Interview de M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à Europe 1 le 30 décembre 1999, sur le coût et les indemnisations par les sociétés d'assurances de la tempête, la marée noire en Bretagne et les mesures fiscales d'allégement des impôts directs en 2000.

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Arlette Chabot : 100 millions pour les communes les plus touchées pour faire face à la tempête. C’est une avance. 40 millions pour le nettoyage des plages. Franchement, est-ce que le Gouvernement n’est pas un pingre dans cette affaire face à l’immensité de la catastrophe et la solidarité réclamée et affichée par tout le monde ?

Christian Sautter : Avant que l’on parle d’argent, et l’argent c’est très important, je voudrais commencer par donner un grand coup de chapeau vis-à-vis de nos compatriotes qui souffrent, qui sont dans la difficulté ; vis-à-vis des agents d’EDF - j’ai été les voir sur le terrain mardi -, mais c’est la même chose à la SNCF, sur les routes, dans les hôpitaux, à France Télécom. Je crois que le service public a montré dans ces circonstances qui sont très très dramatiques qu’il était présent et qu’il était vraiment à la hauteur.

Arlette Chabot : Est-ce que le gouvernement est à la hauteur ?

Christian Sautter : Le gouvernement a été sur le terrain, s’est réuni autour du Premier ministre, L. Jospin, mardi, et a annoncé hier des décisions qui sont importantes. Vous parlez d’argent. Ce qu’il faut d’abord dire c’est qu’il existe depuis 1990 dans les contrats d’assurance une petite ligne qui s’appelle TOC - tempête, ouragan, cyclone - qui fait qu’automatiquement, pour 99 % des assurés, les dommages tempêtes sont couvert par les assureurs. Et il est clair - vous parliez de millions de francs - que les assureurs vont payer des milliards de francs. Ils sont prêts à le faire ils ont montré leur bonne volonté.

Arlette Chabot : Ça c’est pour les particuliers. Mais, il y a 69 départements déclarés sinistrés. Quand on annonce 100 millions pour aider les communes, on a l’impression que c’est infime !

Christian Sautter : La première indemnisation, la principale, ce sont les assureurs, pour les particuliers et pour les entreprises. Ce qui n’est pas dû à la tempête - par exemple, les inondations, les glissements de terrain, les coulées de boue -, le Gouvernement, sur 69 départements, a déclaré l’état de catastrophe naturelle. Là, ce ne sont pas les assureurs qui payent, c’est l’État qui paiera. Troisièmement, les entreprises seront indemnisées avec leur contrat d’assurance, mais cela va prendre du temps. Donc, la Banque de développement des PME va faire des crédits de relais, de trésorerie, qui vont permettre aux entreprises d’attendre d’être indemnisées. On avait mis cela à la demande de L. Jospin dans l’Aude au moment des inondations. Cela va être généralisé dans tous les départements qui sont touchés.

Arlette Chabot : A-t-on une idée de la facture globale ? On avance des chiffres : 33 milliards pour l’Europe, 15 à 25 milliards pour la France.

Christian Sautter : Pour l’instant nous n’avons pas d’idée du coût global de cette énorme catastrophe. Je crois que les assureurs vont faire leur part, l’État va faire sa part. Vous avez parlé de 140 millions de francs, ce sont des provisions. C’est-à-dire que c’est de l’argent qui est dégagé en urgence pour faire face…

Arlette Chabot : Vous allez faire plus s’il y a des besoins supplémentaires ?

Christian Sautter : Il est clair que l’on fera plus. Je parle, par exemple, des collectivités locales : on a mis 140 millions de francs, c’est pour pouvoir acheter les bâches, les râteaux, les pelles pour faire face à l’urgence. Mais, les écoles sont normalement assurées, mais il y aura des travaux de voirie qui, par exemple, dépasseront cette somme et sur lesquels il faudra que la solidarité nationale joue.

