Texte intégral
La Lettre de la Nation magazine : 7 mars 1997
La Lettre de la Nation magazine : Où en est-on des initiatives pour faire progresser la parité entre les hommes et les femmes dans la vie politique ?
Anne-Marie Couderc : Le constat est connu : la France est le mauvais élève de la classe européenne en matière de participation des femmes à la vie politique. Cette situation est inadmissible, c’est un échec de notre démocratie.
C’est pourquoi, dès octobre 1995, le Premier ministre a installé un observatoire de la parité. Cet observatoire a été, en particulier, chargé d’élaborer des propositions pour faire évoluer les choses. Son rapport a été remis au Premier ministre le 15 janvier dernier. Plusieurs propositions ont été faites : introduire des quotas dans les élections, limiter le cumul des mandats, mettre en place une incitation financière au profit des partis présentant des candidatures féminines…
Un large débat doit désormais avoir lieu autour de ces propositions. Il est organisé à l’Assemblée nationale mardi prochain. Une mission d’information procède, par ailleurs, actuellement à des auditions au Sénat. Lorsque les différents points de vue auront pu s’exprimer, le Gouvernement fera connaître ses choix, probablement au début de l’été.
La Lettre de la Nation magazine : Vous avez toujours dit votre hostilité au principe des quotas. Maintenez-vous cette position ?
Anne-Marie Couderc : J’ai, en effet, indiqué qu’à titre personnel, j’étais peu favorable à la mise en place de quotas imposés par la mise en place de quotas imposés par la loi. C’est d’abord aux partis politiques d’assumer leurs responsabilités en la matière. Voyez l’ensemble des pays scandinaves : si, en Suède, près d’un député sur deux est une femme, c’est bien grâce à la volonté des partis. L’accès des femmes en politique participe de la modernisation de la vie publique. Personne ne peut, à l’aube du XXIe siècle, refuser cette évolution.
La Lettre de la Nation magazine : Le débat sur la place des femmes ne concerne pas que le champ politique. Quelles sont les autres inégalités sur lesquelles vous allez concentrer votre action ?
Anne-Marie Couderc : Il faut d’abord que les femmes, comme les hommes, puissent accéder à des postes de responsabilité dans la vie économique. Elles sont, aujourd’hui, de mieux en mieux formées. Il faut créer les conditions d’une véritable conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. C’est d’abord le rôle de la négociation sociale dans les entreprises. Ensuite, il faut combattre les inégalités de rémunération entre hommes et femmes ; à compétence égale, celles-ci sont inadmissibles. Enfin, il faut se mobiliser contre toutes les formes de violence contre les femmes. Il n’y aura pas d’égalité de sexes tant que certains maris considéreront qu’ils ont le droit de frapper leur femme quand elle est en désaccord avec eux, tant que des supérieurs hiérarchiques jugeront légitime d’échanger un emploi ou une promotion contre des faveurs sexuelles, tant que des adultes utiliseront le corps d’enfants pour assouvir leur sexualité. C’est là, pour moi, le principal combat. Il faut briser la loi du silence, dénoncer les comportements sexistes qui banalisent le mépris de la femme et, bien sûr, tout faire pour aider les victimes. C’est pourquoi, j’ai notamment souhaité qu’en 1997, comme en 1996, les moyens et les lieux d’accueil et d’écoute pour les femmes victimes de violences soient augmentés.
Le Journal du dimanche : 9 mars 1997
Le Journal du dimanche : Avez-vous parfois regretté d’être une femme ?
Anne-Marie Couderc : Jamais !
Le Journal du dimanche : Vous êtes-vous sentie avantagée d’être une femme ?
Anne-Marie Couderc : Souvent. Aussi bien dans ma vie professionnelle que dans la vie politique. Mais ça peut être aussi un handicap. Une femme doit toujours apporter la preuve de sa compétence. On ne lui pardonne pas vos erreurs.
Le Journal du dimanche : À quoi sert la journée des femmes, célébrée hier ?
Anne-Marie Couderc : Elle permet de sensibiliser l’opinion sur tous les aspects de la vie des femmes. Il reste dans la vie de tous les jours un certain nombre d’inégalités. Il faut donc accélérer le processus. Les femmes ont gagné leur indépendance ; le travail à l’extérieur du domicile est devenu la norme. Mais aujourd’hui, il y a 1,5 million de chômeuses. Le chômage des femmes est plus long que celui des hommes, il est plus important proportionnellement et les femmes sont plus fragilisées dans leur emploi. C’est pourquoi, il faut pallier le déficit d’orientation des jeunes filles. Sinon, elles risquent d’être cantonnées à quelques filières.
