Interviews de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, dans "L'Est républicain" du 7, "Le Figaro" du 16, à RTL et France-Inter le 16 et "Le Parisien" le 17 janvier 1997, sur l'application de la loi sur l'air.

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Texte intégral

L’Est Républicain - 1er juillet 1997

L’Est Républicain : Votre loi est parue au JO du 1er janvier. Néanmoins, le texte semble plus incitatif que contraignant et certains parlent de loi thermomètre…

Corinne Lepage : C’est une loi courageuse et une avance importante, bien qu’elle ne résout pas tous les problèmes, car on ne pouvait pas tout traiter en même temps. On a dit que cette loi avait beaucoup perdu en cours de route, ce qui n’est pas vrai. Au contraire, elle a été très renforcée lors de son passage devant le parlement. D’aucuns pensent que c’est une loi thermomètre, c’est inexact. Ses dispositions impliquent un changement de mentalités et de comportement. Globalement, il faut que nos villes se vident progressivement du flot de véhicules. Pour y arriver, nos concitoyens doivent être conscients des enjeux et donc doivent être informés : c’est le cas avec la mise en place des réseaux de surveillance de l’air, dotés des moyens nécessaires. Avec cet outils fiable et objectifs, les pouvoirs publics pourront agir.

L’Est Républicain : Ce qui implique des astreintes, des mesures de police. Comment cela va se passer concrètement ?

Corinne Lepage : Il est prévu une réorganisation en terme de police et de réaménagement urbain. Les plans de protection de l’atmosphère devront être établi dans toutes les villes de plus de 250 000 habitants mais aussi dans les autres zones où il y a risque de dépassement des seuils de pollution. L’obligation sera de ne pas dépasser ces seuils. Nous avons instauré toute une panoplie de mesures, comme les renforcements de contrôles techniques. En outre, les plans de déplacements urbains ont pour objet de remodeler la ville non plus en fonction de l’automobile, mais au contraire d’adapter l’automobile à la ville. La philosophie est diamétralement opposée à celle qui nous a dirigé pendant des années.

L’Est Républicain : Adapter l’automobile à la ville, cela veut dire la réduire. Alors cette idée de pastille « verte » correspondra à quoi. Ce sera un « passe » pour pouvoir circuler en ville si la pollution est trop élevée ?

Corinne Lepage : Elle sera verte ou d’autre autre couleur, selon les cas. Le décret sortira très vite, car il ne pose pas de problème majeur. Elle sera gratuite et je pense qu’on pourra l’obtenir quand on achète la vignette. On va voir qui va être vert et pas vert mais, à mon sens, on ne l’accordera pas seulement aux gens qui possèdent un véhicule électrique ou un véhicule qui fonctionne au GPL, mais aussi à tous ceux qui « sont catalysés », du moins dans un premier temps. Quant aux restrictions de circulation, les préfets, dans le cadre des mesures d’urgence, pourront choisir, comme interdire le trafic dans les centres urbains, exceptés véhicules prioritaires.

L’Est Républicain : Le gazole est montré du doigt. Faudra-t-il le taxer comme le reste des carburants pour constater un moindre engouement sur les véhicules qui l’utilise ?

Corinne Lepage : L’article 22 reconnaît que la fiscalité des carburants doit tenir compte de l’impact sur l’environnement et la santé. Concernant le gazole, le Premier ministre a pris des engagements, notamment vis-à-vis des transporteurs, mais je pense qu’une voie est possible dans la différenciation entre l’usage individuel et l’usage collectif et économique car on ne peut pas défavoriser tout un secteur d’activité. Et puis, on a augmenté deux fois plus le gazole que l’essence lors de la dernière hausse de la TIPP. Et à terme, il faudra interdire totalement l’essence plombée.

L’Est Républicain : Un échéancier pour l’application concrète de la loi sur l’air et des nombreux décrets qu’il faudra prendre ?

Corinne Lepage : Je voudrais finir pour la fin 1997. C’est ambitieux, mais déjà certaines bases de textes ont été discutés, comme celles du développement des réseaux de surveillance.

