard. Et du coup, bien entendu, c'est vers lui qu'on va : le plus riche, le plus ouvert et le plus fragile, le plus passoire, et par conséquent il n'est pas surprenant…

M. Denoyan : Donc vous vous trouvez confronté aux mêmes problèmes qu'ont eus les gouvernements précédents, depuis quelques années en tout cas ?

M. de Charette : Oui, la différence étant qu'on ne se souvient pas de ce qu'ils ont fait.

M. Denoyan : Oui, mais enfin la concurrence sur le marché européen, les délocalisations, cela avait déjà commencé ; la main-d'œuvre peu chère et les enfants utilisés dans les pays qui amènent des produits sur notre continent et dans notre pays, ce n'est pas nouveau… Vous semblez aujourd'hui, dans cette nouvelle majorité, découvrir cette réalité. On peut s'étonner que vous ne la découvriez que maintenant…

M. de Charette : Je voudrais que vous ayez assisté aux réunions que j'ai tenues, pas seulement aux réunions électorales mais aux nombreuses rencontres que j'ai avec les industriels de ma circonscription. Ce sont des gens qui font de la chaussure et de l'habillement ; vous voyez qu'ils sont au cœur du problème.

Que me disent les industriels de la chaussure ? Ils me disent : "si l'on ne respecte pas les règles, voire si l'on ne les renforce pas – et les règles existent -, en effet nous allons perdre notre chemise. Et la sur la façon de la garder, notre chemise à nous, ce sera d'aller fabriquer ou acheter dans les pays du Tiers-Monde". Voilà ce qu'ils nous disent.

Mme Ardisson : C'est déjà ce qui se passe.

M. de Charette : Oui, bien sûr, et j'ai été ravi d'entendre le ministre de l'Industrie, mon ami Gérard Longuet, dire qu'il était scandalisé que l'Europe, la Commission Européenne, n'assume pas sa fonction qui est de faire respecter les quotas en matière de textile et en matière de textile et en matière de chaussures. Et pour les faire respecter, il faut d'abord avoir le souci de savoir combien passent à travers les frontières, pour pouvoir dire : "Il y a un quota de X, il faut s'arrêter à X et pas au-delà, et s'il est atteint au 1er juillet, on n'importe plus après…".

Voilà les vrais sujets. Là on est sur du concret, du pratique, pas de la philosophie protectionnisme ou pas protectionnisme ; on est sur des vrais sujets.

Objections

M. Denoyan : Objections de monsieur Bernard Poignant. Bonsoir monsieur.

M. Poignant : Bonsoir.

M. Denoyan : Je rappelle que vous êtes maire de Quimper et membre de la nouvelle direction provisoire du Parti Socialiste. Vous écoutez monsieur de Charette…

M. Poignant : Bonjour, monsieur le ministre.

M. de Charette : Bonjour, monsieur le député.

M. Poignan : Je ne le suis plus ; j'ai été battu par l‘un des vôtres.

M. de Charette : Alor monsieur le maire.

M. Poignant : Mais c'est un excellent présage…

M. Denoyan : Les présentations étant faites, vous étant salués l'un et l'autre, peut-on passer à votre objection ?

M. Poignant : J'écoutais monsieur le ministre depuis le début de l'émission. Vous avez eu, avec vos amis, une victoire massive aux élections et, en même temps, la confiance dans l'avenir n'est pas revenue. La question que je me pose, et que je vous pose, et je pense aux députés RPR et UDF de base, ceux qui nous ont battus et qui ont été très nombreux élus, c'est : sur quoi ont-ils fait campagne ?

Ils ont fait campagne en matière de politique économique et sociale, sur trois grands thèmes.

1) Les impôts et les taxes vont baisser, un peu du "promis, juré, on ne les augmentera pas". Et ils se retrouvent avec une batterie de taxes qui augmentent, dont la CSG qu'ils détestent.

2) Ils ont fait campagne sur le thème "les déficits vont être comblés par la confiance, la croissance qui va revenir", comme si cela se décrétait, et ils se retrouvent avec un emprunt de 40 milliards je crois à défendre e à expliquer.

3) Et ils ont fait campagne en répétant probablement ce qui leur était dit sur le thème : "le chômage sera stabilisé en 1993 et diminuera en 1994". C'est dans tous les textes et dans tous les propos, et ils se retrouvent sur ce dernier thème avec 400 000 chômeurs de plus à prendre ; même si c'est l'INSEE qui les prévoit, c'est tout de même le ministre qui a entériné la prévision.

