Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à Paris le 17 mars 1997, et interview dans "Le Monde" le 18, sur la réforme de l'action télévisuelle extérieure.

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Circonstance : Installation du comité stratégique de l'action télévisuelle extérieure à Paris le 17 mars 1997

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Allocution à l’occasion de l’installation du comité stratégique de l’action télévisuelle extérieure suivie d’une conférence de presse, à Paris - 17 mars 1997

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Le Comité stratégique de l’action télévisuelle extérieure se réunit aujourd’hui pour la première fois, sous la présidence du professeur Francis Balle. La création de cette institution répond à la volonté du gouvernement de disposer de l’avis d’experts incontestables dans un domaine – celui des médias internationaux – qui connaît des mutations particulièrement rapides et complexes. Et elle témoigne de l’importance spéciale que nous accordons à cette dimension de notre action diplomatique.

Il n’a pas échappé à votre attention que les échanges audiovisuels figure désormais à l’ordre du jour des grandes négociations internationales. Permises par le développement des nouvelles technologies, la diffusion planétaire de l’information et la libre circulation des œuvres constituent un élément essentiel de l’ordre international qui s’ébauche. La défense de « l’exception culturelle » dans le cadre des accords du GATT, la politique audiovisuelle européenne, ou encore les décisions adoptées par le G7 ou par le Sommet de la Francophonie au sujet des autoroutes de l’information, démontrent l’importance de ces enjeux. Et dans chacune de ces enceintes, la France défend avec persévérance l’idée que la diffusion des œuvres doit échapper aux seules lois du marché, de manière à éviter que leur circulation la plus large ne s’accompagne d’une uniformisation de leurs contenus.

Mais « l’exception culturelle » ne constitue pas une fin en soi. Elle a pour pendant une politique ambitieuse, visant à assurer aux programmes français, partout dans le monde, une place conforme au statut international de notre pays, au prestige qui s’attache à sa culture et à sa langue, à la singularité de son message. Tels sont finalement les enjeux de la mission que s’assigne le ministère des Affaires étrangères au titre de l’action audiovisuelle extérieure.

L’installation du Comité stratégique constitue ainsi l’occasion de faire le point sur la politique engagée par la France dans ce domaine, puis de vous présenter les réformes que le gouvernement a entreprises afin de l’adapter aux nouvelles enjeux du contexte international.

I. - L’état des lieux

Une présentation, même succincte, des évolutions que connaît le paysage audiovisuel mondial conduit à un double constat : le renforcement de notre présence audiovisuelle à l’étranger est à la fois indispensable, face aux opportunités technologiques et à l’agressivité dont fait preuve l’industrie américaine, et particulièrement ardu compte tenu des faiblesses structurelles propres au secteur audiovisuel français.

a) Le contexte international

La prépondérance américaine dans les échanges internationaux de programmes audiovisuels est un phénomène bien connu. En 1996, le déficit des échanges entre l’Europe et les États-Unis dans ce secteur est ainsi estimé à 6,3 milliards de dollars et concernait l’ensemble de la filière du cinéma et de l’audiovisuel. Mais le point le plus préoccupant, dans cette perspective, réside peut-être dans le caractère planétaire des stratégies adoptées par nos concurrents d’outre-Atlantique. Aujourd’hui déjà en Amérique latine ou en Asie, demain sans doute en Afrique et au Moyen-Orient, c’est l’industrie américaine qui répond aux besoins des programmes nés de la dérégulation et des nouvelles capacités de diffusion. Faute d’une réaction appropriée, la France et l’Europe sont ainsi exposées au risque d’une marginalisation radicale.

Le développement de la technologie numérique nous fait en effet entrer dans une nouvelle phase de la diffusion audiovisuelle. Globalement, à des rythmes divers selon les régions du monde, le numérique se traduit en effet par la multiplication et par la spécialisation croissante des programmes auxquels peuvent accéder les téléspectateurs. La concurrence s’en trouve exacerbée et place en position de force les diffuseurs disposant des droits de diffusion pour les programmes les plus attractifs (en premier lieu, les films et retransmissions d’évènements sportifs).

b) Les faiblesses françaises

Cette situation nouvelle présente des occasions intéressantes pour nos chaînes, liées à la baisse des frais techniques de diffusion, à la possibilité de viser des publics minoritaires, francophones ou francophiles, ou encore à la capacité d’améliorer la qualité des programmes que nous proposons en réunissant plusieurs chaînes dans des « bouquets » numériques.

Pourtant, encore aujourd’hui, la diffusion des programmes français à l’étranger se heurte à des obstacles structurels : l’industrie française des programmes d’abord, stimulée par un système d’aides et d’incitations remarquablement complet, a connu des succès significatifs au cours des dernières années. Elle est toutefois encore majoritairement constituée de PME faiblement capitalisées, tributaires de commandes des chaînes, et dont les productions sont donc principalement conçues en vue d’une diffusion nationale. Dans le domaine de la fiction, en particulier, le choix des sujets, la durée des émissions, l’écriture du scénario, le niveau des budgets sont ainsi souvent peu adaptés aux attentes et aux goûts des publics étrangers.