Et puis, les femmes sont toujours victimes de violences. C’est un fait de société insupportable. Nous devons briser la loi du silence.
Le Journal du dimanche : Certaines ont demandé la suppression du 8 mars, pas vous ?
Anne-Marie Couderc : Il y a quelques années, si vous m’aviez interrogé, je vous aurais répondu : le 8 mars à quoi ça sert ? Mais en ayant étudié le dossier, je peux témoigner des inégalités et des discriminations qui demeurent ! L’absence de femmes dans la vie politique en est une illustration.
Le Journal du dimanche : À quoi bon un débat sur la parité à l’assemblée si le Gouvernement ne présente pas de propositions avant que la mission sénatoriale ait fini son travail en juin ?
Anne-Marie Couderc : Le débat qu’ouvre le Premier ministre mardi a, pour moi, le très grand avantage de poser la question de la participation des femmes à la vie politique auprès de la représentation nationale. Je n’ai entendu personne dire que la situation actuelle est satisfaisante. Reste le problème des moyens pour y remédier. L’observatoire de la parité nous a livré un éventail de propositions qui vont d’une réforme de la Constitution permettant l’institution de quotas aux élections, en passant par des mesures de modernisation de la vie publique comme le non-cumul des mandats, la limite d’âge, la modification du financement de la vie politique… Lors du débat, les députés vont pouvoir exprimer leur position. On va ainsi déterminer les freins, les conservatismes. Mais, je ne voudrais pas de solutions gadgets.
Le Journal du dimanche : Le PS annonce 30 % de candidates en 1998, et votre parti, le RPR ?
Anne-Marie Couderc : Voilà le gadget électoral type ! Quand on a peu de sortants, c’est plus facile. Et d’ailleurs, de quelles circonscriptions s’agit-il ? À la fin de la législature socialiste en 1993, le groupe PS ne comptait que 5 % de femmes. Moins que l’UDC et le RPR. La présence des femmes au Parlement est souhaitable et c’est à tous les niveaux de la vie politique – municipale, départemental, régional – qu’il faut des femmes.
Le Journal du dimanche : Il y a une majorité de femmes dans le corps électoral, pourquoi n’élisent-elles que des hommes ?
Anne-Marie Couderc : Parce que les candidats des partis sont principalement des hommes ! Dans une élection, je ne vote pas pour un homme ou pour une femme, je vote pour des idées, et donc pour ceux qui les représentent.
Il y a quinze ans, quand j’ai commencé à faire de la politique, j’ai peut-être été mal accueillie par certains hommes mais il y avait aussi une défiance féminine. Les choses ont beaucoup évolué.
Le Journal du dimanche : Les femmes députés interrogées par Le Monde sont aux deux tiers hostiles à toute réforme sur le sujet !
Anne-Marie Couderc : Je les comprends. Quand on a pris sa place dans la vie politique, ce n’est pas parce qu’on est une femme, c’est parce que l’on porte des valeurs, un engagement, des convictions. Alors, les quotas…
Le Journal du dimanche : On dit pourtant que le Premier ministre n’y serait pas hostile ?
Anne-Marie Couderc : Alain Juppé, en tant que Premier ministre et président d’un mouvement politique met tout son poids dans la balance. C’est aux partis que revient la responsabilité de favoriser l’émergence de femmes dans le monde politique. Si les conservatistes s’opposaient à toute évolution, je comprendrais que des obligations légales soient introduites à titre temporaire pour lever les blocages. Par principe, j’y suis peu favorable, c’est une affaire de conviction. Mais, ne perdons pas de vue l’enjeu : un juste équilibre entre hommes et femmes dans la vie politique.
Europe 1 : Mercredi 12 mars 1997
J.-P. Elkabbach : Le débat à l’Assemblée nationale a déçu. Certes, il a duré quatre heures mais on ne voit pas vraiment où est le miracle. La bonne volonté d’A. Juppé est probablement confirmée mais, pour beaucoup de femmes, c’est une défaite et une humiliation. Ne vous êtes-vous pas sentie humiliée d’avoir été pratiquement seule dans l’hémicycle ?
A.-M. Couderc : Non. D’une part, j’aimerais vraiment dire que ce débat est un débat essentiel : depuis 15 ans, on n’a jamais eu de débat sur la place des femmes dans la vie politique devant l’ensemble du pays et avec la participation de la représentation nationale. Cela, c’est important.
