Interview de M. Edouard Balladur, député RPR, dans "Le Progrès" du 23 janvier 1997, sur l'emploi des jeunes, la réforme fiscale et l'indépendance de l'autorité judiciaire, ainsi que le rôle du "balladurisme" dans le débat politique.

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Circonstance : Déplacement à Lyon de M. Edouard Balladur pour un colloque sur la monnaie unique et l'harmonisation fiscale des pays de l'UE, le 23 janvier 1997

Média : La Tribune Le Progrès - Le Progrès - Presse régionale

Texte intégral

Le Progrès : En ce début d’année, quel est votre vœu le plus cher pour la France et les Français ?

Édouard Balladur : Que la France, et plus spécialement sa jeunesse, retrouve l’espoir. Je souhaiterais que mon déplacement à Lyon fut inspiré de cette préoccupation. Au cours de mes rencontres c’est bien un message d’optimisme en faveur de la jeunesse que j’entends lancer.

Le Progrès : On n’a pas l’impression que la consultation des jeunes que vous aviez lancée ait donné des résultats concrets…

Édouard Balladur : Sur la centaine de propositions qui nous avaient été faites, j’en ai retenu plus de cinquante. Par exemple, la création de conseils municipaux de jeunes dans les communes de plus de 3 500 habitants ou le dispositif « défi-jeunes » qui a permis la réalisation de 380 projets d’intégration de jeunes, grâce à des bourses d’un montant moyen de 22 000 francs. C’était une première étape et j’avais prévu qu’il y en ait d’autres.

La France est le pays d’Europe qui enregistre le plus fort pourcentage de jeunes au chômage, nous ne pouvons nous y résigner. Ils étaient près de 21 % en 1992, ils sont prêts de 25 % aujourd’hui. Il faut lutter contre ce fléau, d’abord de façon générale en faisant redémarrer la croissance et l’emploi. Mais il faut également des actions spécifiques à destination des jeunes. C’est pourquoi j’ai proposé que l’on développe la formation des jeunes dans l’entreprise grâce au concours de l’État, qui prendrait en charge 20 % de leur salaire, correspondant au temps qu’ils passeraient dans l’entreprise, non pas pour produire mais pour bénéficier d’une formation supplémentaire. De cette manière, il serait mis fin à un malentendu : il n’a jamais été dans l’esprit de quiconque de payer moins les jeunes uniquement parce qu’ils étaient jeunes, mais bien parce que, formés dans l’entreprise, ils ne consacraient pas l’intégralité de leur temps dans l’entreprise à la production.

Le Progrès : Vous aviez proposé le CIP. Aujourd’hui, il y a le projet de stages diplômants, quelle est la différence ?

Édouard Balladur : Il s’agit de deux choses différentes, les stages diplômants sont des contrats de formation et pas des contrats de travail. Rien ne s’oppose à ce qu’en faveur des jeunes on institue à la fois des contrats de formation et des contrats de travail, à la condition, je le répète, qu’ils donnent droit, grâce à l’aide de l’État, à l’octroi d’un plein salaire. L’emploi des jeunes est ma préoccupation fondamentale. Grâce à toute une série de mesures, nous avons diminué le coût du travail pour les personnes les moins qualifiées et nous avons réussi à faire en sorte que la croissance soit davantage créatrice d’emplois.

Cela étant, pour retrouver plus de croissance et donc un emploi plus abondant, il faut créer un climat de confiance dans l’avenir qui résulte essentiellement de la baisse des impôts et des charges et de l’assouplissement de toute une série de réglementations trop contraignantes. Le problème français n’est pas différent de celui que connaissent nos voisins européens. Simplement il est peut-être plus marqué.

Le Progrès : Faut-il pour cela, comme le préconise le président du CNPF, « réécrire le Code du travail » ?

Édouard Balladur : Sûrement pas de façon autoritaire et brutale. En revanche, il faut discuter afin de simplifier les règles, les procédures, de raccourcir les délais, bref de permettre une gestion plus simple et plus rapide de l’économie. Il ne s’agit nullement de rendre les licenciements plus faciles, contrairement à ce que beaucoup disent, pas toujours de bonne foi. La question est la suivante : comment mettre plus de liberté et de souplesse dans notre système économique, sans détruire les garanties fondamentales dont bénéficient les salariés et assurés sociaux ? C’est tout l’enjeu de la politique de notre pays dans les prochaines années.

Le Progrès : Pour les Français l’optimisme passe aussi par une baisse des impôts. Peut-on, en 1997, faire mieux que ce qu’a décidé le gouvernement ?