La législation sur le droit d’auteur et les droits voisins ensuite, légitimement conçue en vue de protéger les intérêts des créateurs et des interprètes, constitue très souvent en pratique un frein supplémentaire à la diffusion internationales de ces programmes. Elle permet difficilement aux principales chaînes nationales d’envisager d’étendre leurs activités à de vastes territoires, les coûts d’acquisition des droits étant sans proportion avec les recettes commerciales escomptées.

Enfin l’usage de la langue française permet sans doute de s’adresser à 120 millions de locuteurs réguliers, présent sur les cinq continents. Mais nous ne pouvons ignorer qu’il s’agit parfois d’un obstacle, en particulier dans les régions où la croissance des marchés audiovisuels est la plus dynamique, comme l’Asie, l’Amérique latine ou l’Europe centrale et orientale.

c) Les instruments

L’État est donc condamné à agir pour aider à surmonter ses handicaps. Depuis la seconde moitié des années 80, il s’est principalement appuyé sur des opérateurs publics spécialisés (TV5, CFI, RFI) pour pallier le manque d’intérêt, à cette époque, des chaînes nationales pour l’étranger. Il nous compter à présent avec cet héritage, sans doute trop complexe, mais qui a du moins permis à la France de prendre position dans le nouveau paysage mondial.

TV5 a globalement répondu aux ambitions de ses créateurs. Chaîne francophone généraliste, précocement présente en Europe et au Canada, elle a ensuite étendu ses activités à l’Afrique et à l’Amérique latine, puis tout récemment à l’Asie et à l’Australie où elle est diffusée en numérique sur le satellite Asiasat 2. Elle est aujourd’hui distribuée par plus de 4 000 réseaux câblés (50 millions de foyers) et reçue en réception directe par plus de 13 millions de paraboles. Elle touche ainsi les publics les plus divers, des Français de l’étranger aux hommes d’affaires séjournant dans les hôtels internationaux, des francophones du sud, pour lesquels elle constitue souvent la seule source d’information internationale, aux publics francophiles d’Amérique latine, qui bénéficient sur le câble d’émissions sous-titrées à leur intention.

Initialement conçu comme un instrument de coopération avec les télévisions du Sud, principalement africaines, CFI (Canal France International) a également élargi le champ de ses activités. Grâce au renforcement de sa présence sur divers satellites régionaux, plus de 100 télévisions dans 82 pays utilisent désormais, dans des proportions du reste très variables, les émissions proposées par notre banque de programmes. Le taux de reprise paraît particulièrement satisfaisant en Afrique francophone, au Moyen-Orient et en Europe centrale et orientale. Par ailleurs, et bien que son signal soit de plus en plus souvent crypté. CFI est directement reçu par les particuliers équipés d’antennes paraboliques dans certaines régions, notamment en Afrique. Cet opérateur a donc eu jusqu’ici une activité hybride mi-banque, mi-chaîne souvent difficile à concilier.

D’autres opérateurs audiovisuels contribuent encore, de manière plus ponctuelle, à notre politique. Il s’agit d’abord de France 2, qui est diffusée par voie hertzienne en Italie du nord et en Tunisie, distribuée sur le câble en Suisse et en Belgique, reçue en Algérie au moyen de paraboles orientées vers le satellite Telecom B. RFO touche par sa diffusion certains pays voisins des DOM-TOM, dans les caraïbes, dans l’Océan Indien, dans le Pacifique ou à Terre Neuve. Enfin, Arte et Euronews contribuent bien entendu elles aussi à la présence des programmes Français en Europe, où elles touchent de nombreux téléspectateurs abonnés au câble ou équipés en matériel de réception directe. En outre certaines chaînes privées telles que MCMI (la chaîne musicale française) ou Canal Horizons (la version destinée au pays du Sud de Canal Plus) ont contribué, efficacement, à la présence télévisuelle française dans le monde.

Dans le domaine de la radio, le dispositif est plus simple en raison du rôle central joué par RFI. Cette société, dont l’histoire remonte au poste colonial des années 1930, constitue d’une certaine manière le « navire amiral » de l’action audiovisuelle extérieure. Dotée d’un budget supérieur à celui des opérateurs publics de télévision, s’appuyant sur un personnel nombreux et qualifié, elle est considérée comme la 3ème des radios internationales. Émettant en 16 langues, elle touche une audience estimée à 30 millions d’auditeurs réguliers, dont 15 millions en Afrique francophone.

Comme la BBC ou la VOA, qui disposent au demeurant de moyens sensiblement plus importants, RFI doit toutefois adapter son action aux nouvelles conditions de l’offre radiophonique dans le monde. Depuis le mois de septembre dernier, RFI a réorganisé son antenne autour de trois programmes. RFI 1 constitue son fil mondial en langue française, qui permet aux auditeurs francophones du monde entier, particulièrement dans les grandes métropoles, de bénéficier d’une radio d’information continue dans notre langue. RFI 2 réunit les services en langue étrangère de la station, adaptés aux attentes des principaux basins linguistiques. Enfin RFI 3 est réalisé sous la forme d’une banque de programmes radiophoniques, comprenant notamment un fil musical de chansons françaises, destinée à alimenter l’antenne des radios locales avec lesquelles des accords de partenariat ont été passés. Diffusés par satellite dans le cadre de « bouquets » francophones, les programmes de RFI 3 pourront également être directement reçus par les abonnés de nombreux réseaux câblés.