Il est évident que sur ces trois seuls points économiques et sociaux, il y a là une contradiction flagrante et du coup votre électorat, j'ai envie de vous dire vos députés RPR et UDF, est très secoué et certains ne comprennent pas cette contradiction aussi brutale en quelques semaines. Cela ne vous empêche pas de bénéficier d'une bonne popularité dans les sondages, bien entendu, puisque l'élection est récente, mais à terme cette contradiction va finir par éclater et je pense que vos élus, vous-même peut-être, en tout cas les très nombreux députés RPR et UDF, la vivent au quotidien et vont finir par raser les murs.

M. Denoyan : Ce n'est pas cela qui va vous faire de la peine, quand même, monsieur Poignant…

M. Poignant : Je ne dis pas que cela me fait de la peine, mais deux mois après…

M. Denoyan : Quelle est votre question à monsieur de Charette ?

M. Poignant : Est-ce que les difficultés, les incompréhensions, le non-retour un peu de l'espoir, y compris économique et social, ne résident pas aussi dans cette contradiction entre un gouvernement qui prend les mesures que vous savez et que vous avez développées et une campagne qui s'est quand même faite sur d'autres thèmes ?

M. Denoyan : Contradiction ou pas ?

M. de Charette : Quand j'entends monsieur Poignant, je ne suis pas surpris qu'il n'ait pas été réélu. Il a prétendu expliquer quels avaient été les thèmes de campagne de la majorité actuelle quand elle était dans l'opposition ; visiblement, il n'a pas bien lu…

M. Poignant : Je croyais savoir lire…

M. de Charette : Nous n'avons pas cessé, dans cette période électorale, de dire à tous nos lecteurs et à tout instant : "nous ne vous faisons pas de promesses parce que nous savons que les temps sont difficiles". Nous n'avons pas cessé de parler un langage de vérité…

M. Poignant : Vous peut-être, mais c'est loin d‘être le cas de la majorité.

M. de Charette : Non, non, c'était le cas de l'ensemble des candidats et c'était le cas aussi du document qui a été notre plateforme de l'UDF et du RPR pendant cette campagne électorale.

M. Poignant : Pas vraiment…

M. de Charette : Relisez-la c'est que vous ne l'avez pas bien lue.

M. Poignant : Je ne vais encore la relire ; en tout cas, elle n'a pas été comprise comme cela.

M. de Charette : D'autre part, je trouve qu'il y a quelque audace à se plaindre qu'on ait dû augmenter la CSG, quelque audace… Quand je pense à la situation financière qui nous a été laissée… Faut-il rappeler que 450 milliards de franc, à la fois le déficit de l'État, le déficit de la Sécurité Sociale et le déficit de l'UNEDIC, voilà ce que nous avons sur les bras ? On nous a présenté un budget, dont je vous rappelle qu'il prévoyait un déficit de 165 milliards de francs et dont tout le monde voit qu'en réalité ce déficit était truqué, et je peux donner des exemples.

Dans le domaine des allocations logement, nous avons trouvé un manque de 3 milliards. Ce n'était pas compliqué, il n'y avait pas de prévisions compliquées à faire : il n'y a qu'à faire des additions et des multiplications. On sait combien de Français bénéficient de l'APL, c'est extrêmement simple. Il manquait 3 milliards, il a fallu les rajouter.

Et c'est ainsi dans beaucoup d'autres domaines. C'est ainsi que nous nous retrouvons avec un déficit de 450 milliards qui est considérable et qui, en effet, est supérieur à celui que nous avions prévu, c'est la vérité, il faut bien le dire. S'il y avait eu un langage de vérité de la part du gouvernement en place à l'époque, nous n'aurions pas été aujourd'hui dans cette situation. Il en est de même…

M. Poignant : Un mot, si vous le voulez bien, monsieur le ministre…

M. de Charette : Monsieur Poignant, vous me posez une question, il faut me laisser le temps d'y répondre.

M. Poignant : Bien sûr.

M. de Charette : C'était la même chose en matière de chômage. Comment l'INSEE peut–elle annoncer 350 000 demandeurs d'emploi en plus ? C'est parce qu'un certain nombre de décisions sont dans les tuyaux depuis des mois et qu'ils ont été sciemment retardés par le gouvernement précédent, dans les entreprises publiques. Quand on parle du Plan Léotard, après tout, c'est simplement parce que le gouvernement précédent, pendant un an et demi, a tout bloqué et renoncé à tout et qu'il faut bien qu'à un moment il y ait un gouvernement qui prenne ses responsabilités et qui dise la vérité aux Français.

