Communiqué de la CGT publié dans "L'Humanité" le 7 janvier 1997 sur les zones franches urbaines, et interview de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, dans "L'Hebdo de l'actualité sociale" le 17, sur le mécontentement social, les offensives contre le droit du travail autour de la flexibilité, la privatisation des services publics et la monnaie unique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : L'Hebdo de l'actualité sociale - L'Humanité

Texte intégral

L’Humanité - 7 janvier 1997

La CGT dénonce les zones franches urbaines.

La CGT a exprimé hier, dans un communiqué, la crainte que les 44 zones franches urbaines « officialisées depuis le 1er janvier » n’accentuent la précarité et « ne profitent qu’à une poignée d’affairistes et de chasseurs de primes ». « Véritables paradis fiscaux, entreprises et commerces qui s’y implanteront seront exonérés de toutes charges et impôts », dénonce la confédération. « Le risque est encore plus grand que les rares emplois qui seront créés accentuent la précarité, la flexibilité et le travail au rabais », poursuit-elle craignant que « les fameux emplois de ville visent au fond soit à remplacer, soit à concurrencer les emplois stables des services publics par une main-d’œuvre bon marché dépourvue de véritables droit collectifs ». Pour la CGT, « les zones franches urbaines tout comme les zones urbaines sensibles, autre pièce du dispositif du pacte de relance pour la ville, ne régleront en rien sur le fond des problèmes d’emploi, de fracture sociale, des quartiers et banlieues en déliquescence ».

 

L’Hebdo de l’actualité sociale - 17 janvier 1997

L’Hebdo : En janvier dernier, certains observateurs prétendaient qu’un an plus tard, on ne parlerait même plus du mouvement de l’automne de 1995. Avaient-ils raison ? Ce mouvement a-t-il été une fin ou un début ?

Louis Viannet : Ce qui s’est passé en 1996 suffit pour élaborer la réponse. Le conflit des routiers a presque marqué l’anniversaire du mouvement de novembre-décembre 1995. À force de vouloir considérer que le mouvement social ne pouvait avoir de la force qu’en reproduisant le mouvement de 1995 les observateurs ont eu du mal à percevoir ce qui bougeait en profondeur. Ils n’ont pas compris ce qu’une prise de conscience sur la possibilité d’imposer des reculs pouvait produire de développements. Au regard des actions collectives de 1996 le mouvement de la fin de 1995 a bien été un déclic qui n’a pas fini de nourrir les comportements des salariés.

L’Hebdo : Ce déclic touche-t-il d’autres populations que celles qui avaient été les plus actives durant l’automne 1995 ?

Louis Viannet : Le secteur privé est entré dans une situation nouvelle. Les conflits dans lesquels sont engagés les salariés témoignent d’un état d’esprit imprégné d’une volonté de ne plus subir, de ne plus accepter les clichés de l’argumentation des gouvernants et des patrons. Les choix inéluctables, la politique unique : ça ne prend plus. Tout ce qui s’est passé dans la dernière période atteste des possibilités et de la volonté de déployer le mouvement revendicatif. Nous aurons l’occasion de le vérifier dans les prochaines semaines.

L’Hebdo : Cela veut-il dire que les salariés ne sont plus résignés ?

Louis Viannet : Plus que de la résignation c’est un sentiment de fatalité qui dominait. À cet égard, le mouvement de l’automne 1995 a été un coup de tonnerre. Il a apporté la preuve qu’un mouvement fort, unitaire, tenace pouvait faire reculer les pouvoirs et imposer des choix qui étaient sempiternellement présentés comme impossibles ;

L’Hebdo : Peut-on en conclure que le rapport de force est désormais plus favorable ?

Louis Viannet : Le rapport de force profond est sans doute beaucoup plus puissant que le rapport de forces apparent. Aussi, au-delà des discours, on voit bien que Gouvernement et patronat intègrent l’existence d’un mouvement social qui à tout moment peut créer une situation qu’ils auront du mal à maîtriser.

L’Hebdo : Ça peut « péter » ?

Louis Viannet : L’idée, que le « tous ensemble » permet de se faire entendre, même diffuse, est toujours présente. À tout moment, à partir d’un problème donné on peut voir une situation s’embraser.

L’Hebdo : Le « tous ensemble » est-il si présent ? Autour du conflit des routiers il y a eu beaucoup de sympathie mais pas d’effet boule de neige.