Édouard Balladur : J’ai toujours pensé que notre pays supportait des impôts, des taxes et des cotisations trop lourds. Je me réjouis de commencer à être entendu et que le gouvernement ait adopté un plan de réduction des impôts de 75 milliards de francs sur cinq ans. Je souhaite que cette baisse s’accélère dès 1998, et que, notamment, l’on concentre sur les trois prochaines années, au lieu de cinq, la période durant laquelle l’impôt sur le revenu doit diminuer. Mais il faudra aller plus loin, qu’il s’agisse de la TVA, plus lourde en France que dans la moyenne des pays européens, ou des impôts sur l’immobilier.

Aujourd’hui, de tous les grands pays développés, la France est celui qui a le taux de chômage le plus élevé, mais aussi les dépenses collectives et les impôts les plus lourds, la durée du travail la plus courte, l’âge de départ à la retraite le plus bas. Ceci doit nous faire réfléchir : n’est-ce pas en raison de l’État-providence que nous connaissons des problèmes économiques et sociaux ? Cela prouve l’urgence des réformes à faire en la matière, car diminuer les dépenses et les impôts, cela signifie modifier les structures de la société. Il faut en convaincre nos compatriotes.

Le Progrès : Souhaitez-vous toujours, également, plus de souplesse dans la politique monétaire ?

Édouard Balladur : Je souhaite depuis longtemps une baisse de nos taux d’intérêt, car nous avons besoin d’une politique monétaire plus souple afin que l’économie soit mieux alimentée. C’est possible, si l’on constate que nos taux sont encore supérieurs aux taux allemands.

Je souhaite aussi que nous réussissions à créer la monnaie européenne, mais nous devons d’ores et déjà, nous préoccuper de ce qui se passera après. Nous aurons à faire un grand effort d’harmonisation budgétaire et fiscal pour ne pas avoir des charges et des impôts plus lourds que nos voisins. Si malgré la création de la monnaie européenne, nous conservions une TVA et des cotisations sociales plus lourdes, l’économie française serait handicapée. Je ne dis pas que tout le monde doit être géré de la même manière, mais si nous voulons retirer les fruits de la monnaie unique européenne, notre économie ne peut pas supporter des impôts beaucoup plus lourds que les économies voisines.

Le Progrès : Qu’est-ce que le « Balladurisme » aujourd’hui et quel rôle souhaitez-vous jouer dans le débat politique ?

Édouard Balladur : Si vous en parlez c’est sans doute que cela représente quelque chose. Pour moi c’est la nécessité de réformes, une méthode fondée sur le dialogue et la tolérance. Quant à mon rôle, je souhaite contribuer à dégager des idées nouvelles et à rédiger des projets d’avenir. Il faut écouter, certainement, mais il faut aussi montrer la voie, avoir le courage des réformes nécessaires et en convaincre les Français. C’est pour cela qu’ils nous ont élus.

Le Progrès : En 1993, les « affaires » ont été pour partie à l’origine de la déroute de la gauche. Craignez-vous le même phénomène en 1998 pour la majorité actuelle ?

Édouard Balladur : Les affaires concernent des élus appartenant à tous les partis. Il faut que tout le monde soit traité sur un pied d’égalité, sans protections particulières. Il faut aussi que les libertés fondamentales de la personne soient préservées. Comment mettre la justice à l’abri des pressions du pouvoir politique ?

Nous avons commencé à le faire en 1993 en réformant le Conseil supérieur de la magistrature qui, désormais, comporte d’avantage de magistrats élus par leur pairs et qui donne un avis sur la carrière des magistrats du Parquet. Par ailleurs, il a été indiqué que le Parquet n’aurait plus à recevoir de la Chancellerie d’instructions autres qu’écrites et figurant aux dossiers. Faut-il aller plus loin ? C’est tout l’objet du débat actuel.

Le Progrès : Craignez-vous également que l’indépendance du Parquet conduise à une République des juges ?

Édouard Balladur : Il est de la responsabilité du pouvoir exécutif de déterminer et de conduire une politique pénale, sous le contrôle du Parlement et de l’arbitrage du peuple français, source unique de légitimité, au nom duquel, ne l’oublions pas, la justice est rendue. Dans une démocratie, les détenteurs suprêmes du pouvoir sont ceux que le peuple désigne. Qu’il y ait des bornes à leur pouvoir, c’est normal, qu’il soit contrôlé par les juges, c’est également normal. Que les magistrats – en tous cas ceux du siège – soient les plus indépendants possibles, c’est également indispensable. Il faut trouver un point d’équilibre entre ces préoccupations différentes : la légitimité du pouvoir démocratique, l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Le Progrès : Qu’attendez-vous de la commission mise en place par le président de la République ? Était-elle vraiment indispensable ?

Édouard Balladur : C’est justement à cette commission qu’il appartiendra de trouver ce point d’équilibre et j’attends les résultats de ses travaux avec beaucoup d’intérêt.