Interview de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à France Inter le 28 février 1997, sur les chiffres du chômage et sur le contrat d'initiative locale (CIL) prévu pour les bénéficiaires du RMI par le projet de loi de cohésion sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Théoriquement, nous devrions avoir les chiffres du chômage dans moins d’une demi-heure. Exceptionnellement, pouvez-vous lever le voile sur les chiffres de janvier ?

J. Barrot : On est là tous les deux, ces chiffres sont là : ce n’est pas la peine de tourner autour du pot. Je voudrais bien confirmer que ces chiffres, ce n’est le ministre du Travail qui les établit, ce sont les instituts de prévision, selon des règles et des statistiques établies. Je veux couper le coup à toutes des rumeurs selon lesquelles on manipule les chiffres du chômage. Il est vrai que nous allons, pour le mois de janvier, enregistrer une augmentation du chômage entre 15 000 et 20 000, avec tout de même une nouvelle plus positive : le chômage des jeunes recule de 7 000. Il atteint 600 000, ce qui est nettement moins que les 650 000 que nous avions il y a quelques mois.

A. Ardisson : C’est une tendance qui se manifestait déjà en décembre dernier ; à ceci près que vous aviez au contraire une amélioration de la situation pour l’ensemble de la population.

J. Barrot : Oui, parce qu’au dernier trimestre, il y a eu 15 000 emplois salariés marchands supplémentaires. Tout ceci veut dire probablement que nous sommes dans une période intermédiaire : la croissance, manifestement, va revenir – à quel rythme, on ne sait pas – mais les choses s’améliorent. Cela étant, l’emploi suit la croissance. La croissance revient, la consommation, l’exportation reprennent, les chefs d’entreprise commencent à réinvestir, puis à réembaucher. C’est un peu comme la marée : en termes d’emplois, nous sommes un peu à ce moment où on ne sait pas encore si c’est vraiment la remontée de la marée ou si c’est encore une période où la marée descend encore. C’est quelquefois difficile, parce que les vagues ne sont pas suffisamment clairement orientées vers la remontée. Là, c’est la même chose : on sent bien qu’il y a probablement une remontée vers l’emploi, mais pendant ces quelques moins de l’année 1997, parce que l’emploi suit la croissance, il est probable que nous resterons dans une période avec des pics en haut et en bas.

A. Ardisson : Ces chiffres sont des vérités statistiques, c’est-à-dire qui résultent d’une convention. Savez-vous exactement combien il y a de sans-emploi en France ?

J. Barrot : Je crois qu’il faut surtout raisonner en termes d’emploi et non en terme de sans-emploi. La société française, en 1996, malgré une croissance à 1 %, n’a perdu de 10 000 emplois alors que l’Allemagne – ou j’étais hier – avec un taux de croissance approchant, a perdu près de 300 000 emplois.

A. Ardisson : Quel est l’indicateur qui compte, alors ?

J. Barrot : Ce qui compte, c’est le nombre d’emplois que l’on crée, parce qu’il faudrait que les Français comprennent – on ne le leur explique pas assez – que chaque année, nous avons 160 000 nouveaux venus sur le marché du travail. C’est la contrepartie d’une démographie très positive. Il y a des jeunes : 160 000 nouveaux venus. Cela ne durera pas. A partir des années 2001, cela faiblira. A partir de 2005, il y aura autant de Français qui quitteront leur travail que de Français qui arriveront. Mais nous sommes pour le moment dans une période où, chaque année, 160 000 nouveaux venus arrivent sur le marché du travail. Ce qui importe pour nous, c’est de faire en sorte que la société française crée suffisamment d’emplois supplémentaires pour que, peu à peu, nous arrivions non seulement à offrir à ces 160 000 nouveaux venus un emploi mais aussi à résorber le chômage. C’est un effort difficile mais, ce qui est tout de même porteur d’espérance, c’est que maintenant nous savons faire beaucoup mieux. En 1992, 1 % de croissance, nous perdions 200 000 emplois ; en 1996, 1 % de croissance, nous n’en perdons que 10 000 : cela veut dire que nous avons progressivement appris à enrichir la croissance en emplois.

