Texte intégral
Pourquoi taxer les activités polluantes ?
La TGAP traduit dans les faits le principe « pollueur-payeur ». Et les recettes de cette « pollutaxe » serviront au financement de l’allègement des cotisations patronales.
En France, toute mesure fiscale fait grincer des dents. Quoi de plus normal. Pourtant, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), ou pollutaxe (1), a plus de vertus qu’il n’y paraît et devrait être d’autant mieux acceptée qu’elle simplifie le système fiscal et ne se traduit pas par une augmentation des prélèvements.
Cette crainte s’explique peut-être aussi parce que nous sommes aujourd’hui au milieu du gué : 1999 fut l’an I de la fiscalité écologique avec le regroupement au sein d’un même impôt des taxes existant jusque-là sur les déchets, la pollution de l’air, les huiles ou le bruit. Cette année verra l’intégration à la TGAP des produits phytosanitaires à usage agricole, des granulats extraits dans les lits des rivières ou dans les carrières, et des polluants contenus dans les lessives et les détergents ; cette nouvelle mesure, qui concerne plus particulièrement le domaine de l’eau, fait partie du projet de loi de financement de la Sécurité sociale présenté le 6 octobre prochain, au conseil des ministres, par Martine Aubry. Enfin, en 2001, comme le gouvernement s’y est engagé, la TGAP sera étendue au domaine de l’énergie afin de lutter, avec plus d’efficacité, en faveur d’une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre et d’une plus grande maîtrise de notre consommation d’énergie.
La TGAP est, par excellence, l’instrument de mise en œuvre du principe « pollueur-payeur ». Elle vise, à travers le niveau des accises qui la composent, à décourager les comportements les plus polluants et à encourager les plus vertueux. En augmentant le prix de certains produits antiparasitaires à usage agricole, le prix de certains polluants de l’air ou de l’eau ou de gaz à fort effet de serre, elle doit encourager, en les rendant plus compétitifs, l’usage alternatif de produits permettant une agriculture raisonnée et plus respectueuse de l’environnement, la mise en œuvre accélérée de procédés technologiques plus économes en énergie ou permettant une plus grande efficacité énergétique.
Parce qu’elle traduit, dans les faits, le principe « pollueur-payeur », la TGAP est tout le contraire d’une taxe aveugle qui frapperait, sans discernement, tous les polluants. Tous les produits phytosanitaires n’ont pas les mêmes conséquences toxiques ou économiques, la TGAP en tient compte, en distinguant plusieurs classes de toxicité ou d’écotoxicité ; toutes les lessives ou détergents ne dégradent pas, avec la même gravité, la qualité de l’eau, la TGAP est plus lourde sur les produits contenant plus de phosphates. Tous les polluants de l’air n’ont pas les mêmes conséquences sur l’effet de serre, la TGAP pèsera davantage sur le protoxyde d’azote, gaz particulièrement nocif.
Par le « signal prix » qu’elle adresse aux opérateurs concernés, la TGAP vise à modifier les comportements. Encore faut-il que les plus vertueux soient également encouragés. C’est pourquoi, à ma demande, le gouvernement a proposé au Parlement de réduire, en 1999, la TVA applicable à la collecte sélective des déchets ménagers. Le signal adressé aux opérateurs était clair et je dois dire qu’il a été perçu au-delà de toute espérance. D’un côté, la TGAP, qui inclut la taxe sur les déchets, décourage la mise en décharge ; de l’autre, la réduction de la TVA sur la collecte sélective incite au tri.
La TGAP permet ainsi d’éviter ou de limiter les comportements les plus polluants. C’est un instrument de prévention. Je suis intimement persuadée qu’en matière de protection de l’environnement comme d’efficacité de la dépense publique, il vaut mieux prévenir que guérir. Il me paraît de bon sens d’essayer de limiter la dégradation de la qualité des eaux ou limiter le nombre et le volume de déchets non triés et donc recyclables moins facilement, que de devoir, après coup, financer des usines de traitement des eaux usées toujours plus performantes ou des usines d’incinération toujours plus importantes et si coûteuses pour les budgets des collectivités locales.
Cela ne veut naturellement pas dire qu’il ne faille pas réparer lorsque les dommages sont là. Non, au contraire. Notre pays, à cet égard, avait accumulé, au cours des législatures passées, un retard considérable, et le poids des crédits affectés au ministère de l’environnement était parmi les plus faibles dans les grands pays développés. À ma demande, le premier ministre en a pris acte et, pour la seconde année consécutive, le budget du ministère de l’environnement connaît une très forte progression. De 1998 à 2000, cette progression aura été de 26 % !
L’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), par exemple, a bénéficié, en 1999, d’une dotation nouvelle de 500 millions de francs destinée à développer ses efforts en matière de soutien aux énergies renouvelables et à une meilleure maîtrise de notre demande d’énergie : en 2000, elle bénéficiera d’une nouvelle dotation de 100 millions de francs, qui s’ajoutera à l’importante dotation dont elle bénéficiait dans le cadre de la politique de déchets ménagers. Il n’est naturellement pas question de sacrifier les moyens de l’environnement. Je m’y suis employée depuis mon arrivée. Je continuerai à le faire, avec la même détermination, au cours des années qui viennent.
On me dit souvent que la TGAP est un impôt nouveau qui accroît le poids de prélèvements obligatoires déjà élevés dans notre pays. J’entends cet argument, mais je le conteste. La TGAP n’est pas un prélèvement de plus. S’il s’agit, en effet, de prélever un peu plus sur les activités polluantes pour les décourager, je souhaite, en retour, que ces recettes supplémentaires soient utilisées à réduire d’autres prélèvements, en particulier ceux qui pèsent sur l’emploi. C’est pour cela que le gouvernement a décidé de transférer les ressources de la TGAP vers les comptes sociaux : les ressources de la TGAP serviront, dès 2000, au financement partiel de l’allègement des cotisations sociales patronales qui accompagnera la mise en œuvre de la réduction du temps de travail.
C’est la force de cette taxe : c’est à la fois un instrument au service de l’environnement et un instrument au service de l’emploi. Ces deux « dividendes » sont fondamentaux et seront mis en œuvre, simultanément, dès 2000. Naturellement, comme tout instrument fiscal nouveau, la TGAP trouble certains. Elle trouble comme a troublé la création de la CSG en 1990 : elle rompt des habitudes et, comme tout instrument nouveau, elle introduit un nouvel équilibre, plus favorable à l’environnement et à l’emploi. Comme la CSG, la TGAP fera son chemin, celui d’un impôt moderne, efficace, doté d’une double vertu. Elle fera son chemin en France, comme elle fait son chemin en Europe, avec les initiatives proches décidées par nos amis britanniques, allemands ou italiens. La TGAP — ou polluant — est un nouvel instrument d’une démocratie moderne, au service du monde présent et des générations futures.
(1) S’agissant d’une taxe dont la raison d’être est la lutte contre les pollutions, il faut préférer le terme de pollutaxe à celui, impropre, d’écotaxe.