Déclaration de M. Hervé Gaymard, secrétaire d'État à la santé et à la Sécurité sociale, sur la mise en œuvre de la réforme de la Sécurité sociale et les orientations pour 1997, notamment la veille et la sécurité sanitaire et la mise en place de l'ANAES, Paris le 21 novembre 1996.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Hervé Gaymard - Secrétaire d'Etat à la santé et à la Sécurité sociale

Circonstance : Forum Economie - Santé organisé par "Les Echos" à Paris le 21 novembre 1996

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Un an après l’ordonnance par le Premier ministre du plan de réforme de la protection sociale, un peu plus d’un an, aussi, pour ce qui me concerne, après mon arrivée dans le secteur de la santé, le forum économie-santé organisé par le groupe Les Échos constitue une excellente occasion de faire le point. D’autant que votre programme rassemble nombre des principaux acteurs de ce système – du moins, leurs représentants – et que j’y retrouve beaucoup de mes interlocuteurs réguliers depuis un an !

I. – Une épreuve économique forte n’est pas, pour notre protection sociale, l’ennemie d’une politique de gestion de la santé, au contraire :

1. Nous sommes en train de répondre à la nécessité de l’équilibre financier, sans dé rembourser ce qui serait inéquitable, en maîtrisant une dépense mieux responsabilisée et mieux évaluée :

Notre système de santé est confronté à une épreuve majeure. C’est d’abord bien sûr une épreuve économique. La croissance des dépenses de santé est plus rapide que celle des possibilités contributives des Français. Il n’y a pas d’hésitation possible : la réduction massive des taux de remboursement serait gravement préjudiciable à l’accès aux soins de ceux qui n’ont pas de couverture complémentaire, et nous l’avons toujours écartée.

Un retour à l’équilibre financier est donc indispensable pour préserver un système de santé ouvert à tous, et ce retour ne sera possible que par le développement de l’esprit de responsabilité et d’une meilleure évaluation des dépenses. Nous l’avons d’ailleurs amorcé : - 40 milliards en 1995 pour la branche maladie du régime général, 33 milliards en 1996, - 16 milliards prévus en 1997, et - 4 milliards en 1998. C’est encore insuffisant, mais en période de très faible dynamisme des recettes, ces résultats reposent sur une inflexion très sensible du rythme de croissance des dépenses l’objectif de 2,1 % pour 1996 va être tenu à l’hôpital ; si les bons résultats des derniers mois se poursuivent, il n’est pas hors d’atteinte en matière de dépenses de ville. Pour 1997, nous poursuivons donc cette même voie en augmentant de 10 milliards de francs les dépenses d’assurance maladie pour qu’elles s’établissent à 600,2 milliards.

2. Mais la réforme de l’assurance maladie ne peut pas se résumer à l’attention portée aux grands équilibres financiers. Elle doit également être l’occasion de mettre en œuvre une grande politique de santé et de qualité des soins.

Avec Jacques Barrot et, bien sûr, Alain Juppé, nous voulons pouvoir mettre en œuvre, parallèlement, et la réforme de la protection sociale et une vraie politique de santé. C’est cela que l’on pourrait appeler, pour reprendre le thème que vous m’avez demandé de traiter, une « nouvelle politique de gestion de la santé ».

2.1. Je crois pour ma part que la santé est un bien à la fois profondément collectif et profondément individuel. La santé, c’est ce à quoi chacun tient le plus et cela dépend à la fois des comportements individuels et des réalités et des solidarités collectives. La santé devient ainsi de plus en plus un des sujets majeurs qui arrime l’individu à la collectivité. D’autant que s’y greffent de plus en plus fréquemment des enjeux sociaux ou éthiques essentiels à la cohésion de notre communauté nationale. C’est pourquoi il est indispensable de bâtir, de structurer une véritable politique de santé pour notre temps.

2.2. Cela suppose une bonne information, une responsabilisation et une implication de tous les acteurs concernés : citoyens, professions de santé, Parlement, État.

Implication des citoyens d’abord. Seuls des citoyens mieux informés pourront disposer des outils nécessaires à la prise en charge de leur santé.

J’insiste à cet égard sur le véritable objectif du carnet de santé : une meilleure santé, avec des soins mieux coordonnés, et une prévention prise en charge par les assurés sociaux, qui doivent apprendre, notamment grâce au carnet, à mieux gérer leur santé. Ce carnet peut aussi, c’est certain, lutter contre les abus et les gaspillages. Mais je crois surtout que les économies qui naîtront de son usage découleront d’une meilleure gestion de la santé de chacun. Pour ne prendre qu’un exemple, je rappellerai que le Haut comité de santé publique estime à environ 10 000 les morts qui seraient évitables par une meilleure utilisation des médicaments, dont la mention des contre-indications sur le carnet de santé devrait permettre de réduire ce fléau, ainsi que son coût.

