Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, sur la mission des archives départementales, Poitiers le 24 janvier 1997.

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Circonstance : Inauguration des Archives départementales de la Vienne, à Poitiers le 24 janvier 1997.

Texte intégral

Monsieur le Président du Sénat,
Monsieur le Ministre,
Messieurs les conseillers généraux,
Monsieur le préfet,
Mesdames, Messieurs,

Lorsque le 5 brumaire an V – le 26 octobre 1796 –, les représentants de la Nation décidaient de rassembler, aux chefs-lieux des départements, les titres et papiers acquis à la République, ils n’avaient certainement pas imaginé le développement qui frapperait les institutions qu’ils créaient.

Inaugurer, deux siècles plus tard, le bâtiment dont vient de se doter le département de la Vienne pour abriter son patrimoine écrit, est donc plus que le symbole d’une réussite, c’est aussi la manifestation d’un enracinement et l’affirmation de la certitude d’évolutions futures.

Après des décennies d’aléas administratifs divers, les grandes lois de décentralisation de 1983 ont affirmé définitivement la responsabilité des collectivités départementales dans la conservation du patrimoine écrit de la Nation. Les archives sont bien, en effet, avec les bibliothèques départementales de prêt, les seuls organismes culturels dont la charge ait été, par ces textes, remise officiellement aux départements.

Mesure de consolidation pour certains, qui n’y ont vu que la traduction législative d’une situation déjà établie, puisque ces collectivités avaient déjà la charge du financement de l’institution, cette réforme fut, dans la réalité, le détonateur de l’impulsion d’un développement tout à fait remarquable du réseau des archives départementales.

Avec le soutien financier de l’État, depuis 1986, plus d’une dizaine de bâtiments d’archives ont été construits ; et surtout moins perceptible, mais certainement plus significative, l’insertion de ces centres dans la politique culturelle des départements a amené une implosion et une diversification de leur fréquentation sans précédent.

En donnant autorité et responsabilité au département, le transfert des compétences a souligné la dimension patrimoniale des archives, rapproché cette mémoire de la population. Cela engage, de fait, une redécouverte des potentialités de ces services et influe sur les choix de mise en valeur et de développement culturel au service du public.

D’un département à l’autre, apparaissent plus vivement cohérence et diversités, caractères communs et traits spécifiques.

En France, les archives de la Vienne sont celles qui conservent le plus grand nombre de chartes originales antérieures à 1 100 : parmi elles, bon nombre de diplômes des rois de France ou des comtes de Poitou, ducs d’Aquitaine. Aussi n’est-il guère d’études sur la société médiévale en France jusqu’au XIIe siècle qui ne s’appuient sur les fonds conservés ici.

En raison de cette richesse, la Vienne fut le premier département à avoir, en 1834, un archiviste chartiste, en la personne de Louis Redet. Ces titres anciens présentent parfois un intérêt inattendu. En compulsant le chartrier de Notre-Dame-La-Grande, on s’aperçoit que des marchands de sel avaient tenu étal au pied de la façade de la collégiale et ainsi s’expliquent sans doute les remontées de sel constatées, dont l’origine n’avait pu être décelée. Une fois encore la connaissance et la restauration d’un édifice prenaient appui sur l’écrit…

Les archives de nos administrations contemporaines sont tout aussi fondamentales, riches de données locales, révélatrices du quotidien et de l’exceptionnel.

Dans ces « Maisons des archives », équipées, on l’a vu, selon des normes rigoureusement étudiées, la conservation n’est pas conservation en soi. Elle est l’instrument d’un État de droit dans l’intérêt des institutions et des personnes, elle est conservation au service du public, des publics.

Le superbe bâtiment que nous inaugurons aujourd’hui, dû au cabinet d’architecture Feypell-Zoltowski-Margui, associé à un jeune professionnel poitevin Nicolas Bonnin, bâtiment dont la conception permet l’alliance de l’originalité et de la volonté futuriste.