Louis Viannet : Ce conflit a démarré sur des objectifs qui, dans un premier temps, ont pu apparaître comme corporatistes. Chacun des conflits ponctuels que nous allons vivre ne fera pas surgir un mouvement généralisé. Et en même temps, ce mouvement peut survenir quand on ne l’attend pas. Tout simplement parce que ce sont des hommes et des femmes qui s’engagent dans les luttes sociales. Tout ça ne se diligente pas avec des mots d’ordres, des directives. Le mouvement social ne se conduit pas comme une manœuvre militaire.

L’Hebdo : Les dirigeants du pays sont assez prudents pour autant ils ne lâchent pas le morceau. Deux ans après la loi quinquennale, ils repartent à la conquête de la flexibilité.

Louis Viannet : Selon eux, les droits et protections des salariés seraient responsables de la dégradation continue de l’emploi. C’est une mystification. En vérité, l’objectif nominal de l’offensive qui se construit autour de la flexibilité, est de faire baisser massivement le coût du travail. Les conditions de vie et de travail des salariés s’en trouvent dégradées. Il est assez éclairant de noter l’insistance avec laquelle la situation de l’emploi en Grande Bretagne et aux USA nous est présentée comme bien meilleure que chez nous. En fait la différence se situe au niveau des statistiques du chômage. Aux États-Unis la baisse des chiffres provient de la multiplication des emplois à temps partiels et de toutes les formes d’emplois précaires. À cela, en Grande Bretagne, s’ajoute la diminution de la population active ce qui explique la baisse du taux de chômage.

L’offensive, en France, pour plus de flexibilité a le but d’étendre la précarité et tous les faux emplois. Quand on fait le bilan de tous les acquis du patronat en matière d’assouplissement du droit du travail, de possibilités de licenciements, de baisse de charges et qu’au bout du bout la situation du chômage s’aggrave, on est bien en droit de considérer que si on ne parvient pas à enrayer cette pression pour la flexibilité les conséquences risquent d’être dures pour le monde du travail.

L’Hebdo : Il vaut peut-être mieux avoir du boulot pendant trois mois qu’être chômeur pendant un an…

Louis Viannet : Il est tout à fait vrai qu’il vaut mieux être borgne qu’aveugle.

L’Hebdo : Jacques Chirac a souhaité que 1997 soit l’année de l’emploi des jeunes. Matignon reporte le sommet prévu sur ce thème, est-ce un bon signe ?

Louis Viannet : C’est surtout la preuve qu’il est compliqué de donner de la crédibilité au discours présidentiel que nous entendons depuis plus de dix ans. La péripétie du CIP avait déjà pour objectif de diminuer le chômage des jeunes. Quels que soient les artifices utilisés pour une présentation bien arrangée, il n’y aura pas d’amélioration de l’emploi pas plus pour les jeunes que pour les moins jeunes s’il n’y a pas relance de l’activité. Si des mesures concrètes, incitatives à la création d’emplois ne sont pas prises.

L’Hebdo : Que peut fait le Gouvernement sinon alléger les charges ?

Louis Viannet : Il ne suffit pas de permettre aux entreprises de gagner plus facilement de l’argent pour qu’elles créent de l’emploi. Nous en avons la preuve : les cadeaux faits sous formes d’allégements de charges ou de zones franches ne relancent pas l’activité.

Il est assez largement admis que la cause des difficultés de notre pays est l’insuffisance de la consommation. Pourtant ce constat passe à la trappe au moment de la réflexion sur les mesures à prendre. À mon avis, pour que l’activité redémarre il faut un appel d’air du côté consommation. Cela passe par une augmentation des salaires et un relèvement des retraites, par une refonte complète de la fiscalité, par une incitation pour les investissements dans les PMI et PME. Et aussi par un dynamisme dirigé pour l’industrie.

L’Hebdo : Qu’elle est la latitude d’intervention du Gouvernement, il n’est pas chef d’entreprise ?

Louis Viannet : Autant sur le plan intérieur qu’international il peut prendre une série d’initiatives incitatives au développement d’activités industrielles, à la reconquête de marchés, à la relance d’activités abandonnées. Pour cela, il a entre les mains les leviers fiscaux de consommation. Pour relancer la consommation. Pour relancer la consommation il y a deux leviers celui qui concerne les salariés et qui touche à leur pouvoir d’achat, aux créations d’emplois, à la réforme de la TVA sur les produits de grande consommation. L’autre, c’est l’incitation aux investissements. Les mesures prises jusqu’à maintenant sont pratiquement sans effet.

