Texte intégral
Je voudrais tout d’abord remercier mon ami, Jacques Toubon, qui m’a fait l’honneur de me convier à ce colloque dont l’intitulé, « la France rééquilibrée », est, de façon permanente, au cœur de la problématique de l’aménagement de notre territoire.
Les propos qui seront tenus cet après-midi, seront, j’en suis sûr, constructifs et de qualité, à l’image des propositions émises par la Commission présidée par Jean Ravel, dont j’ai pris connaissance avec beaucoup d’intérêt.
J’ajoute que ce colloque tombe à point nommé puisque le schéma national d’aménagement et de développement du territoire va bientôt franchir les dernières étapes qui le mèneront au vote du Parlement.
Une ultime phase de consultation débutera en effet dans les toutes prochaines semaines avec l’envoi de l’avant-projet aux régions, aux départements, aux associations représentatives des communes, dès qu’il aura été approuvé par le CIADT.
Votre réflexion aujourd’hui a donc vocation à nourrir cette concertation, que je voudrais amorcer sans plus tarder en vous donnant, sans trahir de secrets, un aperçu du contenu de l’avant-projet de schéma national.
La conception de cet avant-projet repose sur une conviction : le développement est non seulement nécessaire, mais encore le plus sûr moyen de rééquilibrer le territoire.
Dans le contexte de sous-emploi et de compétition que nous connaissons, nous devons en effet mettre l’accent sur le développement de tous les territoires pour ne laisser passer aucune opportunité de créer des emplois, où que ce soit.
Cela signifie qu’il nous faut rompre avec la conception redistributive qui a longtemps inspiré la politique d’aménagement du territoire. Il s’agit donc moins désormais de délocaliser, c’est-à-dire de déplacer des activités des uns vers les territoires des autres, que de créer des conditions favorables au développement.
Quels sont les déséquilibres territoriaux à corriger par ce développement ?
Le premier est une particularité française, maintes fois relevée, mais qui n’en reste pas moins d’actualité : à l’exception de Paris et de son agglomération, nos grandes villes ne possèdent pas l’ensemble des fonctions qui leur permettaient d’être compétitives à l’échelle européenne.
Deuxième déséquilibre : au sein des villes, les dysfonctionnements s’accentuent. Habitat et activités ont été progressivement découplés. La mixité et la diversité qui prévalaient ont cédé devant la juxtaposition de grands ensembles, de lotissements uniformes, de zones d’activités banalisées. Les villes s’étalent et s’aplatissent, consommant nature et paysages, provoquant l’allongement des temps de transport. Leur périphérie s’enlaidit. Dans les situations les plus extrêmes, des territoires d’exclusion se créent.
Troisième déséquilibre : près du quart du territoire connaît une diminution d’activité et de population. La mobilité, le changement des habitudes de consommation, les transformations de l’activité agricole, contribuent à l’affaiblissement des petites villes et des bourgs qui forment l’armature des espaces ruraux, cet affaiblissement entraînant à son tour la dévitalisation des campagnes. Conséquence grave : le principe d’égalité des chances est remis en cause.
Le constat que je viens de dresser m’a conduit à articuler l’avant-projet de schéma selon deux parties : premièrement « développer », deuxièmement « équilibrer ».
Développer tout d’abord.
Créer les conditions favorables au développement de tous les territoires, c’est pour commencer les doter des grands services collectifs nécessaires, au premier rang desquels figurent, dans une vision non pas prospective mais simplement réaliste, l’éducation, l’enseignement supérieur et la recherche.
Il nous faut tout d’abord dans ces domaines réduire les disparités territoriales grâce, par exemple, à de fortes incitations à la mobilité des personnels enseignants, à une meilleure répartition des allocations de recherche entre les régions, au renforcement des universités dont le poids des 3e cycles est inférieur à la moyenne nationale.
Cela suppose aussi que nous ne renforcions plus les capacités des sites qui accueillent déjà un grand nombre d’étudiants, de façon à pouvoir renforcer celles des implantations universitaires qui sont aujourd’hui plus fragiles. J’observe à cet égard que les universités étrangères les plus prestigieuses ne sont pas souvent installées dans les capitales ou dans les plus grandes villes.
Donner leur chance à tous les territoires, c’est en outre adapter la formation des jeunes aux spécificités économiques régionales.
Sur ce sujet, le schéma recommande de mettre en place, dans les villes moyennes, des conseils de site associant tous les acteurs locaux de l’enseignement et de la vie économique. Ces conseils devraient d’une part, veiller à la cohérence entre l’offre de formation et le développement des entreprises, d’autre part, assurer l’insertion professionnelle des jeunes en formation.
En matière de télécommunication, il est fondamental que les services les plus évolués, ce qu’on appelle le multimédia, soient disponibles sur l’ensemble du territoire et que leur tarification soit déconnectée de la distance. Il faut en particulier que les établissements d’enseignement, à partir du secondaire, en disposent, conformément au vœu exprimé par le Président de la République.
Troisième type d’équipements déterminants : les infrastructures de transports, qui restent un facteur décisif de compétitivité et de création d’emplois.
Reprenant en grande partie les propositions de la commission nationale « Réseaux et territoires » présidée par Jean François-Poncet, je préconise dans ce domaine de consolider les relations de l'ensemble de notre territoire avec les pôles européens et non plus seulement avec la capitale.
Cela passe par un renforcement de nos axes nord-sud, la création d'un axe Italie-Espagne et de transversales est-ouest. Mais cela passe aussi par la modernisation de nos principaux ports, en particulier Le Havre et Marseille, et enfin par le développement des plates-formes aéroportuaires de province.