Sur le plan technique, RFI est confrontée à une mutation technologique majeure dans la mesure où l’onde courte, mode de transmission dominant, est en voie de marginalisation progressive au profit, pour l’essentiel, de la modulation de fréquence. Il lui incombe de faire face à cette mutation.

d) Les moyens financiers

La phase de mondialisation de notre dispositif, depuis la fin des années 1980, a été permise par un accroissement substantiel des crédits affectés à l’action audiovisuelle extérieure, supérieur à celui du budget de l’État ou encore à celui du budget de la DGRCST. Encore en 1994, deux réunions du conseil de l’audiovisuel extérieur de la France ont permis d’entériner le principe d’un nouvel effort, les moyens de cette politique devant être portés à terme de moins d’un milliard à près de 1,5 milliard de francs.

Toutefois le nécessaire redressement de nos finances publiques nous amène à ne pas trop anticiper, du moins dans l’immédiat, un accroissement substantiel des crédits affectés à l’action audiovisuelle extérieure. C’est donc à moyens constants, ou faiblement croissants, qu’il nous faut actuellement renforcer l’efficacité de notre dispositif, mener à bien sa rationalisation et améliorer notre offre de programmes. En réalité, seule la mise en place d’une nouvelle chaîne nous conduira à accroitre substantiellement le budget que nous affectons à cette politique. Mais il s’agirait alors d’un effort exceptionnel, qui ne pourrait être justifié, dans le contexte actuel, que par une nécessité politique impérieuse.

     II. - La réforme de l’action audiovisuelle extérieure

Face à ces nouveaux enjeux, j’ai souhaité, dès ma prise de fonctions, placer la réforme de notre action audiovisuelle à l’étranger parmi les priorités du ministère des affaires étrangères. Le rapport que m’a remis le professeur Francis Balle à la fin de l’année 1995 a permis d’identifier les grands objectifs d’une telle réforme et d’avancer certaines solutions opérationnelles. Au terme d’un travail approfondi, mené sous l’autorité du Premier ministre en concertation avec toutes les administrations intéressées et dans une grande convergence de vues avec le ministre de la Culture – que je remercie –, la réforme des structures est aujourd’hui pratiquement achevée. Il nous faut à présent la prolonger par une réflexion sur le contenu de nos programmes.

a) Le regroupement des différents acteurs de l’audiovisuel extérieur autour de deux pôles, en télévision et en radio, constitue en effet le premier axe de cette réforme.

J’ai veillé à ce que sa mise en œuvre obéisse à trois principes fondamentaux : le respect d’une « logique de métiers », fondée sur la spécificité des actions qui sont respectivement entreprises dans les domaines de la radio et de la télévision ; l’adossement des chaînes publiques internationales aux chaînes publiques nationales, notamment dans le domaine de la télévision ; le maintien des prérogatives de l’État actionnaire, dans un secteur où notre souveraineté se trouve directement engagée.

Sur cette base, un pôle radiophonique est définitivement constitué depuis la fin de l’année 1996 autour de Radio France Internationale.

À cette fin, les filiales majoritaires radiophoniques de la Sofirad qui exerce une activité internationale – Radio Paris-Lisbonne et surtout la SOMERA (RMC Moyen-Orient) – ont été rattachées à RFI. Il m’a paru en effet qu’un opérateur international de l’envergure de RFI était en mesure de décupler les moyens dont bénéficient des stations de taille plus modeste, tant en termes techniques que journalistiques. En second lieu, ce rapprochement permettra d’aboutir à une étroite complémentarité, notamment pour les émissions dirigées vers le monde arabe.

Parallèlement, les liens existants entre RFI et Radio France seront institutionnalisés. Le projet de loi sur l’audiovisuel qui a récemment été examiné au Sénat prévoit à ce titre l’entrée de Radio France au capital de RFI, ainsi que la participation réciproque de présidents de chacune de ces sociétés à leurs deux conseils d’administrations. Ce rapprochement aidera RFI à valoriser le patrimoine de Radio France, qui alimentera en particulier la banque de programmes « RFI 3 ». Il facilitera en outre la définition d’une politique cohérente pour la diffusion satellitaire de certaines stations de Radio France en Europe.

Dans le domaine de la télévision, c’est une société holding baptisée « Télé France Internationale », qui constitue le pôle chargé de coordonner notre action à l’étranger ; elle est le pendant télévisuel de « Radio France Internationale ».

D’emblée, notre volonté a été de concevoir largement les missions dévolues à cette société, à laquelle seront immédiatement rattachées TV5 et CFI. Il lui reviendra donc de coordonner, rationaliser et moderniser l’activité des deux opérateurs, qui sont déjà installés dans des locaux communs, et de gérer à terme l’ensemble des participations publiques dans ce secteur. Au-delà, « Télé F.1. » sera en effet chargée d’une tâche plus générale d’animation et d’impulsion de l’action télévisuelle extérieure : la constitution de « bouquets » de chaînes françaises et francophones destinés à une diffusion internationale, ou la politique d’exportation de nos programmes, seront notamment mises en œuvre dans ce cadre.

