Interview de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat, dans "Les Echos" du 19 octobre 1999, sur le projet de directive sur les délais de paiements, les concentrations dans la grande distribution et la médiation pour réduire les litiges commerciaux.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

Q - Le projet de directive européenne sur les délais de paiement adopté voici quelques mois est très en retrait par rapport au texte initial. Pourquoi la directive a-t-elle été ainsi affaiblie ?

Il faut, avant de se plaindre des éventuelles imperfections d'un texte communautaire, se réjouir de l'accord politique qui s'est fait sur les propositions de la commission. Le texte de la directive est positif et il faut s'en réjouir pour les petites et moyennes entreprises. En effet, l'adoption d'une directive est un mécanisme complexe qui n'aboutit que si un compromis acceptable par l'ensemble des États membres se dégage. Proposé par la commission en 1998, le texte a fait l'objet de discussions tant au sein du Parlement européen que du conseil. Les différents pays, en fonction de l'état de leur propre législation, de leurs contraintes spécifiques et de leur implication pour parvenir à des résultats concrets, ont été conduits à demander des modifications ou des amendements au texte proposé. Des concessions ont dû être faites pour tenir compte des impératifs de nos partenaires européens, mais aussi des intérêts de l'ensemble des partenaires économiques au plan national. La position commune adoptée en juillet est le fruit d'un compromis qui sauvegarde les aspects les plus importants du texte initial : si la liberté contractuelle dans la fixation des délais de paiement est affirmée, les retards de paiement sont sanctionnés ainsi que les délais abusifs. Une définition claire de la date à partir de laquelle les délais de paiement courent est aussi retenue. Les règles ainsi définies s'appliquent aussi aux paiements publics, ce qui est un progrès considérable.

Des délais supplétifs courts sont prévus en cas de silence des contrats (30 jours, alors que le délai moyen contractuel est de 39 jours au niveau de l'ensemble des pays de la communauté et que les délais réels de paiement sont estimés à 54, voire 61 jours selon les études disponibles). De même, des intérêts moratoires élevés sont prévus en cas de silence des contrats. C'est pourquoi, même si on peut, ici ou là, regretter que telle ou telle disposition ne figure pas dans le texte de la directive, le projet tel qu'il va maintenant être présenté et discuté par le Parlement est un bon texte qui marque une avancée notoire par rapport à l'état de la législation dans un grand nombre d'états membres, la France n'est tant pas, loin s'en faut, le seul à connaître des difficultés en la matière.

Q - La directive ne traitant pas à part le problème des marchés publics, envisagez-vous de prendre des mesures spécifiquement françaises vis-à-vis des administrations ?

Il faut se réjouir du fait qu'aucune distinction n'ait été retenue entre paiements publics et paiements privés. Ceci va inéluctablement conduire les administrations à s'engager sur des délais de paiement et non plus seulement sur les délais de mandatement. Ceci va aussi faire progresser la prise de conscience des administrations du fait que les délais de paiement sont un élément constitutif du prix et que les mauvais payeurs doivent assumer leur incapacité à payer dans les délais, même si, comme il faut tout de même le rappeler, les payeurs publics ne sont pas toujours les plus mauvais, loin s'en faut (40 jours en moyenne).

Il faut aussi rappeler que l'État a déjà mis en oeuvre un certain nombre de mesures concrètes, concernant spécifiquement la situation des personnes publiques au regard des délais de paiement :

– généralisation de la lettre de change relevé comme moyen de règlement ;
– réduction des délais de mandatement ;
– recommandation à l'ensemble des services et application de nouveaux délais de paiement pour les achats de denrées alimentaires ;
– mise en place de diverses mesures d'amélioration des procédures et renforcement des sanctions ;
– encouragements de mesures de simplification et de modernisation ;
– sans oublier l'existence du CEPME, dont une des vocations et de financer les commandes publiques.

Cependant, des progrès restent à faire, l'adoption de la directive sera l'occasion de les réaliser car la France travaillera « sous contrainte du temps » pour encore améliorer les choses, puisque l'on disposera d'un délai de deux ans pour transcrire la directive.

Q - Les professionnels se disent très sceptiques sur l'efficacité des pénalités de retard prévues dans la directive, pensant qu'elles ne seront pas appliquées. Partagez-vous ces craintes ?

Ne préjugeons pas qu'une loi ou des dispositions réglementaires ne seront pas appliquées ! Elles le seront sous le contrôle des autorités compétentes.

Q - Les concentrations géantes observées dans la distribution rendent-elle la question encore plus sensible ?

Les concentrations auxquelles vous faites allusion constituent une nouvelle étape dans les relations entre distributeurs et producteurs. Si l'on considère que les délais de paiement sont un élément constitutif du prix de vente, alors oui, les opérations récentes de concentration dans la grande distribution rendent la question plus sensible. C'est un sujet qui sera abordé dans le cadre de la concertation actuellement en cours et dont le point de départ était la table ronde producteurs-distributeurs que Jean Glavany et moi-même avons organisée…

Q - Que pensez-vous des expériences en cours en matière de médiation et de prévention ?

Tout ce qui peut aller dans le sens d'une médiation ou d'une prévention des conflits me semble positif, car il est difficile d'envisager de tout réglementer, même lorsqu'il s'agit de défendre les entreprises les plus fragiles. C'est un des enjeux de la nouvelle régulation d'aller au-delà de la réglementation, dont la mise en oeuvre n'est pas toujours assez rapide. Les situations sont diverses selon les secteurs d'activité, les branches ou la taille des entreprises. Une réglementation forte risquerait d'introduire plus de complexité, d'insécurité juridique et d'effets pervers que la situation actuelle de libre négociation des délais de paiement interentreprises.

En revanche, les retards de paiement abusifs sont inacceptables et doivent être sanctionnés, ce qui est l'objectif de la directive.

Cela étant, toute réflexion par branche, par filière de production/distribution doit être encouragée : c'est le meilleur moyen de prévention des abus.

Q - Le développement de ces pratiques ne risque-t-il pas de se traduire par une « privatisation » de la justice commerciale ?

N'oublions pas que l'objectif de la médiation est d'éviter l'engorgement des tribunaux. Elle doit permettre d'accélérer le traitement des dossiers et de diminuer le coût des procédures. Le juge n'est pas dessaisi de l'affaire puisque c'est lui qui, avec l'accord des parties, désigne une tierce personne pour procéder à une médiation. Il est tenu informé de l'évolution de la médiation et peut y mettre fin à tout moment. À l'issue de la mission, le juge est tenu informé du succès ou de l'échec de la tentative, et il homologue l'accord que les parties lui soumettent. On ne peut donc pas parler de privatisation de la justice commerciale dans le cas de la médiation.