Arlette Chabot : Les compagnies d’assurances ont-elles suffisamment d’argent pour tout payer ? Est-ce que vous vous déchargez sur elles ou est-ce que vous mettrez la main à la poche si elles n’avaient pas assez d’argent ?

Christian Sautter : Le principe d’une compagnie d’assurances, c’est qu’elle touche des primes et elle verse des sinistres. Une compagnie d’assurances qui n’encaisserait que des primes, ce serait assez étrange. Donc, les compagnies d’assurances avec lesquelles j’ai discuté sont prêtes. Elles disent : « La déclaration qui doit se faire sous 5 jours normalement est repoussée à 10 jours. » Elles disent : « Dans certains contrats, il y a des clauses de franchise. Il n’y aura pas de franchises supérieures à 1 500 francs. » C’est très important. Troisièmement, elles disent : « Les visites d’experts ne sont pas nécessaires si les travaux sont inférieurs à 20 000 francs. » Donc, je crois que les compagnies d’assurances ont fait un véritable effort pour tenir compte des difficultés des victimes.

Arlette Chabot : Il y aura des augmentations de tarifs à la clé ?

Christian Sautter : Je ne sais pas, ce n’est pas du tout obligatoire. Cela fait partie du fonctionnement de l’industrie de l’assurance que de toucher des primes et de faire des provisions pour que des catastrophes puissent être couvertes.

Arlette Chabot : Donc, 140 millions c’est pour maintenant, mais vous pourrez donner plus en fonction des besoins, de l’inventaire des dégâts qui sera fait par la commission nationale sur les départements ? Ce n’est pas fini.

Christian Sautter : C’est une provision, donc c’est un point de départ. L’État, pour sa part, devra réparer le château de Versailles, des monuments historiques. Donc, il est clair que le coût total pour le budget de l’État sera très supérieur à 140 millions. Mais l’important c’était de mettre de l’argent tout de suite disponible.

Arlette Chabot : On parle à nouveau de votre fameuse cagnotte de 11 milliards minimum. Pourquoi est-ce qu’on n’utiliserait pas ces 11 milliards pour indemniser les victimes de la catastrophe ?

Christian Sautter : L’État n’a pas à payer à la place des assureurs. J’ai écouté M. Raffarin sur votre antenne, personne ne demande que les assureurs soient déchargés d’une responsabilité qu’ils assument tout à fait volontiers. L’État assurera donc ses responsabilités. J’ai parlé d’une provision de 140 millions de francs. La fameuse cagnotte dont vous parlez, d’abord l’État reste quand même avec un déficit important. Donc, nous réduisons un peu le déficit, nous couvrons les diminutions d’impôts - TVA sur les travaux d’entretien depuis le 15 septembre - et je pense que nous avons fait pour 99 et pour 2000 deux budgets qui tiennent bien la route. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel vient de…

Arlette Chabot : Oui, mais c’est symbolique ! Il y a un surplus de recettes fiscales, les Français ont des problèmes et l’on dit : « On leur donnerait tout de suite, ça serait sympa. »

Christian Sautter : Je pense que les Français, qui sont aussi des contribuables, veulent que leur argent soit dépensé à bon escient. Je le répète, il n’y a pas de raison que l’État se substitue aux assureurs, qui ne le demandent pas.

Arlette Chabot : Est-ce que vous pensez que la société Total devrait faire un effort supplémentaire en plus de ce qu’elle verse dans le Fipol ?

Christian Sautter : Pour les dégâts dus à cette dramatique marée noire, il y a le Fipol, qui est un fonds international qui va indemniser à hauteur de 1,2 milliard de francs. Est-ce que la dépense sera supérieure ? Je ne peux pas vous le dire. J’ai le sentiment que l’entreprise TotalFina est prête à faire des gestes, mais c’est une entreprise et c’est à elle de déterminer ce qu’elle doit faire.

Arlette Chabot : D. Voynet aurait demandé au PDG de Total de faire plus. Vous êtes un peu sur la même ligne en disant que Total doit faire plus par solidarité.

