Texte intégral
Le Monde : Votre différend avec Jean-Pierre Chevènement a-t-il été au cœur des débats du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (Ciadt), réuni lundi 15 décembre à l'hôtel Matignon ?
Dominique Voynet : En fait, le débat a un peu tourné court, car le ministre de l’intérieur a dû partir à l’Assemblée pour défendre son projet de loi sur l’immigration. Mais sur le fond, son credo républicain me convient : ce n'était pas un discours désincarné sur l'État et la nation, mais il a insisté sur le rôle de l'État garant des grands équilibres, ce qui est bien naturel. Nous aurons prochainement l'occasion, lui et moi, d'en discuter en tête à tête. Si incident il y a pu avoir, je considère qu'il est clos.
Le Monde : Avez-vous été confirmée comme chef de file pour la préparation de la loi d'orientation, la Loadt ?
Dominique Voynet : Même si le mot de « chef de file » n'a pas été prononcé, Lionel Jospin a confirmé que ce projet de loi serait présenté avant les autres. Les autres textes, par exemple sur l'intercommunalité, viendront le compléter. La préparation de cette Loadt se fera dans le cadre d'un large débat public : je rencontrerai les associations d'élus intéressées et je réunirai à nouveau en janvier 1998 le Conseil national d'aménagement du territoire. Je serai également auditionnée par les commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat.
Le Monde : Quels sont les principes fondateurs de votre projet de loi ?
Dominique Voynet : La loi Pasqua ne nous dérange pas. C'est un texte dans lequel il y a même des dispositions ingénieuses, dont beaucoup, à l'évidence, sont soit inapplicables, soit inappliquées. Notre philosophie est de rompre avec une conception dépassée de l'aménagement du territoire qui laissait de côté la question des villes pour se focaliser sur les territoires ruraux désertifiés sur lesquels l'État devrait porter son attention comme sur un grand malade. Finie la vision purement redistributive et caritative de l'État, pour mettre désormais d'avantage en valeur les potentialités endogènes de chaque territoire. À chaque territoire son projet !
Le Monde : Qu'appelez-vous dans votre loi les schémas de services collectifs ?
Dominique Voynet : La loi énoncera de grands principes prioritaires d'aménagement et fixera les orientations des nouveaux schémas de services collectifs. Conjointement, principes et schémas se substitueront au schéma national prévu par la loi Pasqua. Le schéma ne pouvait être qu'un stock de projets et un catalogue à la Prévert, dans lequel chaque ministre pouvait piocher, ou qu'un discours général d'intentions sans valeur normative. Nous allons reprendre, en les rénovant, les schémas touchant, par exemple, l'enseignement supérieur ou la culture. Mais la nouveauté est que nous créons deux schémas intermodaux de transports – l'un pour les voyageurs, l'autre pour les marchandises –, un autre sur l'énergie et un dernier sur les espaces naturels et les risques. C’est notamment dans ce dernier document que nous allons marier – ce qui n’est pas facile – les préoccupations d’aménagement et d’environnement. Ce document illustre notre démarche : c’est un schéma de précaution et de prévention. Tous ces schémas ne se traduiront pas nécessairement par du bitume, du béton ou une cartographie figée.
Le Monde : L’État va-t-il, comme en Ile-de-France, mettre en œuvre vingt-deux schémas régionaux ?
Dominique Voynet : Le besoin se fait sentir d’un échelon de planification intermédiaire renforcé, entre le niveau communal et le niveau national. La question se pose de savoir jusqu’à quel point ces schémas régionaux seront prescriptifs. Le débat n’est pas tranché ; ce sera la tâche d’une mission d’expertise de faire des propositions.
Le Monde : Sur les agglomérations et les « pays », quelles sont vos intentions ?
Dominique Voynet : Les agglomérations sont un sujet qui relève d'abord de la compétence, au plan institutionnel, de mon collègue de l'intérieur. Quant aux « pays », je remarque que personne ne les critique : on recense environ deux cents projets. Mais il est nécessaire d'aller au-delà de ce qu'on a fait jusqu'à maintenant, et l'État doit les reconnaître officiellement. Ce qui devrait se manifester par exemple lorsque seront négociés les futurs contrats de plan. J'ai confié à Jacques Chérèque, ancien ministre, une mission d'évaluation des contrats de plan en cours.
Le Monde : Le Ciadt a-t-il décidé des délocalisations d’activités ?
Dominique Voynet : Le gouvernement préfère parler d'« implantations d'emplois et de services au public ». Par exemple, l'implantation du CNASEA à Limoges, décidée en 1992, a été confirmée, mais nous prendrons le temps de la concertation avec les intéressés, notamment les personnels. Avant toute décision, il faut analyser les potentialités des villes et y implanter des activités qui renforcent leurs pôles de compétence ou qui corrigent les déséquilibres. L'École nationale des douanes devrait aller de Neuilly à Tourcoing, et la Sonacotra à Saint Denis. Le CIADT a confirmé l'objectif de 30 000 emplois réimplantés d'ici l'an 2000.
Le Monde : Et le plan Massif Central ?
Dominique Voynet : C’est l’illustration même de notre démarche. Ce ne sera d'ailleurs pas un plan. Nous voulons prendre des mesures de développement durable de ce territoire : il s'agit, à travers des projets émergeants, de renforcer les potentialités de création d'emplois et d'activités durables.
Le Monde : Le Ciadt marque-t-il une rupture avec les précédents ?
Dominique Voynet : On peut parler de victoire culturelle, car les esprits ont singulièrement évolué. Après le rêve des années Pasqua et l'immobilisme des années Gaudin, on revient désormais à des approches concrètes, mesurables, avec une volonté : la proximité avec le terrain.
Le Monde : Vous ne dites pas un mot de l’équilibre Paris-province ?
Dominique Voynet : Tout le monde est bien d'accord sur l'importance du sujet, et ce sera l'objet du prochain Ciadt. L'agglomération parisienne a également ses problèmes. Il ne faut pas opposer Paris et les régions mais rechercher leur complémentarité et un nouvel équilibre entre les grandes métropoles françaises.