L’Est Républicain : Le rail pour désengorger la route, c’est une idée qui n’apparaît pas dans le texte, qu’en pensez-vous ?

Corinne Lepage : C’est un problème national. Tant que nous continuerons à opter pour des choix d’infrastructures qui favorisent systématiquement les autoroutes au détriment du rail, nous ne pourrons pas rééquilibrer. On parle depuis longtemps de transport combiné et de ferroutage, mais cette année on va mettre 300 millions sur le ferroutage, c’est même une augmentation, mais les autoroutes recevront parallèlement 20 milliards…

L’Est Républicain : Mais alors le Grande Canal Rhin-Rhône est-ce un bon choix ?

Corinne Lepage : C’est un vieux projet. La loi Pasqua du 2 février 1995 avait réaffirmé la volonté nationale de réaliser cet ouvrage, et nous en avons hérité d’un projet qui était déclaré d’utilité publique et qui avait fait l’objet d’une validation législative 3 mis auparavant. Le Premier ministre a souhaité une concertation publique, nous l’avons faite, ainsi qu’une étude d’impact globale que nous réalisons actuellement.

L’Est Républicain : En septembre dernier, vous avez organisé des « assises du développement durable ». Un enjeu et une stratégie pour la nature. En 1992, les États membres de l’union européenne ont adopté la direction habitat, appelée Natura 2000. En Lorraine, 72 sites et 52 000 ha ont été proposés. Mais Alain Juppé a gelé « Natura 2000 ». Un recul ?

Corinne Lepage : Ce dossier avait tout de la patate chaude et il a été géré du bout des doigts par mes prédécesseurs. J’ai pris une circulaire en septembre pour qu’il y ait une concertation dans les régions. Ça a marché dans certaines d’entre elles mais pas dans d’autres. En fait, il existait une inquiétude des acteurs locaux : on ne savait pas quel devait être le degré de contraintes à l’intérieur de ces zones prévues dans le cadre de Natura 2000. Nous voulons redémarrer ce principe sur de nouvelles bases. Déjà l’appliquant sur 37 sites expérimentaux, car l’objectif n’est pas d’appliquer bêtement une directive, mais faire en sorte que nos espaces soient mieux gérés.

L’Est Républicain : Depuis 1970 en France, 25 % des prairies ont disparu au profit des surfaces cultivées. Lors des assises du mois dernier, vous avez abordé le principe du pollueur-payeur dans l’agriculture. Vous ne craignez pas une levée de fourches ?

Corinne Lepage : Les agriculteurs sont des agents économiques, mais il faudra aller vers une agriculture plus extensive, l’affaire de la vache folle est là pour nous rappeler les dangers d’une agriculture trop intensive. C’est toute une refonte de la politique agricole commune qui doit être envisagée. Quant à l’utilisation des produits phyto-sanitaire, je me bagarre, mais je n’ai pas la compétence.

L’Est Républicain : Avec votre ministère limité en budget, ne pensez-vous pas que ce constat risque malheureusement de perdurer ?

Corinne Lepage : Je suis convaincue que l’environnement sera aussi crucial que l’emploi d’ici quelques années. À propos d’emploi, l’an passé, l’environnement en a créé 15 000 emplois directs et les éco-industries continent d’augmenter de 4 à 5 % leurs offres. Pour que nous placions nos produits sur le plan international, il faut que la France possède une bonne image de son environnement. Quant à mon budget, c’est celui qui progresse le plus de tous les budgets et vous verrez que d’ici une cinquante d’années, le ministère de l’environnement sera aussi important que celui des finances.

 

Date : 16 janvier 1997
Source : Le Figaro

Le Figaro : Quand espérez-vous voir aboutir votre loi sur l’air ?

