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Les Échos : Le Conseil sur le marché intérieur, auquel vous avez participé hier, a débattu du « Plan d’action en faveur du marché intérieur ». Quels sont les principaux objectifs de ce plan ?
Michel Barnier : En octobre dernier, la Commission européenne a conclu qu’un nouvel engagement pour l’achèvement du marché intérieur était nécessaire. Les chefs d’État et de gouvernement ont donc demandé à la Commission, en décembre dernier à Dublin, de bâtir une plan d’action pour achever le marché unique avant l’entrée en vigueur de l’euro au 1er janvier 1999. Il devrait être présenté au Conseil d’Amsterdam en juin. C’est à cela que nous venons de travailler lors du Conseil sur le marché intérieur d’hier. En vue de ces travaux, j’avais lancé en France une large consultation sur ce sujet auprès de l’Assemblée nationale, du Sénat, du Comité économique et social, de plusieurs représentants professionnels ainsi que d’associations de consommateurs et de syndicats.
Les Échos : Quelles sont les positions françaises sur ce dossier ?
Michel Barnier : La France fait porter la priorité sur la mise en œuvre et l’application effective du droit communautaire. Comme première mesure, j’ai proposé que chaque État membre indique à la Commission un calendrier de transposition des textes communautaires avec l’engagement de le mettre en œuvre d’ici au 1er janvier 1999. Par ailleurs, la reconnaissance mutuelle paraît aujourd’hui inadaptée à de nombreux domaines. Selon nous, l’harmonisation des réglementations techniques doit être privilégiée : le processus d’harmonisation est certes plus long, mais le cadre juridique qu’il créé est solide.
Je crois aussi que si la construction européenne a été réalisée pour le citoyen, trop souvent elle s’est faite sans le citoyen. Aussi devons-nous faire collectivement un effort d’information et de dialogue permanent sur les réalités du marché unique et les possibilités qu’il offre.
Mais de nouvelles avancées législatives sont également nécessaires. Ainsi, nous soutenons l’élaboration rapide d’un statut de la société européenne, comme d’une législation communautaire permettant la protection juridique des inventions biotechnologiques. Enfin, nous jugeons prioritaire l’élaboration d’un code de bonne conduite en matière fiscale entre les États membres.
Je suis convaincu qu’une approche fondée sur la seule liberté de circulation au sein du grand marché peut conduire à des situations incohérentes, donc inacceptables. Il faut réfléchir à la cohérence des actions relevant du marché unique avec les autres politiques de l’Union, telles que le volet social ou la politique de l’environnement. Nous avons demandé à la Commission de faire des propositions concrètes dans ces domaines. À l’avenir, le marché unique doit se développer sur des bases qui respectent davantage les valeurs de la construction européenne et les attentes des citoyens. Dans cet esprit, la France a demandé que le plan d’action de la Commission de Bruxelles comporte un volet social.
Les Échos : Le Conseil a également adopté une directive importante concernant les avocats ?
Michel Barnier : Avec la mise en place du marché unique, les avocats sont amenés de plus en plus fréquemment à exercer ou à s’installer dans un État membre qui n’est pas celui où ils ont obtenu leur diplôme. Jusqu’à présent, les Européens ne disposaient que d’un système général de reconnaissance des diplômes, inadapté au cas des avocats. La directive sur laquelle le Conseil vient de se prononcer représente un progrès très considérable. Désormais, un avocat français pourra s’établir et exercer dans un autre État européen sous son titre d’avocat.
Les Échos : Il aura également – c’est la grande novation du projet – la possibilité d’intégrer la profession du pays où il s’établit et d’obtenir le titre correspondant s’il peut y justifier d’une activité professionnelle effective depuis au moins trois ans.
Michel Barnier : C’est une véritable chance pour les professionnels français, notamment en Grande-Bretagne et en Allemagne. L’intégration s’effectuera naturellement dans le plein respect des règles d’organisation de la justice propres à chaque État membre. Sur ce point particulièrement important, nous avons veillé à préserver les règles spécifiques d’accès au Conseil d’État et à la Cour de cassation instituées pour assurer le bon fonctionnement de ces cours suprêmes. Cette directive est pleinement satisfaisante pour les professionnels français. Il faut d’ailleurs noter que la France est largement à l’origine des solutions qui ont été trouvées au cas spécifique des avocats. De nombreux points de ce texte sont directement issus de propositions françaises.