N’oublions pas que nous sommes dans le département qui a imaginé, voulu et réalisé le Futuroscope. C’est dire l’importance du respect de la fonctionnalité archivistique, manifestation même de cette évolution récente des centres d’archives : assurer les meilleures conditions de conservation aux documents – vingt kilomètres de rayonnages ont ainsi été installés dans des locaux climatisés – mais surtout s’ouvrir au public, à tous les publics.

Ainsi, une salle de lecture vaste, réussissant la gageure d’être à la fois claire et feutrée, permet à soixante chercheurs d’assouvir leur désir de recherche alors qu’une salle polyvalente, largement ouverte sur ce quartier de La Gibauderie, permettra d’accueillir des publics variés allant des scolaires aux associations de quartier pour une découverte de leur patrimoine, une approche nouvelle de l’histoire, et, au travers de ceux-ci, l’apprentissage de la citoyenneté.

Ici comme ailleurs, l’intérêt pour l’histoire familiale a conduit aux archives ceux qui, il y a quelques décennies, n’auraient peut-être pas osé en franchir les portes. Et l’on sait que les Poitevins participèrent d’abondance au peuplement de la nouvelle France juste retour : bon nombre de citoyens canadiens viennent chaque année mener des recherches généalogiques à Poitiers.

L’accueil de groupes s’étend bien au-delà des scolaires du primaire ou du secondaire. Centres et instituts de l’Université apprécient les concours apportés. Le Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, la faculté de droit, l’institut d’histoire moderne y dirigent leurs étudiants pour des travaux méthodologiques. L’université inter-âges rejoint avec régularité les salles des archives, pour des découvertes renouvelées.

« Des archives plus ouvertes », tel était le vœu formulé par le président Braibant dans le rapport qu’il remit au Premier ministre au début de l’été 1996. Ce message a bien été entendu et j’ai pu annoncer le mois dernier, en conseil des ministres, une révision de la loi sur les archives qui réduira sensiblement les délais de communication des documents et favorisera, par là-même, l’accès à l’information contemporaine.

Mais l’ouverture des archives passe, également, par la volonté locale d’accueillir le public dans les meilleures conditions possibles, de le former à la recherche, de lui donner les moyens d’accéder au document. Le département de la Vienne l’a compris, qui met aujourd’hui un tel outil à la disposition du citoyen.

Ce développement des publics, fruit d’une politique volontariste, pose aujourd’hui aux professionnels de la culture de nouvelles interrogations, dans un environnement de communication en pleine mutation.

Comment imaginer la relation archives-usager que vont induire les nouvelles technologies ? L’accès à l’original, déjà de plus en plus fréquemment battu en brèche par le recours au support de substitution que représente le microfilm, sera-t-il relégué au rang des souvenirs quand la numérisation sera devenue pratique courante et peu onéreuse, quand les réseaux de communication à distance seront intégrés dans la pratique quotidienne de nos concitoyens ?

La foi d’un département comme le vôtre dans ces nouveaux moyens de communication, son implication dans leur mise en oeuvre, rejoint le souci de mon ministère de mettre la culture à la disposition du plus grand nombre, de la diffuser largement dans les zones les plus défavorisées et d’en faire un des éléments clefs de l’aménagement du territoire.

Le rôle que seront amenées à jouer les archives sur ces réseaux, la conception de nouveaux supports de conservation et de communication de la mémoire de la Nation sont un des enjeux de la décennie à venir. Pouvons-nous imaginer un monde où un bâtiment culturel tel que celui-ci n’aurait plus aucun rôle à jouer ? À quand la salle de lecture sans chercheur et sans papier ?

Question passionnante aujourd’hui, peut-être réalité de demain, enjeu considérable, en tous cas, pour les collectivités, comme pour le ministère de la culture en charge de la responsabilité de la mémoire de notre pays.

Monsieur le président, Monsieur le ministre, Mesdames, Messieurs, je vous remercie.