J.-P. Elkabbach : Mais était-il confortable de vous trouver dans un hémicycle clairsemé ?
A.-M. Couderc : Ce n’est pas très confortable. Il est vrai qu’il est désagréable de voir un hémicycle à moitié vide – ce n’est pas exceptionnel comme vous le savez – lorsque l’on entend dire par tous les responsables politiques que la place des femmes dans la vie politique, c’est quelque chose d’important et qu’il faut que l’on arrive à un équilibre important.
J.-P. Elkabbach : Il faut rappeler que le Premier ministre est partisan, à titre personnel, de modifier la Constitution pour que la loi permette d’ici dix ans des candidatures féminines aux élections européennes, municipales et régionales, mais pas aux législatives.
A.-M. Couderc : C’est-à-dire les scrutins de liste. Le Premier ministre souhaite – et a exprimé son sentiment personnel – faire en sorte que l’efficacité soit au rendez-vous et que les femmes puissent véritablement être candidates et être en position d’être élues. Là où cela peut être fait, c’est effectivement les scrutins de liste.
J.-P. Elkabbach : N’êtes-vous pas choquée qu’il dise qu’il faut un apprentissage de dix ans pour les femmes ? Vous sentez-vous en stage de formation politique en tant que ministre depuis deux ans ?
A.-M. Couderc : Non. Ce qu’il dit – c’est ce que nous disons tous quand on fait de la politique – c’est que la politique est un vrai métier, que cela s’apprend. En termes de présence de femmes dans la vie politique, il ne faut pas faire des effets de manche, il ne faut pas faire de gadget électoral : il faut une présence de femmes d’une manière durable. Il faut donc leur donner toutes leurs chances.
J.-P. Elkabbach : Donc, en ce moment, vous êtes en stage, vous apprenez, on vous donne de bonnes notes ou de mauvais points.
A.-M. Couderc : Pas du tout. Le socle de notre démocratie, c’est, entre autres, le pouvoir local. On s’ancre. On a une implantation géographique. À partir de ce moment-là, on a une plus grande certitude de pouvoir durer dans la vie politique.
J.-P. Elkabbach : D’où êtes-vous élue ?
A.-M. Couderc : Je suis élue locale à Paris. J’ai commencé comme cela. J’ai progressé de cette manière. Je ne trouve pas déshonorant de se dire que la vie politique est un vrai métier. Le Président de la République l’a d’ailleurs rappelé lui-même.
J.-P. Elkabbach : Les hommes ont-ils besoin d’un stage pour devenir députés ou ministres ?
A.-M. Couderc : Ne détournez pas la réalité ! Ce n’est pas un apprentissage de dix ans ! C’est dire : donnons à cette société française un objectif. En dix ans, il faut véritablement que la place des femmes soit équilibrée dans la vie politique. C’est cela, une démocratie moderne. On s’en donne les moyens. Alors, ne détournons pas les choses ! Il ne s’agit pas de mettre les femmes en formation : il s’agit de donner à la société française la chance, en dix ans, avec des moyens réels, de faire en sorte que les femmes entrent dans la vie politique.
J.-P. Elkabbach : Vous êtes sacrément patiente !
A.-M. Couderc : Je ne suis pas patiente spécialement. Je pense qu’il faut que les responsables politiques – tous –, que les partis politiques assument leurs responsabilités, quelles que soient les décisions institutionnelles. Une fois que l’on a décrété que l’on voulait des femmes dans la vie politique, il faut le faire.
J.-P. Elkabbach : Vous avez remarqué, puisque vous étiez dans l’assemblée, que M. Juppé lui-même a dit que c’était un aveu d’échec : « nous avons échoué ».
A.-M. Couderc : C’est évident, y compris le Parti socialiste qui, bien souvent, nous donne des leçons, sous deux septennats de M. Mitterrand, n’a pas fait avancer la cause des femmes d’un iota. À la fin 1993, le Parti socialiste avait moins d’élues que le RPR et l’UDC.
J.-P. Elkabbach : D’accord, mais vous croyez que c’est une consolation ? En quoi cela peut être une consolation que les autres aient été, à un moment donné, mauvais ?
A.-M. Couderc : Ce n’est pas une consolation, c’est un constat et je crois que ce qu’il faut aujourd’hui, comme le Premier ministre le souhaite, c’est qu’il y ait un vrai consensus du monde politique pour faire avancer cette situation qui est anormale. On ne peut pas être derniers de la classe.