Pour cette même raison, il a été décidé que l’ensemble des chaînes publiques nationales – France 2 et France 3, RFO, la Sept-Arte et la Cinquième bientôt fusionnées – entreraient au capital de cette nouvelle société. Là encore, cet adossement du pôle télévisuel extérieur aux chaînes nationales répond à la nécessité de mieux coordonner les initiatives des chaînes françaises à l’étranger et de faciliter l’alimentation des grilles de nos opérateurs internationaux en émissions de qualité. Il a pour contrepartie le maintien d’une présence forte de l’État, qui détiendra directement la majorité du capital de « Télé F1 » (51% des parts), de manière à s’assurer que les grands objectifs politiques et diplomatiques de l’action audiovisuelle extérieure sont rigoureusement pris en compte. Les 49% restants reviendront respectivement à France Télévision (37%), la Sept-Arte et la Cinquième (8%), et RFO (4%), Télé F1, dont les statuts sont à présent arrêtés, sera constituée dès que les différents décrets nécessaires seront signés, c’est-à-dire dans les toutes prochaines semaines.

Enfin, il conviendra bien entendu de veiller à la coordination de ces deux pôles, qui peuvent utilement travailler de concert dans des domaines tels que la politique de diffusion satellitaire, la promotion des programmes, l’élaboration de mesures d’audience ou l’organisation du réseau de leurs correspondants à l’étranger. La nomination de M. Jean-Paul Cluzel, président de RFI, à la tête du pôle télévisuel extérieur répond à ce souci, sans que ceci implique une quelconque dépendance de l’un des pôles par rapport à l’autre.

b) Cette ambitieuse réforme des structures doit à présent être prolongée par une réflexion portant sur le contenu des programmes que nous diffusons à l’étranger.

Plusieurs questions importantes méritent en effet d’être tranchées, à la lumière des transformations récentes du paysage médiatique mondial J’en appellerai quelques-unes, qui me paraissent particulièrement importantes.

La première concerne la composition des grilles et plus spécialement la part des programmes propres, spécifiquement conçues en vue d’une diffusion internationale, qui peuvent raisonnablement être produit ou achetés par nos opérateurs. Nous avons la volonté, comme je l’ai dit, d’enrichir les grilles de nos opérateurs internationaux grâce aux meilleurs programmes des chaînes nationales. Mais nous ne pouvons pas pour autant négliger la nécessité de mieux prendre en compte les attentes, les goûts et les habitudes des publics étrangers auxquels nous nous adressons. Il y a donc là un équilibre à trouver, en tenant compte, bien entendu, des coûts inhérents à une politique de production propre.

La seconde concerne la place de la langue française dans nos émissions de télévision. Je partage donc ce point de vue l’opinion du professeur Francis Balle et ne me rangerai donc pas parmi ceux qu’il désigne comme les « intégristes » de la Francophonie. Entendons-nous : je suis fermement convaincu, en tant que ministre des Affaires étrangères, de l’importance de la famille francophone et de ses institutions. Notre politique audiovisuelle extérieure doit bien entendu servir à la diffusion de la langue française au-delà de nos frontières. Mais ce souci ne doit pas devenir pour autant, là où notre langue est rarement parlée ou comprise, un frein à l’efficacité de notre action, un obstacle à la diffusion de notre culture. Dans bien des régions, des émissions sous-titrée ou parfois doublées nous permettraient en effet de toucher un plus vaste public ; pouvons-nous écarter cette perspective qui, en éveillant l’intérêt des téléspectateurs locaux pour la France et pour sa culture, doit finalement amener certains d’entre eux à l’apprentissage du français ? Il y a donc là, à nouveau, un point d’équilibre à trouver, en fonction des particularismes régionaux et des missions de chacun de nos opérateurs et surtout des moyens financiers que ces déclinaisons linguistiques de nos programmes impliquent.

Une troisième question concerne la place de l’information dans nos programmes. Les lacunes actuelles, dans ce domaine, sont bien connues. Elles tiennent moins, en réalité, au volume des émissions d’information diffusées par nos opérateurs qu’à leur conception destinée par nature au public français, les journaux télévisés des chaînes nationales que reprennent TV5 ou CFI sont précisément trop « franco-français » pour intéresser le public étranger. Les « monitorings » diffusés sur CFI sont quant à eux destinés à répondre aux besoins des rédactions de télévisions partenaires de CFI, et non pas à la masse des téléspectateurs. Dans ces conditions, les journaux de TV5 représentent aujourd’hui, avec l’adaptation du journal de France 2 aux États-Unis, les seules de nos émissions d’information spécifiquement créées à l’intention du public « étranger. Pour autant la solution qu’appelle ce problème n’est pas forcément univoque.