Par ailleurs, il peut prendre des mesures pour combattre les plans sociaux.

L’Hebdo : À propos des créations d’emplois la question de la réduction du temps de travail a été largement débattue en 1996. À la demande CGT d’une loi cadre, l’Assemblée nationale a répondu en votant la loi de Robien. Est-ce un premier pas ?

Louis Viannet : Le constat s’impose, la question de la réduction du temps de travail sans perte de salaire est toujours sur la table. Elle n’a trouvé aucune réponse efficace. Et la loi de Robien ne constitue pas un élément de réponse, elle n’est pas faite pour ça mais pour faciliter toutes les mesures de réduction d’effectifs. On attend toujours l’application de son « aspect offensif » en particulier dans l’industrie. Tant qu’il n’y aura pas une réduction du temps de travail sans perte de salaire les problèmes de l’emploi resteront entiers.

Le chômage continuera de blesser des millions de personnes. L’accord signé à l’UNEDIC, présenté comme exemplaire, est une affaire sérieuse. Baisser les cotisations UNEDIC au moment où les chiffres confirment l’aggravation du chômage c’est à la limite d’une provocation. Ensuite, va-t-on pouvoir longtemps continuer à présenter les dispositions prises comme positives alors qu’il y a un chômeur sur deux qui ne perçoit aucune indemnité. Nous avons là l’exemple type de dispositions qui mises bout à bout structurent une société qui organise l’exclusion. Le froid de l’hiver fait éclater à la figure de toute la société ce que sont les ravages de cette situation.

L’Hebdo : Pour la première année nous allons connaître les effets de la maîtrise des dépenses de santé, la Sécurité sociale s’en portera-t-elle mieux ?

Louis Viannet : Je rappelle que ce dispositif qui instaure progressivement la maîtrise comptable des dépenses de santé découle du plan Juppé. La formule est ambigüe, elle cache un processus de réduction imposé des dépenses de santé qui débouchera sur une situation dramatique. Des médecins vont être contraints à renoncer à soigner des patients. Car soigner à moindre coût n’existe pas. On fait semblant de découvrir les médicaments génériques, il y a des années que les laboratoires ont changé la présentation en augmentant les prix sans que jamais personne ne leur dise rien.

L’Hebdo : Que faut-il faire : s’il n’y a pas d’économie, à la fin de l’année le budget de la Sécu sera à nouveau en déficit ?

Louis Viannet : La problématique du déficit du budget de la Sécu est un problème de recette avant d’être un problème de dépenses. Je constate que jusqu’à maintenant le problème des recettes n’a été traité qu’en ponctionnant les assurés sociaux avec la RDS et l’augmentation de la CSG. Pour s’en sortir il faut faire participer les revenus financiers du capital. Avec une participation à hauteur des revenus salariaux on obtiendrait l’équilibre du budget.

L’Hebdo : Autres questions récurrentes, les privatisations et le démantèlement des services publics. Alain Juppé estime qu’il n’appartient pas à l’État de fabriquer des voitures et des téléviseurs n’est-ce pas une remarque sensée ?

Louis Viannet : Ah… Il ne se pose pas la même question à propos des chômeurs et il n’hésite pas à en fabriquer…

La question des services publics a deux volets. Le premier est celui des prérogatives de l’État en matière industrielle. Là, ou bien l’État démissionne et abandonne toute possibilité d’influer sur la vie économique du pays.

Dans ce cas, il faut aller jusqu’au bout et liquider le patrimoine national qui a fait de la France la quatrième puissance industrielle. Ou bien on considère que l’État doit avoir une responsabilité pour orienter l’ensemble des activités économiques du pays. Dans ce cas ce qui s’est passé avec Renault, ce qui est en cours avec Thomson, la SFP ou France Télécom représente une braderie dangereuse pour le devenir de la France.

Le deuxième volet concerne les infrastructures dans lesquelles l’État était actionnaire majoritaire ou unique et à l’appui desquelles la nation a pu répondre aux besoins individuels et collectifs tout en assurant l’égalité d’accès des usagers. À égalité de tarif, de qualité, d’accès aux services les plus modernes et les plus performants.

C’est la mise en cause de tout cela qui est posée avec le devenir de la SNCF, d’EDF-GDF, de La Poste. Tout ce qui fait l’originalité des services publics à la française est abandonné.

L’Hebdo : Cette politique de moins d’État n’est-elle pas imposée par les directives européennes ?