Corinne Lepage : Avant la fin de l’année. Cette loi date en fait du 30 décembre 1996. Elle nécessité bien sûr un certain nombre de décrets d’application. Je souhaiterais qu’ils puissent tous sortir avant décembre. Mais il existe déjà ces dispositions d’application immédiates, sans décret. Il s’agit notamment des mesures d’urgence en cas de pic de pollution. C’est dans ce cadre que le préfet de Lyon est intervenu mardi pour prendre des mesures restrictives pour les industries polluantes.

Le Figaro : En cas de forte pollution, verra-t-on un jour interdire totalement la circulation automobile dans les villes ?

Corinne Lepage : La circulation ne sera jamais totalement interdite, ne serait-ce que pour garantir des transports en commun. Mais la loi oblige les préfets à restreindre la circulation automobile, tout en leur laissant le choix des moyens à utiliser. Cela pourra être le système des plaques alternées, comme à Athènes, un choix entre véhicules plus ou moins polluants, ou encore l’interdiction à certaines heures de la journée.

Le Figaro : Ces mesures visent les pics de pollution. Mais votre li s’attaque-t-elle au fond du problème de la pollution urbaine ?

Corinne Lepage : Bien sûr, nous nous attaquons au fond. C’est l’objet des plans de déplacements urbains qui devront être élaborés par les préfets dans un délai de deux ans. Pour les villes de plus de 100 000 habitants, cela permettra d’établir le partage des voiries entre voitures, piétons, bus, etc. Il s’agit de développer tous les modes alternatifs à la voiture particulière.

Le Figaro : Ne vous heurtez-vous pas au lobby automobile ?

Corinne Lepage : Si, bien sûr. Il s’est exprimé pour que la loi ne dérange pas ses intérêts. Mais dans les textes, nous leur ouvrons des portes, notamment en favorisant le développement des véhicules propres.

Le Figaro : Le diesel est aussi nocif pour la santé. Le gouvernement cherche pourtant à le développer…

Corinne Lepage : C’est vrai. Les décisions prises favorisent deux fois plus le diesel. Et le problème de ce carburant, c’est qu’il émet des particules très fines qui se fixent sur les poumons. Mais nous avons déjà progressé en rendant obligatoires les pots catalytiques. Je pense, à ce sujet, qu’il serait intéressant d’avoir un système différencié de taxation entre véhicules particuliers et utilitaires. Comme en Italie.

Le Figaro : Les entreprises se plaignent aussi du coût des mesures restrictives qui leur sont imposées. Elles parlent d’un million de francs de perte par jour. Êtes-vous sensible à leurs arguments ?

Corinne Lepage : Les responsables, ce sont eux. Et si l’on parle de coût pour l’économie du pays, englobe-t-on le coût pour la collectivité des journées d’hospitalisation et des consultations médicales supplémentaires ? En réalité, je ne crois pas que les restrictions ponctuelles freineront l’activité économique du pays. Tous les autres États de l’Union européenne travaillent dans ces conditions. La prise de conscience a peut-être été plus tardive en France.

Ce genre de mesures existe depuis longtemps à Rome, Florence et Milan. De toute façon, la solution ne peut pas consister à dire aux gens de rester chez eux.

 

Date : jeudi 16 janvier 1997 / Édition du soir
Source : RTL

J.-M. Lefebvre : C’est la première fois qu’on a une mesure de restriction de circulation automobile prise sur la base de la loi sur l’aire, puisque les camions sont interdits de transit à Lyon, aujourd’hui. Je crois que les mesures qui ont été prises par le préfet sont tout à fait exemplaires de ce qui doit être fait.

J.-M. Lefebvre : Si, dans deux jours, il y a l’alerte 3 à Paris, que se passe-t-il ?

C. Lepage : À Paris, il y a déjà un ensemble de mesures qui est possible : restriction de la vitesse notamment sur le périphérique et sur les voies sur berges, interdiction des cars dans le centre de la ville.

J.-M. Lefebvre : Et à terme, à Paris, ça passera aussi par des restrictions de la circulation ?