Implication des professions de santé ensuite. L’expérience de la conférence nationale et les conférences régionales de santé montre qu’elles peuvent être des lieux privilégiés où une réflexion globale s’organise sur les priorités sanitaires et sur les mesures de santé publique qui permettront de préparer l’avenir. Le bureau de la conférence nationale de santé est en place et nous préparons pour juin prochain la deuxième conférence qui pourra se tenir en 1997 après que toutes les conférences régionales auront pu se réunir et suffisamment tôt.

Implication du Parlement bien sûr. La réforme constitutionnelle de février dernier a profondément modifié son rôle, qui se limitait jusqu’à présent au vote du budget du ministère de la santé et des différentes lois relatives au système de soins.

La discussion du premier projet de loi de financement de la Sécurité sociale a montré, à travers le vote de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, mais aussi par exemple à travers le débat sur les prémix ou celui sur les facteurs exceptionnels de dépenses médicales qui justifient la constitution d’une provision, que l’implication du Parlement donnait un cadre général essentiel aux évolutions de notre système de santé.

Le rôle de l’état enfin me paraît devoir être précisé. L’idée selon laquelle la réforme porterait en terme une étatisation de la médecine est des plus fausse. L’organisation libérale de l’offre de soins en France, qui ne sera en rien modifiée.

Le rôle de l’État doit être centré autour de trois fonctions : la veille sanitaire, la sécurité sanitaire et bien sûr la définition des objectifs de santé publique dans l’exposé desquels je ne rentrerai pas ici, ce n’est pas l’objet de notre réunion.

S’agissant de la veille sanitaire, nous disposons aujourd’hui du réseau national de santé publique. Il faut incontestablement le renforcer, à l’heure où se prépare la création d’un réseau européen, dont l’enjeu ne doit pas nous échapper. La France doit jouer un rôle primordial en matière épidémiologique comme en termes de veille sanitaire.

C’est la responsabilité de toutes les instances scientifiques, mais singulièrement celle de l’État, de chercher à prévoir les problèmes sanitaires et de préparer les dispositifs pour les affronter.

S’agissant de la sécurité sanitaire, le risque zéro n’existe pas : mais nous savons que la population formule des exigences de sécurité maximale. L’État en est en définitive le garant.

Il nous faut poursuivre encore dans la voie de la plus grande sécurité. C’est ce que nous faisons par exemple dans le secteur des dispositifs médicaux. Mais il nous faut surtout améliorer l’efficacité de ce dispositif, et en particulier la cohérence d’action des différentes entités en charge de la sécurité des produits industriels ou biologiques.

D’une façon plus générale encore, nos concitoyens attendent, face à des hypothèses ou des informations qui les inquiètent, que les décisions prises reposent sur une crédibilité scientifique incontestable, qui nécessite une expertise organisée par un référent stable et reconnu. C’est évidemment très difficile car une décision pesée et argumentée nécessite souvent du temps que la communication de crise n’autorise pas à prendre, mais il demeure possible d’améliorer nos dispositifs actuels.

La question est d’ores et déjà à l’ordre du jour de la définition d’une autorité qui pourrait à la fois mobiliser l’expertise, définir et mettre en œuvre les mesures à prendre, délivrer les autorisations et coordonner les contrôles, dans l’ensemble du domaine des produits industriels, biologiques, sanitaires ou alimentaires. J’ai pu constater que nous avions en ce domaine à tirer des enseignements de ce qui se fait ailleurs et notamment aux États-Unis, même si une solution différente – à laquelle nous travaillons – doit sans doute être adoptée dans notre pays, en tenant compte des réflexions communautaires.

Si tous ces efforts se conjuguent – ceux des patients, ceux des professionnels de santé, ceux du Parlement et de l’État –, je crois que nous pourrons progresser vers un concept d’assurance-santé qui soit en phase avec les aspirations des Français.

II. – Je crois à cet égard que 1997 sera une année clef, parce que la qualité des soins et l’instauration d’une politique de santé digne de ce nom vont enfin apparaître comme un objectif central de la réforme de protection sociale. En effet, il faut redire que cette réforme ne vise pas qu’à rétablir l’équilibre des comptes sociaux ; elle vise à mieux gérer la santé des Français.