C’est pourquoi, cette question a naturellement vocation à être abordée dans le cadre de la mission qui a été confiée à Jean-Paul Cluzel au début du mois de décembre au titre de ses nouvelles fonctions. Parallèlement à la constitution du pôle télévisuel, je lui ai en effet demandé de réfléchir, avec l’aide de Michel Meyer, à la création d’une chaîne « Vitrine de la France », l’une des solutions étant de faire évoluer le format proposé jusqu’ici par CFI dans sa partie chaîne, vers une programmation axée sur l’information, les magazines et les documentaires. Je lui ai également demandé de réfléchir à l’articulation de cette offre nouvelle e programmes avec les autres opérateurs de notre dispositif télévisuel extérieur. Il s’agit bien évidemment d’un dossier capital et complexe, tant en ce qui concerne la définition de la grille des programmes que les choix budgétaires difficiles que requiert la mise en place d’un projet aussi ambitieux. Le comité stratégique sera très probablement appelé, avant toute question à analyser, les propositions présentées par M. Cluzel dans toutes les conséquences et cela dans un délai assez bref car ces questions impliquent des décisions rapides.

Une quatrième question concerne l’articulation de l’action publique avec celle de opérateurs privés. En effet jusqu’ici la logique qui a dominé notre action audiovisuelle publique est celle de la diffusion culturelle gratuite. À cet égard CFI, banque de programmes gratuite, longtemps diffusée en clair, a parfois été ressentie par les exportateurs de programmes français comme une concurrence pénalisante sur certains marchés émergents. C’est pourquoi aujourd’hui il convient de réfléchir à une meilleure utilisation de CFI dans sa partie banque de programme, tant en terme géographique qu’en terme de modalités d’approvisionnement des télévisions partenaires et cela en étroite coordination avec les exportateurs de programmes regroupés dans l’association TVF1, à ne pas confondre avec « Télé France-International ».

Enfin, toujours sur ce thème de l’articulation de l’action publique et de l’action privée, qui est crucial à un moment où les contraintes budgétaires obligent l’État à faire des choix difficiles, il faut développer chaque fois que possible de nouveaux partenariats. Ainsi le bouquet numérique français qui sera lancé en Afrique dans les prochains jours fait-il figure de laboratoire. Il regroupera en effet, sous l’impulsion du ministère des Affaires Étrangères et du ministre de Coopération qui ont travaillé dans un esprit de concertation étroite et amicale, des opérateurs publics tels que TV5, CFI, la Cinquième, la Sept-Arte et RFI et des sociétés privées : Canal Horizons, MCMI, Planète, AB Cartoon, Radio Nova. L’ensemble de ces sociétés se sont alliées au sein d’une même société, filiale de la SOFIRAD aujourd’hui, qui sera ensuite rattachée à Télé F.I. puisque la holding a vocation à promouvoir ce bouquet et probablement d’autres du même type sur le continent américain ou en Asie. L’État donne le coup de pouce à la constitution de tel bouquet en prenant en charge les frais de diffusion, les chaînes s’occupant du reste. Voilà un partage des rôles, me semble-t-il, prometteur.

c) La réflexion du gouvernement sur ces différentes questions est donc ouverte. Il m’a paru qu’elle pourrait utilement être éclairée par l’avis de spécialistes du secteur audiovisuel, ayant une expérience concrète des médias nationaux et internationaux. C’est pourquoi le gouvernement a souhaité que soit créé le Comité stratégique de l’action télévisuelle extérieure, qui se réunit pour la première fois aujourd’hui et dont les dix membres ont été nommés pour trois ans par le Premier ministre, sur ma proposition et en accord avec les ministres de la culture et de la coopération.

La mission qui lui est impartie en vertu du décret instituant le comité est vaste puisqu’elle consiste à conseiller le gouvernement sur les grandes orientations de la politique télévisuelle extérieure. Le comité émettra notamment des avis sur les actions mise en œuvre par Télé FI et pourra, à ma demande, remettre au gouvernement des rapports sur les projets de développement confiés à cette société.

La répartition des tâches entre le comité, instance de conseil et d’orientation, et Télé FI, instance opérationnelle, est donc clairement établie. Comme vous le savez, la présidence de ce Comité stratégique a été confié à Monsieur Francis Balle, professeur à l’Université Paris II, qui a remis l’an passé au gouvernement un rapport remarqué sur l’action audiovisuelle extérieure. Ses fonctions passées au Conseil supérieur de l’audiovisuel, comme sa récente nomination à la tête de la chaîne civique et parlementaire, témoignent de l’étendue de son expérience et de ses talents.

Ce Comité comprend en outre M. Pierre-Henri Arnstam, conseiller à France Télévision, qui pourra aider notre dispositif extérieur à tirer parti des chaînes publiques nationales ; M. Jérôme Bellay, journaliste et directeur général d’Europe 1, spécialiste de l’information en continu au tire de ses anciennes fonctions à France Info et LCI ; M. Roland Faure, ancien président de Radio France, qui est également le père de la chaîne France-Info, ancien membre du CSA ; M. Alain Grangé Cabane, conseiller d’État et président de l’Union des annonceurs ; M. Bochko Givadinovitch, spécialiste des régies publicitaires ; M. Guy Sorman, universitaire et essayiste, qui apportera au Comité sa connaissance des enjeux stratégiques et géopolitiques ; M. Marc Tessier, aujourd’hui directeur général du CNC, qui a compté parmi les principaux artisans du développement de l’AFP, et en tant que telle spécialiste des marchés internationaux de l’information.