Louis Viannet : Ce n’est pas une politique de moins d’État. C’est un État qui s’affirme au service d’une minorité. Les patrons français sont les premiers à se tourner vers l’État afin d’obtenir des allégements de charges ou encore des facilités d’accès à l’énergie et aux transports. Le moins d’État n’est avancé qu’au moment de répondre aux besoins individuels et collectifs de la société. Avec les exigences européennes de réduction des dépenses publiques, il y a une sorte d’enchevêtrement de mesures qui convergent toutes vers une politique de transfert sur le citoyen de dépenses assumées jusqu’ici par l’État.

L’Hebdo : Nous entrons donc dans l’année de tous les dangers puisqu’elle est celle de la qualification pour la monnaie unique ?

Louis Viannet : 1997 peut devenir très vite une année vérité. La fuite en avant dans laquelle on nous emmène va avoir des traductions concrètes qui seront perceptibles en tous domaines.

Une année où les salariés vont prendre conscience de la portée des orientations dans lesquelles nous entraîne la politique gouvernementale qui cède à la pression des forces du capital et aux exigences de l’application du traité de Maastricht.

Jusqu’ici nous n’avons eu qu’un aperçu des conséquences de la monnaie unique. Dans un contexte de crise, plus va s’approcher la date d’échéance, plus la frénésie pour écraser les dépenses publiques sera vive, du coup les contraintes seront encore plus fortes. Ça va sentir dès 1997. Alors le mouvement social peut déboucher sur une formidable exigence d’autres choix fondés sur la réponse aux besoins individuels et collectifs et non sur la rentabilité financière. Ce qui est difficilement compatible avec une monnaie unique qui doit avoir le mark et le fonctionnement de la banque centrale allemande comme référence.

L’Hebdo : N’y a-t-il pas une contradiction entre le désir et la réalisation d’unité d’action dans les entreprises, les localités, certaines professions et un certain blocage au niveau confédéral ?

Louis Viannet : La réalisation de l’unité dans les entreprises, les départements et les différentes branches et la prise de conscience de la force qu’elle représente constituent les meilleurs atouts pour bousculer les résistances qui persistent. Nous avons confiance parce qu’elles sont moins fortes aujourd’hui qu’il y a trois ou quatre ans. Elles ne nous ont pas empêché de conduire des actions qui ont contribué à faire grandir l’exigence unitaire. Et même d’organiser une conférence de presse à quatre sur les fonds de pensions. Cette première, qui réunit les secrétaires généraux – CFTC, CGC, FO, CGT – témoigne du caractère complexe de la situation.

L’Hebdo : Est-ce à dire que la CGT sait surmonter les manifestations d’orgueil ou les petites guerres d’influence qui se mènent entre les dirigeants confédéraux ?

Louis Viannet : Il ne s’agit pas seulement de tempérament ou des réactions de caractère individuel. Il existe des conceptions différentes du rôle que doit jouer le syndicalisme dans certaines situations. Nous venons d’en avoir une nouvelle preuve avec l’accord UNEDIC. Chaque expérience nouvelle concourt à mettre en pleine lumière les conceptions des uns et des autres et aide aussi à faire prendre conscience des enjeux de l’action syndicale. C’est aussi de cette façon qu’augmente le nombre de ceux qui s’investissent dans le nécessaire débat sur l’unité d’action et qui contribuent à en faire grandir l’exigence.

L’Hebdo : En 1996, l’action collective est à la hausse, cela entraîne-t-il un regain d’intérêt des salariés pour le syndicalisme ?

Louis Viannet : Je suis tenté de répondre oui. Pourtant, il faut aussi voir qu’il n’y a pas de mouvement naturel et spontané des salariés pour s’engager dans un syndicalisme qui reste divisé, qui se cherche sur des questions aussi importantes que celles de l’emploi ou de l’indemnisation des chômeurs.

La CGT ne perd plus d’adhérents et nous constatons avec plaisir une progression d’une année sur l’autre, du nombre de nos organisations qui se renforcent. La prise de conscience de la nécessité de l’action collective pour faire bouger la situation, peut déboucher sur un courant d’engagement dans le syndicat. À condition qu’il montre sa capacité à rassembler tout le monde sans autre condition que d’être salarié et d’avoir des intérêts communs à défendre. De ce point de vue nous faisons des progrès, mais il reste beaucoup à faire pour avoir un syndicalisme CGT très présent, ouvert, accueillant. Qui donne dans son comportement de tous les jours envie de se syndiquer.