1. Dans les hôpitaux et les cliniques, le développement de l’accréditation, promue par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, va pousser toutes les équipes hospitalières à organiser plus encore qu’aujourd’hui des programmes d’amélioration de la qualité des soins.

Cette agence sera créée dès le début janvier et, entièrement animée par les professionnels de santé, elle est amenée à jouer un grand rôle dans notre politique de santé, tant en termes d’accréditation que d’évaluation médicale, d’élaboration de la nomenclature ou encore d’évaluation des actions de santé publique.

Une concertation approfondie a été menée tout l’été autour du Pr. Matillon, directeur de l’ANDEM chargé de mettre en place l’ANAES et qui sera proposé comme directeur général au conseil d’administration de l’ANAES. Cette concertation a permis de préciser les méthodes qu’il nous faut retenir et le mode de fonctionnement de l’agence, qui s’appuiera sur un conseil scientifique de très grande qualité et sur un vaste réseau d’experts qui interviendront à titre occasionnel pour l’agence. Le projet de décret est envoyé ces jours-ci à de nombreux interlocuteurs pour s’accorder sur un texte avant qu’il ne suive les procédures officielles de consultation. Vous aurez l’occasion, je crois, de débattre de l’accréditation au cours de vos ateliers.

2. En ville, les changements seront sensibles aussi et, j’en suis convaincu, préfigureront la médecine de demain, une médecine moderne et humaine, qui ne renonce en rien aux principes libéraux de notre système de santé.

L’informatisation des cabinets médicaux va ainsi faciliter le développement des logiciels d’aides à la prescription, la communication entre les praticiens et également la veille épidémiologique. Jacques Barrot et moi sommes en effet persuadés, notamment depuis le travail de réflexion qu’a mené M. Charles Rozmaryn, que l’informatisation du système de santé, je dirais même le système d’information de santé pour retenir une acception encore plus large, est un sujet d’une importance capitale qui dépasse bien entendu le seul chantier, pourtant très lourd, de la télétransmission des feuilles de soins des prescripteurs aux financeurs.

Le renforcement des références médicales et, pour les professions paramédicales, de références professionnelles et le codage des actes et des pathologies vont poursuivre dans la voie de la maîtrise médicalisée des dépenses. L’ANAES a également sur ces sujets un rôle important à jouer pour que la justification scientifique et médicale de ces dispositifs soit incontestable.

Enfin, la formation médicale continue rendue obligatoire tant pour les médecins libéraux que pour les praticiens hospitaliers, et la réforme de la formation initiale par l’introduction d’un stage de six mois chez un généraliste, vont permettre un ajustement des connaissances aux besoins de cette médecine moderne qui évolue si rapidement.

Je ne voudrais pas achever ce tableau sans insister aussi sur les orientations qui vont permettre de décloisonner la médecine de ville et l’hôpital car je suis profondément attaché à une prise en charge globale des problèmes de santé qui doit être un axe fort de cette nouvelle politique. Des outils nouveaux existent à son service. Ainsi, l’usage du carnet de santé et la création d’expériences de filières et de réseaux de soins, grâce notamment au conseil d’orientation présidé par M. Soubie, vont sensiblement améliorer la coordination des soins et la prise en charge globale des patients.

Conclusion

Vous mesurez là l’ampleur des réformes de structure qui sont à l’œuvre. Elles sont mises en œuvre rapidement, en parfaite cohérence avec ce qui avait été annoncé il y a un an.

Certains voudraient que les changements concrets soient plus sensibles, plus rapides. Je veux les rassurer : nous avons installé des moteurs nouveaux dans le système de santé pour l’entraîner dans un fonctionnement renouvelé. Ces moteurs, c’est le Parlement, ce sont les conférences de santé, ce sont les agences régionales de l’hospitalisation, les nouveaux conseils d’administration des hôpitaux, des conseils rénovés dans les caisses de Sécurité sociale. D’autres moteurs vont bientôt tourner, à l’ANAES, dans les centres de responsabilité des hôpitaux, dans les unions régionales de caisses d’assurance maladie. L’action va ainsi être impulsée de toutes parts, avec les acteurs du système de santé, de la même manière que toute cette réforme est étroitement concertée avec eux.

C’est, j’en suis convaincu, une grande force de cette réforme : l’impulsion ne tombera pas d’en haut ; elle sera décentralisée. Et nous ne réussirons à mieux gérer ensemble notre santé que si chacun comprend nos objectifs collectifs, s’y retrouve et puisse s’y impliquer.