Texte intégral
Le progrès d’une démocratie se mesurent à sa capacité de voir la vérité en face et à ne pas de réfugier dans la difficulté, derrière de pieux mensonges collectifs. Depuis que la croissance de l’économie française est frappée d’anémie, notre pays a fait d’incontestables progrès dans sa culture économique.
Le plus spectaculaire concerne le rejet de l’inflation. Pendant quarante ans, notre économie était littéralement droguée à l’inflation, potion miracle qui remboursait les emprunts des entreprenants au détriment des rentes des inactifs. Depuis 1984, les gouvernements de gauche puis l’actuelle majorité ont fait le choix de la monnaie stable, seule compatible avec une économie ouverte. Ce choix est plébiscité aujourd’hui par les Français. Malgré le chômage, malgré le souvenir des temps de facilité, personne ne suggère plus de se laisser aller à l’inflation monétaire. Les Français en sont durablement guéris.
Deux mythes nationaux. Ils le sont aussi du protectionnisme, même si la convalescence est ici un peu plus longue. Après quarante ans de Marché commun, avec une balance commerciale qui dégage des excédents record, comment ne pas voir que, malgré ses exigences, la mondialisation est une chance ? Si certaines délocalisations sont encore vécues de manière douloureuse, chacun peut comprendre que le marché américain de la cafetière électrique s’attaque mieux à partir d’une base mexicaine que d’une usine européenne, tandis qu’en sens inverse, les multinationales étrangères créent 20 000 emplois par an dans notre pays.
En revanche, nos progrès souffrent de la survivance de deux grands mythes nationaux.
Premier mythe : la croyance en l’existence d’un trésor caché. Un trésor dont l’origine et l’usage pourraient échapper à toutes les contingences économiques. C’est cette croyance, informulée mais profondément enracinée, qui explique que tant de responsables politiques, même parmi les libéraux, ne conçoivent de remède à nos maux économiques que par l’intervention – c’est-à-dire, la subvention – de l’État. À droite comme à gauche, la plupart des suggestions consistent à dépenser plus ; à la rigueur, on propose de dépenser mieux. Quasiment jamais de dépenser moins. Or, ce n’est qu’en dépensant moins que l’on pourra baisser les impôts et redonner à toute l’économie les moyens de créer spontanément des emplois partout. On ne se drogue plus à l’inflation, mais on se dope à la subvention publique. Et les effets sont les mêmes : après une euphorie passagère, des années de « gueule de bois ».
Pas de trésor disponible. Il n’y a pas de trésor caché. L’État, c’est nous tous. Demander « un effort au gouvernement », c’est inviter à puiser dans la poche de tous les Français. Dire, par exemple, que la santé n’a pas de prix, ou que la culture est trop noble pour se soumettre aux lois de l’économie, ou que l’aide au travail à temps partiel ne peut être compromise par des « problèmes minables de fric », c’est proposer que l’on prélève dans limite dans le seul « trésor » disponible : le revenu personnel des Français.
Résultats : en 1974, les dépenses publiques représentaient déjà 41 % du revenu annuel des Français. En 1995, nous sommes passés à 55 % ! Les 14 points supplémentaires ont été financés par 9 points de nouveaux prélèvements et par 5 points de déficit – qu’il faudra bien rembourser à leur tour par l’impôt. Ne nous étonnons pas si nous sommes, parmi les grands pays, celui où la pression fiscale et parafiscale est la plus élevée.
Et, c’est bien pour casser cette logique infernale que le Gouvernement a engagé une réduction durable de la pression fiscale, en commençant par l’impôt sur le revenu, non seulement pour 1997, mais sur une période de cinq ans.
Le second mythe, lié au précédent, est l’illusion selon laquelle le recours à des emplois financés par l’impôt diminuerait le chômage. « Mieux vaut payer quelqu’un à travailler plutôt qu’à ne rien faire », semble une proposition de bon sens. Certes, mais à condition que l’on se pose trois questions : le travail concerné a-t-il une véritable utilité sociale ? Si oui, pourquoi ne trouve-t-il pas spontanément son financement, soit sur le marché, soit dans les centaines de milliards que les collectivités publiques affectent désormais aux services sociaux ? Et, dans le cas contraire, sommes-nous sûrs que le financement de ce salaire par l’impôt n’aboutira pas à détruire des emplois ailleurs ? Or, sur ce point, notre société est d’une myopie étonnante.