Comme vous le constatez, il est difficile de résumer en quelques mots la variété et la richesse des parcours individuels de ces dix personnalités. Je m’en réjouis en voyant dans cette difficulté la preuve de la pertinence de nos choix. Le gouvernement a en effet voulu faire appel à des professionnels qui se sont illustrés dans des domaines très différents, escomptant que la confrontation de leurs institutions et de leurs analyses sera la source des conseils les plus avisés.

Le comité de l’action télévisuelle extérieure est donc installé officiellement aujourd’hui. Je fais toute confiance à son président et à ses membres, de même qu’à M. Cluzel, pour répondre aux tâches respectives qui leur ont été confiées, et qui me paraissent d’une importance capitale pour le rayonnement de notre pays.

Q. : Monsieur le Ministre, la qualité des membres de ce Comité stratégique est incontestable. Néanmoins, je suis assez étonné que sur dix membres, il n’y ait qu’une femme, sachant qu’en ce qui concerne la France, ce que l’on exhorte le mieux, c’est la presse féminine : « Elle » est le magazine féminin le plus lu dans le monde. Je suis étonné de cela car je suppose que l’action de ce comité extérieur, c’est de se faire connaître auprès des personnes du monde entier et notamment des femmes.

Ma deuxième question est totalement différente. Est-il vraiment raisonnable – et je ne mets absolument pas en question la qualité de M. Cluzel qui a montré à quel point il était compétent -, d’avoir quelqu’un qui soit, à la fois président de radio et président d’un pôle télévisuel ? Même si les métiers sont respectés, les dynamismes le sont-ils ? Ne faut-il pas pour présider l’action télévisuelle, quelqu’un qui soit complétement là-dedans, comme le patron d’une entreprise et de la même manière, pour RFI, la tâche n’est-elle pas un peu dure ?

R. : D’abord, sur les femmes, vous êtes complètement dans l’actualité. Vous avez le bon droit pour vous. Il y a toujours trop d’hommes dans une assemblée, dans la vôtre aussi, je pourrais le dire : je vous regarde et il y a nettement plus d’hommes que de femmes. La qualité personnelle de Mme Villa fera l’affaire.

En ce concerne la deuxième question, nous voulions faire appel à des spécialistes. Je suis comme vous, je trouve toujours souhaitable que les institutions, de quelque nature qu’elles soient, soient mieux équilibrées. Nous essaierons de progresser dans cette voie. La composition de ce comité n’est pas arrêtée pour l’éternité. Elle peut donc progresser grâce à votre sage conseil. Quant à la personnalité de M. Cluzel, en réalité, vous avez posé deux questions : était-ce une bonne idée de nommer le même pour les deux, et est-ce, que lui-même, n’est pas accablé par cette double charge. Je vais répondre à la première question, et je vais le laisser répondre à la seconde. Je crois que, par rapport au dispositif que nous avons retenu, ce n’était pas une mauvaise idée d’avoir, à sa tête, quelqu’un qui a, fonctionnellement une charge qui le met directement en prise avec l’action extérieure. Je maintiens qu’il faut bien séparer les métiers, et que, la nomination de M. Cluzel, président de RFI et président de cet organisme en constitution qu’est Télé-France Internationale, ne doit pas laisser penser qu’il y aurait la moindre perspective de rapprochement ou de fusion. Ce sont deux métiers. Ils devront être exercés séparément. Pour autant, la compétence de M. Cluzel est je crois aussi de ce point de vue, un certain gage de ce que nous aurons, au moins dans la phase actuelle, une action d’ensemble de l’audiovisuel extérieur. Par conséquent, je crois que c’est un fait positif.

Q. : Vous n’avez pas parlé de calendrier, Monsieur le Ministre. En fonction du prochain Sommet de la Francophonie, avez-vous l’intention de marquer de façon éclatante votre manière d’avancer, même si l’on doit être réaliste et pragmatique comme l’a dit M. Balle.

R. : Je peux vous donner un élément de calendrier concernant le projet de la chaîne dite « vitrine de la France ». Le rapport qui est attendu de M. Cluzel l’est pour la fin du mois d’avril. Il sera évidemment soumis au comité stratégique auquel je demanderai, dans le courant du mois de juin de nous fournir son appréciation et sa propre analyse, avant que nous puissions prendre les décisions qui conviennent. Si nous lançons ce projet de chaîne « Vitrine de la France », c’est pour qu’il se réalise dans un délai rapide. En d’autres termes, j’espère qu’à partir de là, nous serons en état, au cours du second semestre 1997, de faire des propositions au Premier ministre et, le concernant, de prendre les décisions nécessaires dans un délai qui me paraîtrait devoir ne pas dépasser la fin de l’année 1997.

Si tel est le cas, on doit pouvoir s’ajuster sur le Sommet de la Francophonie pour que ce dispositif soit prêt.

