Interview de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, dans "l'Humanité" le 8 décembre 1999 sur le projet de loi sur la parité homme femme, notamment la réaction des responsables politiques et les dispositions sur le statut des élues.

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Intervenant(s) : 
  • Nicole Pery - Secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle

Média : L'Humanité

Texte intégral

L'Humanité : Vous avez présenté le projet de loi aux responsables politiques. Quelle a été leur réaction ?

Nicole Péry : Le fait que le texte soit de portée immédiate a pris de court les leaders politiques. La classe politique ne pensait pas que le gouvernement allait mettre en application, d’une façon si rapide, ce principe inscrit dans la Constitution. Les dirigeants que j’ai rencontrés dans le cadre de la concertation n’ont pas remis en cause la parité. Toutefois, ils disent que ce sera difficile, humainement très difficile, car il va falloir que des hommes laissent des places à des femmes. Dans certaines villes, il y aura effectivement des problèmes délicats à résoudre. On a voulu faire un pas, non pas symbolique, mais historique. Et comme le dit Jean-Pierre Chevènement, qui va présenter ce projet de loi au Conseil des ministres, « on ne fait pas une révolution sans faire des excès ».

L'Humanité : Pourquoi seules les communes de plus de 3 500 habitants sont obligées de constituer des listes paritaires ?

Nicole Péry : Soulignons tout d’abord que la majorité de la population sera concernée. Ceci dit, de l’avis des juristes, l’extension de la parité à l’ensemble des communes se heurte à un problème de constitutionnalité. Les villes de moins de 3 500 habitants ne pratiquent pas vraiment un scrutin de liste à la proportionnelle. Une liste incomplète peut être déposée, elle peut être panachée. L’introduction de la parité nous aurait obligés de changer ce mode scrutin. Or, Lionel Jospin a promis qu’il ne saisirait pas de la parité pour modifier les modes de scrutin. De plus, il veut aller vite et appliquer la parité dès 2001.

L'Humanité : Le projet ne précise pas la place des femmes sur une liste. Ne craignez-vous pas que les candidates soient reléguées aux derniers rangs ?

Nicole Péry : À supposer que les partis soient très minimalistes dans leur volonté à promouvoir les femmes, il y aura quand même entre 35 % et 40 % d’élues. Mais avec la grande attente de l’opinion publique sur ce sujet, quel est le parti qui se permettrait de mettre vingt femmes en fin de liste ? Ce serait plutôt suicidaire. Le premier ministre estime qu’il sera déjà très difficile de faire accepter aux formations politiques 50 % de candidates.

L'Humanité : Pourquoi cette réticence ?

Nicole Féry : Tout simplement parce que beaucoup de partis ne sont pas prêts. Certains, notamment ceux de la gauche plurielle, ont déjà une pratique sur ce sujet : ils ont un nombre d’élues significatif dans les conseils municipaux. Ce qui est loin d’être le cas pour les formations de droite. Michèle Alliot-Marie (RPR) a déclaré récemment que le projet de loi était complètement hypocrite et inapplicable. Alors, certes audacieux, Lionel Jospin a quand même voulu rester dans le cadre strict de la révision constitutionnelle stipulant que la loi « favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux ». La droite s’est prononcée en faveur de cet article. Elle devra être cohérente avec son vote. Mais là aussi, il y aura débat à l’Assemblée nationale.

L'Humanité : En tant que femme, vous aimeriez que le gouvernement aille plus loin ?

Nicole Péry : Très franchement, après avoir rencontré les leaders politiques, la secrétaire d’État que je suis pense que la barre est à un très bon niveau. Pour la citoyenne, c’est autre chose…

L'Humanité : Comment le gouvernement entend-il procéder pour que les partis respectent la parité aux élections législatives ?

Nicole Péry : Comme le gouvernement ne peut changer le mode de scrutin, il fallait trouver un moyen pour ne pas dévier de notre ligne. Deux facteurs interviennent dans le calcul du financement des partis. Le premier est lié au nombre de candidatures, le deuxième au nombre d’élus. Nous ne pouvons toucher à ce second facteur, car c’est le choix et la liberté des électeurs. En revanche, on peut très bien intervenir sur ce qui relève de la responsabilité des partis. Le projet de loi pénalise les formations qui n’appliqueront pas la parité des candidatures. Par exemple, la diminution de l’aide financière sera de 10 % si l’écart entre les femmes et les hommes est de 20 %. Moins 10 % de financement pour un parti, c’est énorme. Je suis persuadée que c’est sur cette question que le débat sera le plus dur au Parlement. La droite comme la gauche plurielle préfèreraient que la loi prévoit des récompenses pour des partis qui respectent la règle. Tous les leaders souhaitent un « bonus » plutôt qu’un « malus ». Mais là-dessus, et j’en prends la responsabilité, je ne veux pas que fric et femmes puissent être l’objet d’un débat. Ce ne serait pas digne de la part de la représentation nationale. On ne va quand même pas offrir des primes ! Les femmes ne sont pas à vendre ! Je vais devoir affronter un tir de barrage de tous les groupes parlementaires.

L'Humanité : La parité devrait être accompagnée de mesures telles que le statut de l’élu(e) afin de promouvoir des femmes de diverses couches sociales. Or le projet de loi n’en fait aucunement allusion.

Nicole Péry : D’autres projets de loi devront suivre. La parité est déjà en soi une révolution. On ne peut demander à ce texte de régler tout le manque de démocratie dans la vie politique française. Mais si l’on veut que la parité trouve un plein exercice, il faudra en venir au non-cumul des mandats et au statut de l’élu(e), notamment.