Interview de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, dans "La Nouvelle République du Centre Ouest" du 6 février 1997 sur le bilan de la crise de la vache folle, le maïs transgénique et le projet de création d'une agence sanitaire et alimentaire.

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Média : La Nouvelle République du Centre Ouest - Presse régionale

Texte intégral

N. R. : Quel bilan tirez-vous de cette crise de la « vache folle », un an après ?

P. Vasseur : Si on regarde les choses avec sérénité, le système français s’est montré en Europe le plus performant avec un réseau d’épidémio-surveillance très pointu et en place de longue date. Appliqué partout en Europe, on serait surpris du résultat. S’il y a eu des hésitations et des dysfonctionnements sur les importations de farines britanniques notamment, aujourd’hui tous les scientifiques estiment que le gouvernement a pris les dispositions nécessaires.

N. R. : L’approche médiatique a-t-elle emballée l’affaire ?

P. Vasseur : Une usine qui ferme fera la une des journaux, alors qu’un mois plus tard une autre fermeture n’aura pas le même traitement. Là, il est vrai que l’on touche à la consommation alimentaire, un acte quotidien. Ça provoque des craintes. Par rapport à d’autres risques, y compris dans le domaine alimentaire, la balance n’a pas été égale. Un des spécialistes de maladies dégénératives du cerveau a rappelé qu’il existe infiniment moins de risques de mourir de la contamination de l’ESB que d’une listériose ou d’une salmonellose.

N. R. : La pression des consommateurs est-elle suffisante pour discipliner la filière et clarifier la recherche d’identité des produits ?

P. Vasseur : Depuis le début, j’ai fait de la qualité l’un des axes majeurs de ma politique. Contre certains avis, je trouvais qu’il y avait des progrès à accomplir et d’autres informations à donner. Le travail des éleveurs n’est pas à remettre en cause. Il y a eu chez eux un profond sentiment d’injustice, en particulier pour le producteur à l’herbe, qui se trouve pénalisé alors qu’il n’avait rien fait de répréhensible. Aujourd’hui, grâce à la traçabilité, un étiquetage, une valorisation d’une viande par la qualité, on peut répondre aux attentes des consommateurs et aux besoins exprimés par les producteurs spécialisés.

N. R. : en matière de santé, l’agriculture et les services du ministère peuvent-ils être juge et parti ? Que pensez-vous de la proposition du secrétaire d’État à la Santé à propos de la création d’une agence sanitaire et alimentaire ?

P. Vasseur : On est là encore sur une fausse vision des choses. On a bien géré la crise, on a démontré l’efficacité de notre système. Les vétérinaires ne sauraient prendre des risques avec la santé humaine. C’est même injurieux pour des gens qui ont démontré la qualité de leur travail. Et je ne vois pas pourquoi les médecins, qui ne sont pas exempts de quelques bavures, seraient plus fondés à aller voir ce qui se passe dans les étables. On doit préserver la sécurité de la totalité de la chaîne alimentaire en utilisant les contrôles même si des administrations différentes interviennent. Qu’un système de veille et d’alerte soit placé sous la tutelle de plusieurs ministères, pourquoi pas, mais les contrôles doivent être confiés à ceux qui savent les faire. Au stade ultime, la décision doit demeurer au politique. Si par exemple, avec les organismes génétiquement modifiés, les politiques avaient laissé faire les comités scientifiques, on aurait aujourd’hui des variétés transgéniques sans étiquetage.

N. R. : Les Européens ont-ils eu tort d’accepter trop vite le maïs transgénique ?

P. Vasseur : Les scientifiques, y compris français, ont beaucoup poussé à produire à moindre coût les plantes transgéniques parce que la Chine, l’Australie ou les États-Unis les ont déjà adoptées. En matière de transgéniques, des évolutions génétiques ont déjà été accomplies. Mais cette fois, on peut aller très loin et provoquer des manipulations dont on ne sait pas ce qu’elles peuvent donner dans dix ans ou quinze ans. Sur ce dossier, je n’interdis rien. On ne reviendra pas à la charrue tirée par des chevaux, mais il faut être prudent et opérer dans la transparence totale. Les variétés doivent être introduites au cas par cas. Après études. La dissémination est un problème préoccupant, il faut s’entourer de toutes les précautions.

N. R. : Les revenus des éleveurs de viande sont parmi les plus bas. La crise actuelle menace-t-elle de délocaliser les productions et d’affaiblir les régions allaitantes ?

P. Vasseur : En 1996, grâce aux aides, on a pu éviter une chute brutale. Mais les éleveurs de viande bovine ont des revenus bas. La solution passe par une meilleure maîtrise du marché de la viande. Depuis le début de la décennie, on assiste à un décrochage de la consommation qui fait baisser les cours. Je ne crois pas au risque de délocalisation des productions si on part du principe que nous voulons rendre plus équitable la cohabitation de deux systèmes d’élevage, l’intensif et l’extensif. Pour certaines régions plus axées sur la nourriture à l’herbe, sur les bêtes de qualité, il faut se donner des outils et la prime à l’herbe est un.

N. R. : Que peut apporter la loi d’orientation agricole ?

P. Vasseur : La loi doit concilier l’impératif de compétitivité économique et la répartition sur l’ensemble du territoire. Faire en sorte qu’il n’y ait pas de désert dans certaines régions. C’est une loi de société qui doit tracer les perspectives pour les quinze ou vingt années, en tenant en compte des différents paramètres. Je souhaite afficher clairement l’ambition de la France d’être la référence mondiale en termes de sécurité et de qualité des produits alimentaires. Dans le monde, il y a des possibilités de marché qui s’ouvrent. Il faut savoir quel créneau on vise. Celui de la qualité est très porteur dans l’ensemble du monde. Nous avons une bonne réputation que nous pouvons encore améliorer. Demain on pourra parler de compétitivité avec une dimension autre que le prix.

N. R. : Quels sont vos objectifs pour l’emploi des jeunes dans la branche agricole ?

P. Vasseur : C’est bien gentil de dire qu’on va installer des jeunes, il faut encore s’en donner les moyens. Lorsqu’une exploitation est viable, elle doit permettre l’installation d’un jeune. Je veux des exploitations sur l’ensemble du territoire, ce qui implique dès aujourd’hui de prendre des décisions courageuses. Si on ne fait rien, dans dix ans, il ne restera que 200 000 exploitations et la France connaîtra alors des problèmes de délocalisations.