Voilà la situation. Je trouve que les Français aujourd'hui ont envie d'autre chose que d'entendre la polémique entre vous et moi, franchement. Voilà, un peu de modestie de votre part serait la bienvenue.

M. Poignant : Ce n'est pas une polémique.

M. Denoyan : Un mot de réponse, monsieur Poignant.

M. Poignant : Un mot de réponse : je pensais bien que monsieur de Charette ferait le coup de l'héritage. C'est un coup qui marche quelques semaines voire quelques mois…

M. de Charette : Que vous connaissez bien…

M. Poignant : Tout à fait, tout gouvernement qui succèdent à un autre parle vis-à-vis du précédent.

M. de Charette : Vous en avez usé et abusé pendant 12 ans.

M. Poignant : Pas si longtemps que cela… Je lui fais quand même remarquer que c'est un coup qui s'épuise très, très vite, d'autant que les responsables politiques connaissent et savent très bien les situations. Je suis même surpris que l'héritage qui nous était décrit pendant la campagne relevait de l'apocalypse ; et finalement celui qui a été géré est beaucoup meilleur qu'on ne le dit.

M. de Charette : Vous ne trouvez pas qu'on est près de l'apocalypse, monsieur Poignant ? 450 milliards de francs, cela ne vous dit rien ?

M. Poignant : C'est beaucoup bien sûr, c'est un manque de recettes puisqu'il n'y a pas de croissance, vous le savez…

M. de Charette : C'est même plus que beaucoup…

M. Poignant : Ce n'est pas la peine de faire des promesses inconsidérées. Quand au chômage, où je suis choqué et où, je crois beaucoup de Français l'ont été, ce n'est pas d'entendre l'INSEE faire un pronostic ou une prévision, c'est d'entendre un ministre la prendre telle quelle et baisser les bras. Cela c'est choquant, parce que le rôle d'un gouvernement…

M. de Charette : Vous, vous étiez assez habitué à cacher les choses.

M. Poignant : … est différent de celui d'un institut économique, et un gouvernement ou un ministre n'a pas à relayer ou à être le haut-parleur d'un institut, fût-il aussi prestigieux. Je crois qu'il y a eu là un fatalisme terrible, psychologiquement aussi terrible, qui a beaucoup choqué.

M. : Denoyan : Un mot de conclusion, monsieur Poignant.

M. Poignant : C'est tout.

M. Denoyan : Je vous remercie.

M. Poignant : Au revoir, monsieur Denoyan.

M. Denoyan : Au revoir. C'est vrai qu'il y a aussi quelques couacs dans votre camp, monsieur de Charette. On évoquait tout à l'heure, et c'est vous-même qui citiez à l'instant le plan de François Léotard ; on peut dire que cela ne fait pas plaisir à toute la majorité, cette histoire, qu'il y a des critiques qui sont exprimées. Et même à l'intérieur de l'UDF, tout à l'heure Franz-Olivier Giesbert citait quelques critiques sur l'absence d'imagination, d'audace, en ce qui concerne les mesures prises pour relancer l'économie française. On entend ici ou là des mots.

La semaine prochaine, vous allez recevoir – je rappelle que vous vous occupez des Clubs Perspectives et Réalités – Valéry Giscard d'Estaing mercredi…

M. de Charette : Il est chez lui puisqu'il est le Président fondateur.

M. Denoyan : C'est surtout vous qui vous en occupez, si j'ai bien compris. Donc là vont peut-être être entendues quelques critiques plus ou moins amenées vis-à-vis de la politique actuelle du Gouvernement.

M. de Charette : Pour ce qui concerne ce que disent les parlementaires, je dois vous dire très franchement que je trouve tout à fait naturel que les parlementaires de la majorité s'expriment. La fonction même d'un élu, c'est de proposer, c'est de commenter, c'est de dire : "C‘est bien, il faudrait faire un pu plus, il faudrait faire un peu moins, il faudrait faire comme ci, il faudrait faire comme cela…". C'est le métier d'un parlementaire et si j'étais resté au parlement, croyez-moi, je ne n'en serais pas privé.

Ce qui est moins bien, c'est vrai, c'est quand cela prend la forme de critiques personnalisées et j'ai trouvé qu'ici et là, à l'égard de François Léotard, on avait passé le stade de la proposition pour entrer dans le stade de la franche critique. C'est moins utile, c'est un peu excessif. Les choses sont rentrées dans l'ordre, je m'en félicite et j'ai vu que le Premier Ministre l'avait jugé comme moi, ce qui m'a fait plutôt plaisir.