Il me parait également indispensable que le schéma fixe des principes directeurs permettant de s'assurer que le choix au fil des ans des projets sera conforme aux priorités de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Quatrième service collectif nécessaire les équipements culturels, qui influent sur le rayonnement des territoires, leur attractivité, y compris économique, et leur cohésion sociale.
L'avant-projet de schéma proposera donc de mieux répartir l'offre culturelle sur notre territoire en rééquilibrant les investissements au profit de la province et en confortant le rôle régional des équipements dits de « référence ».
Il proposera en outre de mieux articuler les politiques culturelles avec l'ensemble des politiques de développement des territoires.
Dernier service collectif essentiel au maintien des hommes et donc des activités sur les territoires, celui de la santé et de l'action sociale.
L'offre de soins est aujourd'hui, en quantité, globalement satisfaisante, et mime excédentaire en soins de courts séjours. Néanmoins, elle reste déficitaire dans les longues prises en charge, et surtout inégalement répartie dans certains domaines, tels que la médecine ambulatoire.
Le développement de la télémédecine, les mesures incitatives pour les professionnels de la santé et la coordination des partenaires impliqués dans l'action sanitaire et sociale, sont autant de moyens envisagés dans le schéma pour assurer un égal accès à des soins de qualité.
Au-delà de l'optimisation des grands services collectifs, le schéma national prévoit que les politiques de soutien au développement local devront être prioritairement orientées d'une part vers les PME de 20 à 500 personnes, d'autre part vers l'artisanat, qui offrent touts deux une armature économique et sociale précieuse pour le monde rural et les petites villes.
Je n'ai pas le temps d'y insister mais sachez que cette partie fait l'objet dans le schéma de nombreuses propositions.
J'en viens maintenant à la deuxième partie du schéma : l'équilibre du territoire.
Les vastes espaces faiblement peuplés et le réseau de petites villes et de bourgs, qui sont, vous le savez, caractéristiques de notre pays, doivent plus qu'aujourd'hui participer au développement. Pour cela, il faut mettre en valeur leurs richesses, rompre leur isolement, développer leur attractivité, les territoires les plus fragiles devant faire l'objet d'une attention particulière.
À cet effet, les orientations suivantes me paraissent devoir être retenues.
Tout d'abord le développement rural doit être élevé au rang de priorité, de façon, d'une part, à inverser l'exode rural, d'autre part, à stimuler l'emploi et préserver l'égalité des chances.
Il faut aussi, dans l'affectation des dépenses publiques, établir un équilibre plus juste entre les zones rurales et les zones urbaines.
En outre, ce développement rural doit s'adresser à tous les acteurs socio-économiques présents en milieu rural et mettre en œuvre un ensemble coordonné de moyens : investissement, services aux entreprises, infrastructures adéquates, éducation, formation, diffusion des progrès des techniques d'information, renforcement des fonctions d'animation des petites villes, rénovation des villages.
Enfin, le développement rural doit être fondé sur le partenariat entre tous les niveaux de responsabilité et sur des initiatives locales.
Mais équilibrer le territoire, c'est aussi aménager nos villes qui doivent relever les nombreux défis que j'évoquais tout à l'heure et qui ne peuvent plus être résolus au seul échelon communal : la conciliation des objectifs de développement économique, de cohésion sociale et de maîtrise des coûts collectifs exige en effet que soient coordonnées les compétences s'exerçant dans les villes.
Pouvons-nous pour atteindre ces objectifs nous en remettre dans tous les cas au volontariat des communes
Je n'en suis pas sûr. Je crois même qu'ériger, par la loi, en communautés urbaines les quelques agglomérations de plus de 200 000 habitants qui ne s'y seraient toujours pas résolues d'ici cinq ans, serait opportun.
Bien sûr, le volontariat est de loin préférable. Mais ce principe ne doit pas servir d'alibi pour ne rien faire et préserver des intérêts particuliers à courte vue lorsque l'intérêt général est en jeu.
Équilibrer le territoire, c'est enfin réussir les métropoles régionales.
Plutôt qu'une agglomération de 10 millions d'habitants, il faut préférer 10 villes de 1 million d'habitants.
Plutôt qu'un million d'habitants concentrés en un seul lieu, il faut préférer, à nouveau, un petit nombre de cités séparées par des espaces naturels préservés et mettant en commun de grands équipements comme les centres de recherche, les universités ou les aéroports.
Je suis pour ma part persuadé que nous devons nous donner les moyens d'arrêter de « fabriquer » des banlieues, et que nous devons éviter de reproduire autour des villes de province, notamment les plus grandes, ce qu'on a fait autour de Paris.
Voilà, Mesdames, Messieurs, très brièvement résumées, les orientations du futur schéma national. Il doit constituer la clé de voûte qui manquait à l'ensemble des politiques publiques d'aménagement du territoire.
L'avant-projet provoquera, je le sais, des réactions. La discussion ne fait que commencer et je tiens à ce qu'elle soit la plus fructueuse possible.
C'est pour cette raison, mais aussi pour ne pas figer des situations acquises, que je n'ai pas prévu d'accompagner le schéma de cartes, qui éveilleraient immanquablement des revendications particularistes et des querelles nuisibles au débat sur l'avenir de l'ensemble de notre territoire.
Le schéma national, gardons-le bien à l'esprit, doit en effet traduire une vision de la France en 2015 reposant sur quelques grands principes incontestables et permettant à notre territoire d'être celui d'une France compétitive et rééquilibrée.
Je ne doute pas que les gaullistes ici rassemblés puissent très largement partager une telle ambition.