Q. : À quand les premières images ?

R. : Je ne connais pas le délai de réalisation. Ce que je voudrais, c’est que nous ayons une proposition fin avril. Elle sera examinée par le comité stratégique et j’ai proposé que le comité stratégique, au courant du mois de juin, nous donne ses propres analyses. Cela devrait me permettre, soit d’ici l’été, soit au tout début de septembre, de proposer au Premier ministre les décisions à prendre. Celui-ci pourra les prendre dans le courant de l’année 1997. Les premières images : le plus vite possible, après cela. Je ne connais pas vraiment les délais utiles. Environ au cours du premier semestre 1998…

Q. : Quelle image vous faites-vous de cette chaîne « Vitrine de la France » ? Vous savez comment avant 1981, il y a eu toute une discussion à propos de RFI : est-ce la voix de la France ? Quelle France ? Quelle voix ? Ensuite, elle a été instituée la Haute Autorité qui continue aujourd’hui. Pensez-vous, par exemple, qu’une chaîne comme celle-ci qui, je le suppose, dans votre esprit, n’est pas un cinéma à la française, puisque nous n’en avons pas les moyens, doit être la vitrine de toute la France, y compris de ce qui ne va pas ou bien doit-elle être une chaîne somme toute et pourquoi pas, de promotion de la marque « France » ?

R. : Je ne vais pas vous décrire ce que sera la chaîne « Vitrine de la France », avant que ceux qui sont chargés d’élaborer ce projet aient fait ce travail d’élaboration et de proposition. Je ne vais pas répondre directement à votre question, mais cela ne me dispense pas de vous dire au fond ce que je pense du sujet que vous venez d’évoquer, qui est valable de façon générale. Je ne crois pas du tout qu’il faille avoir l’idée que les images que nous transmettons à l’étranger, les informations que nous transmettons à l’étranger doivent être dictées par je ne sais quelle administration, ni par je ne sais quel pouvoir. D’ailleurs, vous le savez, dans le monde d’aujourd’hui, tout cela ne marche plus. Ce qui marche, ce qui intéresse les gens, c’est de la vraie information, au sens professionnel du terme. Cela n’empêche pas, que franchement, de temps en temps, je ne suis pas surpris, quand tous mes déplacements à l’étranger, tel ou tel représentant de la communauté française que je rencontre me dit qu’il aimerait bien que l’on ne présente pas toujours son pays sous son angle négatif. Je sais bien que, selon un veux diton dans votre profession, une bonne nouvelle n’est pas une bonne nouvelle. Enfin, il n’y a pas que les mauvaises nouvelles qui en sont.

J’entends des Français de l’étranger qui sont fiers de leur pays et qui ont envie d’en entendre parler positivement. Mais je suis pour une presse professionnelle. Cela vaut en France comme à l’étranger. Je suis pour une télévision professionnelle et pour des images qui le soient : cela vaut pour la France comme pour ce que nous faisons vis-à-vis de l’étranger. Je suis pour une radio professionnelle de la même manière. Je vous livre cela et vous en ferez l’usage que vous jugerez bon. C’est ce que j’entends, de temps en temps de la part de nos concitoyens qui sont à l’étranger et qui me posent beaucoup de questions sur l’audiovisuel extérieur car ils se sentent très intéressés, très concernés. Ils ont envie de nous entendre, et lorsqu’ils ne nous entendent pas, quand le signal n’arrive pas jusqu’à eux, ils s’en plaignent. Ils ont envie de nous entendre en Français. Quelquefois je leur dis : « je comprends, mais dans le pays où vous êtes, il y a 5 000 français et 101 millions d’habitants, il faut aussi que cela s’adresse à ces 101 millions d’habitants, autant que faire se peut, ou en partie d’entre eux en tout cas. » Il faut à la fois, comme je le disais tout à l’heure, défendre la langue car nous sommes face au danger mondial de l’uniformisation. Ce ne sont pas des mots que je prononce pour défendre notre façon de faire ou notre langue : il y a un vrai danger mondial. Il y a une langue unique, qui s’installe dans le monde, et derrière cette langue unique se cache une culture unique, une pensée unique, une civilisation unique et forcément, un marché unique. Il faut que nous défendions l’idée du plurilinguisme, de la diversité des cultures, de l’accès de tous aux médias, de notre volonté d’être présents sur les marchés. Lorsqu’il n’y aura plus qu’une seule langue, il n’y aura plus qu’une seule catégorie de produits ; en même temps, la façon d’être présents dans ce monde-là, n’est pas non plus de ne connaître qu’une seule langue. Au contraire, nous sommes les promoteurs du plurilinguisme. Il faut aussi que l’audiovisuel extérieur puisse s’exprimer dans la langue des auditeurs ou des téléspectateurs, d’où la question du doublage ou du sous-titrage, la question d’adaptation des produits que nous diffusons. Voilà quelques considérations. Enfin, de temps en temps, je vous le répète, ces Français me disent qu’ils aimeraient bien entendre de notre pays en bien. Je vous livre et c’est la réalité.

 

Le Monde - 18 mars 1997

Le Monde : Quels sont les motifs qui vous ont incité à réformer l’audiovisuel extérieur dans l’urgence ?