M. Giesbert : Monsieur de Charette, on attend beaucoup du Gouvernement sur l'emploi. Est-ce que vous pensez que le Gouvernement va assez loin – il y a encore des choses à venir, notamment une loi quinquennale ? Est-ce que vous pensez qu'il devrait remette en question certaines rigidités qu'on appelle souvent d'ailleurs acquis sociaux. Est-ce que l'on doit par exemple ou non garder le salaire minimum unique tel qu'il est ? C'est une question qui énerve toujours beaucoup Gilbert Denoyan, qui est un grand défenseur du SMIC unique.

M. Denoyan : Gilbert souhaiterait que, pour éviter les délocalisations, on arrive à mettre le salaire français au niveau de celui de l'Indonésie ou de la Malaisie…

M. Giesbert : C'est une agression…

M. Denoyan : Caractérisée, bien entendu.

M. de Charette : Je n'imagine pas que Giesbert pense cela, mais au fond…

M. Giesbert : Évidemment, je suis contre les bas salaires ; tout le monde est contre les bas salaires, c'est absurde. Seulement je suis contre le chômage et je pense qu'il est toujours préférable d'avoir un petit boulot et un statut social que pas de statut social et pas de petit boulot.

M. Denoyan : Je rappelle que c'est monsieur de Charette qui est le ministre.

M. de Charette : Le SMIC, cela fait partie de la tradition sociale française ; je crois qu'il ne serait pas de bonne idée d'y porter atteinte.

M. Giesbert : Mais vous savez bien qu'on peut garder un salaire minimum par branche, ou par région… Il y a beaucoup de solutions possibles.

M. de Charette : Il y a des pays où il y a d'autres solutions ;

MM. Giesbert : En Allemagne, il y a un salaire minimum, mais il y a un salaire minimum par branche, et dans d'autres pays des salaires minimums par région ou par tranche d'âge.

M. de Charette : Mais il y a la solution allemande et puis il y a la solution française ; il y a les traditions anglaises et il y a les traditions françaises. C'est dans notre système social, c'est une institution, je ne propose pas d'y toucher.

Dans la pratique d'ailleurs, vous constatez que par toute une série de procédures on a trouvé des solutions qui permettent de rémunérer beaucoup en-dessous, hélas, du SMIC des jeunes qui sont dans l'entreprise pour y acquérir une formation, une première expérience, une première qualification, et toutes ces procédures sont de bonnes réponses à la question, c'est-à-dire comment faire en sorte que dans l'entreprise des jeunes fassent leurs premiers pas…

M. Giesbert : Vous faites rentrer les jeunes ?

M. de Charette : … et y acquièrent un début de formation et de connaissance de l'entreprise, sans que cela pèse trop lourdement sur les charges de l'entreprise ? Tout cela existe à des centaines de milliers d'exemplaires comme vous le savez puisqu'il y aura cette année 650 000 CES, contrats emploi solidarité, sans compter beaucoup d'autres procédures.

Toute notre politique vise à sauvegarder les acquis sociaux de la France. Il faut être conscient que ce serait ne pas agir qui conduirait à les remette gravement en cause, et tout ce que nous faisons est destiné à permettre à la fois le retour de la croissance et la sauvegarde des grands acquis sociaux.

M. Giesbert : On est tout à fait d'accord, mais il y a quand même un problème spécifique à la France : à croissance égale, la France a créé 4 fois moins d'emplois que les autres pays européens au cours des années 80 ; c'est une statistique de l'OCCDE, c'est connu, donc il y a un problème français et il y a bien des raisons.

M. de Charette : Absolument, il y a des raisons.

M. Denoyan : Franz-Olivier Giesbert, je crois qu'on va arrêter sur ce point ; monsieur de Charette a répondu…

M. Giesbert : C'est un problème de fond qui intéresse beaucoup les Français. Je suis sûr que Hervé de Charette a envie de parler de cette question…

M. de Charette : Je voudrais dire juste un mot pour ne pas monopoliser sur ce sujet…

M. Giesbert : Je crois que l'emploi intéresse les Français, si je peux me permettre.

M. de Charette : Bien entendu, et je peux vous dire que cela intéresse fondamentalement l'action gouvernementale qui est entièrement concentrée là-dessus.

C'est vrai que l'économie française, dans la décennie 80, n'a pas produit assez d'emplois et nous devons avoir pour stratégie de faire en sorte qu'elle redevienne créatrice d'emplois ; je suis entièrement d'accord. Il faut donc aller à la chasse aux emplois, il faut faire en sorte que la productivité aux dépens de l'emploi, cela ne soit pas l'unique logique française. Il y a d'autres logiques possibles.