J.-P. Elkabbach : Qu’est-ce qui va se passer ?
A.-M. Couderc : C’est la proposition du Premier ministre : un débat qui, contrairement à ce que vous dites, est un débat important.
J.-P. Elkabbach : Je n’ai jamais dit que le débat n’était pas important. On l’attendait ce débat, mais il s’est déroulé en quatre heures et on a le sentiment que, parce qu’il a duré quatre heures, c’est historique.
A.-M. Couderc : Non, c’est un débat important parce que cela a permis à chacun de s’exprimer. Un constat que tout le monde partage, un objectif que tout le monde partage : faire en sorte que la vie politique soit plus équilibrée entre les hommes et les femmes mais des moyens sur lesquels effectivement les responsables politiques divergent.
J.-P. Elkabbach : Alors, les étapes ?
A.-M. Couderc : Ce que propose le Premier ministre, c’est de dégager un consensus. L’assemblée a son débat, il est prolongé par les travaux qui sont actuellement en cours au Sénat. L’assemblée et le Sénat se rapprochent de manière à essayer de trouver ce consensus sur les moyens. Le Premier ministre a exprimé son sentiment personnel en disant que nous n’y arriverons pas si nous ne procédons pas par la voie législative et pour que cette loi soit constitutionnelle, il nous faudra une réforme de la Constitution. Donc, il a fait une proposition qui va être débattue.
J.-P. Elkabbach : Et cela avant l’été ?
A.-M. Couderc : Et avant l’été, bien entendu.
J.-P. Elkabbach : On va demander à une assemblée composée essentiellement, si je peux me permettre, de « mecs » et de « machos » de débattre sur les responsabilités qu’ils vont bien vouloir accorder aux femmes pour une période transitoire.
A.-M. Couderc : Toutes les avancées en faveur de l’égalité des droits des femmes ont été pratiquement votées par des assemblées faites en majorité d’hommes, sur la proposition, en règle générale, très souvent de femmes.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que l’on va vers une réforme à Versailles, en congrès, sur ce thème des femmes et de la politique ?
A.-M. Couderc : Nous verrons quelle sera le dispositif final mais ce qui me paraît important – parce que vous avez une vision des hommes qui me paraît aussi assez négative # : je fais tout de même confiance dans la classe politique et il faut absolument que ce soit côte à côte, hommes et femmes, que ce progrès soit fait.
J.-P. Elkabbach : Pourquoi réformer la Constitution alors qu’il suffirait, par exemple, de nommer, dans certains cas, plus de femmes ministres et de forcer les partis – le PS va le faire en 1998 –, le RPR et l’UDF, à accorder plus de sièges aux dames ?
A.-M. Couderc : Vous prêchez une convaincue. Je suis totalement d’accord et je l’ai dit et redit, qu’il est vrai que c’est aux partis politiques, au premier chef, de prendre leurs responsabilités et ce n’est pas une entité abstraite un parti politique : ce sont des hommes et des femmes qui sont en place et qui doivent, normalement, faire en sorte que des hommes et des femmes nouveaux et nouvelles arrivent dans la vie politique. C’est cela qui est important, c’est la modernisation de la vie politique. C’est le fait que des gens d’autres horizons arrivent.
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu’une femme qui a le pouvoir et qui a du pouvoir est encore une femme solidaire des autres femmes ?
A.-M. Couderc : Qu’en pensez-vous ? Je pense que nous sommes femmes. Du moins en ce qui me concerne, je ne pense pas avoir perdu ma féminité, tout du moins je l’espère. Indépendamment de cela, je crois qu’aujourd’hui, les femmes sont totalement solidaires des autres femmes. Cela aussi, c’est un point important : c’est que, si on a pu leur reprocher à certaines époques de manquer de solidarité, aujourd’hui, ce n’est pas le cas et cela indépendamment des sensibilités politiques.
J.-P. Elkabbach : Donc, il faut pousser et aider Juppé à aller plus vite et plus loin. C’est G. Halimi qui disait ici : le général de Gaulle a donné le droit de vote aux femmes, est-ce que J. Chirac donnera le droit d’être élue ?
A.-M. Couderc : En tous les cas, le droit d’être élue nous l’avons, ce qu’il faut, c’est qu’une fois de plus, on fasse confiance aux hommes et femmes mais un petit coup de pouce législatif est peut-être nécessaire aujourd’hui.