Hervé de Charrette : Cela fait un an et demi qu’on en parle, l’urgence est donc relative. Il est temps qu’on sorte de l’éparpillement. Aujourd’hui, deux pôles distincts sont créés – radio et télévision –, deux métiers différents qui sont regroupés sous l’autorité d’un seul président, Jean-Paul Cluzel.

L’installation du comité stratégique de l’action télévisuelle extérieure de la France constitue un pas décisif dans cette réforme. Celle-ci a lieu alors que se joue une grande bataille télévisuelle, à la fois sur le plan de la présence politique, économique et culturelle de la France dans le monde. L’issue de cette bataille dépendra de notre capacité à être présent sur les écrans partout dans le monde.

Le Monde : Quel sera le rôle de ce comité ?

Hervé de Charrette : Dans ce domaine où la technologie évolue très rapidement, l’administration ne peut rester fermée sur elle-même ; il faut qu’elle bénéficie des apports, des propositions et des conseils des professionnels.

Ce pôle télévisuel extérieur, maintenant qu’il est constitué, doit s’organiser. Il comporte une forte implication de l’État (51%) ; il sera adossé à France Télévision, dont les potentialités en matière de programmes et de journalistes sont très importantes, et comprendra aussi dans son capital le futur ensemble Arte-La Cinquième, RFO, sans avoir vocation à fait partie du pôle extérieur, y contribuera aussi. Il s’agit maintenant de faire jouer les synergies. Les propositions de Jean-Paul Cluzel sur la « chaîne vitrine » de la France devraient m’être rendues à la fin du mois d’avril ; je les soumettrai ensuite au comité stratégique qui donnera son avis avant l’été.

Le Monde : Quels rôles joueront Canal France International (CFI) et TV5 dans le pôle télévisuel extérieur, Téléfi ?

Hervé de Charrette : Je ne peux pas dire ce qu’il en adviendra, mais il n’est pas question que les choses restent en l’état. CFI comme TV5 sont appelés à jouer un rôle important, mais il faudra voir comment ces deux chaînes s’ajustent. Nous avons choisi une solution prudente, qui n’est pas celle de la fusion, mais il est important qu’une autorité les coiffe et les dirige, rôle qui a été dévolu à Jean-Paul Cluzel.

Le Monde : Quelle cible sera visée ? Les francophones, ou un auditoire plus large, auquel on s’adresserait dans d’autres langues que le français ?

Hervé de Charrette : Il nous faut avoir une conception offensive de la diffusion de la langue et de la culture française dans le monde. Il ne s’agit pas seulement de diffuser de images et du son en français, mais de séduire des publics qui ne parlent ni ne comprennent notre langue. Les images françaises, qui défendent l’image de la France, doivent les attirer. Mais je crois qu’il vaut mieux additionner ces publics que les opposer. L’exemple du Brésil, où TV et TV Globo viennent de signer un accord qui comporte des images sous-titrées en portugais, est une des hypothèses.

Nous sommes dans un monde menacé par l’uniformisation de la culture et des modes de pensée. Une langue unique ; c’est très déstabilisateur. Nous sommes les premiers, nous, à en prendre conscience : le monde ne peut pas être fondé sur des images qui sont les mêmes pour tout le monde. Dans cette bataille, si la France veut être présente, elle le sera par ses entreprises et par les images qu’elle offrira. Il s’agit d’un enjeu de civilisation primordial.

Le Monde : Quel sera la future télévision « vitrine de France » ? Une « CNN à la française », comme l’a évoqué Philippe Douste-Blazy ?

Hervé de Charrette : La formule « CNN à la française » est une formule commode, tout le monde la comprend, mais elle est réductrice et peu adaptée. Je ne crois pas qu’il faille se focaliser sur un modèle unique et s’inspirer nécessairement de CNN. Il faut par exemple proposer une télévision et des journaux plus ouverts sur l’international ; présenter la diversité de notre pays, mais aussi les questions qui préoccupent la société mondiale, par le biais de documentaires et de magazines. En outre, nous n’en sommes pas au point où nous pouvons disposer d’un réseau de journalises dans le monde entier comme c’est le cas de CNN.

Le Monde : Cette nouvelle politique audiovisuelle extérieure exigera-t-elle forcément un budget plus important ?

Hervé de Charrette : Nous consacrons 1,2 milliards de francs à l’audiovisuel extérieur en 1997. C’est une somme importante, mais qu’il convient de relativiser, car c’est à mon avis très insuffisant. Il faut toutefois s’autre que cette somme est bien utilisée ; aujourd’hui, je ne crois pas que nous ayons atteint l’efficacité maximale. Il faudra aussi que l’audiovisuel trouve des ressources, via le mécénat ou la vente de programmes à l’étranger.

Pour l’instant, compte tenu du nécessaire redressement des finances publiques, nous devons travailler dans le cadre de l’enveloppe définie. Mais je suis persuadé qu’à partir du moment où nous aurons remis de l’ordre dans la maison, optimisé l’emploi de nos fonds et finalisé la politique audiovisuelle extérieure française, les enjeux de ce formidable combat apparaîtront.

Et nous serons mieux outillés pour faire valoir ensuite l’importance de ces enjeux.