Christian Sautter : Je serai prudent sur ce point. Voyons d’abord quelle est l’ampleur des dégâts. Pour l’instant, nous sommes dans le drame humain, dans le drame écologique. On n’est pas encore au stade où l’on fait la facture. Si cette facture est supérieure à 1,2 milliard, il faudra aviser.

Arlette Chabot : Est-ce que cette catastrophe va peser sur la croissance de la France ?

Christian Sautter : Non, les entreprises travaillent en général au ralenti durant cette période. Certaines vont avoir des difficultés parce qu’elles auront perdu leur toit ou parce qu’elles n’auront pas eu d’électricité pendant quelques jours. Je pense fondamentalement que ce qu’il faut retenir de cette catastrophe, c’est l’élan de fraternité qui a soulevé le pays, le service public mais aussi les élus, les bénévoles qui ont été formidables.

Arlette Chabot : Cette catastrophe aggrave-t-elle les risques du bogue ?

Christian Sautter : Le passage des ordinateurs du 31 décembre au 1er janvier a été préparé de longue date. Ce que je peux dire c’est que les équipes dans les hôpitaux, dans les services publics, qui vont passer le 31 décembre sont déjà sur le pont. Donc, elles sont déjà fatiguées, donc elles vont devoir faire un effort supplémentaire…

Arlette Chabot : Qu’est-ce qu’on craint pour le bogue ? Vous avez installé une tour de guet à Bercy.

Christian Sautter : La tour de guet c’est assez simple. J.-P. Chevènement, d’un côté, va prendre en charge tout ce qui est relatif à la sécurité. Moi, j’aurai pour responsabilité d’observer ce qui se passe en Nouvelle-Zélande et ensuite de coordonner les informations et les actions dans le domaine économique.

Arlette Chabot : Quel est le plus grand risque ?

Christian Sautter : Il y aura certainement des tas de petits dysfonctionnements. Je ne pense pas - d’après ce que disent les experts, mais il faut toujours être prudent - qu’il y ait de grands risques. Mais, il faudra qu’à Électricité de France, dans les hôpitaux, dans les services des eaux être très vigilant.

Arlette Chabot : Est-ce que vous pouvez nous donner de bonnes nouvelles, Monsieur le ministre de l’Économie et des Finances, pour le passage à la nouvelle année 2000 ? L’emploi, le chômage, on est toujours sur la même ligne, on va progressivement faire un retour au plein emploi ?

Christian Sautter : Sur l’emploi, nous allons avoir très bientôt les résultats. Je pense que la baisse du chômage va continuer et que, comme l’a dit le Premier ministre, nous sommes dans la perspective volontaire - pas spontanée - de retourner au plein emploi vers la fin de la prochaine décennie.

Arlette Chabot : On sera à quel chiffre : moins de 10 % de chômeurs ?

Christian Sautter : Je ne peux pas faire de pronostics, ce qui est important c’est, chaque mois, de remettre au travail des milliers ou des dizaines de milliers de nos concitoyens.

Arlette Chabot : En l’an 2000, on verra nos impôts baisser ?

Christian Sautter : Il y a déjà 40 milliards de baisse d’impôts qui ont été votés. La TVA, les droits de notaire. Si les comptes définitifs de 1999 sont un peu supérieurs à ce que nous avons prévu, j’ai promis au nom du Gouvernement, à l’Assemblée, d’examiner la possibilité d’une baisse de la taxe d’habitation à l’automne 2000.

Arlette Chabot : Pas plus loin ?

Christian Sautter : La taxe d’habitation est payée par vous, par moi, dans l’ensemble de nos concitoyens. Donc, pour l’instant, nous sommes axés sur la taxe d’habitation, qui est un impôt payé par tout le monde.

Arlette Chabot : L’impôt sur le revenu, il faut attendre 2001 ?

Christian Sautter : L’impôt sur le revenu, vous le savez, le Premier ministre a dit que nous allions baisser les impôts directs - impôts sur le revenu, taxe d’habitation : 2001 et 2002.