L’« exception française ». Si l’on compare l’évolution de la population en âge de travailler dans les sept plus grands pays industrialisés, on constate que, de 1980 à 1995, son augmentation a été partout comparable : + 12 %. Que sont devenus ces 12 % d’adultes supplémentaires ? Aux États-Unis, ils ont tous trouvé un emploi, et tous dans le secteur privé.
En France, six sur douze, soit la moitié, ont tout simplement… disparu. Ils ont disparu des statistiques : ce sont soit des jeunes que l’on a maintenus dans des formations ou dans des stages en amont du marché du travail, soit des « anciens » dont on a accéléré le départ de ce même marché en leur proposant une formule de retraite anticipée. Quant aux six autres, cinq sont inscrits au chômage et un est devenu fonctionnaire ou agent public. Ainsi, d’un côté de l’Atlantique, chacun a trouvé un emploi marchand, de l’autre côté, tout le supplément de population adulte est resté à la charge de la collectivité.
Pour sa part, l’Allemagne est dans une position intermédiaire, les 12 % d’adultes supplémentaires se partageant à peu près en trois tiers entre les « disparitions » du marché du travail, l’inscription au chômage et l’accès à l’emploi.
Si l’on remonte plus loin, par rapport à 1970, le nombre de Français en âge de travailler a augmenté de 4 millions. En 1997, 3 millions sont au chômage et un million sont entrés dans le secteur public. Le nombre d’emplois marchands a diminué en valeur absolue en France depuis un quart de siècle ! Aucun des autres grands pays développés ne connaît une telle situation. Enfin, si au-delà des agents publics proprement dits on fait le total des chefs de famille dont la rémunération dépend de l’impôt ou de cotisations obligatoires (y compris les retraités de la fonction publique, les salariés d’associations subventionnées, les bénéficiaires d’aides à l’emploi telles que les CES, etc.), on aboutit au chiffre extraordinaire de 13 millions. En face, pour financer ces rémunérations, nous avons 13 millions – c’est une coïncidence – de salariés du secteur privé et 2,5 millions d’« entrepreneurs individuels », artisans, commerçant, petits patrons, agriculteurs, membres des professions libérales.
Chiffres accablants. La vérité est que, au niveau désormais atteint par les prélèvements obligatoires et les effectifs administratifs, l’emploi financé par l’impôt est le premier obstacle à la création d’emplois marchands. La corrélation des chiffres est accablante : plus les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires ont augmenté, plus le nombre d’emplois marchands s’est réduit, et plus le chômage global s’est accru, quelle qu’ait été la création d’emplois publics.
Malheureusement, depuis seize ans, à la seule exception de la période 1986-1988, les majorités successives ont succombé à la tentation de jouer les statistiques à court terme contre l’intérêt de l’emploi à long terme. Ce faisant, le cercle vicieux s’est aggravé. Avec le budget 1997, le Gouvernement a fait courageusement le choix contraire, en réduisant à la fois les dépenses, les déficits et l’impôt. Tout dépendra de notre capacité à poursuivre ce renversement historique : aux USA, en Grande-Bretagne, mais aussi dans les pays de tradition social-démocrate d’Europe du Nord, au Pays-Bas, au Danemark, en Suède, cette politique est menée depuis une dizaine d’années avec des résultats évidents sur le chômage, généralement deux fois inférieur au nôtre.
Cela ne signifie pas que certaines administrations n’aient pas besoin de moyens supplémentaires. Le problème est à étudier cas par cas. Mais les agents publics eux-mêmes seraient les premiers gagnants s’ils pouvaient passer avec leur employeur national ou local un contrat de productivité les intéressant aux progrès de gestion qu’ils réalisent. Cessons donc, une fois pour toutes, de refuser de voir certaines vérités désagréables en face, et, finalement, de jouer l’impôt, toujours l’impôt à contre-emploi !