Mme Ardisson : Dans la charge de Bernard Pons contre François Léotard, il n'y avait pas que des attaques dirigées contre le ministre de la Défense ou un éventuel présidentiable. On peut même se demander si, par ricochet, ce n'est pas monsieur Balladur qui est visé puisque le même Bernard Pons lui donne jusqu'au mois de septembre pour faire redémarrer la machine, ou plus exactement dit : "Je me donne jusqu'au mois de septembre…"

M. Denoyan : À l'UDF on dit un peu la même chose, pour aller dans le sens de la question d'Annette ; à l'UDF, on donne aussi rendez-vous au gouvernement à la rentrée.

M. de Charette : C'est tout à fait normal. Le gouvernement, à l'occasion de la discussion budgétaire au mois d'octobre, aura l'occasion de montrer quelles sont les nouvelles étapes quels sont les progrès nouveaux que nous attendons de l'année 1994. Je ne suis pas du tout surpris qu'au Parlement la majorité, l'UDF, le RPR, disent : "Ce que vous avez fait jusqu'à présent, c'est bien, nous vous appuyons, et à la rentrée nous vous en reparlerons". C'est cela la vie politique démocratique.

Mme Ardisson : Est-ce qu'en septembre vous aurez pu réussir quelque chose ?

M. de Charette : En octobre, vous verrez que les choses commenceront à bouger. Dans l'immobilier, par exemple, vous verrez des progrès, je vous le dis.

M. Portes : Au dernier Bureau politique de l'UDF, mercredi, Pascal Clément a un peu critiqué ses amis de l'UDF en leur disant de modérer leurs critiques vis-à-vis du Gouvernement. Vous arrivez à comprendre votre collègue du Gouvernement dans cette démarche ?

M. de Charette : Je suis à la fois dans un gouvernement dont je suis complètement solidaire, dont je fais partie sans état d'âme, et en même temps j'appartiens à une famille politique qui a sa personnalité, sa spécificité et dans laquelle je me trouve bien. Autrement dit, personnellement, pour reprendre le titre de votre émission, je ne vois pas d'objection à ce que l'UDF et es dirigeants expriment ce qu'ils ont à dire, rappellent ce que sont leurs grandes idées, ce qu'ils ont toujours été, leurs demandes de réformes. C‘est dans la mission même de l'UDF et moi, au sein du Gouvernement, cela ne m'empêche pas de dormir croyez-moi…

M. Denoyan : Peut-être une dernière question sur l'Europe.

M. Brocard : Dans un an, les élections européennes, Hervé de Charette : vous êtes pour une liste unique RPR/UDF ou deux listes séparées ?

M. de Charette : Est-ce que vous me permettez de prendre, si j'ai quelques instants pour cela, le projet d'un peu plus loin ?

Nous achevons une période de l'Europe, celle qui a été écrite dans le Traité de Rome, conduite par 3 Présidents de la République, etc. C'est une autre période et il faut que nous inventions ensemble l'Europe nouvelle. Cette Europe-là doit prendre conscience qu'elle constitue l'ensemble régional économique le plus puissant du monde, mais le plus vulnérable et le plus attaqué. Il faut qu'elle prenne conscience qu'elle a un message de civilisation à apporter à ses voisins d'Europe, centrale et de l'Est, et qu'elle doit s'y engager avec détermination.

Cela implique de grands changements : changement dans l'équilibre des responsabilités au niveau européen, changement dans le style technocratique, que je n'aime pas, de la Commission Européenne, et changement dans son attitude vis-à-vis de l'extérieur. C'est cela que j'attends.

Alors Maastricht, c'est terminé cette affaire. Le débat Maastricht en France, il est terminé, il a été terminé par le vote de septembre, n'en parlons plus. Maintenant, tâchons d'être tous ensemble d'être ceux, nous les Français et la majorité, qui proposons la nouvelle Europe. Comment le fera-t-on ?

M. Brocard : Alors liste unique ou pas ?

M. Denoyan : La conversation commence, si j'ai bien compris.

M. de Charette : Je crois que c'est prématuré aujourd'hui de dire ce que nous ferons. Cela dépendra un peu de l'attitude des uns et des autres. Si tout le monde peut se rassembler sur cette recherche de l'Europe nouvelle, cela me paraîtrait une bonne solution.

M. Denoyan : Monsieur de Charette, je vous remercie.