A. Ardisson : 10 000 c’est un solde !

J. Barrot : C’est un solde, bien sûr. Cela veut dire que les emplois créés ont réussi à remplacer les emplois qui ont été détruits.

A. Ardisson : Vous comprenez aisément que, pour celui qui a perdu son emploi depuis longtemps ou qui n’en a jamais eu d’ailleurs, pour certaines familles…

J. Barrot : Dans les chiffres, le chômage de très longue durée, c’est-à-dire le chômage de plus de deux ans, heureusement, grâce aux mesures prises, continue de reculer un peu.

A. Ardisson : Pour ces familles, ce qui compte, c’est la survie, et cela nous ramène à la loi contre l’exclusion, la loi de cohésion sociale adopté en Conseil des ministres. Les associations sont insatisfaites, non sur le principe, mais sur l’efficacité supposée puisqu’elles disent que, faute de moyens, cela ne réussira pas à réduire l’exclusion, encore moins à l’éradiquer. Une loi peut-elle le faire ?

J. Barrot : Les associations ont un peu modifier leur jugement depuis le début, parce que nous avons réussi à mobiliser des crédits supplémentaires. Au départ, nous partions d’environ 500 millions ; maintenant, rien que dans le domaine qui est le mien – sans parler du logement -, celui de l’insertion, de la politique de rénovation des centres d’hébergement et de réhabilitation sociale, nous n’avons pas seulement 500 millions mais pratiquement, en année pleine, 1,3 milliard. Pourquoi ? Parce qu’on a mobilisé des crédits budgétaires supplémentaires et surtout parce qu’on a obtenu l’intervention du Fonds social pour l’emploi européen. Cela veut dire qu’avec 1,3 milliard, on peut faire du travail. Cela veut dire aussi que, grâce aux associations, nous avons trouvé des formules nouvelles : le Contrat d’initiative locale permettra à celui qui touche le RMI aujourd’hui, en obtenant sa reconduction de trimestre en trimestre ou de semestre en semestre, de pouvoir disposer d’un contrat de cinq ans où il ne sera pas seulement en mesure de recevoir un salaire mais, en même temps, d’avoir une activité. Cela, c’est un tournant : au lieu de faire de l’assistance, on apporte à celui qui, hélas, n’a pas pu trouver de travail et qui est en chômage de longue durée, qui est au RMI, on lui offre une nouvelle chance. Les jeunes en grande difficulté : nous avons créé des itinéraires personnalisés d’insertion. Pendant 18 mois, un jeune sera pris en charge par une association qui le suivra, qui empêchera qu’entre un stage, un emploi non-marchand, etc., il y ait des ruptures, des coupures et qu’au bout de 18 mois, le jeune soit découragé.

A. Ardisson : Je reviens un instant à l’emploi : on a appris hier que Renault fermait un site important en Belgique. Quand la même chose nous arrive en France et que l’usine se délocalise en Ecosse, on rouspète. Evidemment, les Belges ne sont pas contents. Tout cela ne vous inquiète-t-il pas pour l’Europe, dans le climat actuel ?

J. Barrot : D’abord, la concurrence fait rage, J’étais en Allemagne hier :  nous nous rendons bien compte que, pour être acteur ce cette mondialisation de l’économie, il faut se battre, il faut investir. Renault – Dieu merci ! – fabrique des Scénic, une voiture qui marche bien. Elle est présente en Amérique latine. Renault doit trouver un nouvel élan. Mais la fermeture en Belgique n’est pas une fermeture contre la Belgique : c’est une fermeture technique, parce que cette usine fabriquait plusieurs modèles à la fois, n’était pas fonctionnelle. J’espère qu’il y aura un rebond pour la Régie comme pour nos constructeurs automobiles. Mais il est vrai qu’il faut se battre.