C. Lepage : La loi est applicable à Paris comme ailleurs. Il n’en demeure pas moins que ceci touche la vie quotidienne de nos concitoyens et je ne suis pas sûre que ceux-ci seraient prêts à avoir des mesures, que ce soit à Paris ou ailleurs, d’interdiction de circulation si, parallèlement, nous ne sommes pas en mesure de leur offrir de quoi se déplacer. C’est ce que nous sommes en train de mettre en place. Mais je souhaite que tout ceci se fasse en concertation étroite avec le maire de Paris.


Date : jeudi 16 janvier 1997 / Édition du soir
Source : France Inter

C. Lepage
France Inter – 19 heures

C. Lepage : Les plans d’urgence sont des plans qui sont destinés à entrer en vigueur chaque fois qu’il y a une pointe de pollution. Il est donc important que chacun sache ce qu’il peut faire ou ne pas faire. Ma demande auprès des préfets, c’est d’établir le plus rapidement possible ces plans et nous étudions actuellement les mesures de restriction de circulation de monsieur tout le monde, qui pourraient être prises dans le cadre de ces plans d’urgence qui n’ont pas besoin de décret d’application.

France Inter : Donc, pour l’instant, c’est uniquement le transit dans la ville qui est interdit ?

C. Lepage : À Lyon, aujourd’hui oui. Mais tout ça est évolutif, nous travaillons vite pour essayer précisément d’avoir très rapidement des mesures concrètes. Il est indispensable de prévenir les gens, que chacun sache si on a un pic 1, 2 ou 3, quelles sont les mesures de restriction qui sont envisagées. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas, aujourd’hui, au milieu de la journée, de mesure de restriction de circulation pour les individus.

 

Date : 17 janvier 1997
Source : Le Parisien

Le Parisien : Vous vous êtes adressée hier aux préfets des départements concernés par la pollution. Que leur avez-vous dit ?

C. Lepage : je leur ai demandé d’étudier très rapidement les mesures de restriction de la circulation susceptibles d’être prises, conformément à l’article 12 de la loi qui prévoit des plans d’urgence. Pour la première fois en France, le trafic de poids lourds a été interdit dans une agglomération, en l’occurrence Lyon. C’est une innovation.

Le Parisien : Quelles autres mesures peut-on prendre dans l’urgence ?

C. Lepage : On peut demander aux usines de réduire leurs émissions polluantes, mais il faut surtout convaincre les conducteurs de voitures particulières de moins rouler, à certaines heures, dans certains quartiers, ou en adoptant le système de la circulation alternée. Ce système peut être pervers quand il est permanent, mais pas quand il est ponctuel.

Le Parisien : Et la pastille verte réservée aux voitures propres qui, elles, pourront passer outre les interdictions ?

C. Lepage : Il faut un décret pour la mettre en service. J’ai l’intention de faire passer tous les décrets d’ici à la fin de l’année. Mais rarement une loi aussi jeune – elle n’a qu’une quinzaine de jours – a été appliquée aussi rapidement. Car elle est appliquée, quoi qu’on dise : des mesures concrètes ont été prises à Lyon, à Marseille, là où les taux de pollution ont grimpé le plus haut.

Le Parisien : D’autres dispositions de la loi peuvent-elles être appliquées dès aujourd’hui, sans décret ?

C. Lepage : Oui, les plans de déplacement urbain qui doivent donner la part belle aux transports en commun.

Le Parisien : La loi a imposé à toutes les villes de plus de 250 000 habitants de se doter d’un réseau de surveillance dès le 1er janvier 1997. Où est-on ?

C. Lepage : Quatre communes seulement n’ont pas encore répondu à cette obligation mais sont sur le point de le faire : Valenciennes, Toulon, Tours et Grasses-Cannes-Antibes.

Le Parisien : Une bonne prévention passe par la prévision de la pollution. Pourquoi Airparif est-il en retard sur son calendrier ?

C. Lepage : Il s’agit simplement de problèmes techniques. Mais par rapport aux autres pays, nous sommes en avance en pouvant déjà prévoir la pollution par l’ozone avec quelques heures d’avance.